Interview de M. Noël Mamère, député des Verts, à France 2 le 13 janvier 2003, sur l'élection de Gilles Lemaire au poste de secrétaire national des Verts, le découpage électoral pour les élections européennes, la crise entre les Etats-Unis et l'Irak et sur la place du pétrole dans la vie politique et économique.

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Texte intégral

F. Laborde-. L'élection de G. Lemaire ne s'était pas bien passée au coup d'avant puisqu'il n'avait pas obtenu la majorité. Cette fois-ci, il est élu. C'est un candidat qui n'est pas vraiment selon votre coeur ?
- "Ce n'est pas ça. Je vous répondrai qu'il était temps, parce qu'après le fiasco de Nantes, il fallait montrer que nous sommes capables d'afficher plus de sens des responsabilités que du ridicule. Maintenant, il y a une nouvelle équipe ; cette nouvelle équipe, il faut qu'elle montre sa capacité à sortir de l'examen de notre nombril pour regarder la société en face. Et regarder la société en face, c'est apporter la spécificité des Verts sur la question de la marée noire, sur le nucléaire, sur les OGM, sur la mondialisation, sur la guerre américaine en Irak mais aussi sur les problèmes de société, comme par exemple les projets de N. Sarkozy."
Quand G. Lemaire dit qu'il y aura peut-être un rapprochement nécessaire avec l'extrême gauche, est-ce que vous pensez que c'est ça l'avenir des Verts ?
- "Je n'ai pas entendu G. Lemaire dire cela. S'il l'a dit, c'est une erreur, parce qu'il n'est pas question pour les Verts de se rapprocher en quoi que ce soit de manière fonctionnelle et organique avec l'extrême gauche. Nous sommes un parti réformiste, un parti qui veut attaquer les maux de la société à partir de leur racine. Et nous nous sommes inscrits, il y a cinq ans, dans une logique de coalition avec les partis de la gauche. Il faut continuer, mais pas dans les mêmes conditions qu'en 1997 ; c'est la raison pour laquelle le parti vert doit se renforcer pour bien montrer que la problématique écologique est une nécessité dans la gauche."
Sur cette question du renforcement du parti, est-ce que le découpage électoral prévu pour les élections européennes rend service à des partis tels que le vôtre ?
- "Non, c'est une attaque délibérée contre tout ce qui n'est pas UMP ou Parti socialiste. Cela touche aussi bien l'UDF que les Verts ou le Parti communiste français. C'est, d'autre part, un véritable "tripatouillage" électoral pour permettre d'asseoir et de renforcer la bipolarisation. Tous les discours sur la proximité tenus par J.-P. Raffarin volent en éclats lorsque l'on voit les projets sur les européennes et les régionales. Si le Gouvernement ne souhaite pas qu'il y a ait, autour de l'UMP, autour du Parti socialiste, des partis émergents qui contribuent au débat démocratique et à la vitalité démocratique, qu'il le dise tout de suite. Mais nous nous battrons et nous ne nous battrons pas seuls : nous nous battrons avec l'UDF, avec tous ceux qui le voudront, pour protester contre ces projets qui, même si les électeurs ne le voient pas tout de suite, sont une atteinte à la représentation du peuple français."
Vous publiez, avec P. Farbiaz, "Dangereuse Amérique, Chronique d'une guerre annoncée". Votre propos est de dire qu'au fond, c'est la guerre de la famille Bush et qu'ils s'était pas programmés pour ça, mais enfin, qu'ils avaient l'intention d'aller à la guerre avant même...
- "C'est plus que la guerre de la famille Bush. J'espère que la mobilisation internationale, qui commence à se dessiner timidement, contribuera à empêcher cette guerre, parce qu'il faut l'empêcher à tout prix. Au nom de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, elle risque, bien évidemment, de renforcer le désordre mondial - qui n'a pas besoin de cela. Effectivement, cette guerre, c'est la guerre d'une famille, mais c'est aussi la guerre du lobby pétrolier, qui est très puissant. C'est une guerre qui a une forte odeur de pétrole et c'est aussi une guerre du complexe - pour employer un mot pédant - militaro-sécuritaire, c'est-à-dire de ceux qui ont de gros intérêts dans la vente de matériels militaires et dans leur utilisation. Et puis, c'est aussi une manière d'affirmer le "bonapartisme" américain, c'est-à-dire cette hégémonie d'un pays qui prétend être le gendarme du monde. Il n'a plus personne en face de lui ; on voit bien que l'Europe est défaillante sur tous les terrains, que ce soit sur le terrain de la marée noire ou celui du conflit au Proche-Orient, sur Israël et la Palestine et même face à la volonté de Bush. Donc, je pense que le Président français par exemple, a tenu un discours intéressant depuis le début de ce qui s'annonce comme un conflit inéluctable, sauf qu'aujourd'hui, il est dans une situation très embarrassante, puisqu'avec la résolution 1441 de l'ONU, dictée par le président Bush à cet organisme qui se discrédite aujourd'hui, il y a de fortes chances pour que la France envoie des troupes sur le terrain. Ce qui est inacceptable parce que ce n'est pas notre guerre, cette guerre ne peut pas être faite en notre nom. Il faut demander au président de la République de s'engager sur deux plans : à la fois la consultation du Parlement, mais pas une consultation bidon, une consultation sanctionnée par un vote, que le Gouvernement, sur une question aussi importante mette en jeu sa responsabilité devant la représentation nationale, et que la France exerce son droit de veto à l'ONU."
Est-ce que, aujourd'hui, cela vous semble être effectivement la disposition d'esprit du Gouvernement, du président de la République ?
- "Non, cela ne paraît pas être sa disposition d'esprit. Les voeux qu'il a adressés aux militaires, la semaine dernière, montrent bien qu'il ne sait pas tout à fait comment s'y prendre. Et qu'en tout cas, en France, avec ce Gouvernement, il y a toujours une volonté d'alignement sur les Américains et je dirais que l'atlantisme est toujours aussi fort."
On a vu, au cours de ce week-end, samedi et dimanche, des forces navales britanniques d'une ampleur sans précédent, se rassembler. Est-ce que, franchement, vous pensez aujourd'hui que la guerre est évitable ou est-ce que, même si on dit qu'on va tout faire pour l'éviter, on n'est pas en train de se préparer à ce qu'elle arrive ?
- "Ce sera très difficile. On est train de faire beaucoup de rodomontades, de gesticulations pour dire que cette guerre est évitable. Je pense que la volonté américaine est une volonté très puissante, qu'ils ont des soutiens, que la logique de guerre préventive leur permet d'avoir des alliés comme par exemple la Russie qui, pendant le même temps, peut se permettre de massacrer les Tchétchènes en commettant des crimes contre l'humanité ; la plupart des pays arabes qui pourraient protester contre cette guerre et imposer des sanctions au niveau du pétrole sont sous la dépendance et dans la main des Etats-Unis et des compagnies pétrolières, bien évidemment. Il faut rappeler que l'Irak, c'est 25 % des ressources pétrolières du monde et que la guerre d'Afghanistan n'a pas été guidée simplement par la volonté de jeter dehors les taliban, mais aussi pour ouvrir la route de la Caspienne pour le pétrole américain."
Au fond, les choses n'ont pas évolué ? Quand on voit la marée noire, quand on voit qu'on continue de transporter du mazout dans des bateaux qui ne sont pas à double coque parce que cela coûte moins cher, quand on voit la guerre en Irak, c'est toujours pour des questions...
- "C'est toujours pour les mêmes questions, c'est-à-dire maintenir un style de vie, maintenir un mode de vie principalement axé sur la consommation et sur le gaspillage. Les bateaux à double coque, ce n'est qu'un aspect. Le problème, c'est que sur les routes - on va ouvrir le tunnel du Somport le 17 janvier ; les Verts seront présents pour protester contre le sacrifice du transport des marchandises par les camions -, c'est toujours la même chose : c'est toujours le pétrole et pour ce qui concerne le transport sur les mers, c'est encore la question du pétrole. Ce que transportait le Prestige, ce n'était même pas du pétrole, c'était du fioul lourd, c'est-à-dire un déchet. Et on n'a toujours pas réussi, au plan international, à considérer qu'il s'agit d'un déchet. Là encore, l'Europe a montré ses défaillances, et la France peut toujours s'indigner, parler de barbarie et taper du pied dans les boulettes de pétrole, qu'avons-nous fait depuis l'Amoco Cadiz : rien."
Est-ce que, dans l'ensemble, vous pensez que les Verts doivent se recentrer sur les questions d'environnement et abandonner un peu le débat de fond politique ? Je pense par exemple aux manifestations qu'on a vues ce week-end, aux apiculteurs dans le Sud-Ouest, où les abeilles sont en train de mourir à cause d'un pesticide ?
- "Le problème des abeilles, ce n'est pas simplement un problème écologique ; le problème des abeilles, c'est celui de grands groupes industriels qui fabriquent des produits qui consistent à soutenir l'agriculture industrielle, et donc, non seulement à polluer l'environnement, à polluer ce que nous mangeons, c'est-à-dire contribuer à la malbouffe, et à vouloir cartelliser l'ensemble de l'agriculture mondiale. Donc, derrière le problème de l'abeille, il y a le problème de la mondialisation, de l'environnement. Donc, les Verts doivent continuer à s'occuper de tout ce qui les regarde, c'est-à-dire l'ensemble de la société et n'abandonner aucun terrain, ni celui des libertés ni celui de l'environnement."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 janvier 2003)