Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur la mise en oeuvre du principe de précaution de façon cohérente et proportionnée, sur la défense de notre modèle alimentaire, sur une meilleure identification de l'origine des produits et sur le développement de la recherche, Paris, le 18 septembre 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblée du Conseil national de l'alimentation à Paris le 18 septembre 2002

Texte intégral


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec grand plaisir que je viens aujourd'hui participer à vos travaux à l'occasion de cette session de rentrée du Conseil National de l'Alimentation.
Il ne vous a pas échappé que le Ministre chargé de l'agriculture que je suis, est également en charge de l'alimentation. Ce choix politique - dont témoigne l'intitulé du ministère - souligne l'importance que le Gouvernement attache à ce que politique agricole et politique de l'alimentation soient définies de manière cohérente et complémentaire.
Devant le Congrès des Jeunes Agriculteurs, le 4 juillet dernier, j'ai indiqué ma volonté de rétablir un véritable " contrat de confiance " entre les agriculteurs, les consommateurs et la société dans son ensemble.
Ces dernières années ont, en effet, été marquées par la survenance de plusieurs crises sanitaires, qui sont venues progressivement affecter la confiance des consommateurs, des agriculteurs et des acteurs de la chaîne alimentaire.
Dans le même temps, l'évolution de la société et des modes de consommation, le renforcement de l'offre de produits alimentaires ont profondément modifié le rapport à la l'alimentation.
Les consommateurs ont également pris davantage conscience des incidences de l'alimentation sur la santé, même si l'évolution des comportements a pu générer des pathologies en développement. Je pense notamment à l'obésité chez l'enfant. Dans l'élaboration et la mise en uvre de notre politique de l'alimentation - interministérielle par nature -, il nous faut donc prendre en compte l'ensemble de ces dimensions et non la seule dimension sanitaire.
Pour rétablir cette confiance, je m'efforcerai d'abord de renforcer le dialogue avec les acteurs de la chaîne alimentaire, de mettre également en uvre le principe de précaution d'une manière cohérente et proportionnée, enfin de promouvoir la qualité et la diversité de nos produits.

En premier lieu, il me paraît essentiel de poursuivre et d'amplifier le dialogue entre les pouvoirs publics et les acteurs de la chaîne alimentaire, sur tous les sujets liés à l'alimentation. Le Conseil national de l'alimentation est un des lieux privilégiés de ce dialogue.
La composition très ouverte de votre Conseil, qui rassemble des producteurs, des industriels, des distributeurs, des restaurateurs, des consommateurs et des représentants des Agences et des ministères concernés, et son indépendance constituent des atouts indéniables, qui lui permettront de remplir efficacement sa mission. Depuis deux ans, vous avez déjà réalisé, sous la présidence de M. Christian BABUSIAUX, un travail considérable. Je veux saisir l'occasion de notre rencontre pour vous remercier de la qualité et de la diversité de ces avis et de ces recommandations que vous avez adoptées et vous dire combien votre travail nous est précieux.
Mais je souhaite aller plus loin et renforcer votre rôle dans deux domaines qui me tiennent à cur :
Je souhaite tout d'abord que vous puissiez étendre vos réflexions à une analyse d'ensemble de la chaîne alimentaire, afin de vérifier la cohérence de nos interventions, leur efficacité et éventuellement leurs faiblesses. Il nous faut, en effet, ménager un équilibre entre des approches purement réglementaires et des actions incitatives. De même, j'entends réfléchir à l'articulation de la politique agricole et de la politique de l'alimentation, de façon à ce que elles soient mises en uvre de concert. C'est dans cet esprit que j'ai demandé également au Conseil de prospective européenne et internationale pour l'agriculture et l'alimentation - que j'ai installé il y a quelques jours - de travailler.
S'intéresser à l'évolution de la politique agricole et à son impact sur la qualité et la sécurité des aliments, se préoccuper des pratiques agricoles et en particulier de l'utilisation des intrants (pesticides, médicaments vétérinaires, fertilisants), voilà autant de sujets dont je souhaite que vous vous saisissiez, parce qu'ils ont un impact sur la qualité et la sécurité de notre alimentation.
Je souhaite, par ailleurs, que vous soyez régulièrement consultés sur les principaux textes réglementaires, soumis à la signature de mes deux autres collègues également compétents dans ce domaine, Jean François MATTEI, Ministre de la Santé et Renaud DUTREIL, Secrétaire d'Etat chargé de la Consommation. J'entends ainsi contribuer à ce que le Gouvernement, comme gestionnaire du risque, adopte des mesures efficaces, simples, proportionnées et bien comprises par chacun. Pour illustrer ma pensée, je prendrai en exemple le travail que vous avez conduit en matière d'abattage sélectif des cheptels touchés par un cas d'ESB : par la concertation, le dialogue et la recherche constante de consensus, vous avez contribué à ce que la mesure d'assouplissement prise en janvier 2002 soit comprise.
Je saisis d'ailleurs cette occasion pour vous indiquer que, s'appuyant en cela sur vos recommandations et sur les derniers résultats scientifiques disponibles, le Gouvernement vient de saisir l'AFSSA d'un projet visant à limiter l'abattage dans les cheptels ESB aux seules cohortes d'âge et d'élevage.
Enfin, je comprends que votre Conseil s'apprête à rendre un avis appuyant la demande de saisine directe de l'AFSSA par les représentants des entreprises agro-alimentaires. Je souhaite que cette demande soit examinée avec toute l'attention qu'elle mérite, dans le cadre de la préparation du rapport sur le fonctionnement de l'agence, que le gouvernement présentera au Parlement. Il convient, en effet, avant d'élargir éventuellement le champ des sollicitations dont l'AFSSA fait l'objet, de disposer d'une vue d'ensemble sur la manière dont elle réalise ses missions et répond aux demandes déjà très nombreuses de l'Etat et des associations de consommateurs.
Je m'attacherai à ce que le principe de précaution guide nos décisions, mais je veillerai à ce qu'il soit mis en uvre de manière cohérente, afin de ne pas engendrer un immobilisme préjudiciable à notre économie.
A cet égard, vous avez rendu, le 20 septembre dernier, un avis sur la précaution et la responsabilité. Je souhaite qu'il soit largement diffusé et nourrisse un débat qui précisera, en matière d'alimentation, le contour de ce principe trop souvent utilisé de manière vague et superficielle.
Vous avez, dans cet avis, rappelé le rôle que devaient jouer les acteurs de la filière alimentaire. Cette responsabilité des opérateurs constitue l'un des fondements de notre droit alimentaire, national et maintenant communautaire.
Le contrat de confiance, que nous appelons tous de nos vux et que je m'emploie à restaurer, ne le sera que si chacun assume pleinement ses responsabilités. Il ne le sera pas par la seule voie du règlement ou de la loi. Il ne sera rétabli que par le plein exercice par chaque maillon de la filière de sa responsabilité individuelle et collective.
Je veux saluer, à cet égard, l'effort entrepris, dans le cadre de l'ANIA, par les industries agro-alimentaires. Les engagements pris lors de l'édition 2000 du SIAL, les programmes d'action en cours sont de bonnes illustrations de l'esprit de responsabilité qui doit présider à la restauration d'un tel contrat de confiance.
Je veux aussi saluer ici les représentants des consommateurs, qui contribuent à l'information et à la formation de leurs mandants, et leur dit mon souhait de les recevoir et de les consulter régulièrement.
[Promouvoir la qualité et la diversité de nos produits agricoles et alimentaires]
Les attentes des consommateurs dans le domaine de l'alimentation portent à la fois sur une meilleure sécurité sanitaire, une plus grande diversité de l'offre et - ainsi que vous l'avez souligné dans de nombreux avis - une qualité accrue.
J'entends donc que ces aspirations soient prises en compte et intégrées dans notre politique de l'alimentation.
Notre modèle alimentaire est fondé sur la diversité et l'originalité de nos terroirs et de nos produits. J'entends le préserver des risques de l'uniformisation et je poursuivrai la mise en place d'un cadre réglementaire international, favorisant la coexistence de modèles différents :
[Défendre notre modèle dans les enceintes et les instances normatives internationales]
L'Europe doit poursuivre la défense de son modèle alimentaire dans toutes les enceintes internationales compétentes.
A l'OMC, la promotion des appellations d'origine permet de mieux protéger les spécificités locales et de retirer du développement des échanges un surcroît de diversité.
Dans le même temps, nous devons renforcer le lien entre l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et les instances qui reconnaissent les normes techniques, elles-mêmes garantes de la survie des savoir-faire locaux, tels que le Codex alimentarius, l'Office International des Epizooties ou l'Office International de la Vigne et du Vin (OIV).
Dans le cadre du Codex alimentarius, il nous faut notamment préciser les conditions du recours au principe de précaution et conforter la reconnaissance des facteurs légitimes en matière de réglementation, tels que l'information des consommateurs.
L'Office International des Epizooties (OIE) doit, pour sa part, poursuivre le travail d'élaboration des normes sanitaires qui encadrent les échanges d'animaux et de denrées d'origine animale.
Toujours mieux identifier l'origine des produits s'avère indispensable pour promouvoir la diversité des productions.
Le succès de notre démarche nationale dans le domaine des Appellations d'Origine Contrôlée et des produits sous signe de qualité s'est trouvé conforté par l'adoption, au cours des années 90, des règlements communautaires relatifs à la protection des indications géographiques des produits d'origine agricole, et à l'agriculture biologique. Nous avons ainsi initié une démarche communautaire permettant de distinguer les produits en fonction de leur origine, de leur mode de production ou de leurs caractéristiques propres.
Ces instruments allient traditions régionales et libre circulation des aliments, tout en constituant un puissant outil de segmentation des marchés, de protection des appellations et de dynamisation des bassins de production et de transformation des produits.
A côté de l'identification des produits spécifiques en raison de leurs qualités, une démarche plus systématique d'étiquetage de la provenance, comme celle mise en uvre pour la viande bovine, doit être envisagée. C'est en effet, selon les études d'opinion, l'une des attentes principales des consommateurs. L'étiquetage des viandes bovines livrées au consommateur doit désormais mentionner l'origine complète des animaux. Si le niveau d'information du consommateur s'en trouve renforcé pour les viandes bovines fraîches, un déséquilibre a été relevé s'agissant des viandes servies en restauration. Cet écueil doit être comblé. C'est pour y remédier qu'un projet de décret vient d'être transmis au Conseil d'Etat.
S'agissant de l'emploi de la langue française pour l'étiquetage des denrées alimentaires, vous savez que la Commission européenne a demandé à la France de se mettre en conformité avec le droit européen. Dès nos prises de fonctions, j'ai signé, avec mon collègue Renaud DUTREIL, un décret qui ajoute à l'obligation d'étiquetage en langue française la possibilité d'étiquetage en une ou plusieurs autres langues. Je reste convaincu que l'impératif d'information et de protection du consommateur ne peut pas être mieux servi en France que par le recours à notre langue nationale.
Je connais l'importance des travaux que vous avez conduits sur les signes officiels de la qualité et j'ai lu vos travaux avec beaucoup d'intérêt. Je souhaite qu'ils ne restent pas sans suite et j'ai demandé à mes services que des propositions me soient rapidement faites en ce sens.
C'est d'ailleurs un souhait qui vaut pour l'ensemble de vos avis : il me paraît important que vos travaux soient mieux valorisés. Aussi, j'ai demandé qu'un tableau de bord soit régulièrement mis à jour, pour vous informer des suites données à vos recommandations.
La diversité des traditions culinaires en France et en Europe tient à la variété de ses traditions de production. Pour protéger ce patrimoine, nous devons mieux valoriser les produits possédant des qualités particulières.
Cette démarche s'inscrit, par ailleurs, dans une stratégie de développement privilégiant la compétitivité assise sur la qualité plutôt que sur la productivité, et la reconnaissance des initiatives publiques ou privées, comme le fait le Label rouge de façon exemplaire.
Il faut aussi renforcer la recherche. Les axes de travail sont nombreux : développement de variétés végétales et animales en fonction de leurs caractéristiques organoleptiques, définition de critères permettant de distinguer des produits aux qualités organoleptiques supérieures, développement de méthodes d'hygiène compatibles avec la préservation des saveurs
Le sixième Programme Cadre de Recherche et Développement (PCRD), couvrant la période 2002-2006, dédié à la recherche et à l'innovation, est ainsi axé sur la qualité et la sécurité alimentaire.
Par ailleurs, le réseau des Centres techniques permet, sous l'impulsion de l'Association de Coordination Technique pour l'Industrie Agroalimentaire (ACTIA), de développer des échanges entre structures publiques et privées, et favoriser des transferts de technologies vers les PME.
Il en est de même de la création de réseaux technologiques tels Génoplante, Prévis ou Nutriala. A l'automne 2001, le Réseau Alimentation Référence Europe (RARE) s'est mis en place, afin d'orienter la recherche agroalimentaire nationale vers les thèmes de la sécurité, de la qualité des aliments, et plus largement de la nutrition.

Mesdames, Messieurs, j'aurai à cur de mettre en uvre dans le domaine de l'alimentation une politique qui concilie les exigences de sécurité, de qualité et de diversité.
Les Français sont attachés à la qualité de nos productions et expriment des attentes grandissantes pour plus de saveur, d'authenticité et une sécurité toujours accrue.
Les agriculteurs, les consommateurs et les industriels ont aujourd'hui tout à gagner à la définition d'un modèle alimentaire français et européen.
Claude Levi-Strauss écrivait qu'" un aliment doit être non seulement bon à manger, mais aussi bon à penser ", car il est intimement lié à notre culture. En France, notre alimentation occupe une place importante dans nos vie et nos identités. Je souhaite que le Conseil National de l'Alimentation prenne toute sa place. Vous pouvez, de votre côté, compter sur moi pour promouvoir ce double combat en faveur d'une alimentation toujours plus sûre et encore meilleure.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 20 septembre 2002)