Interview de M. Beranrd Thibault, secrétaire général de la CGT à LCI le 17 janvier 2003, sur la réforme des retraites, notamment la négociation paritaire et l'allongement de la durée des cotisations.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser -. Les retraites sont au coeur du débat en France, en ce moment. Cela va durer quelques mois. F. Fillon est en train d'effectuer une tournée européenne, pour voir comment cela passe ailleurs - on voit que ce n'est pas comme en France. Pourquoi est-ce que la CGT a refusé de voyager avec le ministre, qui l'avait conviée ? Il avait d'ailleurs convié tous les syndicats.
- "Oui, tous les syndicats ont été invités. Nous avons nos propres contacts avec les autres syndicalistes européens. Personnellement, tous les deux mois, je me rends à Bruxelles, à une réunion de la Confédération européenne des syndicats. Nous avons régulièrement l'occasion d'échanger, entre syndicalistes des différents pays européens, sur nos expériences en matière de retraite, voire d'autres dossiers sociaux lourds. Nous organisons d'ailleurs aujourd'hui, avec d'autres syndicats français, un colloque avec des représentants syndicaux de plusieurs pays, qui vont nous faire part de leur expérience syndicale, sur le traitement du dossier des retraites..."
Donc, cela sert quand même à quelque chose de rencontrer les autres...
- "Que le ministre trouve utile, parce qu'il n'a sans doute pas, lui, d'informations suffisantes, d'aller dans d'autres pays, je peux le comprendre. Mais pour ce qui nous concerne, nous avons déjà les analyses et les éléments d'appréciation, ainsi que l'expérience syndicale, sur la manière de traiter ce dossier."
Vous avez des idées ou un projet précis ?
- "Nous avons déjà la confirmation que la réalité économique, sociale, politique de chacun des pays est particulière. Nous sommes en Europe, mais nous restons avec des systèmes sociaux qui ont leurs différences à l'intérieur, et il n'y a pas "une" solution qui, aujourd'hui, ait été appliquée uniformément dans tous les pays européens. Il y a bien une tendance politique à justifier ou à expliquer aux salariés, qu'il faut qu'ils acceptent l'effort en matière de retraite, si je veux résumer. C'est un point commun, à partir duquel beaucoup de résistances se sont exprimées aussi dans d'autres pays - je pense à l'Italie, à l'Espagne, je pense aussi à l'Allemagne. Tout cela a valu, dans beaucoup de pays européens, le besoin de constituer des rapports de force, pour négocier les dispositions dans plusieurs pays."
Les rapports de force sont en train de se mettre en place en France. Les organisations syndicales ont signé un texte commun, une plate-forme commune, dans la perspective d'une grande manifestation du 1er février - une ou des manifestations ?
- "Il y aura plusieurs manifestations : manifestations décentralisées, une grande manifestation pour la région parisienne et le choix fait pour les autres départements est plutôt d'organiser des manifestations dans chacune des préfectures. Décentralisation, permettre à tous d'y participer - salariés, retraités, jeunes, toutes générations confondues... La retraite engage plusieurs générations et nous souhaitons la plus grande participation possible pour soutenir les 7 objectifs syndicaux que nous avons définis, d'un commun accord. La CGT a pris l'initiative de proposer aux autres organisations d'arrêter ensemble une certaine ligne de conduite, quant aux objectifs que nous voulions voir présents dans les discussions, négociations, concertations... Vous avez remarqué, comme beaucoup d'observateurs, qu'il y avait pour l'instant un grand flou quant à la manière dont le Gouvernement allait associer, intégrer les organisations syndicales aux choix futurs..."
On sait qu'il va légiférer, mais on ne sait pas comment il va associer les organisations syndicales...
- "Ce qui est sûr, nous a-t-il dit, et le Gouvernement ne cesse de le répéter, c'est que le Parlement serait convoqué au mois de juin, pour légiférer sur la question des retraites. Toute la question est de savoir sur quelles bases ce Gouvernement va concevoir, rédiger, élaborer son projet de loi soumis aux députés. Il est évident, selon nous - et je crois que cela correspond à l'opinion d'une grande majorité de nos concitoyens - que sur le dossier des retraites, le Gouvernement doit prendre le temps de la négociation avec les organisations syndicales."
Vous redoutez qu'il ne le prenne pas ?
- "Je ne sais pas encore..."
Vous avez rendez-vous avec F. Fillon le 28 janvier, vous et les autres organisations syndicales.
- "Oui, pour discuter plus particulièrement de la représentativité syndicale, du dialogue social, c'est un autre sujet... Normalement, nous devons avoir, dans le courant du mois de février, si j'ai bien compris, un premier échange officiel avec le Gouvernement. La question de la méthode sera un des points essentiels avant d'arriver au contenu."
Imaginons que le 1er février soit un succès phénoménal dans toute la France...
- "Je l'espère !"
...Imaginons aussi que ce ne soit pas le succès que vous espériez. Tout cela va changer votre attitude ?
- "L'avenir des retraites, aujourd'hui, tout le monde le mesure, les enquêtes le confirment : c'est un des premiers sujets de préoccupation des salariés. A entendre la position du patronat, et plus particulièrement celle du Medef, qui ne cesse de vouloir expliquer qu'il faut admettre un recul de l'âge de départ à la retraite, par un allongement de la durée de cotisation pour avoir sa retraite, les Français savent bien qu'il va falloir aller à des discussions, en réaffirmant nos attentes et nos revendications. Et le 1er février est destiné à nous donner plus de poids dans les discussions. C'est pour cela que nous en appelons tous, ensemble, aux salariés, actifs, retraités, jeunes, à être présents dans ces manifestations."
Vous faites allusion aux déclarations d'E.-A. Seillière, qui dit qu'il faut allonger la durée des cotisations, un point c'est tout. J.-P. Raffarin lui a déjà répondu que cela ne suffirait pas, qu'on ne prendrait pas uniquement ce critère en compte. Vous ne l'entendez pas, cela ?
- "Pour l'instant, je prends acte de la remarque du Premier ministre. Et pour l'instant, parce que nous ne sommes pas rentrés dans le concret, nous en sommes à examiner les objectifs syndicaux que nous avons arrêtés et que l'on évoquait à l'instant, pour percevoir comment le Gouvernement reçoit ces objectifs sociaux. Nous sommes sur un enjeu de société de premier plan, qui engage plusieurs générations. Le tout est de savoir si, au fil des discussions, la sensibilité Medef, sur ce sujet comme sur d'autres, va l'emporter dans les arbitrages gouvernementaux, ou si, au contraire, nous allons être suffisamment nombreux, rassemblés, mobilisés, pour exiger une écoute plus attentive à ce que disent les intéressés."
Quand vous voyez que dans certains pays européens, on part à la retraite entre 67 et 70 ans, en France c'est souvent entre 55-57 ans, voire avant en cas de plans sociaux... Quand F. Fillon dit qu'un jour, il faudra bien réduire le différentiel, vous n'en convenez pas ?
- "Il faut agir sur le facteur emploi. Un des points communs à tous les pays d'Europe, c'est d'agir sur le taux d'activité des actifs. Or, nous avons, au bas de l'échelle des âges, une entrée au travail de plus en plus tardive - la moyenne d'accès à l'emploi s'approche de 24 ans aujourd'hui. Chacun conçoit bien qu'on ne peut plus, en termes de durée de cotisation, raisonner comme aux périodes où les jeunes pouvaient accéder au travail à 18 ou 19 ans. Donc, il va falloir rediscuter des modalités d'acquisition des droits à la retraite. Et, à l'autre extrémité de la grille des âges, on a une politique de gestion des entreprises qui, chacun le sait bien, préconise un départ anticipé. Il y a là un différentiel qui est inacceptable, entre souhaiter que ceux qui ont un emploi le demeure de plus en plus longtemps, en faisant fi de tous ceux qui sont exclus du travail - les chômeurs, mais aussi ceux qui se voient imposer le temps partiel, notamment les femmes et les jeunes."
Vous avez reproché au Premier ministre d'être aller se commettre avec le Medef...
- "Non, je n'ai pas reproché le principe. J'ai surtout souhaité que ce ne soit pas un message politique plus affirmé encore à ce que le Gouvernement adhère à la philosophie générale du Medef."
Hier, il a dit qu'il est prêt à répondre à toutes les invitations. Vous, vous dites "chiche" ?
- "Oui, mais je conçois que le Premier ministre souhaite rééquilibrer l'image que chacun a pu percevoir, dans ce mano à mano, à l'occasion d'un congrès du Medef. Je pense que beaucoup de nos concitoyens sont aussi soucieux de voir un gouvernement qui soit plus que sensible, voire adhère à beaucoup des thèses du patronat."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 janvier 2003)