Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF, sur les valeurs défendues par l'UDF et sa position dans la majorité face à l'UMP, Paris le 17 janvier 2003.

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Circonstance : Congrès de l'UDF à la Mutualité à Paris du 17 au 19 janvier 2003-discours d'ouverture

Texte intégral

Mes chers amis,
Au moment d'ouvrir la première soirée de ce Congrès, qui est une soirée d'accueil, puisque le gros des congressistes arrivera demain matin, j'ai un souvenir présent à l'esprit. C'était le 18 avril, trois jours avant l'élection présidentielle, et nous tenions ensemble, dans une salle débordante et chavirée, l'avant-dernier meeting de notre campagne. Il y avait longtemps que la droite et le centre avaient déserté la Mutualité, laissant cette salle magnifique au monopole de la gauche.
Ce soir-là nous avions relevé le gant, et de tenir à nouveau ces trois jours de congrès dans ce haut, lieu républicain est comme un symbole : nous avons décidé de changer le paysage politique français et d'investir l'un après l'autre tous les lieux où il se débattra dans les années qui viennent de liberté, d'égalité et de justice.
Vous savez bien que cette entreprise démocratique et républicaine, on a voulu l'étouffer et la rendre impossible. Il y a eu un contrat sur notre mouvement. Ce contrat, on a tenté de l'exécuter par les deux armes qui font plier les faibles : la menace et l'alléchante promesse.
Si je pouvais, à cet instant, j'appellerais auprès de moi les soixante-dix hommes et femmes, députés, sénateurs et parlementaires européens, et j'appellerai auprès de moi les dizaines de milliers de militants qui ont dit non à cet oukase et qui ont choisi de relever le défi.
Et il n'a pas fallu attendre la fin de l'année 2002, pas plus de six mois de cette grossière manoeuvre de rouleau compresseur pour que les électeurs de la troisième circonscription des Yvelines, se faisant les interprètes de millions de français ajoutent leur griffe personnelle - j'allais dire leur gifle personnelle - à cette volonté de résistance, en élisant Christian Blanc qui nous retrouvera demain matin.
Les élus, les militants et les électeurs ont montré une chose toute simple : la France est un pays de liberté et les pays de liberté ne s'accommodent pas des partis uniques imposés par la force.
Pour nous s'achève le temps de la défensive et va commencer le temps de l'offensive.
Mais avant de tourner la page sur cette année 2002 et de noyer dans le passé les noirceurs qu'elle nous a révélées, non pas noirceurs des autres mais noirceurs des nôtres, je veux vous dire, dans cette salle où se sont exprimées au travers du temps tant d'émotions, je veux vous dire quel lien inaltérable s'est créé pendant ces mois entre vous et moi. Et je veux vous dire quelle gratitude je dois à chacun d'entre vous.
Les parlementaires valeureux, les compagnons inébranlables qui répondaient par un grand rire aux misérables pressions qui s'exerçaient sur eux, les élus de terrain et leur tranquille assurance d'être dans leur famille et de n'en vouloir pas bouger, les militants enfin, vous les soldats dont les colonels se révélaient indignes de leur confiance et qui teniez bon, et qui vous mettiez en colère en recevant des courriers issus de fichiers détournés. Vous à qui l'on tentait de faire croire, contre toute vérité, qu'une famille politique cela peut se dissoudre avec armes et bagages au bénéfice d'une manuvre de pouvoir. C'est vous qui m'avez donné la force nécessaire pour tenir bon quand tout paraissait compromis. Pas une minute en ces mois si longs, je n'ai oublié l'adhésion confiante qui était la vôtre, non pas à un homme ni même à une équipe, mais un idéal.
Dans quelques années, quand nous verrons - car nous le verrons - que, comme dit Victor Hugo " le jour sort de la nuit comme d'une victoire ", je me souviendrai, nous nous souviendrons de ces jours de 2002, et nous comprendrons alors que c'est là, quand tout paraissait perdu, que s'est forgé notre avenir et plus encore la part d'avenir national dont nous aurons la charge.
Ces temps sont derrière nous. Ce qui est forgé est forgé. Il suffit maintenant de conduire cette entreprise avec l'enthousiasme, et le dynamisme, et la volonté, et l'organisation que justifie une telle cause.
Je voudrais devant vous tracer le cadre et définir le cap de ce Congrès national.
Je voudrais, à l'ouverture de cette rencontre, définir les deux ambitions qui servent de ligne directrice à notre message.
Nous voulons que la France réussisse aujourd'hui les réformes qui la libéreront de ses échecs et nous voulons construire pour l'avenir une alternative lorsqu'elle aura à prononcer ses choix.
Nous voulons que la France réussisse aujourd'hui. C'est dire que nous rejetons toutes les insinuations qui tendraient à faire croire que nous spéculons sur d'éventuelles difficultés du gouvernement. Au contraire, notre souci c'est notre pays. Et l'échec du gouvernement de notre pays serait un échec du pays.
Un grand journal du matin a publié, aujourd'hui même, un florilège de mes déclarations depuis six mois. Il n'y en a pas une, dans cette liste, dont je retrancherais une virgule.
C'est dans l'intérêt de notre pays, et donc du gouvernement, que j'ai suggéré dès l'été que l'on présente un budget avec plusieurs hypothèses de croissance. Cela aurait permis une discussion budgétaire plus réaliste et plus transparente. Et cela aurait évité que ne soit annoncé, ce matin même, le gel dès les premiers jours de l'année budgétaire, de 4 milliards d'euros, votés par les parlementaires et qui ne seront pas exécutés.
C'est dans l'intérêt de notre pays et de son système de formation, que je proposais, dès notre université d'été, que l'on sanctuarise les postes à l'Education nationale et que l'on fasse de ce secteur la priorité des priorités du gouvernement. Cela aurait évité l'étrange va-et-vient qui a fait supprimer des postes et annoncer ensuite qu'on allait les recréer.
C'est dans l'intérêt de notre pays, et donc du gouvernement, que je demandais que l'on ne traite pas " à part " la question des retraites d'EDF, ce qui aurait évité que le gouvernement endosse une rebuffade et se voie demain opposer, lorsqu'il s'agira de demander des sacrifices à tous, les privilèges qu'il aura pérennisés pour quelques-uns.
Enfin, je ne retire pas une virgule et pas un mot des critiques que j'ai exprimées sur la décision de soutenir, sans aucun débat, sans une minute de concertation avec le pays ou avec ses élus, l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Ou la dangereuse et absurde proposition de donner à l'Union européenne qui a tant besoin d'un président, le ridicule d'en avoir deux qui se concurrenceront et se neutraliseront, empêchant l'Europe d'avoir l'expression qui lui manque tant, et les citoyens européens d'y comprendre quelque chose !
Notre liberté, notre dignité et la justification même de notre existence, c'est de pouvoir dire "oui" quand les choix sont bons, "non" quand ils nous paraissent dangereux, et de pouvoir porter dans la majorité l'exigence des Français.
Et nous sommes heureux de soutenir sans réserve ce qui va dans le bon sens. Nous soutenons la mobilisation de l'énergie du pays autour d'une politique volontaire de sécurité, et nous ne tergiversons pas, nous ne voyons aucune liberté publique en danger, aucun principe en cause, lorsqu'il s'agit pour la police ou la gendarmerie de regarder ce qu'il y a dans le coffre d'une voiture. Et même de constituer des fichiers génétiques qui permettraient de résoudre bien des affaires monstrueuses et d'éviter bien des erreurs judiciaires. Sur ce sujet, il nous paraît que le gouvernement fait ce qu'il faut et nous le soutenons.
De la même manière, bien que le sujet soit immense, il nous paraît que le Ministre de la Santé a marqué des points, notamment en ce qui concerne l'assouplissement des 35 heures dans les hôpitaux. Nous le disons et nous soutenons son action.
Et lorsqu'une orientation nous paraît bonne mais qu'aucune décision ne nous apparaît encore claire, nous le disons aussi pour appeler le gouvernement à améliorer son action. Je vous dis franchement que c'est le cas de la décentralisation. On n'a parlé que de cela pendant l'été, puis l'automne, mais je dois vous avouer franchement que, l'hiver venu, je n'y vois pas plus clair dans les desseins concrets du gouvernement sur ce sujet pourtant si nécessaire.
Vouloir la réussite de son pays, vouloir le succès de la réforme, être à la hauteur de la vraie mission du politique, c'est que votre oui soit oui et que votre non soit non, que votre pensée libre soit exprimée avec assez de clarté pour qu'elle efface toutes les arrière-pensées.
Voilà notre place, différente et originale, dans la majorité. Le parti gouvernemental, l'UMP, c'est le parti du soutien automatique, du soutien mécanique. Que le chauffeur décide l'aller en avant ou en arrière, à droite ou à gauche, ils sont d'accord avec tout. Et après tout peut-être cela est-il inévitable. Mais ce que les Français veulent, c'est un parti non-inféodé, un parti de liberté et de responsabilité qui leur donne un autre éclairage sur les choix que l'on fait en leur nom et qui, le jour venu, soit capable de leur présenter une option différente pour l'avenir, leur rendant ainsi la liberté de choisir, la liberté du citoyen qu'autrement ils auraient perdue.
J'ai dit " une option différente pour l'avenir ". C'est le but même du travail qui va durer des mois et que, ce soir, ce Congrès commence.
Je veux remercier, à l'ouverture de cette réunion de trois jours, tous ceux qui se sont investis, sur le terrain comme à Paris, dans sa préparation.
Je veux remercier Pierre Albertini, le député-maire de Rouen qui a accepté d'être le maître d'uvre assidu de ce travail, aidé d'un groupe actif au premier rang duquel Charles-Amédée de Courson, député de la Marne. Pierre Albertini a rédigé le très important document introductif de ce débat et la richesse des contributions venant du terrain ont montré que ce document avait touché juste.
Deux cents contributions ont été déposées selon nos règles internes, c'est-à-dire signées chacune au moins par dix militants. Il y a eu un certain nombre de contributions individuelles qui ne répondaient pas aux règles que nous nous sommes données. Elle ne seront pas discutées mais nous en tiendrons compte dans nos travaux préparatoires.
Deux cents contributions de fédérations entières ou de groupes constitués, c'est dire la richesse de réflexion et d'engagement qui anime l'UDF du terrain.
Je sais ce que démontre cet engagement. C'est que vous n'êtes pas dans cette salle par hasard. Vous vous battez pour des idées, pour une vision. Vous vous engagez, vous militez, vous travaillez, parce que vous avez une idée de l'avenir qui dépasse les intérêts qui dépassent les intérêts particuliers et les satisfactions de carrières. Ne l'oublions pas une minute pendant ces trois jours. C'est cela notre plus grande richesse.
Je veux remercier enfin toute l'équipe, bénévoles, qui sous la responsabilité de Marielle de Sarnez, chargée de l'organisation de nos débats, et plus spécialement de ce Congrès, qui a proposé à partir de ces contributions une organisation du débat et des synthèses qu'ils ont travaillées pendant des heures et des jours. Je veux citer Isabelle Sicart qui en a été l'animatrice principale. Et cette équipe était composée pour l'essentiel des membres de la section UDF de Sciences-Po, dont j'admire l'engagement et que j'aime beaucoup, dans leur ensemble, pour des raisons publiques et privées. Ils ont passé dix jours à travailler sur vos contributions et je crois que tous ensemble ils méritent vos applaudissements.
Dans les mois qui viennent, nous ne négligerons rien de ce qui fait un parti conquérant.
Nous ne négligerons pas les adhésions. Je fixerai à chaque département des objectifs vérifiables à atteindre.
Nous ne négligerons pas l'organisation. Il faut que chaque adhérent retire de son engagement la certitude d'être utile et de pouvoir apporter à la maison commune le capital de son expérience, de ses idées et de son engagement. Il faut que chacun soit utile et pas seulement un adhérent formel.
Nous ne négligerons pas l'animation parce qu'il y a dans l'engagement politique une dimension nécessaire de convivialité et l'intérêt de participer, comme ce soir, à de grands événements.
Nous ne négligerons pas la détection des talents et la formation parce qu'au bout du compte, un parti offensif, ce sont toujours des candidats.
Mais les idées passeront toujours en premier parce que ce sont les idées, selon nous, qui font avancer le monde. Ce Congrès aura un signe particulier, c'est un Congrès sous le signe de l'ouverture. Nous allons accueillir, ce soir et demain, des personnalités nombreuses qui ne font pas partie - ou pas encore partie - de nos rangs. Si nous avons voulu les entendre, c'est parce que nous savons qu'il y a dans la société française des ressources dont le monde politique se prive à force de fermeture sur lui-même. La France est plus riche de talents, d'expériences et d'idées que souvent le monde politique ne le croit. Pour nous tous ces talents, ces expériences et ces idées ont vocation à l'engagement. Et nous croyons que si nous sommes à la hauteur, leur engagement sera plus facile dans une démarche comme la nôtre que dans tout autre plus verrouillée, plus fermée sur des logiques d'appareils.
Oui nous croyons, comme nous l'avons montré avec l'élection de Christian Blanc, comme nous le montrerons chaque fois que nous le pourrons, que la France a besoin d'un grand courant politique nouveau, capable de faire travailler ensemble des gens venus d'horizons différents pourvu qu'ils partagent le même projet et le même sens du bien commun.
Liberté de pensée, ouverture, indépendance de comportement, rassemblement des Français, ce seront nos mots d'ordre pour les deux ans qui viennent.
Notre Congrès a lieu tous les deux ans. Vous voyez bien le chemin qui s'ouvre devant nous. Nous sommes passés de la défensive à l'offensive. Nous avons tenu bon et nous voulons maintenant offrir, chaque fois que nécessaire, à notre pays, la liberté de choix qui lui permettra de trouver son destin.
Bon Congrès à tous

(source http://new.udf.org, le 20 janvier 2003)