Interviews de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, à Europe 1 et à l'émission "Today" de la BBC à New York le 11 septembre 2002, sur la commémoration des attentats du 11 septembre 2002, l'affirmation du rôle prépondérant de l'Onu dans la reprise des inspections et la lutte contre la prolifération en Irak.

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Circonstance : 57ème Assemblée générale des Nations unies à New York du 10 au 16 septembre 2002

Média : BBC - Europe 1 - Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

(Interview à Europe 1 à New York, le 11 septembre 2002) :
Q - Quelle est l'ambiance à New York ?
R - L'ensemble des Etats-Unis, tout le peuple américain est saisi par une grande ferveur et un sentiment de profond recueillement, de gravité, ici dans les rues de New York. Toute la nuit les chaînes de télévision ont montré les témoignages des familles des victimes, de tous ceux qui avaient été les témoins de cette tragédie. Depuis ce matin, depuis 8h46, le moment où cette catastrophe s'est produite le 11 septembre dernier, les noms des victimes sont égrenés sur le site du World Trade Center.
Q - Ce matin, le président Chirac était à l'ambassade des Etats-Unis à Paris, c'est peut-être aussi le moment de rappeler, si nécessaire, l'amitié de la France pour le peuple américain, car les derniers sondages qui sont sortis ont montré des Français, je ne dirais pas allergiques à l'Amérique, mais en tout cas très méfiants.
R - Oui, je crois qu'il faut voir cela dans la profondeur des choses, il y a une relation très ancienne entre la France et les Etats-Unis depuis l'indépendance américaine et le soutien apporté par les Etats-Unis dans les deux guerres mondiales ; c'est une relation très profonde et donc, nécessairement, qui peut prendre des formes passionnelles mais nous avons toujours été aux côtés des Américains et ils ont toujours été à nos côtés dans les moments difficiles. Je crois que, dans cette épreuve qu'est celle du 11 septembre, dans cette épreuve du souvenir - car on sent bien à quel point l'Amérique veut regarder cet événement en face, cela fait partie aussi de l'esprit américain pour essayer justement de retrouver le chemin de l'avenir -, nous sommes évidemment présents à leurs côtés dans ce moment si pénible.
Q - Est-ce que nous devons nous associer à une guerre des civilisations, et est-ce que c'est votre interprétation, à savoir que nous sommes face à une sorte de guerre de religions que l'on commémorerait aujourd'hui ?
R - Je crois qu'il faut prendre la mesure des choses, le cas iraquien est tout à fait spécifique, nous sommes inquiets de la menace de la prolifération des armes de destruction massive. La position française, vous la connaissez aujourd'hui, elle est soutenue par le plus grand nombre d'Etats sur la scène internationale : c'est le retour des inspecteurs. Nous voulons le retour des inspecteurs des Nations unies en Iraq pour pouvoir effectivement, efficacement, contrôler les armements de ce pays. Si cela n'est pas possible, nous estimons qu'il appartient au Conseil de sécurité des Nations unies de décider ; il faut un cadre de responsabilité collectif, car nous ne croyons pas qu'une puissance seule, si grande soit-elle, puisse aujourd'hui assurer la sécurité du monde. Nous vivons dans un monde marqué par de profondes interdépendances avec des menaces très anciennes et des menaces nouvelles. Il faut prendre la mesure aujourd'hui de ces enjeux et faire en sorte, dans une logique de compréhension, d'humanité, de partage, de bien essayer, de façon très pragmatique, d'apporter des réponses.
Q - Le président George Bush va donc s'exprimer dans la nuit de jeudi à vendredi, pour nous, en France, et, donc, jeudi aux Etats-Unis, devant l'ONU pour un discours qualifié de très important, car au fond il va essayer d'expliquer à ses partenaires du Conseil de sécurité les raisons pour lesquelles il veut combattre Saddam Hussein. Comment la France va examiner ce discours ? C'est-à-dire que vous venez de rappeler la position française, est-ce que cette position peut évoluer en fonction de ce que dira George Bush ?
R - Je crois que la détermination américaine nous la partageons, c'est la détermination d'ailleurs de l'ensemble de la communauté internationale : lutter contre le terrorisme, lutter contre la prolifération. C'est évidemment un devoir, un objectif pour assurer la sécurité de nos concitoyens et pour assurer la sécurité de la région et du monde. Le problème, la vraie question c'est comment être efficace et être responsable ? Nous estimons pour notre part qu'il faut nécessairement que l'action soit collective, nous ne croyons pas qu'une action unilatérale permettra d'assurer la sécurité du monde et nous pensons même qu'elle peut avoir des conséquences en terme de suspicion, d'incompréhension, de malentendu qui peuvent être dommageables pour l'ensemble de la planète. Nous ne croyons pas qu'une seule politique de sécurité puisse suffire dans le monde, nous croyons qu'il faut évidemment avoir une perspective de paix, qu'il faut résoudre les grands problèmes : la pauvreté, la famine, les épidémies, les crises régionales. C'est en nous efforçant pas à pas, pied à pied, sur chacun de ces problèmes, de trouver des solutions, que nous avancerons. Evidemment, la tentation de l'usage de la force peut apparaître comme un remède miracle, mais il ne saurait suffire. Nous l'avons fait en Afghanistan, mais là encore, cela ne saurait suffire. Il faut être capable d'aller plus loin, de trouver des solutions dans la durée, avec de l'énergie, de la volonté, de l'imagination.
Q - Tony Blair, il y a quelques instants, vient de dire, au fond, qu'il demande le rappel du Parlement britannique pour un débat sur l'Iraq. Est-ce que la France pourrait jouer un rôle capital, puisqu'on s'aperçoit maintenant que, finalement, il y a un axe qui s'est constitué, comme souvent d'ailleurs, entre Londres et Washington ? Est-ce que la France va jouer dans cette affaire, qui est une affaire cruciale, un rôle déterminant ?
R - La parole de la France aujourd'hui est profondément respectée et entendue dans le monde.
L'interview que le président de la République a donnée il y a quelques jours au New York Times a eu un écho retentissant aux Etats-Unis et dans l'ensemble des communautés du monde. Je le vois dans les couloirs des Nations unies, chaque pays est tout à fait conscient du rôle que joue le président de la République, du rôle que joue la France dans la recherche d'une synthèse des préoccupations. Nous avons à travers l'expérience de l'histoire de notre pays, de l'histoire de l'Union européenne, une vocation à comprendre la complexité des choses, une vocation à servir de trait d'union entre des cultures et nous sommes convaincus justement qu'il faut être vigilant, déterminé mais vigilant, soucieux de la légitimité de l'action si nous voulons être efficaces. Et c'est bien le rôle que la France entend jouer, ne pas baisser les bras, faire en sorte au contraire que la communauté internationale agisse, et il faut s'en souvenir dans ce moment particulier de notre histoire du monde, la communauté internationale a fait beaucoup en un an, quand on voit la résolution dont cette communauté a fait preuve en Afghanistan, quand on voit les progrès réalisés dans la lutte contre le terrorisme. Je crois qu'il faut garder cet élan, garder les énergies tendues, faire en sorte justement que cette coalition contre le terrorisme puisse servir de modèle dans d'autres domaines, je pense à la pauvreté, aux crises régionales, cela crée une urgence encore plus grande à traiter les problèmes du monde.
Q - Dernière petite question, on vous sait fervent de littérature et d'histoire, pardonnez-moi de vous demander d'y répondre brièvement, mais c'est justement la spontanéité de la réponse qui en fera la qualité. Il y a un an, vous évoquiez tout à l'heure 8h46, les tours jumelles sont touchées, puis le Pentagone, est-ce qu'à ce moment là, c'est aussi la France qui était touchée, ou est-ce que c'est un problème américain ?
R - Je crois que la France était touchée, tous les peuples du monde, chacun d'entre nous, nous étions confrontés à cette douleur : une douleur qui nous touche au coeur, qui nous remet en cause et qui doit nous obliger à mieux vivre, à vivre plus ouverts, plus généreux. Je crois que l'histoire, la culture de France font que nous sommes ouverts aux autres peuples, à leurs souffrances. Cette souffrance est aussi la nôtre et nous estimons qu'il est de notre devoir d'essayer de trouver des solutions, pour le monde, pour chacun d'entre nous, pour nos enfants.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2002)
(Interview à l'émission Today de la BBC à New York, le 11 septembre 2002) :
Q - Monsieur le Ministre, à votre avis, qu'est-ce qui a changé, en termes de politique étrangère et de politique de sécurité dans le monde, suite aux attentats terriblement violents de l'année dernière ?
R - Il me semble qu'il y a eu un grand changement pour le monde et pour chacun d'entre nous. Il y a aujourd'hui un nouveau sentiment d'urgence dans le monde actuel. Bien sûr, nous devons traiter les anciennes menaces, comme la pauvreté, la faim dans le monde et la détérioration de l'environnement. Mais nous devons également traiter les nouvelles menaces, relever de nouveaux défis, comme le terrorisme et les risques de prolifération. C'est nouveau. Nous devons agir collectivement.
Q - Agir collectivement cela veut dire utiliser cette organisation, les Nations unies, peut-être plus efficacement. N'est-ce pas la conclusion logique ?
R - En effet, le monde d'aujourd'hui est plus dangereux, plus imprévisible. Aucun pays ne peut relever seul ces nouveaux défis. Il nous faut être cohérents, déterminés, agir collectivement et donc de façon décisive.
Q - Etre décidé c'est une chose. Mais savoir comment user de cette détermination c'est plus difficile. Plus le monde est dangereux et fragmenté, à cause de ces menaces terroristes, plus il est difficile de naviguer sur ces eaux troubles. Quelles sont vos priorités pour l'année à venir ?
R - Je crois que l'une des priorités pour la question qui préoccupe aujourd'hui la communauté mondiale, l'Iraq, c'est la prolifération. Nous devons être cohérents en terme d'objectif. L'objectif de la communauté internationale et du Conseil de sécurité c'est le retour des inspecteurs. Nous voulons lutter contre la prolifération. Nous pensons qu'il y a un vrai risque en Iraq, un risque qui pèse sur la population iraquienne, sur la sécurité de la région. C'est pourquoi nous croyons que le Conseil de sécurité est le bon instrument pour prendre des décisions. Evidemment, si les inspecteurs ne peuvent retourner ou travailler en Iraq, alors le Conseil de sécurité devra étudier les options. A ce stade nous n'excluons rien.

Q - Dans ce cadre, donc, vous souhaitez qu'une décision, quelle qu'elle soit, soit prise collectivement au Conseil de sécurité et que ce ne soit pas une décision préemptive prise par un seul pays, les Etats-Unis ?
R - Oui, car nous croyons que le monde a besoin de stabilité. Mais si un pays décide seul de prendre des mesures si importantes, alors où allons-nous ? D'autres pays pourraient faire de même. Nous avons besoin d'ordre, de principes cohérents que nous devons appliquer. Il est du ressort du Conseil de sécurité de décider lorsque c'est possible.
Q - Que faut-il dans la résolution pour que cette décision, prise par le Conseil de sécurité, soit respectée ?
R - Le président Chirac l'a évoqué il y a quelques jours avec le New York Times. On peut envisager deux étapes au Conseil de sécurité. La première étape c'est de décider de renvoyer les inspecteurs et de laisser un délai de deux, trois ou quatre semaines peut-être, pour que l'Iraq respecte ses obligations.
Q - Peu de temps, donc ?
R - Très peu de temps, puisque cela fait des mois, des années déjà que nous disons que les inspecteurs doivent retourner en Iraq. Ils ont quitté l'Iraq en 1998, cela fait déjà assez longtemps. Si les inspecteurs ne peuvent rentrer en Iraq, si Saddam Hussein n'accepte pas de les laisser revenir alors, et c'est la deuxième étape, il faudra voter une autre résolution et étudier les mesures à prendre. Nous croyons que toutes les options seront étudiées.
Q - Y compris une action militaire ? Mais une action militaire menée et soutenue par le Conseil de sécurité...
R - C'est cela. Ce doit être une décision cohérente. Ce genre de décision ne doit pas être vu comme étant biaisé. Il est essentiel que la communauté internationale se fonde sur le droit dans ce type d'action. Il faut éviter les soupçons qui remettraient en cause la communauté internationale.
Q - Ce que disent M. Blair et M. Straw, votre homologue, c'est qu'il n'y aura plus de temps à perdre si le Conseil de sécurité ne réussit pas à forcer l'Iraq à accorder aux inspecteurs un accès illimité. Il faut agir, disent-ils. Et si les Etats-Unis décident d'agir, nous, les Britanniques, les soutiendrons. C'est clair. Est-ce que ce sera facile à gérer dans le cadre européen de voir la Grande-Bretagne poursuivre cette politique alors que la France, comme vous venez de l'indiquer, ne soutient pas cette approche ?
R - Nous pensons qu'une action unilatérale pourrait créer une situation plus instable. Notre problème c'est d'augmenter la stabilité. Bien sûr, il nous faut une politique de sécurité, mais il faut faire attention car la situation est très complexe. Il peut y avoir des conséquences politiques, culturelles ou religieuses. Il faut prendre en compte tous les aspects de cette question. Il faut vraiment que la décision soit collective. Comment les pays arabes vont-ils réagir ? Et les opinions publiques ? Allons-nous nous assurer que chacun nous soutiendra ou, au moins, comprendra ce que nous faisons ? Il faut être pédagogue et expliquer pourquoi nous agissons. Il nous faut la légitimité de la communauté internationale. La seule manière de l'obtenir, pour être pleinement efficace, c'est d'obtenir le soutien du Conseil de sécurité.
Q - Qu'est-ce qui va occuper le Conseil de sécurité dans les jours à venir ? La rédaction d'une résolution à la fois ferme et efficace ? Ce travail diplomatique va-t-il poser un cadre pour les mois ou les années à venir ?
R - Absolument. Comprenez que nous devons aller de l'avant. Il ne fait aucun doute, ni pour nous, ni pour la communauté internationale, que nous devons être déterminés. Nous devons être décidés à agir. Le problème, c'est d'être efficace. C'est là la question-clé qu'il faut se poser. Comment réduire l'incertitude liée aux interventions dans ces régions sensibles : le Golfe, le Moyent-Orient, l'Afghanistan, l'Inde et le Pakistan. Il faut réduire la tension, ne pas créer de nouveaux facteurs d'instabilité. Nous vivons dans un monde dangereux et imprévisible. Il faut faire bien attention de prendre en compte tous les éléments de ce dossier complexe si nous voulons être efficaces.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2002)