Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Représentants
Mesdames et Messieurs,
La France s'associe à l'intervention de la Présidence danoise prononcée hier au nom de l'Union européenne. Elle en approuve pleinement les termes.
"Il ne peut y avoir de paix sans justice ni de justice sans loi, ni de loi digne de ce nom sans un tribunal chargé de décider ce qui est juste et légal dans des circonstances données". C'est en ces termes que M. Benjamin Ferencz, ancien procureur au tribunal de Nuremberg, exprimait sa foi en la justice.
Cette profession de foi s'inscrit dans la lignée de grands humanistes, tels que René Cassin, qui un des premiers imagina une institution pénale internationale permanente. Il aura fallu un demi-siècle pour faire de la Cour pénale internationale une réalité.
Malgré la sinistre banalité des crimes qui ont rongé le XXème siècle, les principaux auteurs furent longtemps et sont encore largement épargnés. Si les hécatombes ont mobilisé les consciences, elles n'ont pas suffisamment mobilisé les Etats. Les interventions de la communauté internationale, trop souvent tardives, ne permettent pas de soustraire à temps les victimes à leurs bourreaux. Plus que jamais les populations civiles deviennent les enjeux de conflits, et moins qu'auparavant elles sont protégées.
Face à cette barbarie, la communauté internationale vient de se doter d'un instrument permanent permettant de punir les bourreaux, de prévenir l'oubli et - espérons le - de dissuader les criminels potentiels d'accomplir de tels crimes...
Nous ne mesurons pas encore les bouleversements que représente pour l'ordre international la création de la Cour pénale internationale.
Nous avons créé une institution permanente dont les acteurs principaux seront un procureur et 18 juges, représentatifs de tous les systèmes juridiques et tous de nationalité différente, indépendants des Etats qui les auront élus.
A Rome en 1998, une large majorité de la communauté internationale a accepté le principe de la compétence obligatoire de la Cour pour les crimes contre l'humanité, le génocide et les crimes de guerre commis par un ressortissant d'un Etat partie ou sur le territoire d'un Etat partie. Ce domaine de compétence est très large.
La Cour pénale internationale sera, si nous le voulons, un instrument déterminant de la lutte contre l'impunité des auteurs de violations graves des Droits de l'Homme dans le monde, violations qui heurtent la conscience même de l'humanité et qui, par leur ampleur et leur atrocité, concernent non seulement les régions déchirées par les conflits mais menacent également les démocraties, en niant les fondements de l'Etat de droit.
L'impunité est un facteur d'instabilité des relations internationales, et d'enchaînement des cycles de violence. Il n'y a pas de règlement de paix ou de processus de réconciliation durables qui puissent être basés sur l'oubli, voire sur la distorsion de faits historiques. Il ne peut y avoir de processus de règlement viable sans que le droit des victimes à la mémoire, le droit de savoir, le droit à la justice soient reconnus. Il fallait donner une place autonome aux victimes dans la procédure, afin que la justice internationale ne soit pas désincarnée. La Cour pénale le fera et cela aussi est sans précédent en droit international.
Mesdames et Messieurs,
Le chemin a été long pour faire de la Cour pénale internationale une réalité. Mais notre tâche ne s'est pas arrêtée le 1er juillet 2002, avec l'entrée en vigueur du Statut de Rome. Nous avons encore un objectif essentiel à atteindre : faire de la Cour une institution universelle.
Depuis l'adoption du Statut de Rome, l'expérience a montré qu'il n'était pas de problème qui ne puisse trouver de solution lorsque la volonté politique existe. La commission préparatoire est parvenue à surmonter des oppositions apparemment irréductibles : concilier des systèmes de droit très différents, trouver un équilibre entre le devoir de justice et le respect de la souveraineté des Etats, préserver l'indépendance de la Cour en tenant compte des nécessités des relations internationales. Récemment, le Conseil de sécurité a, lui aussi, été confronté à des exigences contradictoires et a su y répondre de manière unanime.
Ceci doit nous rendre optimiste et nous convaincre que l'objectif de l'universalité de la Cour peut être atteint. Comment convaincre les sceptiques, les hésitants, les opposants même ?
Je suis convaincu que la Cour dont nous choisirons dans quelques mois les juges et le procureur, nous y aidera en montrant que les mécanismes d'équilibre prévus par le Statut fonctionnent et que les craintes exprimées par certains Etats de voir cette institution transformée en instrument politique et polémique sont infondés.
La Cour pénale internationale ne sera pas un forum devant lequel pourront être portés les différents politiques. Le Statut de Rome est un texte équilibré qui contient des garanties contre une utilisation politique de la Cour, en particulier le principe de complémentarité qui limite la compétence de la Cour aux cas de défaillance avérée de l'ordre interne. La Cour ne se substituera pas aux Etats et elle n'est pas une instance d'appel des décisions de leurs juridictions : elle n'a vocation à intervenir que si les autorités nationales ne peuvent ou ne veulent pas traduire les responsables de crimes en justice.
Comme elle l'a fait à Rome en 1998 et depuis, la France entend jouer un rôle constructif dans ce processus de promotion du Statut. A Rome, elle a recherché les consensus permettant de concilier les réalités de la vie internationale et les exigences de la justice, uvrant - parfois sans que son rôle soit justement compris et apprécié - pour une Cour viable et efficace.
Désormais elle recherchera les moyens d'encourager l'universalité de la Cour, notamment en continuant à dialoguer avec les Etats non parties, pour lever leurs doutes ou trouver des solutions aux problèmes juridiques qu'ils peuvent rencontrer dans leur processus de ratification, dans le respect - cela va sans dire - de leurs obligations résultant du Statut de la Cour.
Pour que la Cour puisse exercer pleinement sa compétence, les Etats ne doivent pas intervenir indûment dans son fonctionnement. Nous, les Etats parties, avons le devoir de préserver l'intégrité du Statut de manière à ce que la Cour pénale internationale puisse fonctionner conformément à la volonté des rédacteurs du Statut et des 120 Etats qui ont signé l'acte final.
Nous devons aussi être responsables de nos choix. La Cour, pour être universelle, doit être représentative dans sa composition et dans son fonctionnement de tous les systèmes juridiques, de toutes les nations et assurer une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes, le Statut nous le rappelle. Nous devrons garder ceci à l'esprit lorsque nous choisirons les juges qui y siégeront.
La France, pour sa part, proposera un candidat au poste de juge qui répondra aux hautes qualifications requises par le Statut.
Nous devons enfin être conscients de nos obligations et en premier lieu de notre obligation de coopérer avec la Cour. Sans coopération des Etats, la Cour ne sera qu'une juridiction de papier. Plus encore que les tribunaux pénaux internationaux, la Cour serait démunie devant le manque de coopération des Etats. Notre adhésion à son Statut ne doit pas simplement être un geste symbolique mais l'expression d'une détermination sans concession à lutter contre les crimes les plus odieux.
A terme, si chaque Etat avait la capacité de juger les crimes visés par le préambule et l'article premier du Statut, la Cour pénale internationale n'aurait pas de raison d'être. C'est le but ultime vers lequel nous devons tendre.
Je voudrais rappeler solennellement dans cette enceinte que la création de la Cour pénale internationale ne doit jamais apparaître comme l'instrument chargé désormais de prévenir et de réprimer les crimes les plus graves en lieu et place des Etats. Notre responsabilité reste engagée. Il nous appartient au premier chef de prévenir et de gérer les crises internationales qui s'accompagnent de crimes qui heurtent la conscience même de l'humanité. Oui, il faut ratifier le Statut de Rome, afin que la Cour pénale internationale devienne universelle, mais il ne faut pas qu'elle serve d'alibi aux défaillances de la communauté internationale. Plus que jamais nos responsabilités politiques demeurent inchangées, l'existence de la Cour ne fait que les mettre en lumière avec plus d'acuité encore.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 septembre 2002)
Mesdames et Messieurs les Représentants
Mesdames et Messieurs,
La France s'associe à l'intervention de la Présidence danoise prononcée hier au nom de l'Union européenne. Elle en approuve pleinement les termes.
"Il ne peut y avoir de paix sans justice ni de justice sans loi, ni de loi digne de ce nom sans un tribunal chargé de décider ce qui est juste et légal dans des circonstances données". C'est en ces termes que M. Benjamin Ferencz, ancien procureur au tribunal de Nuremberg, exprimait sa foi en la justice.
Cette profession de foi s'inscrit dans la lignée de grands humanistes, tels que René Cassin, qui un des premiers imagina une institution pénale internationale permanente. Il aura fallu un demi-siècle pour faire de la Cour pénale internationale une réalité.
Malgré la sinistre banalité des crimes qui ont rongé le XXème siècle, les principaux auteurs furent longtemps et sont encore largement épargnés. Si les hécatombes ont mobilisé les consciences, elles n'ont pas suffisamment mobilisé les Etats. Les interventions de la communauté internationale, trop souvent tardives, ne permettent pas de soustraire à temps les victimes à leurs bourreaux. Plus que jamais les populations civiles deviennent les enjeux de conflits, et moins qu'auparavant elles sont protégées.
Face à cette barbarie, la communauté internationale vient de se doter d'un instrument permanent permettant de punir les bourreaux, de prévenir l'oubli et - espérons le - de dissuader les criminels potentiels d'accomplir de tels crimes...
Nous ne mesurons pas encore les bouleversements que représente pour l'ordre international la création de la Cour pénale internationale.
Nous avons créé une institution permanente dont les acteurs principaux seront un procureur et 18 juges, représentatifs de tous les systèmes juridiques et tous de nationalité différente, indépendants des Etats qui les auront élus.
A Rome en 1998, une large majorité de la communauté internationale a accepté le principe de la compétence obligatoire de la Cour pour les crimes contre l'humanité, le génocide et les crimes de guerre commis par un ressortissant d'un Etat partie ou sur le territoire d'un Etat partie. Ce domaine de compétence est très large.
La Cour pénale internationale sera, si nous le voulons, un instrument déterminant de la lutte contre l'impunité des auteurs de violations graves des Droits de l'Homme dans le monde, violations qui heurtent la conscience même de l'humanité et qui, par leur ampleur et leur atrocité, concernent non seulement les régions déchirées par les conflits mais menacent également les démocraties, en niant les fondements de l'Etat de droit.
L'impunité est un facteur d'instabilité des relations internationales, et d'enchaînement des cycles de violence. Il n'y a pas de règlement de paix ou de processus de réconciliation durables qui puissent être basés sur l'oubli, voire sur la distorsion de faits historiques. Il ne peut y avoir de processus de règlement viable sans que le droit des victimes à la mémoire, le droit de savoir, le droit à la justice soient reconnus. Il fallait donner une place autonome aux victimes dans la procédure, afin que la justice internationale ne soit pas désincarnée. La Cour pénale le fera et cela aussi est sans précédent en droit international.
Mesdames et Messieurs,
Le chemin a été long pour faire de la Cour pénale internationale une réalité. Mais notre tâche ne s'est pas arrêtée le 1er juillet 2002, avec l'entrée en vigueur du Statut de Rome. Nous avons encore un objectif essentiel à atteindre : faire de la Cour une institution universelle.
Depuis l'adoption du Statut de Rome, l'expérience a montré qu'il n'était pas de problème qui ne puisse trouver de solution lorsque la volonté politique existe. La commission préparatoire est parvenue à surmonter des oppositions apparemment irréductibles : concilier des systèmes de droit très différents, trouver un équilibre entre le devoir de justice et le respect de la souveraineté des Etats, préserver l'indépendance de la Cour en tenant compte des nécessités des relations internationales. Récemment, le Conseil de sécurité a, lui aussi, été confronté à des exigences contradictoires et a su y répondre de manière unanime.
Ceci doit nous rendre optimiste et nous convaincre que l'objectif de l'universalité de la Cour peut être atteint. Comment convaincre les sceptiques, les hésitants, les opposants même ?
Je suis convaincu que la Cour dont nous choisirons dans quelques mois les juges et le procureur, nous y aidera en montrant que les mécanismes d'équilibre prévus par le Statut fonctionnent et que les craintes exprimées par certains Etats de voir cette institution transformée en instrument politique et polémique sont infondés.
La Cour pénale internationale ne sera pas un forum devant lequel pourront être portés les différents politiques. Le Statut de Rome est un texte équilibré qui contient des garanties contre une utilisation politique de la Cour, en particulier le principe de complémentarité qui limite la compétence de la Cour aux cas de défaillance avérée de l'ordre interne. La Cour ne se substituera pas aux Etats et elle n'est pas une instance d'appel des décisions de leurs juridictions : elle n'a vocation à intervenir que si les autorités nationales ne peuvent ou ne veulent pas traduire les responsables de crimes en justice.
Comme elle l'a fait à Rome en 1998 et depuis, la France entend jouer un rôle constructif dans ce processus de promotion du Statut. A Rome, elle a recherché les consensus permettant de concilier les réalités de la vie internationale et les exigences de la justice, uvrant - parfois sans que son rôle soit justement compris et apprécié - pour une Cour viable et efficace.
Désormais elle recherchera les moyens d'encourager l'universalité de la Cour, notamment en continuant à dialoguer avec les Etats non parties, pour lever leurs doutes ou trouver des solutions aux problèmes juridiques qu'ils peuvent rencontrer dans leur processus de ratification, dans le respect - cela va sans dire - de leurs obligations résultant du Statut de la Cour.
Pour que la Cour puisse exercer pleinement sa compétence, les Etats ne doivent pas intervenir indûment dans son fonctionnement. Nous, les Etats parties, avons le devoir de préserver l'intégrité du Statut de manière à ce que la Cour pénale internationale puisse fonctionner conformément à la volonté des rédacteurs du Statut et des 120 Etats qui ont signé l'acte final.
Nous devons aussi être responsables de nos choix. La Cour, pour être universelle, doit être représentative dans sa composition et dans son fonctionnement de tous les systèmes juridiques, de toutes les nations et assurer une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes, le Statut nous le rappelle. Nous devrons garder ceci à l'esprit lorsque nous choisirons les juges qui y siégeront.
La France, pour sa part, proposera un candidat au poste de juge qui répondra aux hautes qualifications requises par le Statut.
Nous devons enfin être conscients de nos obligations et en premier lieu de notre obligation de coopérer avec la Cour. Sans coopération des Etats, la Cour ne sera qu'une juridiction de papier. Plus encore que les tribunaux pénaux internationaux, la Cour serait démunie devant le manque de coopération des Etats. Notre adhésion à son Statut ne doit pas simplement être un geste symbolique mais l'expression d'une détermination sans concession à lutter contre les crimes les plus odieux.
A terme, si chaque Etat avait la capacité de juger les crimes visés par le préambule et l'article premier du Statut, la Cour pénale internationale n'aurait pas de raison d'être. C'est le but ultime vers lequel nous devons tendre.
Je voudrais rappeler solennellement dans cette enceinte que la création de la Cour pénale internationale ne doit jamais apparaître comme l'instrument chargé désormais de prévenir et de réprimer les crimes les plus graves en lieu et place des Etats. Notre responsabilité reste engagée. Il nous appartient au premier chef de prévenir et de gérer les crises internationales qui s'accompagnent de crimes qui heurtent la conscience même de l'humanité. Oui, il faut ratifier le Statut de Rome, afin que la Cour pénale internationale devienne universelle, mais il ne faut pas qu'elle serve d'alibi aux défaillances de la communauté internationale. Plus que jamais nos responsabilités politiques demeurent inchangées, l'existence de la Cour ne fait que les mettre en lumière avec plus d'acuité encore.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 septembre 2002)