Tribune de M. Philippe Douste-Blazy, secrétaire général de l'UMP, dans "Le Figaro" du 25 septembre 2002, sur la situation des harkis et les mesures prises en leur faveur, intitulée "Harkis : le devoir de vérité".

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Circonstance : Journée d'hommage national aux harkis et aux membres des forces supplétives et assimilées ayant servi en Algérie, à Paris le 25 septembre 2002

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Cette journée du 25 septembre constitue un rendez-vous important avec notre Histoire, surtout lorsqu'il s'agit d'une période qui a été pendant trop longtemps occultée et déformée.
Cet hommage aux harkis témoigne la reconnaissance de la nation à leur égard et contribue à rendre leur honneur à des femmes et des hommes qui ont payé d'un lourd tribut leur fidélité à notre patrie.
Jacques Chirac a souhaité que ce 25 septembre témoigne de la " gratitude indéfectible de la France envers ses enfants meurtris par l'histoire ". C'est pour lui, une " dette d'honneur ".
En effet, les harkis et leurs familles ont été les victimes d'une véritable tragédie. Le terrorisme, les deuils, les déchirements, l'abandon, l'isolement, les souffrances ont trop longtemps constitué le vécu de ces femmes et de ces hommes, dignes et fiers.
Quarante ans après, les blessures sont toujours là. Les signes de détresse et les actes de désespoir viennent nous rappeler notre part de responsabilité dans ce drame qui bouleverse encore notre pays.
Il faut admettre que la France n'a pas secouru tous ses enfants et qu'elle n'a pas su accueillir sur son territoire ceux qui se sont engagés à ses côtés. Beaucoup furent massacrés ; d'autres ne doivent leur survie qu'à la bravoure de certains officiers qui ont parfois désobéi pour honorer leur parole.
En métropole, les harkis ont vécu une autre tragédie. Parqués dans des camps insalubres et isolés, ils ont vécu pendant de nombreuses années dans une profonde détresse et dans des conditions d'extrême précarité. Les jeunes ont cumulé les handicaps ne comprenant pas pourquoi ils avaient mérité un tel sort.
Ce n'est qu'en 1986, lorsque le gouvernement décida de mettre en place un dispositif en faveur des harkis puis en 1994 par une loi votée à l'unanimité que leurs difficultés seront sérieusement considérées. Si de nombreuses mesures furent prises en faveur de l'indemnisation, de l'accès à la propriété, de l'emploi des jeunes, elles n'ont pu répondre à toutes les difficultés tant les retards accumulés étaient importants.
C'est pourquoi, dans la concertation et le dialogue, il faut poursuivre et renforcer les dispositifs engagés, continuer à réparer les erreurs du passé, mobiliser les pouvoirs publics afin que les harkis et leurs enfants trouvent toute leur place dans la communauté nationale et acquièrent une pleine citoyenneté économique et sociale. Assurons-nous qu'ils participent activement à l'avenir de leur pays et qu'ils contribuent à sa richesse et à son rayonnement dans le monde.
L'histoire des harkis doit être enseignée à l'école. Il s'agit de notre Histoire. Les harkis ne doivent plus rester les oubliés d'une histoire refoulée et prendre toute leur place dans notre mémoire collective. Ils ont perpétué la mémoire de la glorieuse armée d'Afrique, ces combattants musulmans qui par milliers sont venus au secours de la patrie en danger. C'est pourquoi, il faut soutenir et promouvoir les travaux des historiens car ils permettront de leur rendre justice.
Nous devons comprendre les revendications légitimes des nouvelles générations dans leur quête de vérité. Je crois pour ma part qu'il est temps pour notre pays tout entier d'assumer cette histoire douloureuse et de reconnaître l'abandon et le massacre des harkis, comme l'a fait solennellement le président de la République le 25 septembre 2001. Les harkis, comme leurs compatriotes, ont droit à cette vérité.
L'année prochaine, la France accueillera l'année de l'Algérie. Cette grande saison culturelle devra consacrer la réconciliation et le rapprochement entre les deux pays. Elle doit, dans l'intérêt mutuel, permettre aux deux pays de lever toutes les zones d'ombre qui entravent leurs relations.
Les harkis, tout comme leurs compatriotes pieds-noirs doivent s'inscrire dans cette réconciliation, porteuse d'espoir. Une mémoire assumée et acceptée permettra à nos deux pays de bâtir un avenir commun et fraternel, dont les nouvelles générations issues des harkis comme celles issues de l'immigration, trait d'union naturel entre les deux rives de la Méditerranée, seront appelées à jouer un rôle important.
Nous savons que les mensonges, les refoulements et les silences sont nuisibles dans une démocratie. Comme Nietzsche, je pense que "les vérités que l'on tait deviennent vénéneuses". Le temps presse, les harkis vieillissent dans l'indifférence. Pour l'honneur de notre pays, pour sa cohésion et son unité, le devoir de mémoire et de vérité s'impose.
(source http://www.rpr.org, le 2 octobre 2002)