Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT à RTL le 14 janvier 2003, sur la réforme des retraites, notammant le rejet par les salariés d'EDF GDF du projet d'accord sur le statut des retraites et la négociation des partenaires sociaux sur ce sujet.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief-. Vous ne vous êtes pas exprimé depuis le rejet par les salariés d'EDF/GDF du projet d'accord sur le statut des retraites. Vous souteniez, on le savait, plutôt cet accord, et vous souteniez plutôt D. Cohen de la fédération CGT-Electricité. C'est donc un échec pour vous ?
- "Je ne me suis pas exprimé parce que j'ai considéré, sur ce sujet comme sur d'autres, qu'il relevait d'abord de l'appréciation des militants, des salariés d'EDF et de GDF. Nous avons des procédures internes qui ont permis au débat de se développer, aux différentes opinions de s'exprimer."
On dit que la CGT était assez divisée à l'intérieur même de l'entreprise, et que ça peut expliquer le "non."
- "Mais je peux vous dire que toutes les organisations syndicales se sont vues traversées par différentes opinions sur l'attitude à avoir à la fin de ces négociations. Aucun syndicat ne peut se targuer aujourd'hui d'avoir eu une unanimité d'opinion en son sein. Le constat qui est fait à l'issue de cette consultation, souhaitée de demandée par la CGT - je sais que la démocratie dérange et j'entends des choses très contradictoires de ce point de vue là ces derniers jours. On dit parfois que les syndicats ne sont pas en phase avec la base ; lorsque les syndicats consultent la base, ça ne va pas encore, parce que le résultat n'est pas satisfaisant. J'entends que les syndicats devraient faire plus de pédagogie pour expliquer à la base ce qui serait bon pour leur avenir. C'est un peu la nouvelle version de la courroie de transmission, au service de projets, de démarches patronales, gouvernementales. Ce n'est pas la conception syndicale qui est la nôtre. Il y a donc eu une consultation en bonne et due forme d'organisée ; plus de 75 % du personnel a participé à cette consultation, ce qui montre..."
Et 53,4 % ont dit "non", ce qui est à peu près le score que vous faites dans l'entreprise avec la CGT.
- "Non, 57 % dans les actifs qui travaillent dans l'entreprise, 53 % si on intègre l'opinion émise par ceux qui sont en retraite."

Mais je reviens quand même sur ma question : vous avez depuis 1996, ouvert une nouvelle ligne pour la CGT, plus moderne, plus efficace, plus du tout liée au parti communiste. Vous avez voulu donner une image de syndicalisme plus efficace, et moins dans les mots et dans la protestation. Vous étiez plutôt favorable à cette réforme des retraites, à l'intérieur d'EDF-GDF. Est-ce que c'est un échec ?
- "Je n'ai pas, encore une fois, exprimé d'opinion sur le contenu de la négociation."
Est-ce que ce n'est pas un peu facile de dire ça aujourd'hui?
- "Mais c'est la réalité ! Il revenait à la direction de la fédération des Mines et de l'énergie, d'apprécier le résultat obtenu à l'issue d'une négociation, et c'est une constante de notre confédération. Nous ne sommes pas une confédération qui dirige par le haut l'activité syndicale."
Quel était votre sentiment, vous aviez un sentiment ?
- "Mais ce qui compte, c'est le sentiment exprimé, précisément, par les salariés concernés sur ces négociations. Vous l'avez rappelé, et c'est juste, il y a même eu un débat par la suite, il y avait différentes opinions, et je trouve que c'est une bonne chose, y compris à l'intérieur de la CGT, que les différentes opinions, lorsqu'elle existent, puissent être confrontées. Après, on prend la décision finale ensemble, c'est la démocratie. Je souhaite que la CGT continue de progresser dans un débat démocratique en son sein."
Du coup quand même, cela ne remet pas en question votre ligne, celle que je décrivais, plus réformatrice ?
- "Pour moi, cette consultation confirme le niveau d'exigence et d'attente des salariés sur l'avenir des retraites, tout comme le refus de voir EDF évoluer d'un point de vue juridique dans son contour capitalistique. Et de ce point de vue-là, tout le monde a reconnu..."
Cela veut dire qu'ils refusent l'ouverture du capital et la privatisation à terme, et ils n'ont pas répondu sur les retraites ?
- "Nous avions dit aussi que dans le relevé de conclusions, il y avait des ambiguïtés, des paragraphes qui n'étaient pas totalement satisfaisants. Bref, tout cela mis bout à bout, a amené une majorité - c'est cela le plus important - d'électriciens et de gaziers à dire : "non, nous ne prenons pas ce relevé de conclusions comme étant, au total, positif". C'est la raison pour laquelle je crois que le Gouvernement commettrait une grave erreur s'il considérait, comme je l'ai entendu de la part du ministre de l'Economie, en gros "je m'assois sur le résultat de la consultation." Le Gouvernement n'imposera pas sa loi sur la réforme de nos retraites. Il va falloir qu'il entende ce que disent les salariés et les organisations syndicales."
Vous-même, est-ce que vous n'allez pas dire le contraire ? Est-ce que vous n'allez pas changer d'avis par rapport à il y a quelques semaines ? Est-ce que cette consultation ne va pas vous radicaliser ? Est-ce que vous n'allez pas être plus dans la résistance désormais - parce que vous allez peut-être suivre les résultats de cette consultation - que par le passé ? Vous avez dit plusieurs fois que vous étiez ouvert à la réforme. Est-ce que vous continuez à être ouvert à la réforme ?
- "Il s'agit pas, s'agissant des retraites, d'être dans une posture de résistance. A l'initiative de la CGT et de la mienne en particulier, nous avons désormais une déclaration de sept organisations syndicales pour porter des objectifs communs."
Elle se prononce sur le droit à la retraite à taux plein à 60 ans mais elle ne se prononce pas sur la durée de cotisation ni sur l'alignement public-privé, c'est-à-dire toutes les questions un peu compliquées, épineuses sur lesquelles vous n'êtes pas d'accord.
- "C'est assez surprenant : soit les organisations syndicales sont culpabilisées au motif qu'elles sont en permanence divisées, inefficaces, en ordre dispersé dans les discussions avec le Medef, avec le Gouvernement... Cette fois-ci, sur un enjeu crucial, nous prenons les devants pour dire "il y a sept objectifs sociaux" que nous allons défendre à l'occasion d'une manifestation le 1er février, et là, on trouve encore des éléments montrant que cette unité ne serait que... Non, l'unité est réelle, sur des objectifs de haut niveau. Elle ne vise pas à uniformiser les propositions des uns et des autres sur toute une série de solutions envisageables - vous avez parlé du financement, c'est un fait - mais à dire ensemble que nous voulons obtenir la retraite à 60 ans à taux plein, nous voulons améliorer le niveau des retraites, nous voulons faire reconnaître la pénibilité du travail, nous voulons modifier l'assise en répartition des efforts pour financer les retraites."
Mais à quel prix ? Qui va payer ? Et comment on y arrive ?
- "Chacun va faire des propositions, et la CGT ne va manquer de dire, elle aussi, comment elle entend financer l'ensemble de ces mesures sociales. En tout cas, je prends comme un événement et un point d'appui le fait que sept organisations syndicales, sur cette base-là, puissent appeler à manifester pour donner plus de poids à leurs exigences, en vue des discussions à venir."
Si je comprends bien, pour être très clair, comment est-ce que vous intégrez ce résultat ? Vous changez ? Vous faites du basisme ou au contraire vous restez... ?
- "Pourquoi du basisme ? Si les organisations syndicales ne sont pas de fait des outils de représentation d'intérêts pour lesquels nous avons des exigences de démocratie... J'entends bien certains dire qu'il reviendrait aux élites de trancher certains débats sociaux ou sociétaux - élites économiques, élites politiques, élites journalistiques. Nous pensons que sur des enjeux sociaux de premier plan, notre travail syndical, c'est de débattre avec les salariés des enjeux, des choix, des revendications, mais aussi de trancher à l'issue de discussions. Et je peux vous dire que si d'aventure - nous en sommes loin aujourd'hui -, nous parvenions à de réelles négociations avec les pouvoirs publics et les employeurs.."
Vous participerez à fond à cette négociation...
- "Bien sûr ! Nous avons tout fait aujourd'hui pour que nous soyons plutôt à l'offensive qu'en position de résistance, comme vous l'avez dit. Mais si les conclusions d'une vraie négociation nous permettaient de mesurer avec les salariés concernés, les évolutions et les avancées sociales réelles, il n'y aurait pas d'obstacle à ce que la CGT en prenne acte officiellement."
E.-A. Seillière qui rempile ce matin... Un mot...
- "Je souhaite tout simplement que la présence du Premier ministre, qui n'est pas contestable en soi, dans cette grande assemblée, où chacun va sans doute se congratuler, ne soit pas au passage un appui politique à la position de monsieur Seillière qui, sur les retraites, préconise, comme chacun sait, un allongement de la durée de cotisation, de l'ordre de deux à cinq ans pour tous les régimes, qu'il s'agisse du public ou du privé."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 janvier 2003)