Interview de M. Noël Mamère, député des Verts, à RFI le 18 février 2003, sur l'adoption par les quinze membres de l'Union européenne d'une position commune sur l'Irak, les enjeux du sommet France - Afrique et l'avant-projet de loi sur l'immigration.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

P. Ganz.- Soulagement, donc, hier soir, à Bruxelles, où un texte sur une position commune, des quinze membres de l'Union européenne, a été adopté à propos de l'Irak. Un accord qui vient après des semaines de cacophonie, de documents à deux, à trois, à huit, à dix même parfois, qui a été, davantage, des désaccords de fond. Est-ce que vous parlerez, ce matin de " réconciliation des Quinze " ?
- "Non, je ne dirais pas qu'il s'agit d'une réconciliation, ni même d'un soulagement, je dirais qu'il s'agit d'un répit dans cette sorte de course contre la montre qui est engagée, pour savoir si la guerre aura bien lieu. Je pense que nous avons affaire à une administration américaine qui reste extrêmement déterminée, pour des raisons idéologiques et pour des intérêts économiques très puissants et que cette désunion politique de l'Union européenne, malgré le rafistolage d'hier soir, ne suffira sans doute pas à changer la donne. Je ne peux que le déplorer. Les chefs de gouvernements et les chefs d'Etats européens, hier à Bruxelles, étaient obligés d'envoyer un signe à leur population. Nous avons assisté, ce week-end, à un rassemblement, à une sorte de clameur européenne et planétaire, que nous n'avions pas vue depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, concernant la protestation contre la guerre"
Mais est-ce que, justement, cela n'a pas amené à un infléchissement ?
- "...Il fallait bien donc répondre au peuple."
Mais est-ce que cela n'a pas amené à un infléchissement des positions britanniques, espagnoles ?
- "Oui, mais quand vous regardez dans le détail - ce que vous savez faire - compte tenu de ce communiqué des chefs d'Etats et de gouvernements, vous voyez que c'est un peu comme à la Samaritaine : on y trouve tout. On y trouve ceux qui sont pour la perpétuation, la continuation du travail des inspecteurs, ceux qui sont pour une intervention rapide et pour l'utilisation de la force en dernier recours. Bref, c'est un peu une auberge espagnole, tout le monde peut y trouver son compte. Ça ne suffit pas"
Vous diriez que pour J. Chirac, c'est un accord de dupes ?
- "Ça ne suffit pas à faire une position européenne."
Est-ce que les Français qui étaient sur une position - et qui sont sur une position - de poursuite des inspections ont été dupés par cet accord, hier, des quatorze autres membres ?
- "Je ne sais pas s'ils ont été dupés, la preuve est qu'aujourd'hui, la France a une position forte avec l'Allemagne et la Belgique concernant ce refus de la guerre, a une position forte au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. Je ne pense pas qu'elle suffise à convaincre des partenaires comme l'Italie, l'Espagne, la Grande Bretagne ou le Danemark. Même si aujourd'hui messieurs Aznar et Berlusconi, ainsi que M. Blair, sont en délicatesse avec leur peuple, qui se sont massivement rassemblés pour dire non à la guerre. Et ce ne sont pas des pacifistes, contrairement à ce que l'on dit, qui se sont rassemblés à Paris et ailleurs. Ce sont des gens qui sont pour une autre mondialisation mais qui ne sont pas des pacifistes."
Pour rester un instant sur ce texte, quand on y lit que la guerre n'est pas inévitable, que les inspections ne peuvent durer indéfiniment, vous l'interprétez comme un pas vers les Etats-Unis de la part des Quinze ensemble ?
- "Les inspections qui ne peuvent pas durer indéfiniment, c'est une expression littéralement employée par le général C. Powell."
Mais en même temps c'est vrai, elles ne peuvent pas durer indéfiniment.
- "Le problème n'est pas de savoir si les inspections peuvent durer indéfiniment ou pas, le problème c'est de savoir si monsieur S. Hussein, qui est par ailleurs un tyran pour son peuple, est dangereux pour l'ensemble de la planète et si son régime mérite que l'on fasse une guerre qui menace le monde de désordre et qui menace de mettre le feu à l'ensemble du Proche-Orient. A ce moment-là, si l'on regarde tous les tyrans qui sont sur cette planète, qu'est-ce qu'il faut faire avec Poutine et la Tchétchénie ? Qu'est-ce qu'il faut faire avec la Corée du Nord ? Qu'est-ce qu'il faut faire avec el-Assad en Syrie ? Qu'est-ce qu'il faut faire avec le Pakistan qui détient des armes de destructions massives beaucoup plus importantes ? Et qu'est-ce qu'il faut faire avec les Etats-Unis qui détiennent aussi des armes de destruction massive ?"
Vous ne pouvez pas mettre les Etats-Unis et l'Irak dans la même approche.
- "Les Etats-Unis n'ont pas signé un certain nombre de protocoles et un certain nombre de conventions. Je pense notamment à la convention sur les armes bactériologiques et sur un certain nombre de choses. Quand on veut, quand on se prétend, comme le disait madame Albright, "la nation indispensable", et que l'on croit que l'on a pour mission d'imposer les valeurs universelles au monde, y compris à ceux qui n'en veulent pas, alors on balaie devant sa porte et on se montre exemplaire. Je ne compare pas, évidemment, G. W. Bush à S. Hussein, je dis simplement que les Etats-Unis comme la France, comme la plupart des pays développés, ont une responsabilité dans ce qu'est S. Hussein aujourd'hui parce que c'est un monstre que nous avons nous-mêmes enfanté. M. Chirac en blouse blanche, lorsqu'il l'a reçu à Cadarache en 1986, et M. Rumsfeld quand il lui a vendu les armes chimiques qui ont liquidé 180 000 Kurdes."
Un mot encore sur cette réunion d'hier, à Bruxelles, à l'issue de laquelle J. Chirac a critiqué assez nettement des candidats à l'Union européenne, qui ont pris une position très différente de la position française. Est-ce que cette critique n'est pas justifiée ?
- "Pour Chirac, je pense qu'il est en train de jouer son destin. Si le président de la République veut laisser à l'Histoire autre chose que les emplois fictifs et les élections truquées, il faudra qu'il aille plus loin que cette position gaullienne que nous ne pouvons que soutenir, parce que la position de la France est juste. Si, cette position doit aller jusqu'au bout, il faut que la France, s'il y a une deuxième résolution, impose son veto au Conseil de sécurité des Nations unies."
La France dit qu'il n'y a pas besoin de deuxième résolution.
- "Pour l'instant, elle dit qu'il n'y en a pas besoin mais les Américains font le forcing, pour qu'il y en ait une deuxième ou peut-être partiront-ils, s'ils voient que les gouvernements européens ne sont pas suffisamment unis, sans une deuxième résolution. Mais le président de la République, aujourd'hui, a un rôle très important au sein de l'Europe. Il est devenu l'un des leaders, bien au-delà de la petite puissance que nous sommes aujourd'hui - nous ne sommes qu'une petite puissance moyenne -, il a réussi à relancer avec Schröder le moteur franco-allemand. S'il cantonne l'Europe au moteur franco allemand, c'est-à-dire à ce tandem, ce sera je pense, une catastrophe. Si en revanche, il profite aujourd'hui de son leadership pour être un de ceux qui aura contribué à construire l'Europe, je pense qu'il aura fait oeuvre utile. Je crois que la phrase qu'il a utilisée hier, disant que les pays de l'Europe orientale auraient pu s'éviter de dire qu'ils étaient plus proches des Etats-Unis que de l'Union européenne est une maladresse."
Vous parlez du leadership qu'exerce J. Chirac ; il va s'exprimer dans les deux jours qui viennent, trois jours qui viennent, au sommet France-Afrique, vous en attendez quoi ?
- "Je n'en attends pas grand-chose, parce que le sommet France-Afrique c'est un rendez vous habituel entre la France et l'Afrique. Mais le problème, c'est que les relations devraient être entre l'Europe et l'Afrique. Ces sommets franco-africains, où nous recevons d'ailleurs un certain nombre de gens qui prennent quelques libertés avec les droits de la personne, ne font que perpétuer le système de la France-Afrique. Plutôt que d'imposer à ces pays, à certains d'entre eux, les plans structurels du FMI et de la Banque Mondiale qui détruisent les services publics et qui mettent ces pays par terre, nous serions beaucoup plus avisés, à travers ces sommets, à travers des relations entre l'Europe et l'Afrique, et pas simplement la France et l'Afrique, de mettre en place des plans politiques structurels qui permettent précisément le retour ou l'établissement de la démocratie."
En un mot, sur un dossier comme la Côte d'Ivoire, est-ce que le rôle de la France n'a pas été positif pour éviter la guerre ?
- "Si la France n'était pas intervenue, je pense que nous serions confrontés aujourd'hui à une situation à peu près identique à celle du Rwanda. Donc, peut-être que la France a commis quelques erreurs après le sommet de Marcoussis, mais au sommet de Marcoussis on a examiné les vrais problèmes qui se posaient aujourd'hui à la Côte d'Ivoire, c'est-à-dire les problèmes de l'ivoirité et les problèmes fonciers qui sont extrêmement importants. Je pense que la France a eu raison de se mêler de ce qui la regarde."
- Sur la vie politique française, il y a un avant-projet de loi consacré à l'immigration qui commence à être connu. Il prévoit notamment d'allonger le délai de rétention des sans-papiers de 12 à 30, voire 60 jours dans certains cas. Qu'est-ce que vous en pensez ?"
- "J'en pense du mal, évidemment. C'est bien la preuve que l'on fonctionne avec un gouvernement de la duplicité. Dans la main gauche, on vous fait croire que l'on va supprimer la double peine et régulariser les sans-papiers et puis, de l'autre, on mène une politique d'immigration à deux vitesses, c'est-à-dire que l'on choisira : "vous, vous venez de l'Inde ; vous, vous venez de tel endroit, vous avez une formation, vous êtes utile". On va faire de l'immigration économique. Quant aux pègreleux (sic), à tous ces damnés de la terre, à tous ces gens qui fuient le sous-développement, qui fuient la tyrannie, qui fuient, par exemple, l'Irak, ceux là, qu'est-ce qu'on en fait ? Ceux-là, on n'en veut pas, donc vous resterez 60 jours en prison ou 60 jours en rétention."
Mais est-ce que vous ne pensez pas que les 60 jours, enfin 30 voire 60 jours, c'est un petit peu un chiffon que l'on agite devant vous pour faire passer d'autres mesures ?
- "Si M. Sarkozy s'imagine qu'en menant une politique de répression et une politique de l'ordre moral, il va supprimer les électeurs du Front national, il se trompe parce que Le Pen a raison au moins sur un point : ces électeurs là, ils préfèrent toujours l'original à la copie."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernent, le 18 février 2003)