Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à Europe 1 le 4 février 2003, sur la réforme des retraites, la négociation et la durée des cotisations sociales, les propositions de la CFDT et la retraite à la carte.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Quand il faut y aller, il faut y aller, je suppose. Est-ce que pour vous aussi, le temps de la réforme globale des retraites est arrivé ?
- "Non seulement, elle est arrivée, mais il était temps qu'elle arrive. Tout le monde reconnaît aujourd'hui maintenant qu'il faut faire une réforme. Donc, on y va."
J.-P. Raffarin dit que "c'est un test". A la CFDT, vous lui avez répondu "Prêt pour le test". Est-ce que cela veut dire que la CFDT prend ses responsabilités ? Jusqu'où ?
- "La CFDT prendra ses responsabilités jusqu'à soutenir une réforme, si elle est claire, si elle reprend les éléments principaux de nos propositions bien évidemment."
Vos propositions ? Est-ce qu'il y a une grande différence dans ce J.-P. Raffarin disait hier sur TF1 et la déclaration commune des sept syndicats ?
- "J'ai écouté le Premier ministre, j'avais dans ma main gauche, la déclaration des sept syndicats et je listais au fur et à mesure les thèmes. Les sept propositions de la déclaration commune des syndicats ont été reprises par le Premier ministre, comme étant des éléments clés de la réforme et à mettre au débat. Donc, il a bien repris notre démarche."
Il n'a peut-être pas tout révélé, mais il dit qu'il engagera la responsabilité de son gouvernement et la sienne. Est-ce que vous le croyez ? Il s'engage, même s'il s'expose ?
- "C'est une promesse qu'il a faite. Je pense qu'il a décidé de faire de la réforme des retraites un élément fort de son mandat de Premier ministre. On souhaite effectivement qu'il engage cette responsabilité, sur la base de la réforme que l'on aura négociée."
Négociée ou discutée ? On ne va pas jouer sur les mots ?
- "Il a parlé d'une "formalisation du dialogue". Pour moi, une formalisation du dialogue, c'est une négociation. Point. "
Mais par exemple, est-ce que vous reconnaissez, puisque moins de 10 % des salariés sont syndiqués aujourd'hui, que le débat concerne toute la société, c'est-à-dire tous les Français ?
- "Tout d'abord, oui effectivement, cela concerne tous les Français. Mais l'élément principal de notre déclaration des sept syndicats est qu'il fallait réformer nos régimes de retraites. Donc, c'est une reconnaissance, maintenant, qu'il faut réformer tous les régimes, parce que les uns dépendent des autres de toute façon."
Mais cela engage tout le monde, cela nous concerne tous, c'est un débat national. Et pas limité entre le Gouvernement et les syndicats ?
- "Bien évidemment, c'est une des raisons pour lesquelles en France, ce sont les députés qui ont le dernier mot et c'est eux qui vont faire la loi."
Et vous acceptez la représentation nationale, les élus au bout du compte ?
- "Si les députés respectent les éléments du dialogue tels qu'ils vont sortir dans le texte que nous proposera le gouvernement, il n'y a pas de raison qu'ils ne fassent pas leur rôle."
Quand vous voyez la proposition de F. Bayrou et de D. Strauss-Kahn, l'un après l'autre, d'organiser sur les retraites un référendum. Qu'est-ce que vous en pensez, à la CFDT ?
- "D'une part, c'est, faire peu de cas du dialogue social, c'est-à-dire ne pas faire confiance aux partenaires sociaux d'arriver à un consensus. Et la deuxième chose, un référendum, si c'est pour faire l'addition des différents corporatismes, on voit bien que cela ne mènera pas à grand chose. Donc, sortons cette réforme des retraites du débat politicien et venons-en à la réalité, c'est-à-dire essayons de trouver un consensus."
Avant d'aller justement sur le fond et sur la recherche du consensus, le référendum, c'est non ?
- "Pour la CFDT, c'est non."
On voit un peu la méthode, on voit comment vous allez négocier... Avec un ou deux ministres ? M. Delevoye et M. Fillon ?
- "On a un pilote bien identifié, M. Fillon, qui va travailler bien sûr avec M. Delevoye. Mais il était important d'avoir un pilote, pour faire d'abord une réforme globale, qui s'adresse à tout le monde."
Sur le calendrier, est-ce que la réforme peut être bouclée comme le dit ou le croit, J.-P. Raffarin, d'ici à la fin juillet ou il rêve ?
- "Nous le souhaitons. Le diagnostic est partagé par tout le monde. Il nous faut deux ou trois mois maintenant, pour arriver à un texte acceptable par tout le monde. Je pense que l'on peut y arriver. Mais si il faut un ou deux mois de plus, mieux vaut prendre un ou deux mois de plus, réussir une réforme, plutôt que de la gâcher en quelques semaines."
Le Premier ministre reconnaît des pistes et des principes. On va prendre trois ou quatre thèmes. Sur la retraite à 60 ans, il vous a choqué ou pas ?
- "Non, c'était une de nos demandes."
Et quand il dit que, qui le peut et qui le veut doit être autorisé à poursuivre ses activités, cela vous choque ?
- "C'est une des demandes fortes de la CFDT. C'est permettre à chaque salarié d'avoir une retraite à la carte. Partir plus tôt, s'il le souhaite, éventuellement en ayant une retraite plus basse, ou plus tard en améliorant sa retraite. C'est important."
La répartition ?
- "La répartition, c'est le principe fondamental. Maintenant, il nous propose de réfléchir sur une extension de l'épargne salariale. C'était aussi un souhait. C'est simplement améliorer la loi Fabius, pour faire en sorte qu'elle soit accessible à tout le monde."
Mais il va être bientôt à la CFDT alors, J.-P. Raffarin, si ça continue ?!
- "La CFDT est l'organisation syndicale qui fait des propositions concrètes et détaillées sur la réforme des retraites. Il va chercher ses sources vers ceux qui font des propositions..."
Et le principe de l'équité ? Les Français, dans tous les sondages récents, à plus de 70 %, se proposent pour aligner le public sur le privé ?
- "Je l'ai dit d'une façon très ferme : ce sera donnant-donnant ou rien. On a des réponses à des questions que l'on n'a pas encore aujourd'hui. Comment on va intégrer ? Est-ce que l'on va intégrer les primes dans le calcul des retraites ? Est-ce que l'on va donner des éléments de choix ? Est-ce que l'on va s'occuper des emplois pénibles ? Est-ce que l'on va permettre aux salariés qui ont cotisé 40 ans de partir, même avant 60 ans ? Une fois que l'on aura la réponse à toutes ces questions"
Mais sur ce point, c'est une position ferme et définitive ?
- "Pour nous, c'est un point important. Il y a une inégalité. On a des salariés qui commencent à 16 ans, 17 ans à travailler, qui cotisent 43 ans par exemple, et leur retraite est calculée sur 40 ans. Les trois ans, qu'ils cotisent en plus, ils cotisent pour les autres, en particulier pour ceux qui gagnent plus. Donc, là, il y a un équilibre à trouver, pour leur permettre de partir plus tôt."
Et l'équité dans tous les domaines ? Par exemple, M. Godet [phon.], qui publie un livre très intéressant, "Le choc de 2006", chez Odile Jacob, dit qu'il y a 2 % des cotisants qui représentent plus de 5 % des retraites versées. Est-ce que vous trouvez que c'est bien que le problème, douloureux, difficile des régimes spéciaux soient mis à la fin de la négociation ?
- "D'une façon pédagogique, il faut trouver une réforme pour tout le monde et, ensuite, on adaptera selon les réalités des entreprises, comme l'a dit le Premier ministre, mais aussi des professions, des pénibilités et autres une adaptation de ces régimes au cas des uns et des autres."
Il y a de l'intérêt dans tout le pays, à propos des retraites. On voyait les manifestations de samedi. Quand vous étiez dans la manif, parce que de temps en temps, on ressort le fantôme de 1995 du placard, est-ce que vous vous disiez que vous étiez sur la voie de 1995 ? Ou que 2003, c'est autre chose, qu'on prépare 2020 ?
- "C'est autre chose. Tout le monde sait maintenant qu'on ne peut plus attendre. Tout le monde dit qu'il faut une réforme. Tout le monde dit qu'il faut une réforme pour tout le monde, parce que les régimes dépendent des uns, des autres. Je crois que l'on est dans un système totalement différent."
Sur autre chose et en même temps c'est lié. Le Premier ministre a piqué une grosse colère, qui ne paraissait pas feinte, sur TF1, avec P. Poivre d'Arvor, contre les chefs d'entreprises qui, dit-il, profitent de la période de pré-guerre pour accélérer les licenciements. C'est vrai ? Vous le ressentez ?
- "On a le sentiment que cette période d'incertitude et d'inquiétude qui existe, amène certaines entreprises à anticiper les licenciements. D'où la nécessité de savoir où on va. Il y a un vrai problème à ce niveau-là."
Mais il y a des patrons qui se comportent mal ?
- "Il y a des patrons qui se comportent mal. J'ai eu l'exemple de Palace Parfums en Normandie, avec ce patron qui a déménagé l'entreprise pendant les vacances et qu'il a fallu retrouver pour faire un plan social ! Là, c'est pratiquement de la délinquance patronale !"
Sur l'emploi, E.-A. Seillière a proposé aux syndicats de négocier, dans cette période de plans sociaux, sur les licenciements. Quelle est la réponse de la CFDT, ce matin ?
- "J'avais fait cette proposition au Medef, il y a quatre mois, ici dans votre studio. Quatre mois pour nous entendre. Le Medef nous propose de travailler, pour essayer de trouver des comportements positifs des employeurs, d'anticipation par rapport aux licenciements, par rapport aux comportements négatifs qui existent dans certains endroits. Il est important qu'on rentre dans cette négociation. Allons-y là aussi."
Mais j'ai entendu hier, le Premier ministre, lui, proposer une conférence sur la formation et l'emploi. Ca se complète, ça se contredit ?
- "On a besoin un peu d'éclaircissement. On a l'impression que tout le monde se précipite, parce qu'il y a un problème pour l'emploi. Après être sombré un peu dans la léthargie, le gouvernement, d'un seul coup, fait feu de tout bois. Je crois qu'il va falloir décider et voir ensemble, qu'est-ce qui est de la négociation avec les partenaires sociaux, et qu'est-ce qui va être du débat avec l'Etat ? Cela va être l'objet de nos rencontres dans les jours qui viennent."
Et vous commencez avec F. Fillon dans deux jours... Mais sur l'emploi, c'est quelque chose de plus profond et qui va durer longtemps ?
- "Cela va durer longtemps, mais il ne faut pas que cette conférence nationale pour l'emploi du gouvernement vienne perturber les négociations qui - enfin -commencent. Les partenaires sociaux sont décidés à prendre leurs responsabilités ; "faites-leur confiance", ai-je envie de dire au Premier ministre."
Cela bouge ?
- "Cela bouge et c'était important qu'il bouge. Cela fait quand même deux ans que le chômage augmente..."
A. Lambert, et peut-être F. Mer, vont dire, aujourd'hui, le déficit 2002 et le montant des crédits à geler. On dit 4-5 milliards. Cela vous concerne ?
- "Bien sûr. D'abord, une contradiction : on baisse les impôts, on a un déficit ; on avait dit "attention à la baisse des impôts". Mais maintenant, je dis au gouvernement de ne surtout pas toucher aux moyens pour l'emploi. La priorité du gouvernement doit rester l'emploi."
Mais quand justement, le Premier ministre dit qu'il ne réformera pas l'impôt sur la fortune, mais que pour l'emploi, pour réveiller l'argent qui dort, il procédera à des allégements fiscaux pour aider la croissance et l'emploi ? Quelle est votre réponse ?
- "Tout ce qui peut aller vers un investissement pour plus d'emploi, y compris de l'argent qui dort, dans certaines banques ou dans certains bas de laine, il est important de le faire. Je constate qu'il y a un mouvement de chômeurs qui appuie dans ce sens-là. Allégeons certains impôts pour investir sur l'emploi, ce serait une démarche positive."
Vous croyez à la guerre en Irak ?
- "Malheureusement, oui."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 février 2003)