Interview de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "LCI" le 23 janvier 2003, sur les relations de la France avec l'Allemagne, les retraites et le déficit budgétaire.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. On va parler de la collaboration franco-allemande dans un instant mais est-ce que vous avez entendu D. Rumsfeld qui parlait de "la vieille Europe" en évoquant nos deux pays ?
- "Bonjour. Oui, j'ai effectivement entendu ce matin cette mention de "la vieille Europe", qui m'a profondément vexé et j'avais bien l'intention d'ailleurs de nous rappeler à tous que cette vieille Europe, elle a des ressorts et elle est capable de rebondir."
Donc vous allez le montrer ?
- "Et on le montrera dans le temps."
Concernant la France et l'Allemagne, hier, ça a été un grand festival d'amour entre les deux pays. On a exalté l'amitié franco-allemande et pendant que les chefs d'Etat et de gouvernement étaient à Versailles, vous avez travaillé avec votre collègue. Quel genre de décisions avez-vous pris ?
- "On ne prend pas des décisions dans ce genre de réunion mais on constate ensemble que nous avons des problèmes communs, que nous avons des solutions probablement communes"
Ca on le savait...
- "Et que ces décisions, en fait, elles doivent toutes s'inscrire de plus en plus dans le contexte de l'Europe. Je crois que la relance franco-allemande consiste à avoir découvert que nos deux pays sont capables, s'ils s'entendent et ils ont envie de s'entendre sur la plupart des problèmes, de créer les conditions pour notre Europe avance."
Elle doit avancer dans le domaine des retraites - c'est ce que vous avez dit -, dans le domaine de la santé, de l'emploi, ce qui sera difficile parce qu'il va y avoir une grande disparité au niveau des salaires entre les différents pays européens et on le voit déjà pour l'Allemagne qui perd de sa compétitivité dans ce domaine.
- "Non, la disparité entre les salaires reflète simplement la productivité des différents pays et dans une Europe qui est en train de se faire - il n'y a jamais que 50 ans qu'elle commence à se faire, nous avons donc encore beaucoup de temps devant nous -, il est normal qu'il y ait des parties de l'Europe dans lesquelles le niveau de vie soit encore un peu plus faible qu'ailleurs car la productivité du système y est moins bonne."
Concernant la présence de ministres dans les conseils des ministres, vous vous voyez débarquant à Berlin, allant dans un conseil des ministres allemands ?
- "La réunion d'hier à l'Elysée s'est très bien passée, de manière très amicale avec des ministres qui en tandem ou en couple, comme l'a dit le président de la République, ont expliqué ce qu'ils avaient l'intention de faire ensemble. Dans l'après-midi, nous avons continué avec H. Heichel d'une manière tout à fait décontractée, tout à fait efficace d'ailleurs"
Justement, on aimerait savoir un peu concrètement...
- "On s'est mis d'accord sur un programme de travail, sur la manière dont on allait travailler. Par exemple, en découvrant ou en redécouvrant que pour se comprendre, il faut se connaître de l'intérieur. Donc, nous avons décidé de multiplier par deux ou par trois le nombre de fonctionnaires qui allaient passer deux ans à Berlin et réciproquement, deux ans à Paris. Vous voyez, c'est ce type de coopération, de compréhension qui permet de découvrir que tout en étant en compétition à travers un même marché, nous avons tellement d'intérêts communs qu'ensemble nous serons plus forts."
Il y a quand même une question que tout le monde se pose : en début de semaine vous étiez à Bruxelles, où on a parlé de budget, de déficit et Bruxelles a lancé un avertissement à la France à cause de ses déficits. Il paraît que nous sommes déjà à 3 %, c'est vrai ?
- "Non, nous sommes autour de 3 %, nous avons fait ce que nous devions faire en 2002 pour être inférieur à 3 %. Il est clair que la conjoncture n'est pas brillante en début d'année, mais nous ferons, y compris à travers des réserves de précaution et des réserves d'innovation ce qu'il faut pour rester à 3 %."
Vous avez dit, avec le Président de la République qu'il ne faut pas entraver la croissance, tant pis pour les déficits - c'est un peu ça...
- ..."Non !"
...On fera ce qu'on peut...
- "Non, j'ai dit que je ne méconnaissais absolument pas la nécessité de faire réduire progressivement les déficits, mais de manière compatible avec le maintien d'une croissance aussi bonne que possible. Je crois que c'est raisonnable. Et quand vous comparez cela avec la situation de nos amis allemands, n'oubliez pas une chose : ils partent d'un niveau de déficit beaucoup plus élevé que nous. Donc, sans difficulté ils considèrent qu'il serait dangereux pour leur pays et pour leur économie de ne pas rapidement revenir à un niveau moins important de déficit. Nous-mêmes, nous sommes dans une situation moins mauvaise que les Allemands et par conséquent, tout en reconnaissant la nécessité d'avancer, nous avançons plus lentement."
Et tout cela est fait en parfaite harmonie ?
- "Tout ça s'est fait en parfaite harmonie, exactement."
Vous évoquiez à l'instant des gels de précaution. Vous l'aviez déjà annoncé il y a quelques jours, vous avez parlé de quatre milliards, c'est ça ? Et les gels d'innovation, c'est quoi ?
- "Les gels d'innovation, c'est pour faire face à un certain nombre de mesures qui n'ont pas été prévues dans notre budget. Je prends par exemple l'Europe spatiale, la situation imprévue parce qu'imprévisible créée par l'échec d'Ariane, les problèmes que nous avons à traiter en ce qui concerne le CNES. Il est normal qu'un gouvernement puisse se donner la capacité de réagir vite, positivement cette fois-ci, face à des situations aussi imprévues."
Et ce gel d'innovation consistera en quoi ?
- "Cela consiste à nous donner à l'intérieur d'une certaine somme"
C'est-à-dire, vous puisez où ?
- "La capacité de dépenser un peu plus. On puise dans d'autres dépenses, il n'y a pas de miracle."
Est-ce que vous avez des précisions sur les gels que vous allez effectuer ? Vous dites "d'autres dépenses"... On sait ce qui ne sera pas gelé : le budget de la Défense, le budget de l'Intérieur
- "Non, même la Défense sera capable en son propre sein de vérifier qu'elle ne dépasse pas l'enveloppe qu'on lui a attribuée. Donc, c'est une auto-assurance vous voyez."
Ca c'est autre chose.
- "Oui, mais c'est une auto-assurance qu'elle ne dépasse pas. Et en ce qui concerne les autres ministères ils vont être chargés non seulement de réviser leurs dépenses à la baisse pour leur propre ministère, mais aussi de contribuer à la constitution d'une réserve pour l'ensemble des ministères."
Et on en saura plus quand ?
- "Relativement prochainement. C'est une question de gestion du Gouvernement"
Que lorsque le montant des déficits sera connu ?
- "Non, ce n'est pas du tout ça. J.-P. Raffarin annoncera progressivement et rapidement le contexte dans lequel ceci se fera et c'est l'ami A. Lambert, ministre du Budget qui orchestrera la mise en uvre de ces décisions. Cela fait partie de la gestion courante."
Concernant les retraites, le Premier ministre va donner les grandes lignes d'ici une dizaine de jours. On a le sentiment qu'il y a deux stratégies qui sont sur la table, si je puis dire : la vôtre qui est un peu plus carrée, et celle de F. Fillon qui est pour la méthode douce, il faut avancer lentement. Est-ce que je me trompe ?
- "Le seul objectif, c'est d'atteindre le résultat et le résultat consiste, après avoir expliqué à beaucoup de gens et discuté avec beaucoup d'institutions, d'expliquer aux Français que le régime de retraite auquel ils tiennent particulièrement - y compris les retraites par répartition, bien sûr -, nous prenons les mesures nécessaires pour que sa stabilité, sa fiabilité à long terme soit assurée. Nos compatriotes ont besoin d'être rassurés, nous allons les rassurer de manière responsable."
Mais vous les rassurez en leur disant, " laissez-nous faire ".
- "Non, on les rassure en leur disant voilà le problème, voilà pourquoi ce problème se pose aujourd'hui, voilà comment nous allons le résoudre et après tout vous nous avez mis au Gouvernement pour gouverner, nous gouvernons."
Vous allez à Davos, à quoi ça sert Davos aujourd'hui ?
- "C'est la première fois que je vais à Davos, en tant que chef d'entreprise je n'y suis jamais allé ; en tant que ministre des Finances, dans le contexte actuel, j'ai considéré qu'il valait mieux que j'y aille pour expliquer comment nous pouvons dans ce contexte de globalisation participer à la nécessaire restauration d'un climat de confiance. Car n'oublions pas une chose : l'économie est à base de confiance. Aujourd'hui elle est assez significativement déstabilisée et il est donc de notre intérêt et aussi d'ailleurs de notre devoir et de notre responsabilité, de montrer que nous savons prendre les mesures pour restaurer cette confiance."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 janvier 2003)