Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation de la pêche et des affaires rurales, sur le développement d'une politique agricole durable grâce à une sécurité sanitaire des aliments accrue, un meilleur respect de l'environnement et à la certification de pratiques agricoles qualifiées de "agriculture raisonnée", Paris le 8 janvier 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : VIèmes rencontres FARRE de l'agriculture raisonnée à l'occasion d'un colloque à l'UNESCO à Paris le 8 janvier 2003

Texte intégral


Monsieur le Président du Conseil de l'Agriculture Française, Cher Jean Michel LEMETAYER
Monsieur le Président de l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture, cher Luc GUYAU,
Monsieur le Président des Jeunes Agriculteurs, cher Jérôme DESPEY,
Madame la Présidente du réseau FARRE, chère Christiane LAMBERT,
Mesdames, Messieurs,
Je veux, tout d'abord, vous remercier, Madame La Présidente pour votre accueil et vos mots chaleureux. Permettez-moi également, puisqu'il en est encore temps et que je m'exprime ici devant vous pour la première fois cette année, de vous présenter mes voeux les plus ardents pour une année de succès et de réussite pour vous-mêmes et pour nos agricultures.
Lors de ma prise de fonctions, j'avais dit ma vision d'une politique agricole durable et ambitieuse. Je n'avais pas eu depuis lors l'occasion de m'exprimer sur l'agriculture raisonnée. Les dossiers déjà ouverts, les négociations en cours sur la revue à mi-parcours de la Politique Agricole Commune (PAC) et devant l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les difficultés rencontrées par de nombreuses filières ont absorbé beaucoup de mon temps et de mon énergie. Ils m'ont, en revanche, offert le temps de la réflexion, pour mieux distinguer l'essentiel de l'accessoire et, sans doute, permis de prendre de meilleures décisions.
Après plusieurs années où notre agriculture, et nos consommateurs ont été malmenés, je veux former avec vous le voeu que 2003 permette à nos agriculteurs de développer leurs activités dans un climat plus serein et d'en retirer un revenu digne, en assurant aux consommateurs une alimentation toujours plus saine.
Pour ma part, j'entends y consacrer toute mon énergie et je le ferai avec détermination, parce que ce combat que je veux mener, dans les enceintes communautaires comme à l'OMC, est marqué au coin d'une cause juste.
En France, l'alimentation présente une importance particulière dans notre culture et dans nos vies. C'est pourquoi, notre agriculture ne peut être réduite à une simple activité de production de matières premières. Elle est dans notre pays un facteur d'identité, de cohésion et -je plaide inlassablement pour cela- d'unité.
Les atouts de notre agriculture sont considérables. Ils doivent être préservés et constituer le socle sur lequel nous nous appuierons pour répondre aux attentes de nos concitoyens pour une sécurité sanitaire des aliments accrue, un meilleur respect de l'environnement et de nos ressources naturelles et la sauvegarde de l'équilibre de nos territoires.
Mais l'agriculture périurbaine est très différente de l'agriculture de montagne, de celle des grandes cultures ou de l'exploitation forestière.
Et chacun comprendra que la diversité de ces terroirs et de ces formes d'agriculture exige des modes d'action adaptés.
Le développement durable est une préoccupation, dont le Président de la République, Jacques CHIRAC, a rappelé l'importance, et que nous devons tous partager, car il conditionne le maintien des équilibres de notre planète. Dans cet effort, l'agriculture doit prendre sa part et tenir toute sa place. Je suis convaincu, à cet égard, que l'enseignement et la recherche sont appelés à jouer un rôle majeur. J'entends que notre réseau d'enseignement agricole, dont vous connaissez l'implantation dans les territoires ruraux, puisse pleinement contribuer à la diffusion du savoir et des techniques qui la sous-tendent. Mais, cette action, seule, n'aura pas d'efficacité si d'autres initiatives ne sont pas prises qui engagent à terme tous les agriculteurs. Celle de l'agriculture raisonnée y contribuera.
Madame la Présidente, au moment où FARRE fête son dixième anniversaire, je voudrais, tout d'abord, saluer l'esprit visionnaire de ces pionniers. Au début des années 90, au terme de réflexions prémonitoires sur les pratiques agricoles et environnementales, sur le contrat qui doit unir notre agriculture et les consommateurs et sur les rapports que les agriculteurs doivent entretenir avec notre environnement, ils ont décidé d'unir leurs approches, pour constituer ce réseau, dont vous avez mieux que quiconque fait plus tôt la présentation.
Cette démarche n'était pas isolée, d'autres initiatives étaient prises ici ou là : Qualiterre, norme pour la pomme de terre raisonnée, production de fruits intégrée, charte pour la production de céréales, etc
Plus récemment, plusieurs enseignes de la grande distribution ont développé une importante communication sur le concept d'agriculture raisonnée, sans que cette notion ait été véritablement définie et précisément expliquée aux consommateurs.
Je considère donc que l'Etat était dans son rôle, lorsqu'il a pris l'initiative d'organiser un débat consacré à l'agriculture raisonnée, au sein du Conseil Supérieur d'Orientation de l'Agriculture (CSOA). Parce qu'il rassemble l'ensemble des professionnels de l'agriculture, ce Conseil est le lieu privilégié d'une telle concertation. Et au terme d'un débat riche, contradictoire et finalement plus consensuel qu'on ne pouvait à l'époque le pressentir, l'Etat s'est appuyé sur ces réflexions dans la rédaction du décret et des arrêtés fondateurs.
Dans son discours de Rennes, le 23 avril 2002, le Président de la République, lui-même, a dit son attachement aux principes de sécurité alimentaire, de prévention des risques naturels, et de respect de l'environnement.
Ces objectifs sont partagés ; j'observe toutefois que les modes opératoires peuvent parfois diviser. Près de huit mois après la publication des premiers textes relatifs à l'agriculture raisonnée, le débat n'est pas clos. Sur le terrain, il se développe même avec une certaine vigueur ici et là. Ici, au sein d'un grand nombre d'organisations agricoles locales, au Sud comme au Nord, Madame la Présidente, dans les filières et parmi les opérateurs agro-alimentaires. Là, au niveau des associations de consommateurs ou avec les tenants d'une vision plus absolue de la protection de l'environnement.
Depuis mon arrivée au sein de ce Ministère, j'ai observé, j'ai écouté les avis des uns et des autres, en les recevant rue de Varenne ou lors de rencontres sur le terrain. Vous me donnez l'occasion, Madame la Présidente, de m'exprimer pour la première fois sur l'agriculture raisonnée, et je veux vous en remercier.
L'enjeu en lui-même ne me paraît pas faire débat.
" Rassurer le consommateur, moraliser les pratiques, sécuriser les opérateurs, reconnaître les pratiques des agriculteurs ", sont à la fois une ambition et un défi que je veux relever avec vous.
Le mode opératoire choisi repose sur le volontariat des agriculteurs et sur une logique d'initiative, qui vient valoriser les efforts accomplis, dans le cadre des relations entre l'agriculture et ses clients.
Cet outil repose sur l'adhésion des agriculteurs et sur la reconnaissance par les consommateurs et la société des efforts qui ont été accomplis.
Cette démarche volontaire est encore trop souvent méconnue ou insuffisamment comprise. Je sais néanmoins les efforts que vous déployez tous, et particulièrement vous-même, chère Christiane LAMBERT, comme Marie-José NICOLLI, la présidente de l'UFC, à qui je souhaite un prompt rétablissement, ou Jean SALMON et Jérôme BEDIER, que je salue.
Le référentiel de l'agriculture raisonnée constitue un socle commun à toutes les productions :
D'une part, il représente pour les opérateurs une base solide sur laquelle ils peuvent fonder des démarches propres à chaque produit, qu'il s'agisse de ses caractéristiques ou de son mode de production.
Je souhaite, à cet égard, que toute confusion soit évitée avec les politiques d'identification de la qualité et de l'origine. Mais, ce sont à celles et à ceux qui parmi vous sont porteurs de ces politiques qu'il revient de trouver l'articulation la plus pertinente entre une démarche spécifique à chaque produit et une approche globale de l'exploitation. Si j'en juge par leurs cahiers des charges, certains m'en semblent déjà très proches.
Le référentiel offre, d'autre part, aux organismes de conseil et de développement une référence commune pour l'élaboration de leurs actions. Il va leur permettre d'aider les exploitations à se situer par rapport au référentiel et à se mettre en conformité avec ses exigences. L'Agence pour le Développement Agricole et Rural (ADAR), qui se substitue à l'ANDA, devra leur apporter un soutien spécifique, au coté des Chambres d'agriculture.
Dans le monde de l'industrie, du commerce, de l'artisanat et des services, la certification ISO 14 000 a déjà conquis ses lettres de noblesse. Elle ne concerne pourtant qu'environ 5 % des entreprises. Celles qui ont franchi ce pas ont fait l'expérience d'un retour sur investissement rapide. Cette démarche leur a permis d'améliorer leurs méthodes, de remettre en cause leurs pratiques et finalement de faire des économies plus substantielles que l'investissement requis pour parvenir à la certification.
Le référentiel agricole n'existant pas dans la démarche ISO 14 000, la démarche " agriculture raisonnée " vient pallier cette carence. Je ne doute pas que les agriculteurs qui feront le choix de la qualification en retireront les bénéfices attendus, et je peux les assurer de mon plus complet soutien dans cette entreprise. Je signerai le décret sur les conditions d'utilisation du qualificatif " agriculture raisonnée ", rapidement dès que la Commission européenne m'aura transmis sa réponse et que le Conseil d'Etat l'aura examiné. C'est une question que j'ai, d'ailleurs, abordé avec le Commissaire FISCHLER, en marge d'un des derniers Conseils des ministres de l'Agriculture de l'Union Européenne. A la lumière des concertations que j'ai conduites par ailleurs, il me paraît préférable de rendre ce décret applicable dès sa publication. Il n'est que temps.
Je crois avoir compris dans certaines concertations que j'ai conduites, que c'est l'affichage d'une centaine d'exigences qui fondent l'hostilité ou, en tout cas, la réticence de certains. Environ 45 % sont, en effet, d'origine réglementaire. 80 % constituent des conditions préalables à la qualification et 20 % seulement des engagements. Je peux, bien naturellement, comprendre cet émoi.
La France -on l'oublie trop souvent- est le deuxième exportateur de produits agricoles et le premier exportateur de produits agro-alimentaires transformés. Mais, en multipliant les contraintes bureaucratiques, en accroissant toujours plus le poids de l'Etat, des impôts et des charges, qui sont d'autant d'obstacles à notre activité et à notre compétitivité, nous nous obstinons dans le même temps, selon l'expression même du Président de la République, à " freiner nos efforts, à entraver notre marche, et finalement à jouer contre vous-mêmes ". J'ai déjà engagé la réflexion sur la simplification administrative au sein de notre Ministère. Plusieurs d'entre vous y sont, d'ailleurs, associés, et je voudrais tout particulièrement leur rendre hommage ici. Une telle démarche suppose que chacun balaye devant sa porte : l'administration, dont je vois dans la salle les représentants de certains services déconcentrés, comme l'ensemble des partenaires de l'agriculture. La complexité est, bien souvent, le résultats des meilleures intentions. Mais, comme le dit un proverbe allemand, " le diable se niche souvent dans les détails " et j'entends agir, dans ce domaine, avec détermination.
Ce travail est engagé et je peux vous assurer qu'il sera conduit à son terme.
Je viens de constituer -vous l'avez évoqué, Madame la Présidente,- une Commission nationale de l'agriculture raisonnée et de la qualification des exploitations (CNARQUE). Les différentes organisations appelées à désigner leurs représentants ont quelque peu tardé à me faire connaître leur choix. Bien évidemment, plusieurs d'entre vous ont accepté d'en être membres, et je veux les en remercier. Sa composition définitive sera prochainement publiée au Journal Officiel. Je voudrais ici plus particulièrement remercier Antoine HERTH, député du Bas-Rhin, d'avoir accepté d'en assumer la présidence. Il sera épaulé dans sa tâche par Daniel PERRIN, Ingénieur Général du Génie Rural et des Eaux et Forêts, qui présidera la section Agrément des organismes certificateurs, et par Jean SALMON, Vice-président de l'APCA, qui présidera la section Examen du référentiel.
Je compte sur la détermination de ses membres, dont vous faîtes naturellement partie, Madame la Présidente, pour mieux faire partager les enjeux de cette démarche aux agriculteurs et à nos concitoyens, et, au vu de l'expérience, me proposer les adaptations qui vous paraîtront nécessaires. Les services du Ministère seront naturellement eux aussi mobilisés à vos côtés.
D'ici l'été, je souhaite que dans chaque région les commissions régionales puissent être mises en place. Ainsi, l'ensemble du dispositif encadrant la démarche " agriculture raisonnée " sera effectif.
Au niveau européen, un dispositif dénommé Eurep Gap et présentant des similitudes avec celui de l'agriculture raisonnée se met en place à l'initiative de la grande distribution. Au-delà des solutions que les acteurs trouveront eux-mêmes, une articulation entre ces démarches devra être mise au point. La Commission nationale sera naturellement le lieu de ces débats.
Dans le cadre de ses propositions de réforme de la PAC, la Commission européenne propose -comme vous l'avez relevé, Madame la Présidente,- un audit des exploitations. La mise en place d'un tel système d'appui aux agriculteurs leur permettant de situer leur exploitation par rapport aux différentes normes applicables, me paraît, dans son principe, une bonne chose.
Toutefois, l'objectif poursuivi mériterait encore d'être précisé : s'agit-il d'un outil de contrôle obligatoire pour les exploitations, ou d'un outil de conseil ? Il serait alors volontaire et concernerait l'ensemble des exploitations. Je souhaiterais que sur tous ces sujets pendants, la Commission nous éclaire rapidement, afin que nous puissions prendre position en toute connaissance de cause. Le 27 janvier prochain, le Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union Européenne examinera cette question. Il nous sera alors plus aisé de positionner notre dispositif de qualification des exploitations et d'apporter des réponses précises sur l'audit des exploitations.
Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs,
Redonner confiance aux consommateurs, bâtir une " agriculture écologiquement responsable et économiquement forte ", renforcer la traçabilité tout au long des filières, sont autant de défis qui nous obligent.
En conduisant un vrai débat entre ces acteurs, vous avez proposé une démarche pour les exploitations globale, ouverte au plus grand nombre et rendant l'agriculture plus responsable dans ces pratiques et dans ces choix.
Permettez-moi, Madame la Présidente, de faire encore deux observations pour conclure.
Je sais ce que votre démarche doit à l'implication de ses pionniers, parmi lesquels j'aimerais saluer Guy PAILLETON, ainsi que Luc GUYAU et Jean-Michel LEMETAYER pour la FNSEA.
Il y a encore six mois, j'ai perçu chez beaucoup de mes interlocuteurs un questionnement sur cette démarche ; et je ne vous le cache pas -même si je suis ici devant des militants convaincus et fervents, car j'espère qu'il me comprendront- que j'en partageais certains avant de me saisir complètement de ce dossier. Beaucoup continuent à s'interroger sur sa véritable nature : une certification, un slogan, une machine à gaz, un sauf-conduit pour s'exonérer de pratiques que l'opinion estiment trop productivistes. Notre rencontre et le débat auquel elle donne lieu sont une étape importante dans ce nécessaire effort de clarification.
Depuis dix ans, vous avez prouvé que beaucoup de choses avaient été accomplies. Chacun doit rester dans son rôle. Le Ministère est attentif à vos efforts, mais c'est avant tout aux militants sur le terrain qu'il reviendra de faire de cette belle idée une réalité concrète.
D'autre part, et ce sera ma deuxième observation, l'agriculture française traverse actuellement une mutation aussi fondamentale que celle qu'elle a connu dans les années 60. Nous somme entré depuis dix ans dans une nouvelle époque où l'avenir de l'agriculture ne se définit plus seulement dans le cadre communautaire, mais également dans le cadre des discussions conduites dans le cadre de l'Organisation Commune du Commerce (OMC) et d'une nouvelle diplomatie agricole dont nous avons vu la manifestation à Rio et plus récemment à Johannesburg. 170 partenaires s'invitent à la table de ces discussions et le mode de prise des décisions s'en trouve profondément modifié.
En m'exprimant hier, à Oxford, devant l'Oxford Farming Conference, j'ai eu la confirmation de la pente qu'à force de renoncements, il nous faut aujourd'hui remonter. L'année à venir est riche de rendez-vous : revue à mi-parcours de la Politique Agricole Commune, négociations devant l'Organisation Mondiale du Commerce avec le Sommet de Cancun en septembre, un sommet franco-africain, et, en juin, un rassemblement mondial des jeunes agriculteurs à Paris.
L'agriculture raisonnée, qui nous rassemble aujourd'hui, est une idée qui tout à la fois nous suppose et nous dépasse. Or comme l'écrivait André MALRAUX, pour qui, vous le savez, j'ai une admiration particulière, " l'homme ne se construit qu'en poursuivant ce qui le dépasse ". L'agriculture raisonnée trouve là sa justification, car elle touche à l'avenir de l'agriculture en France et en Europe et aux équilibres fondamentaux de notre planète.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 15 janvier 2003)