Conférences de presse de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur le renforcement des relations politiques économiques et culturelles entre la France et Israël, les relations entre l'Union européenne et les pays méditerranéens et la stagnation du processus de paix, Jérusalem le 4 mars 1997.

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Circonstance : Voyage de M. de Charette au Proche-Orient (Israël, Syrie et Liban) du 2 au 6 mars 1997

Texte intégral

Merci beaucoup à David Levy pour les paroles très chaleureuses qu'il a bien voulu prononcer à mon égard et à l'égard de la France. Je connais personnellement Israël depuis 35 ans. J'ai toujours pensé qu'entre nos deux pays il y avait une relation naturelle très profonde. C'est pourquoi il n'y a rien de plus important que de travailler ensemble et de faire en sorte que la relation entre nos deux pays soit à la fois forte, dense, stable et chaleureuse. Je voudrais remercier personnellement David Levy pour sa coopération dans le renforcement des liens entre Israël et la France. Je connais son attachement personnel à la cause franco-israélienne et nous avons donc décidé de placer cette visite sous le signe de cette relation bilatérale entre nos deux pays, qui est le coeur de notre préoccupation commune. Je crois qu'on peut caractériser aujourd'hui cette relation franco-israélienne comme étant celle de pays qui n'ont pas de différend et, je dirais, comme un ciel sans nuages.

Nous sommes convenus d'établir ensemble un comité de travail franco-israélien et qui aura la charge, sous la responsabilité directe de David Levy et de moi-même, de veiller au renforcement, au développement et à la stabilité chaleureuse des relations entre la France et Israël dans tous les domaines. Cela vaut dans le domaine politique, et nous avons beaucoup de sujets de dialogue et d'intérêts communs. Cela vaut bien sûr aussi dans le domaine culturel, qu'il s'agisse de la coopération scientifique, qu'il s'agisse de la coopération culturelle ou de la promotion de la langue française en Israël, sujet que connaît bien David Levy.

C'est pourquoi je suis très content d'être venu en Israël et je me réjouis beaucoup de ces presque trois jours que je passe dans votre pays pour parler, échanger et dialoguer. Merci.

Q - Monsieur de Charette, vous avez parlé d'un ciel sans nuages sur les relations de la France et Israël. Comment la France compte-t-elle voter lors du Conseil de sécurité par rapport à Har Homa ?

R - D'abord, je voudrais dire que, entre deux amis et plus encore, entre deux amis intimes, des différences d'appréciation sur un sujet ou sur un autre ne suscitent pas des divergences et des conflits. Ceci étant, c'est vrai qu'à l'heure actuelle aux Nations unies, il y a un débat, des discussions qui s'organisent, sur lesquelles vous m'interrogez. Je n'ai pas, pour l'instant, d'indication sur le déroulement de ce débat, de sorte que je ne suis pas en état de dire quelles instructions je donnerai au représentant français probablement dans le cours de la journée, voire peut-être demain.

Mais il est très important que chacun soit bien convaincu que nos deux pays, la France et Israël, peuvent avoir, à un moment ou à un autre, des différences d'appréciation sur un sujet. On peut avoir des différences de sensibilité sur un point ou sur un autre. Cela ne doit pas transformer ou porter atteinte à la relation franco-israélienne, qui doit être une relation forte et chaleureuse. Cela a toujours été comme cela dès le début de la création de l'Etat d'Israël. C'est vrai qu'il y a eu des moments où cette relation était moins expansive. C'est précisément le but que nous poursuivons. Il faut lui rendre de la chaleur humaine, parce que nous avons de très nombreuses raisons de nous connaître, de nous apprécier et de vivre ensemble. Ce ne sont pas des formules diplomatiques, c'est une affaire de coeur.

Q - Monsieur de Charette, vous venez à Jérusalem pour 48 heures et vous n'allez pas à la Maison d'Orient. Vous parlez de relations sans nuages, vous dites qu'il n'y a pas de divergences. La position française vis-à-vis de l'annexion de Jérusalem-Est par Israël a-t-elle changé ou est-elle en train de changer ?
R - Non, il n'y a pas de changement de la position française sur les questions que vous venez d'évoquer.

Q - La France ne reconnaît pas l'annexion ?
R - Je le répète, il n'y a aucun changement sur ces positions qui sont très anciennes, qui ne sont d'ailleurs pas seulement des positions françaises, mais des positions européennes, et qui, très souvent, ne sont pas seulement des positions européennes, mais des positions internationales. Il n'y a pas de changement. Ne cherchez pas derrière ce que je dis des intentions cachées. Tout ce que je dis est transparent. Mais j'ai déjà eu l'occasion de le dire, et je voudrais le répéter ici. On peut avoir plusieurs amis dans la vie. On peut avoir le coeur assez riche pour avoir une amitié profonde avec quelqu'un sans que cela porte atteinte à l'amitié également profonde qu'on a avec un autre. Je dis cela depuis un an, peut-être qu'on finira par me croire
Je viens de la Knesset où j'ai été reçu par le président de la Commission des Affaires étrangères, entouré de plusieurs des membres, et non des moindres, de cette Commission. La discussion a été beaucoup plus longue que prévu. Elle était extrêmement intéressante, pour moi très enrichissante parce qu'il n'y a rien de tel que des parlementaires expérimentés pour apporter le bon éclairage sur la façon dont les sujets, les grandes questions de politique étrangère, naturellement le processus de paix, mais pas seulement, sont abordés par les différentes sensibilités israéliennes et par les différentes formations politiques. J'ai donc pris personnellement un très grand intérêt à cette rencontre.

J'ai eu, comme vous le savez sans doute, une journée chargée puisque j'ai rencontré hier l'envoyé spécial européen au Proche-Orient, M. Moratinos. J'ai visité ce matin l'Institut Weizmann des sciences, très impressionnant, très remarquable réussite d'un dynamisme israélien et de sa capacité d'entraîner tout un ensemble de forces pour constituer un centre de recherches de caractère et de niveau mondial. Je suis, comme vous le savez, allé visiter les manuscrits de la Mer morte, un témoignage parmi d'autres, mais non des moindres, de l'histoire qui s'est faite dans cette partie du monde et de laquelle nous sommes tous, d'une façon ou d'une autre, les héritiers. Vous savez que j'ai eu un long déjeuner de travail avec mon collègue et ami David Levy, que j'ai été reçu longuement par le Premier ministre, M. Netanyahou à qui j'ai apporté un message d'amitié du président de la République française, et qu'enfin j'ai rencontré M. Barak que je connais de longue date, à la Knesset, avant d'être reçu par le président de la Commission des Affaires étrangères de cette assemblée. Et ce soir enfin, je rencontrerai, à un dîner à l'ambassade de France, un certain nombre de représentants de la vie intellectuelle israélienne, et je me réjouis vivement d'être reçu demain par le président Weizman.

D'ores et déjà, je considère que cette visite a pleinement atteint ses objectifs. Le principal objectif que nous avions retenu concerne les relations bilatérales entre la France et Israël. Ces relations sont anciennes. Elles datent de la création de l'Etat d'Israël. Mais nous attachons une grande importance à donner à cette relation franco-israélienne toute sa portée. J'ai eu l'occasion déjà de dire, y compris ce matin à la presse, que les relations franco-israéliennes doivent être placées à un niveau très élevé. La vocation naturelle de la France et d'Israël, c'est d'être deux pays proches, deux pays amis. Je crois qu'on peut dire deux pays intimes. Je constate qu'en effet dans le passé, il y a eu des moments de forte intensité, il y a eu aussi des moments d'éloignement, et, après un an de relations très actives, depuis l'élection du président de la République, et ma nomination au ministère des Affaires étrangères, il m'a paru qu'il était souhaitable, utile de marquer un temps fort des relations franco-israéliennes et d'organiser avec mon collègue et ami David Levy les choses de telle sorte que cette relation soit à la fois intense, chaleureuse et stable.

Nous en avions parlé longuement à Paris, au mois de janvier lorsque David Levy était venu me voir à mon invitation. Nous avons poursuivi dans cette voie aujourd'hui et nous sommes convenus de créer ensemble un comité de travail franco-israélien qui sera placé directement sous l'autorité et la responsabilité de David Levy, pour la partie israélienne, de moi-même pour la partie française, et qui aura la mission de veiller à ce que ces relations bilatérales dans le domaine politique, dans le domaine économique, dans le domaine de la coopération et de la culture se maintiennent et se développent à un niveau élevé. Du côté français, c'est M. Cousseran, le directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient qui en aura la responsabilité personnelle. Voilà pour les relations franco-israéliennes. Je suis très heureux ce soir, parce que j'ai le sentiment que nos deux pays partagent cette volonté. Naturellement, c'est une volonté politique au niveau des gouvernements. Il faut aussi que ce soit une volonté qui se décline, qui se partage à tous les niveaux, y compris bien entendu au niveau de la société civile, de nos sociétés civiles respectives. Cela me paraît d'ailleurs assez naturel.

Nous avons parlé très longuement du Processus de Barcelone, parce qu'il s'agit d'un choix très important que nous avons fait tous ensemble à l'occasion de la Conférence de Barcelone en 1995, et que nous devons nous retrouver prochainement, les 15 et 16 avril, à La Valette à Malte. De quoi 'agit-il ? Vous le savez, il s'agit pour les pays du pourtour méditerranéen et pour l'Union européenne d'organiser ensemble ce que sera notre avenir, à la fois sous l'angle politique, sous l'angle du développement économique et, bien sûr, sous l'angle des relations culturelles entre partenaires qui ont des histoires passionnées en commun. Ce Processus de Barcelone s'accompagne d'accords d'association qui ont été dits "de deuxième génération", qui ont été négociés, déjà signés, pour certains, en cours de négociation pour d'autres, entre l'Union européenne et l'ensemble des pays du pourtour méditerranéen. Il s'accompagne également d'une enveloppe financière importante que l'Union européenne veut consacrer au développement économique des pays du pourtour méditerranéen. Enveloppe qui est près de 5 milliards d'écus, qui a été négociée et décidée à Cannes, au Sommet européen de Cannes. C'était le premier sommet où la France était représentée par Jacques Chirac, et, comme vous le savez, le président de la République française s'est personnellement impliqué pour obtenir un certain rééquilibrage entre l'effort financier que l'Europe fait en direction de l'Europe centrale et orientale et celui qu'elle fait, qu'elle veut faire, qu'elle a engagé désormais, à destination des pays de la Méditerranée. C'est donc là, je dirais, une stratégie d'ensemble que nous partageons en commun, et nous aurons l'occasion, lors de la Conférence de La Valette, la France aura l'occasion de développer les idées qui sont les siennes pour une Charte de stabilité en Méditerranée pour laquelle nous avons déjà présenté et proposé des idées, et à laquelle nous attachons, vous vous en doutez, de l'importance.

Bien entendu, nous avons évoqué le processus de paix, mais comme je me doute que vous allez m'interroger sur ce sujet, je vais vous laisser l'initiative en la matière, sachant naturellement que, dans ce processus de paix, la France contribue, continue à poursuivre son action avec la détermination, avec l'esprit de coopération, avec l'attention portée à tous les partenaires, de façon à apporter sa contribution complémentaire à celle des Etats-Unis, à la réussite de ce processus, qui est essentiel pour vous Israéliens et qui est bien sûr aussi très important, je peux dire essentiel, pour l'ensemble des pays méditerranéens et pour les pays européens qui se sentent directement concernés par le sort de cette région et par votre sort.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais dire très rapidement à propos de ce séjour que j'accomplis en Israël, vous laissant le soin maintenant de poser les questions que vous jugerez bon de poser.

Q - (sur le volet syrien du processus de paix)
R - S'agissant du volet syrien du processus de paix, la situation que nous connaissons aujourd'hui est une situation préoccupante. On peut dire que le processus de paix ente Israël d'un côté, la Syrie et le Liban de l'autre, est en panne. C'est une situation qui est non seulement négative, mais qui recèle de vrais dangers, de vrais risques. La France est naturellement disponible si elle peut contribuer à faire évoluer les choses positivement, mais aujourd'hui je suis plus sensible aux difficultés qu'il y a sur cette route qu'aux opportunités que l'on pourrait y trouver.

J'ajouterai simplement que l'ensemble des parties sont désireuses que le processus de paix reprenne, et je crois aussi que, sincèrement, l'ensemble des parties souhaite la paix. Pour l'instant, l'écart entre les uns et les autres me paraît assez large, et c'est pourquoi il faut travailler à essayer de

Q - (sur les constructions à Jérusalem-Est)
R - Il est vrai que la décision israélienne a provoqué un certain nombre de réactions négatives dans la région mais aussi dans le monde. La position française est connue. Elle est d'ailleurs la même que celle des Etats-Unis. Je crois que les propos tenus par le président Clinton, je peux les reprendre à l'identique : il est clair que cette décision constitue un signal négatif donné dans le déroulement du processus de paix après un signal positif important que constituait l'Accord sur Hébron.

En outre, la France considère que cette décision est contraire au droit international et que, par conséquent, loin de dégager la voie du processus de paix, elle constitue un obstacle dans ce sens. C'est pourquoi nous regrettons profondément cette décision.

Q - (sur la position de la France)
R - La France ne change pas de point de vue. La France n'a pas une position avec les uns, une position avec les autres. La France a une ligne politique, qu'elle a exprimée à des nombreuses reprises, et a été définie par le président de la République, dans son discours du Caire et à Haïfa dans le discours important qu'il a prononcé lors de sa visite en Israël. Bref, nous avons eu de nombreuses opportunités d'exprimer quelle est la position de la France. Elle ne change pas, elle ne varie pas, et sur tous les points que vous avez paru évoquer, elle est constante.

S'agissant de la Maison d'Orient, les choses sont extrêmement claires. L'Europe a arrêté une doctrine, une jurisprudence au niveau des quinze ministres des Affaires étrangères, et je ne fais qu'appliquer cette jurisprudence. Au nom de celle-ci en vertu de cette jurisprudence, lorsqu'il y a visite officielle d'un ministre des Affaires étrangères, nous maintenons notre position qui consiste à aller à la Maison d'Orient. Lorsque ce sont des visites de travail, cela n'apparaît pas nécessaire..

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 octobre 2001)