Texte intégral
LE FIGARO. - À l'ouverture de votre congrès, comment définiriez-vous la place de l'UDF dans la politique française et dans la majorité ?
François BAYROU. - L'UDF, c'est le parti des non-inféodés. Le discours de l'UMP, c'est : "tout ce que fait le gouvernement est magnifique", et le PS répond : "tout est nul et anti-social". Il faut bien, pour que les Français participent au débat, un parti constructif, soutenant l'esprit de réforme, mais libre de son jugement, qui sache dire : "Ceci est bien, ceci mérite d'être amélioré, ceci est mal."
Qu'est-ce qui est bien, qu'est-ce qui mérite d'être amélioré, qu'est-ce qui est mal ? Pouvez-vous donner quelques exemples ?
Bien : la mobilisation pour la sécurité. Mérite d'être améliorée : la décentralisation, pour l'instant peu lisible. Mal : l'élargissement de l'Europe à la Turquie sans débat, et le projet dangereux de double présidence européenne. Autant d'exemples de ce fait : sans l'UDF, il n'y aurait pas de débat, sur des points pourtant cruciaux.
Le gouvernement a renoncé à faire élire les députés européens dans le cadre des 22 régions. La dernière mouture de sa réforme, qui crée huit inter-régions, vous satisfait-elle ?
Non. Dans cette affaire, c'est d'abord la définition de l'Europe qui est en cause. Pour moi, l'Europe est une fédération de pays, de nations. Un député européen représente la France, il ne représente pas une région française, de quelque taille qu'elle soit. En outre, l'élection européenne est l'unique occasion que nous ayons, tous les cinq ans, d'avoir un débat national sur l'Europe. Avec cette réforme, ce débat n'aurait plus lieu. Enfin, il y a la question du pluralisme. Si le gouvernement avait mis à exécution son projet d'enfermer les députés européens dans 22 élections régionales, le pluralisme aurait été irrémédiablement compromis. Avec un découpage en 8 grandes régions, le danger serait moindre si les règles du jeu étaient claires. Or, elles ne le sont pas. Elles sont même incompréhensibles, y compris pour les experts les plus pointus. Il faudra changer les dispositions prévues, faute de quoi le fonctionnement de la démocratie ne sera pas assuré.
Après avoir soutenu l'ex-PDG d'Air France Christian Blanc à la législative partielle des Yvelines, vous auriez bien réitéré en présentant l'ancien ministre Corine Lepage à l'élection qui doit se dérouler à la fin du mois à Paris, dans le XVIIIe. Des chiraquiens ont su la dissuader, mais ont-ils réussi à vous décourager, vous, de monter des "coups" électoraux ?
Je ne fais pas de "coups", comme vous dites, sans raison de fond. Mon projet est de faire naître dans la politique française une vraie alternative grâce à un grand courant démocrate et réformateur ouvert sur sa droite comme sur sa gauche. Toute action commune avec des personnes qui, pour l'instant, ne sont pas UDF, sera pour moi la bienvenue, à condition qu'il y ait entre nous cohérence et communauté de convictions. C'est le cas avec Christian Blanc et oui, il y aura d'autres cas de ce genre.
Dans le XVIIIe, à défaut de Corine Lepage, vous présentez une candidate UDF qui va peut-être faire échouer l'UMP Patrick Stefanini face à la PS Annick Lepetit. N'est-ce pas un acte d'agression ?
Christelle de Crémiers est une jeune femme engagée et enthousiaste, qui avait déjà été la candidate de l'UDF en juin. Entre l'UMP et le PS, elle offre une bouffée d'oxygène aux électeurs de cette circonscription.
Aux régionales de l'an prochain, comptez-vous sur l'UMP pour aider Anne-Marie Comparini, seule femme et seul membre de l'UDF à présider une région, à conserver son siège en Rhône-Alpes ?
Anne-Marie Comparini est une présidente formidable. Elle a réussi à pacifier cette région. J'ai la certitude que si elle était attaquée, les électeurs ne l'accepteraient pas.
Et si Jean-Pierre Raffarin lui trouvait une place au gouvernement en compensation ?
On n'achète pas les gens de qualité.
Le grand courant que vous voulez créer est-il susceptible de rallier des socialistes encartés - ce que n'a jamais été Christian Blanc ?
Pour moi, les affinités ne se décident pas en fonction des camps. Il y a beaucoup de gens de droite que je respecte et avec lesquels je suis heureux de travailler, et aussi des gens qu'on dit de gauche, que je respecte et avec qui je pourrais travailler à condition que nos objectifs et nos projets soient communs. Je vous rappelle que lorsque j'ai été élu à la présidence du centre, j'ai dit que mon ambition était de rassembler de Balladur à Delors. Je nourris toujours cette aspiration et je pense qu'elle sera de plus en plus d'actualité dans les années qui viennent. Ce courant démocrate, social-libéral et européen est déjà idéologiquement majoritaire dans la vie politique française. Il suffirait qu'il se structure pour que le paysage politique change radicalement.
Pensez-vous que la dérive à gauche du PS peut pousser vers vous des socio-libéraux comme Laurent Fabius ou Dominique Strauss-Kahn ?
Les leaders, les hommes d'appareil, sont évidemment "verrouillés". Mais dans le pays, il y a des millions de personnes qui sont déçues et disponibles, d'un bord et de l'autre. Un jour, ces femmes et ces hommes se rassembleront pour une oeuvre de refondation.
Jacques Delors et même Michel Rocard ont caressé avant vous ce rêve d'un centre majoritaire, mais ils ne l'ont jamais réalisé. Pourquoi réussiriez-vous là où ils ont échoué ?
Vous pouvez rajouter Valéry Giscard d'Estaing à la liste ! Ils ont échoué parce qu'à l'époque, le mur de Berlin était encore debout, à Berlin et dans les têtes. Les esprits n'étaient pas mûrs. Aujourd'hui, la France est largement bloquée, l'Europe est fragilisée. On ne sortira de cette situation que si des bonnes volontés peuvent se rassembler au-delà des frontières habituelles.
Vous demandez aujourd'hui un référendum sur les retraites alors qu'en 1995 vous vous étiez opposé à Jacques Chirac à propos d'un référendum sur l'Education nationale. Est-ce bien cohérent ?
Pour qu'un référendum soit utile, il faut que la question soit simple. Une réforme de l'éducation, c'est cent ou deux cents sujets différents, depuis la scolarisation de la petite enfance, l'apprentissage de la lecture, le collège unique, jusqu'à l'université, orientation, sélection et la formation professionnelle. Comment poser une question unique sur tant de sujets ? J'observe d'ailleurs que le président de la République a abandonné cette idée, et il a bien fait. Sur les retraites, en revanche, le grand principe d'égalité devant la retraite, et de justice, garantissant un départ plus précoce à ceux qui ont le travail le plus pénible et le plus usant, cela relève à l'évidence du choix des citoyens libres et responsables.
Christian Blanc, élu grâce à l'UDF et apparenté à votre groupe, estime nécessaire d'en finir avec le statut de la fonction publique pour faire évoluer le système. Partagez-vous cette conviction ?
Non. Nous en avons abondamment et amicalement discuté : je pense que ce statut peut évoluer sans disparaître. Les fonctionnaires ne doivent pas être mis en accusation. Au contraire, ils doivent être défendus mais il faut qu'ils participent au mouvement général de réforme. Je suis persuadé qu'une majorité de fonctionnaires répondra oui à un référendum qui pose des principes de justice.
Propos recueillis par Judith Waintraub
(source http://www.udf.org, le 17 janvier 2003)
François BAYROU. - L'UDF, c'est le parti des non-inféodés. Le discours de l'UMP, c'est : "tout ce que fait le gouvernement est magnifique", et le PS répond : "tout est nul et anti-social". Il faut bien, pour que les Français participent au débat, un parti constructif, soutenant l'esprit de réforme, mais libre de son jugement, qui sache dire : "Ceci est bien, ceci mérite d'être amélioré, ceci est mal."
Qu'est-ce qui est bien, qu'est-ce qui mérite d'être amélioré, qu'est-ce qui est mal ? Pouvez-vous donner quelques exemples ?
Bien : la mobilisation pour la sécurité. Mérite d'être améliorée : la décentralisation, pour l'instant peu lisible. Mal : l'élargissement de l'Europe à la Turquie sans débat, et le projet dangereux de double présidence européenne. Autant d'exemples de ce fait : sans l'UDF, il n'y aurait pas de débat, sur des points pourtant cruciaux.
Le gouvernement a renoncé à faire élire les députés européens dans le cadre des 22 régions. La dernière mouture de sa réforme, qui crée huit inter-régions, vous satisfait-elle ?
Non. Dans cette affaire, c'est d'abord la définition de l'Europe qui est en cause. Pour moi, l'Europe est une fédération de pays, de nations. Un député européen représente la France, il ne représente pas une région française, de quelque taille qu'elle soit. En outre, l'élection européenne est l'unique occasion que nous ayons, tous les cinq ans, d'avoir un débat national sur l'Europe. Avec cette réforme, ce débat n'aurait plus lieu. Enfin, il y a la question du pluralisme. Si le gouvernement avait mis à exécution son projet d'enfermer les députés européens dans 22 élections régionales, le pluralisme aurait été irrémédiablement compromis. Avec un découpage en 8 grandes régions, le danger serait moindre si les règles du jeu étaient claires. Or, elles ne le sont pas. Elles sont même incompréhensibles, y compris pour les experts les plus pointus. Il faudra changer les dispositions prévues, faute de quoi le fonctionnement de la démocratie ne sera pas assuré.
Après avoir soutenu l'ex-PDG d'Air France Christian Blanc à la législative partielle des Yvelines, vous auriez bien réitéré en présentant l'ancien ministre Corine Lepage à l'élection qui doit se dérouler à la fin du mois à Paris, dans le XVIIIe. Des chiraquiens ont su la dissuader, mais ont-ils réussi à vous décourager, vous, de monter des "coups" électoraux ?
Je ne fais pas de "coups", comme vous dites, sans raison de fond. Mon projet est de faire naître dans la politique française une vraie alternative grâce à un grand courant démocrate et réformateur ouvert sur sa droite comme sur sa gauche. Toute action commune avec des personnes qui, pour l'instant, ne sont pas UDF, sera pour moi la bienvenue, à condition qu'il y ait entre nous cohérence et communauté de convictions. C'est le cas avec Christian Blanc et oui, il y aura d'autres cas de ce genre.
Dans le XVIIIe, à défaut de Corine Lepage, vous présentez une candidate UDF qui va peut-être faire échouer l'UMP Patrick Stefanini face à la PS Annick Lepetit. N'est-ce pas un acte d'agression ?
Christelle de Crémiers est une jeune femme engagée et enthousiaste, qui avait déjà été la candidate de l'UDF en juin. Entre l'UMP et le PS, elle offre une bouffée d'oxygène aux électeurs de cette circonscription.
Aux régionales de l'an prochain, comptez-vous sur l'UMP pour aider Anne-Marie Comparini, seule femme et seul membre de l'UDF à présider une région, à conserver son siège en Rhône-Alpes ?
Anne-Marie Comparini est une présidente formidable. Elle a réussi à pacifier cette région. J'ai la certitude que si elle était attaquée, les électeurs ne l'accepteraient pas.
Et si Jean-Pierre Raffarin lui trouvait une place au gouvernement en compensation ?
On n'achète pas les gens de qualité.
Le grand courant que vous voulez créer est-il susceptible de rallier des socialistes encartés - ce que n'a jamais été Christian Blanc ?
Pour moi, les affinités ne se décident pas en fonction des camps. Il y a beaucoup de gens de droite que je respecte et avec lesquels je suis heureux de travailler, et aussi des gens qu'on dit de gauche, que je respecte et avec qui je pourrais travailler à condition que nos objectifs et nos projets soient communs. Je vous rappelle que lorsque j'ai été élu à la présidence du centre, j'ai dit que mon ambition était de rassembler de Balladur à Delors. Je nourris toujours cette aspiration et je pense qu'elle sera de plus en plus d'actualité dans les années qui viennent. Ce courant démocrate, social-libéral et européen est déjà idéologiquement majoritaire dans la vie politique française. Il suffirait qu'il se structure pour que le paysage politique change radicalement.
Pensez-vous que la dérive à gauche du PS peut pousser vers vous des socio-libéraux comme Laurent Fabius ou Dominique Strauss-Kahn ?
Les leaders, les hommes d'appareil, sont évidemment "verrouillés". Mais dans le pays, il y a des millions de personnes qui sont déçues et disponibles, d'un bord et de l'autre. Un jour, ces femmes et ces hommes se rassembleront pour une oeuvre de refondation.
Jacques Delors et même Michel Rocard ont caressé avant vous ce rêve d'un centre majoritaire, mais ils ne l'ont jamais réalisé. Pourquoi réussiriez-vous là où ils ont échoué ?
Vous pouvez rajouter Valéry Giscard d'Estaing à la liste ! Ils ont échoué parce qu'à l'époque, le mur de Berlin était encore debout, à Berlin et dans les têtes. Les esprits n'étaient pas mûrs. Aujourd'hui, la France est largement bloquée, l'Europe est fragilisée. On ne sortira de cette situation que si des bonnes volontés peuvent se rassembler au-delà des frontières habituelles.
Vous demandez aujourd'hui un référendum sur les retraites alors qu'en 1995 vous vous étiez opposé à Jacques Chirac à propos d'un référendum sur l'Education nationale. Est-ce bien cohérent ?
Pour qu'un référendum soit utile, il faut que la question soit simple. Une réforme de l'éducation, c'est cent ou deux cents sujets différents, depuis la scolarisation de la petite enfance, l'apprentissage de la lecture, le collège unique, jusqu'à l'université, orientation, sélection et la formation professionnelle. Comment poser une question unique sur tant de sujets ? J'observe d'ailleurs que le président de la République a abandonné cette idée, et il a bien fait. Sur les retraites, en revanche, le grand principe d'égalité devant la retraite, et de justice, garantissant un départ plus précoce à ceux qui ont le travail le plus pénible et le plus usant, cela relève à l'évidence du choix des citoyens libres et responsables.
Christian Blanc, élu grâce à l'UDF et apparenté à votre groupe, estime nécessaire d'en finir avec le statut de la fonction publique pour faire évoluer le système. Partagez-vous cette conviction ?
Non. Nous en avons abondamment et amicalement discuté : je pense que ce statut peut évoluer sans disparaître. Les fonctionnaires ne doivent pas être mis en accusation. Au contraire, ils doivent être défendus mais il faut qu'ils participent au mouvement général de réforme. Je suis persuadé qu'une majorité de fonctionnaires répondra oui à un référendum qui pose des principes de justice.
Propos recueillis par Judith Waintraub
(source http://www.udf.org, le 17 janvier 2003)