Texte intégral
F. Laborde-.Revenons aux voeux du président de la République, hier, aux armées : il a dit très clairement qu'il fallait se tenir prêt à toute éventualité. Comment l'interprétez-vous ? Comme une sorte de préparation de l'opinion publique ?
- "Je l'interprète d'abord comme tout le monde - pas simplement en France, mais aussi les responsables étrangers -, comme une inflexion. Jusqu'à présent, l'attitude de la France était de dire qu'il fallait que le Conseil de sécurité des Nations unies soit saisi avant toute intervention et que nous ferions tout pour empêcher la guerre. Aujourd'hui, le président de la République a déclaré qu'il fallait se tenir prêt : c'est une évolution et elle est sérieuse. Et je crois qu'elle ne correspond pas - ou alors il faudrait nous donner des informations - à ce qui ressort de ce qui se produit aujourd'hui en Irak, notamment la mission des inspecteurs..."
Oui, car il faut rappeler qu'ils ont jusqu'au 27 janvier, date limite butoir pour que les inspecteurs rendent compte à l'ONU de leur mission...
- "Est-ce qu'il y a une évolution de la situation ? Est-ce qu'il y a un blocage ? Est-ce qu'il y a des révélations qui ont été produites par les inspecteurs ? Alors, à ce moment-là, la question pourrait être de nouveau posée. Mais faute d'informations supplémentaires, dire aujourd'hui que nos armées doivent se préparer à un éventuel conflit, c'est finalement admettre même le conflit. Et c'est pourquoi je rappelle ici ce qui est la position du Parti socialiste - et je crois qu'elle est comprise largement au-delà du PS - : c'est qu'il ne faut pas se préparer à la guerre, il faut l'empêcher."
Mais quand on voit ces images, où des soldats américains serrent dans leurs bras femme et enfants, avec des gros titres disant que ça y est, ils partent à la guerre, on voit bien que les Américains sont prêts. Est-ce que les Américains, s'ils y vont, iront tout seuls ?
- "Cela fait plusieurs semaines que les Américains disent qu'ils veulent y aller. Depuis que G. Bush est sur cette position, l'attitude de la France notamment - mais pas simplement de la France -, c'est qu'il n'est pas possible de décider unilatéralement d'une intervention, qu'il faut revenir devant les Nations unies, ce qui a été fait et ce qui doit de nouveau être fait, après le rapport des inspecteurs. Donc, on sait bien que la volonté des Américains est d'aller vers un conflit et de l'organiser. On nous dit même qu'une date aurait été choisie. Il faut donc, lorsque l'on est président du Conseil de sécurité, ce qui est le cas de la France aujourd'hui, non pas se laisser aller à une fatalité, mais dire qu'il faut, sauf si des informations nouvelles nous sont communiquées, empêcher un conflit, parce que rien n'est inéluctable et surtout, parce qu'on sent bien qu'une intervention en Irak aurait des conséquences qui dépasseraient le seul territoire irakien."
Oui, qui aurait aussi des influences au Proche-Orient, mais aussi sur le territoire français...
- "On peut imaginer, en tout cas, que cela aurait des conséquences. Et quand cela a de telles conséquences, on doit arrêter, empêcher, agir et pas simplement se laisser aller à la fatalité."
Mais quelle est la différence avec la situation en 1991, où la France est allée dans la guerre du Golfe, sous la présidence de Mitterrand ?
- "La grande différence est qu'en 1990, il y a l'invasion du Koweit par l'Irak, c'est-à-dire un acte d'agression d'un pays à l'égard d'un autre. Les Nations unies sont saisies et elles constatent qu'il y a donc un acte d'agression, de guerre, qui a été commis par un pays, l'Irak, contre un autre, qui a été envahi. A ce moment-là, il y a eu plusieurs avertissements, il y a eu pression. F. Mitterrand, jusqu'au dernier moment, a essayé de convaincre les Irakiens de se retirer du Koweit ; ils ne l'ont pas fait. A ce moment-là, nous avons obéi, légitimement, à une action internationale parce qu'il fallait chasser les Irakiens du territoire koweitien. Aujourd'hui, quelle est la situation ? L'Irak reste gouverné par un dictateur, c'est un régime tout à fait scandaleux, mais est-ce que notre position doit être d'intervenir partout où il y a des régimes scandaleux ? Convenons à ce moment-là qu'il faut aussi mener une action en Corée du Nord, où là il y a même des dangers quant à des armements nucléaires. Donc, la situation est différente de 1991. A partir de là, nous devons faire en sorte qu'il y ait pression sur les Irakiens, qu'il y ait vérification qu'il n'y a pas d'armement interdit et que, si cette vérification se fait, à ce moment-là, nous n'avons pas à faire un conflit en Irak."
Est-ce qu'aujourd'hui, à la lumière de ces dernières informations, vous demandez solennellement un débat à l'Assemblée ?
- "Nous l'avons demandé, J.-M. Ayrault l'a fait au nom du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. Le président de la République a donné droit, d'ailleurs, à cette demande de débat. Donc, je souhaite que ce débat se tienne, mais si possible avant que la France n'ait décidé de sa position par rapport au conflit."
Passons à un tout autre dossier, celui des retraites. Là encore, on a entendu le président de la République donner quelques pistes, notamment en se disant très attaché au système "à la française", par répartition. Et de l'autre côté, on voit les syndicats essayer de constituer un front uni et appeler à manifester le 1er février, pour protéger le système de retraites. Il faut bien réformer le système de retraite français ?
- "Oui, là, il y a une convergence, et des syndicats et des acteurs politiques, et même des Français. On voit bien qu'il y a une évolution de la population et qu'il y a la nécessité de garantir l'avenir des retraites. Après, la grande question n'est pas de savoir s'il faut une réforme, c'est : quelle réforme ? Qu'est-ce que nous a dit le président de la République ? Il nous a dit qu'il faut garantir les régimes de répartition. Fort bien. Mais il a ajouté, qu'il fallait prévoir une épargne-retraite, c'est-à-dire des fonds de pension. Là, il y a un risque de contradiction, parce que si on crée des fonds de pension, il y aura des conséquences..."
Ne faut-il pas les deux ?
- "Non, il ne faut pas les deux. Il faut garantir les régimes de répartition, parce que les régimes de capitalisation, c'est le système individuel, c'est le système où les plus favorisés peuvent constituer une épargne et les autres, ils n'auront que ce que la solidarité nationale voudra bien leur donner. Deuxième intervention du président de la République, c'est de dire qu'il faut donner une perspective, un avenir aux retraites. Fort Bien. Mais en même temps, le même jour, il dit qu'il faut baisser les cotisations des entreprises. Mais comment fait-on pour financer ? Alors, il faut avoir des principes clairs. C'est ce que j'exprimerai au nom du Parti socialiste : il faut maintenir le niveau de retraite - c'est quand même le point principal -, dans le cadre de la répartition, en écartant donc tout régime de capitalisation ; il faut tenir compte de la pénibilité du travail..."
Cela veut donc dire une augmentation des cotisations ?
- "Il faut chercher des ressources supplémentaires, parce qu'il faut dire la vérité : il ne faut sûrement pas faire comme voudrait agir le Gouvernement, c'est-à-dire allonger la durée de cotisation. Parce ce qu'on sait bien qu'il y a un grand nombre de salariés, du public comme du privé, qui veulent partir à l'âge de 60 ans, avec les durées de cotisation d'aujourd'hui, mais il faut sans doute chercher d'autres financements. Et c'est là l'objet de la négociation..."
Mais ne faut-il pas aussi plus de liberté, pour des salariés qui souhaiteraient travailler plus longtemps et cotiser plus longtemps ?
- "Pour avoir davantage de droits ? Pourquoi pas. Mais il faut permettre cette liberté là, tout en donnant à chacun la possibilité de partir à l'âge de 60 ans, avec une retraite à taux plein."
Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de totalement fictif et virtuel dans ce débat, quand on sait que, de toute façon, la moitié des Français prennent de fait leur retraite avant 60 ans, autour de 55 ans, parce qu'ils sont dans des plans de départ en préretraite ou de licenciement ?
- "Oui, il y a une hypocrisie terrible de la part du patronat, et parfois même des gouvernements qui se succèdent, de dire qu'il faut réformer les retraites et, en même temps, de faire partir de force, plutôt que de gré, un certain nombre de salariés à 55 ans, qui voudraient travailler..."
Est-ce que la gauche ne peut pas être inventive et proposer des retraites à la carte, où il y a des départs progressifs, pour qu'il n'y ait pas de rupture entre la vie active et la retraite ?
- "Il y a [plusieurs] idées qu'il faut développer : premièrement, c'est qu'on pourrait partir plus tôt, avant 60 ans, lorsqu'on a les 40 ans d'annuité. Deuxième idée : est-ce qu'on ne peut pas avoir un temps partiel, tout en gardant une part de sa retraite et former un jeune, pour entrer à sa place dans l'entreprise ? Troisième idée : on va se former de plus en plus longtemps et on va se former toute la vie ; est-ce que ce temps de formation ne peut pas donner l'objet aussi de cotisation, de contribution pour donner droit à la retraite ?"
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 janvier 2003)
- "Je l'interprète d'abord comme tout le monde - pas simplement en France, mais aussi les responsables étrangers -, comme une inflexion. Jusqu'à présent, l'attitude de la France était de dire qu'il fallait que le Conseil de sécurité des Nations unies soit saisi avant toute intervention et que nous ferions tout pour empêcher la guerre. Aujourd'hui, le président de la République a déclaré qu'il fallait se tenir prêt : c'est une évolution et elle est sérieuse. Et je crois qu'elle ne correspond pas - ou alors il faudrait nous donner des informations - à ce qui ressort de ce qui se produit aujourd'hui en Irak, notamment la mission des inspecteurs..."
Oui, car il faut rappeler qu'ils ont jusqu'au 27 janvier, date limite butoir pour que les inspecteurs rendent compte à l'ONU de leur mission...
- "Est-ce qu'il y a une évolution de la situation ? Est-ce qu'il y a un blocage ? Est-ce qu'il y a des révélations qui ont été produites par les inspecteurs ? Alors, à ce moment-là, la question pourrait être de nouveau posée. Mais faute d'informations supplémentaires, dire aujourd'hui que nos armées doivent se préparer à un éventuel conflit, c'est finalement admettre même le conflit. Et c'est pourquoi je rappelle ici ce qui est la position du Parti socialiste - et je crois qu'elle est comprise largement au-delà du PS - : c'est qu'il ne faut pas se préparer à la guerre, il faut l'empêcher."
Mais quand on voit ces images, où des soldats américains serrent dans leurs bras femme et enfants, avec des gros titres disant que ça y est, ils partent à la guerre, on voit bien que les Américains sont prêts. Est-ce que les Américains, s'ils y vont, iront tout seuls ?
- "Cela fait plusieurs semaines que les Américains disent qu'ils veulent y aller. Depuis que G. Bush est sur cette position, l'attitude de la France notamment - mais pas simplement de la France -, c'est qu'il n'est pas possible de décider unilatéralement d'une intervention, qu'il faut revenir devant les Nations unies, ce qui a été fait et ce qui doit de nouveau être fait, après le rapport des inspecteurs. Donc, on sait bien que la volonté des Américains est d'aller vers un conflit et de l'organiser. On nous dit même qu'une date aurait été choisie. Il faut donc, lorsque l'on est président du Conseil de sécurité, ce qui est le cas de la France aujourd'hui, non pas se laisser aller à une fatalité, mais dire qu'il faut, sauf si des informations nouvelles nous sont communiquées, empêcher un conflit, parce que rien n'est inéluctable et surtout, parce qu'on sent bien qu'une intervention en Irak aurait des conséquences qui dépasseraient le seul territoire irakien."
Oui, qui aurait aussi des influences au Proche-Orient, mais aussi sur le territoire français...
- "On peut imaginer, en tout cas, que cela aurait des conséquences. Et quand cela a de telles conséquences, on doit arrêter, empêcher, agir et pas simplement se laisser aller à la fatalité."
Mais quelle est la différence avec la situation en 1991, où la France est allée dans la guerre du Golfe, sous la présidence de Mitterrand ?
- "La grande différence est qu'en 1990, il y a l'invasion du Koweit par l'Irak, c'est-à-dire un acte d'agression d'un pays à l'égard d'un autre. Les Nations unies sont saisies et elles constatent qu'il y a donc un acte d'agression, de guerre, qui a été commis par un pays, l'Irak, contre un autre, qui a été envahi. A ce moment-là, il y a eu plusieurs avertissements, il y a eu pression. F. Mitterrand, jusqu'au dernier moment, a essayé de convaincre les Irakiens de se retirer du Koweit ; ils ne l'ont pas fait. A ce moment-là, nous avons obéi, légitimement, à une action internationale parce qu'il fallait chasser les Irakiens du territoire koweitien. Aujourd'hui, quelle est la situation ? L'Irak reste gouverné par un dictateur, c'est un régime tout à fait scandaleux, mais est-ce que notre position doit être d'intervenir partout où il y a des régimes scandaleux ? Convenons à ce moment-là qu'il faut aussi mener une action en Corée du Nord, où là il y a même des dangers quant à des armements nucléaires. Donc, la situation est différente de 1991. A partir de là, nous devons faire en sorte qu'il y ait pression sur les Irakiens, qu'il y ait vérification qu'il n'y a pas d'armement interdit et que, si cette vérification se fait, à ce moment-là, nous n'avons pas à faire un conflit en Irak."
Est-ce qu'aujourd'hui, à la lumière de ces dernières informations, vous demandez solennellement un débat à l'Assemblée ?
- "Nous l'avons demandé, J.-M. Ayrault l'a fait au nom du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. Le président de la République a donné droit, d'ailleurs, à cette demande de débat. Donc, je souhaite que ce débat se tienne, mais si possible avant que la France n'ait décidé de sa position par rapport au conflit."
Passons à un tout autre dossier, celui des retraites. Là encore, on a entendu le président de la République donner quelques pistes, notamment en se disant très attaché au système "à la française", par répartition. Et de l'autre côté, on voit les syndicats essayer de constituer un front uni et appeler à manifester le 1er février, pour protéger le système de retraites. Il faut bien réformer le système de retraite français ?
- "Oui, là, il y a une convergence, et des syndicats et des acteurs politiques, et même des Français. On voit bien qu'il y a une évolution de la population et qu'il y a la nécessité de garantir l'avenir des retraites. Après, la grande question n'est pas de savoir s'il faut une réforme, c'est : quelle réforme ? Qu'est-ce que nous a dit le président de la République ? Il nous a dit qu'il faut garantir les régimes de répartition. Fort bien. Mais il a ajouté, qu'il fallait prévoir une épargne-retraite, c'est-à-dire des fonds de pension. Là, il y a un risque de contradiction, parce que si on crée des fonds de pension, il y aura des conséquences..."
Ne faut-il pas les deux ?
- "Non, il ne faut pas les deux. Il faut garantir les régimes de répartition, parce que les régimes de capitalisation, c'est le système individuel, c'est le système où les plus favorisés peuvent constituer une épargne et les autres, ils n'auront que ce que la solidarité nationale voudra bien leur donner. Deuxième intervention du président de la République, c'est de dire qu'il faut donner une perspective, un avenir aux retraites. Fort Bien. Mais en même temps, le même jour, il dit qu'il faut baisser les cotisations des entreprises. Mais comment fait-on pour financer ? Alors, il faut avoir des principes clairs. C'est ce que j'exprimerai au nom du Parti socialiste : il faut maintenir le niveau de retraite - c'est quand même le point principal -, dans le cadre de la répartition, en écartant donc tout régime de capitalisation ; il faut tenir compte de la pénibilité du travail..."
Cela veut donc dire une augmentation des cotisations ?
- "Il faut chercher des ressources supplémentaires, parce qu'il faut dire la vérité : il ne faut sûrement pas faire comme voudrait agir le Gouvernement, c'est-à-dire allonger la durée de cotisation. Parce ce qu'on sait bien qu'il y a un grand nombre de salariés, du public comme du privé, qui veulent partir à l'âge de 60 ans, avec les durées de cotisation d'aujourd'hui, mais il faut sans doute chercher d'autres financements. Et c'est là l'objet de la négociation..."
Mais ne faut-il pas aussi plus de liberté, pour des salariés qui souhaiteraient travailler plus longtemps et cotiser plus longtemps ?
- "Pour avoir davantage de droits ? Pourquoi pas. Mais il faut permettre cette liberté là, tout en donnant à chacun la possibilité de partir à l'âge de 60 ans, avec une retraite à taux plein."
Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de totalement fictif et virtuel dans ce débat, quand on sait que, de toute façon, la moitié des Français prennent de fait leur retraite avant 60 ans, autour de 55 ans, parce qu'ils sont dans des plans de départ en préretraite ou de licenciement ?
- "Oui, il y a une hypocrisie terrible de la part du patronat, et parfois même des gouvernements qui se succèdent, de dire qu'il faut réformer les retraites et, en même temps, de faire partir de force, plutôt que de gré, un certain nombre de salariés à 55 ans, qui voudraient travailler..."
Est-ce que la gauche ne peut pas être inventive et proposer des retraites à la carte, où il y a des départs progressifs, pour qu'il n'y ait pas de rupture entre la vie active et la retraite ?
- "Il y a [plusieurs] idées qu'il faut développer : premièrement, c'est qu'on pourrait partir plus tôt, avant 60 ans, lorsqu'on a les 40 ans d'annuité. Deuxième idée : est-ce qu'on ne peut pas avoir un temps partiel, tout en gardant une part de sa retraite et former un jeune, pour entrer à sa place dans l'entreprise ? Troisième idée : on va se former de plus en plus longtemps et on va se former toute la vie ; est-ce que ce temps de formation ne peut pas donner l'objet aussi de cotisation, de contribution pour donner droit à la retraite ?"
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 janvier 2003)