Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, à propos de l'exposition organisée par le Sénat sur "Les proscrits de la Commune" dans le cadre des commémorations du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, Paris le 13 novembre 2002.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition "Les proscrits de la Commune" au Sénat, Paris le 13 novembre 2002

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Mes chers collègues,
Chers Amis,
Avec l'inauguration de l'exposition " Les proscrits de la commune ", nous entrons, si je puis dire, dans la dernière ligne droite du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo.
Le Sénat aura été présent au début et à la fin de ces manifestations. Il a voulu ainsi, en liaison et parfois à la demande du comité national de commémoration que préside M. Bertrand Poirot-Delpech, marquer la vivacité du souvenir qu'a laissé dans ses murs celui qui fut à deux reprises l'un de ses membres les plus prestigieux : Victor Hugo.
A travers lui, c'est le lien entre le Sénat, la mémoire de la France et la société d'aujourd'hui qui est réaffirmé. Plus qu'aucun autre en effet, Victor Hugo, promoteur de l'éducation laïque et obligatoire, est un élément de notre patrimoine commun. C'est d'ailleurs une des très bonnes surprises de ce bicentenaire de constater, quelles que soient les générations, combien la mémoire de Hugo est présente et combien ces manifestations nous ont permis de redécouvrir les différentes facettes de son génie.
L'exposition " Les proscrits de la Commune " s'inscrit dans la perspective des deux journées internationales qu'organise le Sénat sur l'exil et la tolérance. Ces deux journées, qui auront lieu vendredi et samedi prochain, sont les deux faces de l'expérience vécue de Victor Hugo : celle de l'exil, tout d'abord, qui fut celle de la souffrance mais aussi celle d'une résistance farouche à l'injustice. Celle de la tolérance, c'est celle de l'espoir, du rassemblement et de la reconnaissance autour du grand homme qui a su s'élever au-dessus des passions ordinaires : " combattre avec l'espoir de pouvoir pardonner, c'est là le grand effort et le grand rêve de l'exil ". La richesse des participants à ces deux journées montre, s'il était besoin, combien l'expérience de Victor Hugo est de tous les temps et de tous les pays, combien elle est actuelle et universelle. Elle montre la nécessité du courage. Elle montre la non moins grande nécessité du pardon.
Faire référence dans ce contexte aux proscrits de la Commune est particulièrement opportun.
Ces visages mis en scène autour de nous par Mme Virginie Buisson et M. Philippe Mouillon, nous rappellent un épisode particulièrement tragique de notre histoire qui parfois nous divise encore. Je suis fier que le Sénat accueille aujourd'hui tous ces portraits rendus volontairement anonymes, réalisés dans les prisons de Versailles par Appert. Ils traduisent, mieux que de longs discours, l'incompréhension, la souffrance, le désarroi de ces êtres, hommes, femmes, enfants, que le destin emporte et qui ne reverront plus jamais ni leur pays, ni leur famille. Derrière ces visages, nous entendons les coups de fusil des " Versaillais " exécutant d'autres insurgés, d'autres " communards ", devant les murs des terrasses du jardin encore marqués par les balles aujourd'hui.
Nous lisons au-dessus de ces visages les témoignages poignants des lettres qu'ils ont écrites sur ce chemin extraordinaire de leur exil dont on a du mal, spontanément, à imaginer l'ampleur : Gorée d'où sont parties, pendant trois siècles, des générations d'esclaves ; Capetown où flotte le souvenir d'autres proscrits, cette fois pour des raisons religieuses ; Sainte-Catherine au Brésil ; la Tasmanie ; puis Nouméa et le bagne de l'Ile des Pins qui abrita Dreyfus.
Cet itinéraire donne à ce morceau d'histoire de France et à ces déchirures de notre conscience, un sens universel. Cette exposition représente en effet, au-delà de notre histoire nationale, un hommage à ces 13 ou 18 millions de personnes victimes de déplacements forcés : expulsés, interdits de séjour, dénoncés, assignés à résidence, émigrants, déportés. L'histoire moderne, elle aussi, est marquée par ces déplacements de population.
Après l'effondrement de la Commune en 1871, 45 000 personnes furent incarcérées, à Versailles, dans les maisons centrales, les forts et les pontons de la rade de la côte atlantique de la Gironde à Cherbourg. 20 000 émigrés trouvèrent refuge en Belgique, au Luxembourg, en Suisse, en Angleterre. Du 10 avril 1872 au 10 juillet 1878, les navires de l'Etat transportèrent 3.856 communards condamnés à la déportation en Nouvelle-Calédonie.
On sait que le sort de ces personnes fut l'un des grands combats de Victor Hugo, sénateur. Parmi les panneaux mis en place par la Bibliothèque nationale de France sur les grilles du Sénat, figure précisément l'un des textes manuscrits par lequel il proposa l'amnistie. Celle-ci fut votée le 12 juillet 1880 après trois tentatives infructueuses. Elle fut le dernier combat de Victor Hugo.
Je voudrais souligner, en terminant, que cette exposition au Sénat n'est qu'un point de départ. Elle va appareiller vers les différentes villes-étapes d'il y a 120 ans. Je voudrais surtout indiquer qu'elle n'aurait jamais existé sans l'initiative et l'appui des collectivités territoriales. Je me plais à souligner qu'elle est le résultat de concours venant de parties très différentes de notre territoire : la Bretagne avec son conseil régional, le conseil général du Finistère et la ville de Brest ; le Musée d'art et d'histoire de Saint-Denis ; le Centre des archives d'outre-mer d'Aix en Provence et, enfin, la province sud de Nouvelle-Calédonie et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, toutes collectivités qui sont près du cur du Sénat et qui furent l'objet de ses combats à des périodes bien plus récentes.
Avec Victor Hugo, le Sénat s'honore d'avoir participé à la bataille des idées et au triomphe de l'esprit. En fédérant toutes ces collectivités territoriales, il montre qu'il est aussi le représentant de cette France si diverse, qui sait se lever lorsqu'il s'agit de rappeler le message de la République.
" Les ferments de divisions que notre peuple porte en lui-même ", pour reprendre l'expression du Général de Gaulle, sont à l'origine des pages les plus tristes de notre histoire. Il y a plus triste encore, cependant, que ces divisions. C'est de les entretenir. Ce n'est pas le rôle du Sénat.
Cette exposition nous offre quelque chose de plus grand et de plus riche d'avenir. Elle nous permet de les assumer car elle les transcende.
(Source http://www.senat.fr, le 21 novembre 2002)