Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur le dialogue politique, économique et culturel entre l'Europe et l'Asie, à Paris le 5 février 1998.

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Circonstance : 1er Forum culturel Europe Asie (Asia Europe Meeting ou ASEM) à Paris le 5 février 1998

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
C'est un grand plaisir pour moi de m'exprimer devant vous à l'occasion de l'ouverture de ce premier Forum culturel Europe-Asie, organisé dans le cadre de l'ASEM, c'est-à-dire, comme vient de le rappeler Jérôme Clément, du dialogue euro-asiatique institué au Sommet de Bangkok en mars 1996.
Je souhaite tout d'abord remercier mon ami Jérôme Clément et le professeur Tommy Koh pour cette invitation à laquelle j'ai répondu bien volontiers. Nous leur sommes tous reconnaissants d'avoir accepté la lourde tâche d'organiser cette conférence qui rassemble, pour la première fois, à Paris, 26 délégations d'Europe et d'Asie pour explorer le vaste champ de la coopération culturelle entre nos deux continents. Il est vrai que vous avez tous deux, Messieurs les Présidents, une vocation particulière, au-delà de vos talents personnels bien connus, à conduire cette rencontre : vous, Jérôme Clément, en qualité de président de Arte, une chaîne de télévision franco-allemande - je devrais dire européenne -, qui est une réalisation unique et exemplaire ; et vous, professeur Tommy Koh, puisque la Fondation Europe-Asie, l'ASEF (que vous dirigez), est véritablement au coeur de cette initiative.
Mes remerciements s'adressent également à tous les délégués, ici rassemblés pour réfléchir à un nouveau cadre de coopération culturelle entre l'Europe et l'Asie et dessiner des projets communs. C'est la première fois que sont réunis dans une même enceinte des représentants aussi éminents des différents horizons du monde culturel de nos deux continents. C'est aussi un gage de succès pour cette rencontre qui constitue une étape importante dans le dialogue Europe-Asie.
Le processus de l'ASEM fêtera dans quelques semaines son deuxième anniversaire. Nous pouvons mesurer aujourd'hui le chemin parcouru depuis le Sommet de Bangkok. La volonté de créer un "nouveau partenariat", à l'origine de l'ASEM, est aujourd'hui devenue une réalité dans tous les domaines du dialogue : politique, économique, ainsi que dans les autres champs de Coopération, notamment culturelle. Permettez-moi d'évoquer rapidement les grands axes de cette Coopération, tels que je les perçois, pour remettre en perspective notre rencontre d'aujourd'hui.
Au sein du premier volet de l'ASEM, celui du dialogue politique, nous avons atteint aujourd'hui, j'en suis convaincu, un degré de confiance entre nous qui nous permet d'aborder les sujets les plus divers, et parfois les plus sensibles, dans les domaines d'intérêt commun que constituent par exemple la sécurité et le désarmement, les questions régionales ou les Droits de l'Homme. Ce dialogue est essentiel car il permet, sans céder au relativisme, un approfondissement de notre compréhension mutuelle, bénéfique tant pour nos relations bilatérales que pour le développement de notre collaboration dans les différentes enceintes internationales. Il a été rendu possible grâce à un accord commun autour de quelques principes simples : le respect mutuel, le caractère informel de notre dialogue, et la volonté indispensable de n'écarter a priori aucun sujet. Ce sont ces mêmes principes qui guideront, j'en suis sûr, vos débats durant ces deux jours.
Le deuxième volet de notre dialogue au sein de l'ASEM, la coopération économique, est également un axe majeur de ce processus. Les progrès dans ce domaine, qu'il s'agisse du dialogue entre hommes d'affaires, de la promotion des investissements, ce, qui est fondamental du développement des infrastructures, de la libéralisation du commerce ou de la coopération douanière, ont été substantiels. Mais nous devrons aller beaucoup plus loin encore pour répondre au défi que constitue pour nous la crise financière qui secoue actuellement certains pays d'Asie et qui, à la vérité, nous concerne tous et dépasse le strict cadre régional.
Beaucoup a été dit sur cette crise financière. Je ne reviendrai pas sur l'analyse faite par les spécialistes sur ses origines et les principales causes de son approfondissement, maintenant bien connues : le rôle des investissements spéculatifs, le surendettement en devises des agents privés et, maintenant, défiance des apporteurs de capitaux qui aggravent les effets initiaux créant une sorte d'effet boule de neige. Une chose est certaine, je le disais : cette crise dépasse aujourd'hui le strict cadre régional, tant il est vrai que la stabilité et la croissance en Asie influent sur la croissance mondiale.
Quelles leçons devons-nous tirer de ces évolutions, quels messages devez-vous retenir aujourd'hui ?
Le premier d'entre eux est, à mon sens, celui de la solidarité.
Cette crise, qui affecte les peuples d'Asie, appelle bien sûr une action ferme des gouvernements concernés. Mais elle appelle également une aide internationale. Nous sommes nous-mêmes, c'est aussi le sens d'une rencontre comme celle d'aujourd'hui, Européens, solidaires de nos partenaires asiatiques.
Je souhaiterais souligner à ce propos le rôle de l'Europe dans les initiatives adoptées pour sortir de cette crise. J'entends dire, ici ou là, que l'Europe serait absente de la résolution de la crise asiatique, bien qu'il s'agisse d'un enjeu déterminant pour elle, qui est le premier créancier public et privé de l'Asie. Je ne partage pas du tout cette analyse : le traitement de la crise asiatique a montré au contraire que les pays européens savaient parler d'une seule voix et entendaient prendre toute leur place dans le système monétaire et financier international. Solidaire, déterminée, l'Europe est aux côtés de l'Asie. Elle l'était hier pour dialoguer et commercer ; elle l'est aujourd'hui pour aider les pays en crise à retrouver le chemin de la croissance.
Vous en connaissez les formes, en premier lieu un ferme soutien à l'action du FMI qui est à l'origine d'une forte mobilisation de la communauté financière internationale, et des concours bilatéraux. Je rappelle aussi que les pays européens membres du G7 ont mobilisé des moyens supplémentaires à hauteur de 5 milliards de dollars, soit autant que les Etats-Unis, en faveur de la Corée. Je dois aussi mentionner, car on l'oublie trop souvent, que les Etats membres de l'Union européenne contribuent à hauteur de 30% au capital du FMI, à comparer, par exemple, aux 18% que détiennent les Etats-Unis. Bien sûr, le FMI est soumis à certaines critiques liées à la définition des plans d'ajustement demandés aux pays bénéficiaires, aux dosages parfois un peu brutaux de la politique économique proposée comme solution. C'est inévitable mais je pose la question : dans cette situation d'urgence, quelle autre institution internationale aurait pu se mobiliser aussi rapidement et aussi efficacement ? Devant les risques de banqueroutes aux conséquences incalculables, de défaillance systémique, quel autre instrument utiliser pour conduire l'action concertée indispensable ? Je le reconnais, le chemin ne sera pas facile. Soyez assurés que la France ne ménagera pas ses efforts pour contribuer à mettre en oeuvre ces orientations.
Cette situation rend encore plus nécessaire le dialogue. Après la solidarité, tel est mon deuxième message.
Echange d'expérience d'abord autour des voies suivies par chacun. Il ne s'agit pas, il ne s'agit plus, d'opposer un modèle à l'autre, mais de tirer le meilleur parti de nos choix respectifs. Vous comprendrez que j'évoque en premier lieu l'Union économique et monétaire, même très rapidement. En effet, cette instabilité monétaire en Asie démontre, si besoin était, la nécessité impérieuse d'un cadre monétaire sûr en Europe. Vous le savez, nous sommes aujourd'hui à la veille de l'avènement de l'euro. Les décisions essentielles seront prises en mai. Cette entreprise historique, c'est à la fois une monnaie unique et des mécanismes de concertation économique au sein de l'Union européenne. Plus généralement, le contexte actuel met bien en lumière la portée profonde de la construction européenne, qui est justement de créer un espace de solidarité, de stabilité et de régulation pour faire face à la mondialisation, tirer profit de ses avantages, en maîtriser les risques. Nous sommes prêts à partager avec nos partenaires asiatiques les fruits de cette expérience. A cet égard, je me réjouis de l'initiative d'une conférence itinérante sur l'Union monétaire européenne, qui sera lancée en juin 1998 par la Fondation Europe-Asie, dans les pays d'Asie.
Si j'ai été un peu long sur ce chapitre de la crise asiatique, c'est que ces événements placent notre rencontre dans un nouveau contexte ; je dirai presque : devant un nouveau défi. En cette période troublée, dominée par les difficultés financières, affectée par les risques du repli, les préoccupations du moment pourraient faire passer au second plan d'autres thèmes relevant du troisième volet de l'ASEM, et en particulier les échanges culturels ? Une telle attitude serait une grave erreur. Bien au contraire, je considère que notre démarche puise dans ces enjeux une pertinence encore plus forte, pour au moins trois raisons :
- première raison, cette crise, j'en suis convaincu, quelle que soit son ampleur et l'importance des ajustements qu'elle provoquera, n'ébranle pas notre confiance fondamentale dans les capacités de l'Asie à poursuivre son développement, grâce à son dynamisme et ses atouts propres, tels que l'esprit d'entreprise et la haute qualité de la main d'oeuvre, qui permettront vite de retrouver de nouveaux équilibres de croissance.
- deuxième raison, il me semble que cette crise rend plus que jamais nécessaire l'expression d'une solidarité interrégionale, notamment dans le domaine culturel qui est sans doute l'un des secteurs, dans la plupart des pays, malheureusement les plus affectés par les restrictions budgétaires publiques. L'ASEM peut être et doit être un cadre d'un développement privilégié de cette solidarité.
- enfin, ces turbulences nous imposent de repenser les termes de notre dialogue culturel, de rechercher les voies d'une connaissance réciproque qui soit plus authentique, c'est-à-dire peut-être moins unilatérale, plus attentive à la diversité de chacun. Or, une vraie coopération ne peut naître sans ce respect et cette connaissance de l'autre, ce "désir d'Asie", d'une Asie multiple, et cette ouverture sur l'Europe, également riche de sa diversité, que vous avez placés, comme il se doit, Messieurs les Présidents, comme une prémisse à l'exploration des champs de coopération possibles durant ce Forum.
Cette coopération doit elle-même s'enraciner dans un réseau. Votre présence en témoigne. Ce ne sera pas le moindre des résultats de ce Forum que de tisser des contacts parfois inattendus, de dessiner des convergences, de féconder des initiatives. Nous mettrons en oeuvre les moyens nécessaires pour que ces échanges puissent se prolonger ; les nouvelles techniques de communication le permettent aisément.
Au coeur de ce réseau se place la Fondation Europe-Asie, dont la vocation est de rapprocher les peuples et les cultures et de favoriser les échanges intellectuels. La vitalité et le volontarisme de son directeur général, le professeur Tommy Koh, sont pour beaucoup dans le bilan déjà impressionnant de l'ASEF, qui n'a pas encore fêté son premier anniversaire. Je tiens à l'en féliciter, ainsi que le directeur adjoint Pierre Barroux qui, je le sais, s'est beaucoup investi dans la préparation de ce Forum, même le dimanche. Cette rencontre s'inscrit ainsi pleinement dans la mission de l'ASEF et j'espère que les nombreux projets qui naîtront de cette rencontre pourront bénéficier du parrainage de la Fondation.
Notre volonté, commune en organisant ce Forum, a été de rassembler des acteurs très divers oeuvrant dans le domaine culturel. Vous représentez des administrations nationales et locales, des instituts culturels publics ou privés, des fondations, des grands festivals, mais aussi les créateurs, les conservateurs du patrimoine et les animateurs de la vie culturelle dans nos différents pays. Nous avons voulu vous rassembler car nous pensons que l'avenir des échanges culturels repose dans cette fécondation réciproque du secteur public, il a son rôle à jouer, et du secteur privé, des entreprises et des créateurs. La responsabilité des gouvernements est grande dans le développement harmonieux de la création culturelle et dans l'essor des échanges culturels internationaux, sachant que la voie est étroite pour soutenir sans contraindre, promouvoir sans imposer, inciter sans dogmatisme.
Je crois également que, en cette période de doute ou de crise, les pouvoirs publics ont une mission particulière à remplir pour maintenir la vitalité des échanges culturels et assurer l'accès de la culture à tous. Nous avons la chance, en Europe, d'avoir conservé des formes diversifiées de soutien à l'action culturelle et ce partenariat public/privé explique pour partie que nous ayons pu maintenir dans plusieurs pays, dont la France, une création originale de qualité dans de multiples domaines. J'y vois une source de pérennité dont les échanges culturels Europe-Asie pourraient aujourd'hui profiter.
Le président Jérôme Clément évoquera dans quelques instants le programme de ces journées. Je ne souhaite pas interférer dans les thèmes des quatre groupes de travail qui me paraissent parfaitement refléter les grands axes de l'activité culturelle, mais simplement mentionner quelques questions qui pourraient faire l'objet d'une réflexion approfondie :
- Comment mieux impliquer l'ensemble des partenaires : personnes publiques, collectivités locales, entreprises, créateurs, au développement des échanges culturels ? Nous devons décloisonner les échanges et faire preuve d'innovation. Vos expériences seront les bienvenues.
- Comment mieux exploiter les nouvelles technologies au profit des échanges culturels de demain ?
- Comment mieux rendre accessible nos cultures aux plus démunis, développer la formation et les échanges culturels entre jeunes ?
Je sais que ces questions sont au coeur des préoccupations de la Fondation Europe-Asie et un souci permanent de nos politiques culturelles. Elles rejoignent d'autres questions qui seront abordées dans le cadre du programme ambitieux de vos groupes de travail : la protection du patrimoine face au défi de l'urbanisation galopante de nos pays, ou encore la survie des industries culturelles nationales face aux défis de la globalisation. Les mêmes problèmes se posent souvent en Asie et en Europe. La solution réside peut être dans l'acceptation de la pluralité culturelle, du plurilinguisme, pour enrichir notre dialogue. C'est dans la diversité de nos opinions, dans la diversité de nos cultures que nous pouvons nourrir nos échanges et nous révéler l'un à l'autre.
Je terminerai mon propos en soulignant que vous faites aujourd'hui oeuvre de pionniers. Non que ce Forum soit la première réunion culturelle entre l'Europe et l'Asie - il y en eu d'autres -, mais vous êtes réunis pour la première fois, à Paris, pour écrire une nouvelle page du dialogue Europe-Asie. Nous n'avons pas souhaité que soit rédigé au terme de ce Forum une déclaration finale qui ambitionnerait d'en fixer les débats, au risque de les figer, mais nous rendrons fidèlement compte aux chefs d'Etat et de gouvernement, qui se réuniront à Londres, en avril prochain, de vos propositions et de vos suggestions.
Je ne doute que vous saurez démontrer que ce dialogue euro-asiatique n'est pas le produit d'une rencontre de circonstance, dictée par le calcul ou l'effet de mode, mais bien le résultat d'un choix raisonné, fondé sur une analyse réfléchie et partagée des grandes évolutions d'un monde de plus en plus global.
Je vous souhaite à nouveau la bienvenue à Paris et un très fructueux Forum Europe-Asie qui constituera, j'en suis sûr, une étape importante du dialogue entre nos deux continents./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2001)