Déclaration de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, sur les pratiques du piercing, du tatouage et du perçage d'oreilles, notamment les risques de complications infectieuses et les mesures de prévention et d'information sur ces pratiques, Paris le 22 juin 2000.

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Circonstance : Proposition de création d'une Commission parlementaire sur le risque infectieux du piercing à Paris le 22 juin 2000

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Comme Mr Rouger vient de le rappeler, à l'instar des scarifications, le piercing est une pratique très largement répandue sur la planète.
Le piercing des lobules auriculaires, de loin le plus répandu, est depuis plusieurs siècles particulièrement prisé dans toute l'Europe.
Le piercing attire aujourd'hui de nouvelles populations, plus variées mais aussi - vous l'avez souligné - plus socialement " conformes ". Les boutiques de piercing sont maintenant fréquentées par une clientèle de toute condition économique, sociale et de tout âge. Les modifications corporelles, piercing, tatouage, implants divers de corps étrangers concernent une partie vraisemblablement non négligeable de notre jeunesse et plus
Les risques sanitaires qu'entraînent ces pratiques sont mal identifiés mais dans ce domaine comme pour chaque problème de santé publique il importe d'adopter une démarche claire, objective et transparente associant :
premièrement : évaluation des risques,
puis concertation avec les professionnels concernés,
enfin mesures pour réduire les risques identifiés.
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Quelle est la situation actuelle
Il y a une grande hétérogénéité parmi les personnes qui réalisent ces modifications corporelles dans leurs statuts, leurs techniques, leur niveau de réflexion sur la sécurité des clients et enfin leurs pratiques commerciales. Aucune qualification, aucune condition pratique d'exercice, ne sont aujourd'hui requises en France pour exercer l'activité de perceur.
Leurs connaissances en anatomie, en physique et chimie des matériaux en stérilisation sont d'origine autodidactes.
De plus il existe des perceurs ambulants dont il est bien difficile de mesurer l'importance.
Le piercing du lobule de l'oreille est en France aux mains des bijoutiers. Ils utilisent des " pistolets " automatiques spéciaux.
Enfin, la fréquence de l' auto-percing , piercing réalisée par la personne elle-même est inconnue.
Pour conclure sur ce chapitre si le piercing " sauvage " se taille une part importante du marché dans des conditions d 'hygiène et de sécurité qui peuvent être préoccupantes, il émerge parmi ceux qui réalisent ces gestes, cependant de véritables professionnels, exerçant dans des boutiques spécialisées et qui cherchent à faire évoluer leurs pratiques vers plus de sécurité pour leurs clients.
Quel est le matériel utilisé
En ce qui concerne le matériel qui va être porté, les perceurs un tant soit peu expérimentés connaissent les avantages et les inconvénients de chaque matériau ainsi que les actes chirurgicaux, réputés hypoallergéniques.
L'argent n'est que très peu utilisé (allergies fréquentes). Le nickel, métal malléable et bon marché, est grand pourvoyeur de réactions allergiques et une directive européenne impose à compter du 20 janvier 2001, l'interdiction des alliages contenant plus de 0,05% de nickel pour les bijoux utilisés dans le piercing.
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Quelles sont les complications infectieuses connues secondaires à ces gestes
Les infections bactériennes sur piercing peuvent donner lieu à des complications locales et régionales parfois importantes. Mais, j'aimerai toutefois souligner que les deux seules observations graves sont rapportées dans la littérature internationale sont survenues chez les enfants après un perçage des oreilles.
Du côté des infections virales, celle de l'hépatite C en particulier, les études épidémiologiques réalisés à ce jour n'ont pas suffisamment exploré ce facteur de risque ou n'ont pas pu conclure, soit du fait d'effectifs observés insuffisants ou de confusion possible avec d'autres facteurs tel que la toxicomanie intraveineuse.
La pratique du piercing ou du tatouage est fréquente dans ces populations toxicomanes et il est difficile voir impossible - selon les experts de l'Institut de Veille sanitaire, quand ces facteurs coexistent, d'identifier le rôle du "piercing" et de tirer des conclusions sur sa responsabilité dans l'infection. Bien sûr, ceci ne peut en rien infirmer le rôle potentiel des actes de piercing, de tatouages ou de scarifications réalisés dans des mauvaises conditions d'hygiène et de stérilisation, dans la transmission des virus en particulier de l'hépatite C.
Le même raisonnement peut être appliqué pour les autres virus de l'hépatite en particulier le virus de l'hépatite B.
En ce qui concerne l'hypothèse d'une contamination par le virus du Sida, aucune étude n'a permis de vérifier formellement la possibilité d'une transmission.
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C'est dans ce contexte que j'ai saisi l'année dernière le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France (CSHPF) sur - l'évaluation des risques de transmission des virus des hépatites lors de ces pratiques - et les modalités pour réduire ces risques.
Le groupe " hépatites " de la section des maladies transmissibles du CSHPF s'est réuni régulièrement depuis, mais leurs travaux ont pris du retard en raison me disent-ils de la complexité du sujet. Un avis définitif devrait être adopté en séance plénière de la section le 30 juin prochain.
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Sans préjuger de l'avis définitif de ce comité, j'aimerais maintenant détailler les mesures que nous avons déjà mis en place dans l'attente de ce rapport et les directions que nous comptons poursuivre.
1. Pour améliorer l'information
Dans le cadre et l'exécution du programme national de lutte contre l'hépatite C, mis en place en janvier 1999, nous lançons la semaine prochaine une campagne nationale de communication pour renforcer la prévention et le dépistage de l'infection VHC. Cette campagne à destination des professionnels et du grand public évoque les risques du tatouage, du piercing, et du perçage des oreilles.
L'objectif est de donner à chacun une information claire, adaptée et rassurante et sur cette question il faut essentiellement -mobiliser sans affoler- interpeller sans stigmatiser - garantir la sécurité sans juger, limiter les risques sans préjugés esthétiques.
En septembre, nous avons prévu une communication adaptée à chaque presse professionnelle, la mise à disposition d'une affichette et d'une annonce presse dans la presse ciblée en se basera sur les conclusions du rapport du Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France.
Les outils de l'internet seront également mobilisés avec une publication de bandeaux sur les sites les plus pertinents, sites de tatoueurs, magazine Nova, moteurs de recherche, renvoyant sur les pages virus de l'hépatite C du ministère et du Comité Français d'Education pour la Santé.
Les messages déjà contenus dans les documents destinés aux usagers de drogues et aux professionnels seront également complétées et adaptées aux conclusions du rapport du CSHPF
Enfin en 2001 sera mis en place une information grand public. En particulier, le CFES sera chargé, en concertation avec les ministères concernés de réaliser une campagne d'information auprès des jeunes sur les dangers de ses engagements éphémères à effet permanent et sur les risques de ces pratiques. Cette campagne véhiculera des informations scientifiquement validées et obligatoirement crédibles.
2. Dans cette démarche d'information et de réduction des risques nous voulons associer l'ensemble des acteurs concernées :
Les professionnels de santé d'abord, qu'il convient de sensibiliser et de former sur ce sujet, en particulier dans les services d'urgence hospitaliers, mais aussi dans les cabinets de ville.
Les tatoueurs ensuite, en nous inspirant des exemples étrangers, pour la mise en place de recommandations sur ces pratiques. C'est la démarche adoptée par les autorités sanitaires canadiennes (premier pays à rendre publiques il y a quelle mois leurs recommandations).
Nous voulons, du point de vue de la sécurité des pratiques et notamment de la prévention des risques infectieux du piercing, que toutes les pistes soient explorées en particulier qu'une réflexion s'engage aussi :
le local de travail du perceur, son entretien et son hygiène,
son architecture et son agencement,
l'équipement et les instruments de travail utilisés,
C'est en rapprochant les perceurs et les professionnels de santé que l'on pourra aboutir à des pratiques, conformes aux normes de l'hygiène et de la sécurité sanitaire, susceptibles d'être réellement appliquées sur le terrain.
3. La réglementation
La réflexion est également engagée sur ce domaine en nous inspirant là encore des exemples étrangers.
Les travaux canadiens sont en ce domaine les plus complets. Le Canada vient de mettre en place un agrément préalable des autorités sanitaires pour le professionnel. Des contrôles sont prévus et vont être réalisés régulièrement pour s'assurer de l'application correcte des procédures dans chaque établissement. L'expérience est intéressante et il semble qu'un certain nombre de professionnels en France serait prêt à s'engager dans ce type de démarche.
Mais je voudrais insister là encore sur l'importance d'une démarche transparente, acceptée par les personnes concernées, pour qu'elle puisse être contrôlée.
Aux Etats-Unis, des réglementations existent dans quelques villes ou comtés. Elles ont parfois été suivies à une recrudescence des complications infectieuses dans les Etats où elles avaient été très restrictives comme cela vient d'être récemment rapporté. C'est le risque que soulignait Jean Rouger, de rendre encore plus clandestine toute une partie de ces activités et donc de les condamner à être potentiellement plus dangereuses.
En France, dans un domaine différent, mais qui a également des conséquences sanitaires possibles, nous avons maintenant une réglementation complète qui encadre l'activité des professionnels réalisant des séances de bronzage artificiel et le contrôle de leur matériel.
C'est dans ce cadre que nous avons débuté un travail interministériel avec le ministère de la justice pour apprécier la légalité de ces pratiques de piercing au regard du code civil et du code pénal - et le Secrétariat d'Etat aux petites et Moyennes Entreprises, au Commerce, à l'Artisanat et à la Consommation.
4. Pour améliorer la connaissance, nous allons saisir, comme nous le demande le rapporteur, l'Institut de Veille Sanitaire sur la faisabilité d'une étude épidémiologique permettant de déterminer avec précision le risque infectieux, en particulier viral, que font courir ces pratique en sachant les difficultés que j'ai citées au début de mon intervention.
Vous voyez, Mesdames, Messieurs, dans ce domaine je ne crois pas qu'on puisse accuser le Gouvernement d'immobilisme.
C'est pour ces raisons, comme le souligne Jean ROUGER, que nous sommes contre la proposition de création d'une commission d'enquête parlementaire sur ce thème non que le sujet ne mérite pas d'explication mais parce que cette investigation est en cours avec les modalités pour y faire face.
( Source http://www.sante.gouv.fr, le 4 juillet 2000)