Déclaration de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, sur la politique sociale, la politique de l'emploi et la réforme des retraites, Paris le 15 janvier 2003.

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Circonstance : Voeux à la presse pour 2003 le 15 janvier 2003

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Nous entamons cette année 2003, que nous vous souhaitons, Dominique VERSINI, Nicole AMELINE, Jean Louis BORLOO, Hubert FALCO et moi-même, enrichissante sur le plan professionnel et personnel.
Je vous souhaite une bonne santé, car vous allez en avoir besoin !
Nous sentons tous que cette année sera importante. Au niveau national comme au niveau international, des défis complexes traversent l'horizon de nos concitoyens. Dans un environnement à bien des égards chaotique, le monde de l'information est, plus que jamais, appelé à jouer un rôle d'interprète, mais aussi d'éclaireur et de défricheur de sens. Journalistes, entreprises de presse, vous contribuez à la vitalité de notre démocratie, à son pluralisme. L'information n'est pas un produit de consommation banal ; elle est un bien précieux indissociablement lié à l'exercice d'une citoyenneté libre et responsable. En la matière, rien n'est jamais définitivement acquis
Cette nouvelle année politique, Mesdames et Messieurs, ne débute pas sur une page blanche. Cette page a commencé à s'écrire il y a huit mois, avec l'alternance. Cette alternance, je n'ai pas oublié les conditions de sa réalisation. Au premier tour de l'élection présidentielle, la crispation du pays est brutalement apparue au grand jour. Jamais, il n'a semblé aussi nécessaire de rechercher les voies d'une société de confiance. Confiance entre l'Etat et les citoyens, entre l'Etat et les entreprises, entre l'Etat et les partenaires sociaux, entre les partenaires sociaux eux-mêmes. Cette confiance partagée étant la source d'un progrès durable.
Au nom de cette ambition, nous avons privilégié trois axes prioritaires :
- celui du recadrage économique,
- celui de la modernisation de notre démocratie sociale,
- celui enfin d'une nouvelle construction sociale.
Le recadrage
La politique de l'emploi conduite par nos prédécesseurs n'a pas réussi. Les solutions "exotiques" ont handicapé la vitalité de notre pacte économique et social dans un contexte de mondialisation.
- Lancement du contrat jeunes en entreprises ( 35.000 en décembre )
- Assouplissement des 35 heures
- Harmonisation rapide et par le haut des multi-smics
- Amplification des baisses de charges
- Suspension de la loi de modernisation sociale
Toutes ces mesures constituaient des engagements du Président de la République lors de sa campagne. Les voilà adoptées ! Une partie du bilan de nos prédécesseurs est désormais recadré. L'année 2003 s'arrime donc sur un socle solide. Tout cela a été fait dans un climat social plutôt apaisé, du moins plus serein que celui annoncé à l'automne par certains observateurs
J'y vois là le résultat d'une ligne d'action.
Celle-ci a été présidée par une méthode caractérisée par la transparence des objectifs et la recherche du dialogue social. Dès le mois de juin, le calendrier et les orientations étaient connus de tous. Nous avons agi avec une calme détermination, sans précipitation, ni déviation impromptue. Cette approche a contribué à créer un climat décrispé ; elle m'a permis de nouer avec les partenaires sociaux une relation constructive. Aucun d'entre eux, je le crois, ne peut raisonnablement prétendre que ce ministère n'est pas ouvert à la concertation. L'année 2003 devra voir ce climat de dialogue et de franchise réciproque, s'approfondir.
Cette ligne d'action s'est orientée sur un cap politique pragmatique, conjuguant efficacité économique et justice sociale. J'ai souvent eu l'occasion par le passé de dire que la France n'avait ni besoin du conservatisme socialiste, ni d'une révolution ultra libérale ! Notre pays doit affûter son socle économique parce que la compétition l'impose et il doit retisser son pacte social parce que la république l'exige. Ces deux pôles doivent être rénovés de façon équilibrée. C'est dans cet esprit, que nous avons fait en sorte - au regret, m'a-t-il semblé, de l'opposition ! - que nos projets de loi soient innovants mais pas partisans. J'entends poursuivre sur cette voie équilibrée et volontariste.
La modernisation de la démocratie sociale
Seconde axe : la modernisation de notre démocratie sociale.
A la tête de ce ministère, j'ai été conforté dans ma conviction que la modernisation du modèle français s'imbriquait dans celle de notre démocratie sociale. Le changement ne peut plus être exclusivement imprimé du sommet. Nous devons faire évoluer le système et les mentalités pour poser les bases d'une société plus participative.
Pas à pas, c'est ce que nous avons tâché de faire.
Dans chacun de nos projets de loi, notre objectif a été de fixer un cadre au sein duquel les partenaires sociaux sont invités à prendre leurs responsabilités pour négocier et innover Si nous avons choisi cette démarche singulière, c'est précisément pour poser les jalons d'une démocratie sociale plus dense. C'est là le fil rouge de mon action depuis huit mois.
En 2003, notre projet portant sur la modernisation de la démocratie sociale, constituera une étape importante dans la rénovation de l'espace social français. Je souhaite que ce projet permette aux organisations syndicales d'être plus proches de nos concitoyens et plus engagées dans le réformisme social. Je recevrai les partenaires sociaux dans les prochains jours pour nourrir ce projet de loi qui restituera l'esprit de la position commune de juillet 2001.
Je sais que nous sommes là sur un sujet compliqué, cultivé par les traditions et les habitudes culturelles. Pour autant, le statu quo n'est plus possible. De part et d'autres, des efforts doivent être entrepris. Efforts de l'Etat et des partenaires sociaux pour animer ensemble l'évolution du contrat social, efforts des partenaires sociaux pour qu'entre eux, s'instaurent la culture du respect, de la responsabilité et du compromis.
Une nouvelle construction sociale
Si 2002 fut assez largement celle du recadrage, 2003 sera celle d'une nouvelle construction sociale. C'est le troisième axe prioritaire.
Rénovation de la démocratie sociale ( je viens de l'évoquer ), réforme des retraites, mise en place du CIVIS, instauration du RMA, réaffirmation de la politique d'intégration, développement de l'"assurance emploi ", sauvetage de l'APA amorcée par Hubert Falco, plan de lutte contre les exclusions définie par Dominique Versini, relance de la politique de la ville impulsée avec force par Jean Louis Borloo, promotion de l'égalité des droits et des situations professionnelles et sociales développée par Nicole Ameline : toutes ces orientations convergeront pour donner plus de sens et d'assise à notre pacte social.
Il est cependant une difficulté que nous allons devoir surmonter : rénover et renforcer les liens de la solidarité alors même que la croissance cherche encore ses marques. En clair, il nous revient d'entreprendre ce qui n'a pas été fait en période faste.
Avant l'été, la réforme des retraites devra être réalisée. Avec le Premier Ministre et mon collègue Jean Paul Delevoye, j'aborde ce dossier avec détermination et ouverture intellectuelle. Nous voulons dégager un consensus autour d'une réforme qui ne sera pas partisane mais nationale. L'objectif n'est pas de chambouler notre système, pas plus qu'il n'est de tout régler en un jour pour les trente prochaines années. L'objectif est d'engager une étape très significative d'un processus destiné à sauver notre régime de retraite par répartition, dont chacun reconnaît les avantages, mais dont nul ne doit sous estimer ou occulter les exigences d'un fonctionnement durable.
Le diagnostic est connu : le nombre des actifs est en réduction et le nombre des retraités en augmentation. Dès 2005, il y aura 300.000 retraités de plus par an. Dans les prochaines décennies, nous allons gagner six ans d'espérance de vie. C'est une chance formidable qu'il nous faut cependant préparer pour que chacun puisse en profiter dans des conditions les plus satisfaisantes possibles ! Si aucune réforme n'était engagée, d'ici 2040 il faudrait diviser le montant des retraites par deux ou doubler le taux de cotisation. Si nous voulons regarder nos enfants dans les yeux, nous avons donc le devoir de ne pas laisser ce problème en l'état.
Saurons-nous, collectivement, dépasser nos intérêts immédiats pour nous projeter vers l'avenir ; saurons-nous être à la hauteur d'un enjeu supérieur ? Face ces questions, chacun devra prendre ses responsabilités. Nous recevons ces jours-ci les principales forces politiques représentées au Parlement. Nous recueillons leurs propositions. A la mi-février, ce sera le tour des organisations syndicales et patronales avec lesquelles nous allons engager un dialogue nourri et continu qui nous permettra d'ajuster nos propositions. Puis viendra la phase de sensibilisation des Français sur la nature du défi que nous devons relever ensemble. Pour l'heure, nous finalisons les principes qui guideront la reforme, nous recensons l'ensemble des suggestions et mesures susceptibles d'être prises. C'est dire que ces rencontres ne seront pas de pure forme. Au printemps, le projet sera arrêté. Il devra être adopté avant l'été.
Le résultat du référendum qui s'est tenu à EDF ne peut freiner notre volonté de répondre à la question des retraites, qui est fondée sur un diagnostic incontestable qui interdit les atermoiements et les reports. En revanche, on ne doit pas être indifférent à l'égard du " non " exprimé par les salariés et retraités de cette entreprise. Ce vote met en lumière la nécessité - à EDF, dans les services publics comme partout ailleurs - du dialogue et de la pédagogie car l'avenir des retraites n'est pas qu'une affaire d'experts. C'est une affaire nationale, une affaire de citoyens !
A travers ce vote des personnels d'EDF, j'engage surtout à pousser la réflexion sur l'état de notre espace social. Le hiatus, qui, à cette occasion, est apparu entre l'expression des corps intermédiaires et celle des salariés est le résultat d'une démocratie sociale insuffisamment charpentée. Le réformisme social ne s'improvise pas en quelques jours ! Pour être solide et compris de tous, il doit être porté et favorisé par des mécanismes de dialogue et de négociation qui renforcent l'esprit de responsabilité chez les partenaires sociaux, et dès lors, leur influence et leur ancrage auprès des salariés et des Français. On en revient là au projet de loi sur la modernisation de notre démocratie sociale.
Mais l'année 2003 ne sera pas dominée par la seule affaire des retraites
Parce que nos politiques de solidarité doivent être mieux personnalisées, cette nouvelle année verra la création du CIVIS ( dont nous sommes en train d'arrêter les modalités ), l'instauration du Revenu Minimum d'Activité, qui complétera le RMI, et, la mise en place, en, matière de formation individuelle, de " l'assurance emploi ", sujet sur lequel je souhaite que les partenaires sociaux puissent dégager un consensus aussi ambitieux que possible. De nature différente, ces trois projets marquent notre volonté de replacer l'homme, avec son potentiel personnel et ses idéaux, au cur d'une certaine conception du progrès individuel et collectif. L'Etat n'est pas là uniquement pour dresser un filet de protection - de plus en plus fragile au demeurant ! - il est également là pour ouvrir des chemins de promotion et de conquête personnels. Activer le progrès social, plutôt que de voir la " providence sociale " désactiver les volontés : voilà l'enjeu culturel et politique qui est devant nous.
Cette construction sociale, j'entends la voir également se déployer en 2003 autour de la question de l'intégration. Plus que jamais, nous vivons dans un monde ouvert et pourtant incertain et fractionné. Dans cet univers complexe, notre pays doit affirmer ses valeurs républicaines et nationales. Contre les tentations du communautarisme et de l'individualisme, contre le scénario du choc des civilisations, nous devons redonner sens à notre communauté de destin qui est le gage d'une ouverture vers le monde. Dans cet esprit, notre politique d'intégration doit être relancée. Un conseil interministériel sur l'intégration se tiendra à la fin de l'hiver. Il formalisera la lancée du contrat d'intégration, la réorganisation des structures d'accueil et de suivi des étrangers, la création d'une instance de lutte contre les discriminations, le réaménagement du parcours vers l'acquisition de la nationalité française qui doit être plus rapide, plus solennel aussi.
Telles sont, Mesdames et Messieurs, quelques-unes des actions prioritaires qui domineront l'année 2003.
Le temps est aux vux.
Je forme celui que notre pays puisse renouer avec une croissance plus forte et plus durable. Avec l'assouplissement des 35 heures, la suspension de la loi de modernisation sociale, le contrat jeune en entreprises, la restauration du SMIC, la baisse des impôts, avec l'accent remis sur la valeur du travail, je crois pouvoir dire que les instruments de l'offre et de la demande sont conjointement activés. La voilure du navire France est donc déployée. Reste à lever les vents d'une croissance européenne, voire euro-atlantique, que le couple franco-allemand désormais affermi peut être en mesure de susciter, en transcendant les scénarii trop orthodoxes du pacte de stabilité.
Je souhaite aussi que cette année 2003 - dont le ciel international est lourd d'orages- soit l'occasion de revitaliser les valeurs fraternelles qui unissent les Français entre eux. Alors même que le continent européen vient de décider, de façon historique, de se réconcilier avec sa géographie et sa culture, il est parallèlement nécessaire d'affermir les bases de notre communauté nationale. La France et la grande Europe ont désormais partie liée. Ce mariage doit être l'occasion de rehausser la place et le rôle de ce qu'il conviendrait d'appeler la " civilisation européenne ". Nous devons avec audace et générosité être les acteurs d'un environnement international qui, plus que jamais, cherche ses repères politiques, diplomatiques mais aussi éthiques. Proche-Orient, Corée du Nord, marée noire, clonage : à l'évidence, notre monde a besoin d'équilibre, de justice et d'un peu plus de sagesse.
D'une certaine façon, je souhaite - sans doute avec vous-même - que votre profession soit moins sollicitée par les travers de notre monde que par ses lumières.
Avec Nicole Ameline, Dominique Versini, Jean Louis Borloo, Hubert Falco, nous vous souhaitons à toutes et à tous une bonne année 2003.

(Source http://www.travail.gouv.fr, le 17 janvier 2003)