Discours de M. Jacques Chirac, Premier ministre, sur les conditions de l'exercice libéral des professions de santé, leur rôle dans la maîtrise des dépenses de santé, et les prochains états généraux de la sécurité sociale, Paris le 20 mars 1987.

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Circonstance : Assises nationales des professions de santé le 20 mars 1987

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,
Votre président vient de dire qu'il était particulièrement heureux d'ouvrir les assises 1987 du centre national des professions de santé en ma présence.
Eh bien, permettez-moi, d'entrée de jeu, un aveu : j'en suis, quant à moi, doublement heureux.
D'abord parce que je n'ai pas oublié notre rencontre d'il y a un peu plus d'un an, en janvier 1986. Vous aviez convié les différents dirigeants politiques. Et vous aviez raison. On ne sait jamais. Certains peuvent même devenir Premier Ministre.
Notre rencontre de janvier 1986 fut brève. Mais j'en ai gardé un souvenir vivace : celui de l'engagement des professions de santé au service d'une éthique de liberté, de responsabilité et de solidarité que vous avez su affirmer, en des temps parfois difficiles, avec une tranquille résolution.
Vous savez aujourd'hui que cette éthique, c'est aussi celle de mon gouvernement.
Doublement heureux, parce que notre rencontre d'aujourd'hui m'est l'occasion de vous dire combien je crois aux professions libérales pour la qualité de notre système de soins.
On ergote souvent sur le libéralisme. Si l'on en cherche des définitions théoriques, on s'égare. Je suis, sur ce terrain, d'un pragmatisme absolu. Je crois au libéralisme quand je le rencontre concrètement, quand je constate qu'il est le meilleur.
Et c'est cela la démonstration que vous apportez. Vous avez construit, avec exigence, avec responsabilité, avec ambition, un système qui sait concilier respect de la personne humaine et progrès médical, liberté de choix et solidarité. Vous pouvez en être légitimement fiers : vous avez gagné le pari de l'adaptation en continu de la santé aux besoins de nos concitoyens.
Mais il ne servirait à rien de s'enorgueillir des résultats acquis et de fermer les yeux sur les nuages qui s'amoncellent à l'horizon.
Vous avez, Monsieur le Président, tenu un langage de haute responsabilité. Croyez bien que j'y ai été sensible.
Le thème de vos débats d'aujourd'hui vous montre prêts à relever les défis du futur et prêts à les relever ensemble, je veux dire toutes les professions de santé réunies.
Car, sans remplacer aucune des organisations syndicales de chaque profession, le C.N.P.S. a su, en 15 ans, unir les diversités, faire oublier les susceptibilités, voire les rivalités, constituer une force de proposition et de dialogue, devenir pour les pouvoirs publics un interlocuteur responsable et représentatif.
J'y vois là une chance au moment où nous avons ensemble à préparer l'avenir, c'est-à-dire réfléchir aux adaptations nécessaires de notre système de protection sociale à l'horizon de l'an 2000.
Préparer l'avenir, c'est d'abord favoriser l'exercice libéral de vos professions. C'est savoir lever les obstacles qui empêchent les évolutions, c'est permettre à votre dynamisme de satisfaire au plus près et au moindre coût les besoins de santé.
Beaucoup dépend de vos initiatives. Encore faut-il que les pouvoirs publics sachent, sans privilège, vous donner l'égalité de chances. Pas de concurrence déloyale. Pas de favoritisme. Des traitements égaux pour tous.
Les professionnels de santé ont, s'ajoutant aux atouts qui leur sont propres, la chance d'avoir un interprète passionné au sein du gouvernement. Je veux parler du ministre de la santé qui, contrairement à ce qu'on croit à tort, se partage sans préférence entre vos différentes professions ; c'est bien simple, elle les aime toutes beaucoup et toutes autant.
Mon gouvernement agit avec le souci non d'élever des obstacles, non de trouver des échappatoires, mais d'aboutir, dans la concertation et dans le respect de l'intérêt général, à de vraies solutions, qui répondent à vos attentes. C'est la mission que j'ai confiée à la délégation interministérielle aux professions libérales, conduite par Maître du GRANRUT.
Vous avez rappelé, Monsieur le Président, les mesures importantes prises dans le domaine de la fiscalité où depuis trop longtemps vous souffriez d'une situation discriminatoire.
Nous poursuivrons cette politique en 1988.
Mon engagement est ferme : parvenir le plus vite possible à la vraie égalité fiscale.
Un mot de la taxe professionnelle : nous avons ouvert des possibilités d'exonération pour favoriser l'installation des cabinets médicaux : je demande au ministre des finances et au ministre de la santé d'en dresser le bilan pour pouvoir envisager leur extension aux autres professions de santé.
Vous avez, Monsieur le Président, évoqué une autre difficulté majeure de vos professions : ce que nous appelons, les uns et les autres, d'un terme pudique, la démographie et qui signifie en fait le trop grand nombre. A l'évidence, et les responsabilités sont partagées, nous nous serions épargnés bien des soucis si nous avions été capables, il y a quelques années, de prendre à temps les mesures courageuses qu'à l'époque, vous le savez tous, les professions de santé ne réclamaient guère.
Qu'au moins cette erreur du passé nous serve de leçon ! Sachons adapter le nombre d'étudiants aux possibilités d'exercice, sachons apprécier, de manière réaliste, les besoins de l'an 2000.
C'est pourquoi j'ai demandé à Mme BARZACH et à M. VALADE d'engager une concertation sur ce sujet avec vos différentes professions. Je serai très attentif aux orientations qui pourront être dégagées à cet égard.
Autre obstacle aussi à l'équilibre de vos professions : la concurrence souvent biaisée qui vous est faite par des organismes dépendant de la collectivité publique ou des régimes de protection sociale.
Vous connaissez ma conviction sur ce point. Je suis profondément attaché à une distribution libérale des soins. Parce que vous alliez compétence et responsabilité, vous êtes les plus efficaces.
La collectivité publique doit se désengager des secteurs de la vie sociale où elle est intervenue abusivement. A tout le moins, elle doit être placée dans des conditions d'égalité, et non pas de privilège, par rapport aux professions libérales.
Tout en ce domaine ne dépend pas de l'Etat, mais beaucoup des collectivités locales et de la protection sociale. Nous ne bouleverserons pas tout en un jour. Mais au moins arrêtons les empiètements et agissons vite, là où la menace est la plus immédiate : l'organisation des urgences, la prévention sanitaire, les alternatives à l'hospitalisation.
Je n'ignore pas les conflits de compétence, voire d'intérêts, qui opposent parfois les uns et les autres sur ces trois sujets. Mais pour le bien du malade, il faut sortir des situations bloquées et, je le répète, en sortir vite.
Sachons trouver des compromis raisonnables entre public et privé, entre hôpital et médecine libérale, entre profession de santé et pompiers, et, enfin, entre vous-mêmes, professions médicales et paramédicales chacun a sa juste place et toute sa place.
Dans le même sens, j'indique, de la manière la plus nette, que mon gouvernement défendra notre système de distribution pharmaceutique et qu'il ne remettra pas en cause la distribution de la parapharmacie.
J'évoquerai un dernier obstacle : votre régime de protection sociale est moins avantageux que celui des salariés.
Un point, vous le savez, me tient particulièrement à coeur : la situation des femmes, dites conjoints-collaborateurs, dont la contribution, souvent essentielle à la bonne marche de vos cabinets, n'est pas reconnue.
J'avais demandé une concertation en juin dernier. Elle a abouti. Nous inscrirons ainsi, à la prochaine session de printemps, le projet de loi qui autorisera les conjoints-collaborateurs à se constituer des droits propres à retraite, cumulables bien entendu avec ceux dont ils - et je devrais dire elles -, pourraient bénéficier dans d'autres régimes.
De tout cela, nous ferons le bilan et définirons les lignes d'action pour le futur au cours de la journée des professions libérales que je présiderai à la fin de l'année. Je souhaite que le C.N.P.S. soit étroitement associé à sa préparation et à son déroulement. Vous avez, Monsieur le Président, parlé de concertation. Je vous rejoins entièrement. Nous ne progresserons qu'ainsi.
Quand j'ai évoqué tout à l'heure les nuages que je voyais poindre à l'horizon, je pensais surtout aux menaces qui pèsent aujourd'hui sur notre système de protection sociale.
Vous en avez fait, Monsieur le Président, l'analyse, et je n'y reviendrai pas : les dépenses d'assurance-maladie qui augmentent à un rythme 3 fois plus rapide que les recettes, un déficit qui se creuse au rythme de 10 milliards de francs par an.
J'ai voulu que les chiffres soient publics, il ne servirait à rien de ne pas regarder en face les difficultés. J'ai, sur ce sujet, qui concerne tous les Français, une exigence de transparence et de clarté.
Je l'ai déjà dit, je ne tiens personne pour seul responsable de cette situation. Je n'admets aucune attaque contre quiconque. Ne comptez pas sur moi pour désigner un bouc émissaire. Nous avons tous notre part dans cette dérive des dépenses.
Mon gouvernement a pris ses responsabilités. Confronté à la dégradation des comptes, il a refusé la voie de la facilité : celle qui aurait conduit à majorer encore les charges de nos entreprises, donc à compromettre leur compétitivité et à détruire l'emploi.
Il a choisi au contraire de tout faire pour rééquilibrer le système. Ce plan, que vous appelez, Monsieur le Président, le "plan SEGUIN" et qui est le plan du gouvernement tout entier, c'est, tout simplement, une tentative pour rationaliser les dépenses d'assurance-maladie et lutter contre les dérives.
Les professions de santé que vous êtes, tout comme les gestionnaires de la sécurité sociale, avaient dénoncé à plusieurs reprises les effets pervers à l'origine d'abus et de gaspillage, au détriment, nécessairement de ceux dont l'état de santé requiert un haut niveau de prise en charge collective. Le développement non maîtrisé des prises en charges à 100 % - dont la part est passée en 10 ans de la 1/2 aux 3/4 des dépenses -, s'était traduit par des pratiques abusives, qui n'avaient plus rien à voir avec l'esprit de l'assurance-maladie et pervertissaient l'image même d'une institution irremplaçable.
Le gouvernement a décidé ainsi de s'attaquer à un problème de fond : la dérive progressive de la couverture sociale vers la gratuité systématique, en remettant en ordre les exonérations du ticket modérateur. Qui ne mesure, en effet, que des excès, individuellement de peu de conséquence, mettent en péril, multipliés sur une grande échelle, tout le système ?
Ces mesures étaient nécessaires. Mais elles sont difficiles, car il s'agit de changer en profondeur des comportements de facilité pour revenir aux principes de responsabilité et de solidarité qui fondent notre sécurité sociale.
C'est pourquoi leur mise en uvre suppose une coopération de tous les partenaires de notre système de soins et une implication active de tous les professionnels de santé, au premier chef des médecins, mais pas seulement d'eux.
Vous avez tous, à un titre ou à un autre, une responsabilité première : prescripteurs, dispensateurs de soins, distributeurs de médicaments. Dois-je dire, Monsieur le Président, combien j'ai apprécié votre engagement simple et net : "nous soutenons le plan SEGUIN".
Car ce qui est en jeu ici, et vous le savez tous, ce n'est pas le succès d'une opération ponctuelle et limitée de maîtrise des dépenses. C'est l'avenir même du système de soins à la Française; c'est en définitif le devenir de l'exercice libéral de vos professions.
C'est pourquoi il vous appartient à tous de tout mettre en uvre pour assurer la bonne application du plan. Ce n'est qu'avec vous, avec votre participation et votre adhésion, que nous réussirons à sauvegarder notre sécurité sociale.
Je mesure toutes les difficultés qui sont à surmonter, les tracas à affronter, les maladresses parfois commises, les lacunes de l'information, la concertation peut-être insuffisante, tout ce qui, en définitive, a pesé sur vous. Nous ferons le nécessaire, en liaison avec vous, pour que cela ne se renouvelle pas.
Mais c'est seulement par un engagement total de chacun des acteurs, à sa place, dans une action commune, que nous parviendrons à maintenir en France :
- un système solidaire permettant un accès de tous, sans limitation d'aucune sorte, à des soins de qualité et au progrès médical ;
- un système responsabilisant, pour que chaque assuré social, chaque malade, ait pleinement conscience de l'effort collectif, mais aussi de l'effort individuel, nécessaires pour maintenir un tel dispositif et un tel niveau de prestation ;
- un système où les professionnels de santé puissent développer leur activité dans un cadre libéral.
Il nous faut ainsi dépasser, dans une situation difficile, les préoccupations immédiates, pour, ensemble, envisager l'avenir. C'est le but que je fixe aux Etats Généraux de la sécurité sociale, dont je ne doute pas que les professionnels de santé sauront être pleinement parties prenantes.
Qu'on ne s'y trompe pas : ce n'est pas une invention diabolique pour vous faire payer l'effort collectif de maîtrise des dépenses qui s'impose à nous. C'est la conviction qu'entre partenaires de bonne volonté et de bonne foi, on peut, autour d'une même table, en retroussant ses manches, aboutir à l'objectif commun.
Solidarité et responsabilité, ces valeurs qui sont les vôtres guideront le grand débat national des Etats Généraux.
Le C.N.P.S. sera bien entendu consulté sur la procédure à retenir pour les organiser.
Voici, pour ma part, quelques orientations.
Je souhaite que le débat ne soit pas monopolisé par le Gouvernement, ni par quelque partenaire que ce soit.
Chacun doit pouvoir s'exprimer sur ce sujet essentiel pour notre société toute entière, de l'assurance-maladie, de la vieillesse et de la famille c'est pourquoi le débat national devra débuter avant l'été mais, sans doute, si nous voulons aller au fond des choses, se poursuivre à l'automne.
II appartiendra ensuite au gouvernement mais aussi à l'ensemble des composantes politiques, économiques et sociales de ce pays de se prononcer sur ses conclusions.
Je ne veux pas préjuger les résultats de ces Etats Généraux, mais en matière d'assurance-maladie comme ailleurs, l'espoir de la France repose sur l'esprit d'initiative et sur le sens civique des Français.
En ce domaine, votre pouvoir, Mesdames et Messieurs, est immense : en contact permanent avec les malades, bénéficiant d'une autorité naturelle liée à la confiance justifiée que vous portent vos patients, il vous revient, outre votre rôle thérapeutique, une fonction de pédagogue.
A vous, parce que vous en avez hautement conscience vous-mêmes, d'apprendre à vos malades ce qu'est la responsabilité et ce qu'est la liberté.
A vous d'expliquer à vos patients quelles sont les réalités et les limites, à la fois de votre art, des techniques que vous utilisez et des possibilités de la collectivité.
Ce n'est pas seulement le gouvernement, c'est le pays tout entier qui a besoin de votre coopération.
Je suis sûr que vous saurez vous engager pleinement dans une démarche dont dépend l'avenir de l'assurance-maladie, votre avenir propre, celui de vos malades.
Je souhaite vous remercier, pour votre engagement d'aujourd'hui et de demain, au service de notre pays et de nos concitoyens.