Texte intégral
Le Figaro Economie: - Vous avez accueilli très positivement le discours de Jean-Pierre Raffarin. Bernard Thibault, lui, y a surtout vu des contradictions.
François Chérèque: - Je ne fais pas le reproche au Premier ministre d'être allé aussi loin que la déclaration commune des syndicats. J'ai enregistré des ouvertures sur des points forts, même si ce sont de petites ouvertures sur les carrières longues et les métiers pénibles.
Que vous a dit de plus François Fillon hier ?
C'est surtout nous qui avons parlé. Nous lui avons rappelé nos revendications et nous avons fait des propositions. Pour nous, la priorité est de définir un bon niveau de pension par rapport au salaire, ce que l'on appelle "le taux de remplacement". Pour un smicard, la pension doit représenter 100 % du salaire, 80 % pour un salaire de carrière de 1 500 euros par mois et 70% pour un salaire de carrière de 3 000 euros, c'est à dire le salaire moyen du régime des cadres (Agirc), et ainsi de suite, sans exclure l'ajout d'un complément d'épargne retraite. C'est sur les mêmes bases que nous voulons discuter pour la fonction publique. Mais pour les salariés du privé, il est impératif de stopper la dégradation qu'implique la réforme Balladur. Les projections du Conseil d'orientation des retraites montrent très bien que les taux de remplacement actuels diminueraient de 9 à 17 points selon les cas et les profils de carrière: pour un salaire de 1 500 euros, on tomberait à 70% en 2020 et 67% en 2040, et pour 3 000 euros à 62% en 2020 et 57% en 2040.
Vous voulez remettre en cause certains points de la réforme Balladur. Mais vous avez bien compris que le Premier ministre n'entend pas revenir à 37,5 ans de cotisations.
Non seulement nous l'avons compris, mais nous ne le demandons pas. En revanche, il faudra revenir sur les autres mesures techniques. Par exemple, en calculant les pensions sur les 20 meilleures au lieu de 25 ans, ou en reconsidérant l'indexation, aujourd'hui sur les prix, des salaires de carrière qui sont pris en considération pour le calcul de la pension. Il faut travailler là-dessus et voir la mesure la plus efficace pour stopper la dégradation.
Vous parliez des ouvertures du Premier ministre sur les carrières longues. Mais il a semblé très réticent sur votre exigence d'une retraite dès 40 ans de cotisation, avant 60 ans donc.
Pour la CFDT, c'est un point fort. Et là dessus, il y a une contradiction du Premier ministre. Il a fait une ouverture sur la retraite à la carte, mais en ne proposant une pension plus importante qu'à ceux qui travailleront plus longtemps, au-delà de 60 ans. Nous, nous voulons parler aussi de ceux qui ont commencé à travailler très jeunes et qui ont donc leurs 40 années bien avant 60 ans. Ce sont ceux qui ont les salaires les plus bas, et l'espérance de vie la plus faible, et c'est à eux que l'on n'ouvrirait pas la retraite à la carte ! Il faut négocier là-dessus et pour nous l'élément de négociation, c'est l'âge à partir duquel le droit à la retraite sera ouvert à ceux qui ont 40 ans de cotisation.
Aujourd'hui, la pénibilité ne donne lieu à départ anticipé que dans le secteur public. Cela vous choque-t-il ?
Pour nous, tout ce qui est lié à la pénibilité doit être comparable dans le privé et le public. Et nous pensons que cela doit donner lieu à une négociation et à un financement par profession. Les entreprises doivent être responsabilisées sur la question de l'emploi et des conditions de travail. Il n'y a aucune raison de faire payer la pénibilité d'une profession par une autre.
Mises bout à bout, toutes vos propositions coûtent cher. Or les régimes de retraite sont confrontés à des besoins de financement important. Comment fait-on ?
Il nous semble qu'il faut distinguer trois niveaux.
Tout ce qui est lié au travail effectif doit demeurer financé par des cotisations sur les salaires. Nous sommes dans un système de répartition et nous tenons à y rester. Nous sommes en total désaccord avec ceux qui envisagent un financement sur la valeur ajoutée ou qui suggèrent une TVA sociale. En période de difficulté économique, les entreprises dégagent moins de valeur ajoutée, ce serait donc une recette instable et dangereuse pour garantir les retraites. Quant à la TVA sociale, elle est injuste puisqu'elle pèse davantage sur les ménages modestes.
Le deuxième niveau, c'est celui de la solidarité nationale. Que ce soit les périodes de chômage, la validation de certaines périodes d'apprentissage ou de stages en entreprise pour les jeunes, le minimum vieillesse, les avantages familiaux de pension: tout cela appartient à la solidarité et doit donc être financé par la CSG.
Le troisième niveau, c'est le fonds de réserve. Les salariés ne sont pas seuls responsables du choc démographique. Et si l'on veut que le fonds puisse lisser et amortir un peu le choc de 2020, il faut le doter de ressources pérennes. Cela peut être une cotisation sur les bénéfices des entreprises, une taxe nouvelle, ou des recettes de privatisation. Plutôt que de baisser les impôts, nous aurions préféré que le gouvernement dote le fonds de réserve.
Mais le niveau de la solidarité donc vous parlez existe déja depuis 1993, c'est le fonds de solidarité vieillesse. Le seul problème c'est qu'il a été déshabillé pour financer les 35 heures. Vous proposez donc une augmentation de la CSG ?
Nous avons eu sur cette question un débat de fond dans nos instances. Oui, il faudra augmenter la CSG car il nous parait normal que tout le monde contribue à la solidarité, y compris les retraités d'aujourd'hui et les revenus du capital et du patrimoine. Nous pensons qu'il est de notre responsabilité de syndicat de faire des propositions, y compris sur le financement de la réforme, pour éviter que les efforts ne reposent sur les seuls salariés qui sont les retraités de demain, et sur les seuls jeunes. Laisser à d'autres le soin d'en décider, ce serait prendre le risque de nouvelles injustices. On sait bien que sur ces points là, la négociation avec le gouvernement sera difficile, mais nous serons fermes.
Pour un syndicat, il y a deux manières d'aborder les choses. Soit, on se bat contre toute évolution et on donne la main au gouvernement qui fait sa réforme tout seul. Et il est vrai que certains politiques préfèrent les syndicalistes qui refusent de faire des propositions. Soit, on fait des propositions, quitte à entrer en conflit avec le gouvernement, mais on ne le laisse pas décider seul.
Le fait que vous soyez ouverts à la possibilité d'un alignement entre le public et le privé, y compris sur les 40 ans de cotisation, a provoqué des fortes tensions à la CFDT. Est ce que celà ne limite pas votre marge de manoeuvre ?
Les inquiétudes du pays traversent la CFDT aussi. Je ne peux pas dire que le débat ne sera pas difficile, mais la pédagogie que nous avons faite sur le niveau de pension pour montrer que l'immobilisme est plus pénalisant que la réforme, a payé. Nous continuons en interne ce travail de dialogue et de persuasion. Nous ne pouvons pas reprocher aux hommes politiques de succomber à l'électoralisme et nous comporter de la même manière en tant que dirigeant syndical.
Vous avez critiqué l'invitation du gouvernement à une Conférence sur l'emploi. Il y a tout de même bien un lien entre emploi et retraite.
Bien sûr qu'il y a un lien! Il y a eu l'an dernier une augmentation de 96 % du nombre de chômeurs âgés de 58 à 60 ans. Le dossier des retraites doit être corrélé à un pacte pour l'emploi, c'est une évidence. Mais je veux placer le gouvernement devant ses contradictions. Il a choisi l'an dernier de baisser l'impôt -ce qui n'a eu aucun effet sur la relance de la consommation- au lieu d'investir sur une politique de l'emploi. C'est une erreur. Il est regrettable que dans les périodes de croissance on ne réduise pas les déficits, et qu'en période de difficultés, on s'entête à réduire les impôts, ce qui creuse les déficits. Maintenant que le gouvernement est confronté à des plans sociaux médiatisés, on sent qu'il s'affole. Et il convoque une conférence sur l'emploi alors que nous venions d'obtenir du Medef une négociation sur la formation professionnelle et une autre sur le licenciement.
J'ai besoin que l'on me dise ce que sera cette Conférence, comment elle s'articule avec les négociations en cours entre partenaires sociaux, et surtout comment le gouvernement peut faire cette Conférence alors qu'il vient de diminuer d'un quart les crédits pour l'emploi.
Source : Le Figaro Économie le 7 février 2003 et reproduit avec l'aimable autorisation du Figaro Économie.
(Source http://www.cfdt.fr, le 7 février 2003)