Interview de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, à "LCI" le 20 février 2003, sur la situation du commerce extérieur français, affaiblie par le boycott des produits français aux Etats-Unis, et sur la politique d'aide au développement des échanges économiques avec l'Afrique.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser -. Les chiffres pour 2002 du commerce extérieur français sont bons mais ce n'est pas forcément une bonne nouvelle, parce que cela veut dire que les Français consomment moins, que la crise est là.
- "Cela veut dire que les importations ont baissé de 3 %, les exportations ont baissé de 1 %. Nous sommes avec un solde de 10 milliards d'euros dans une situation où nos entreprises ont continué d'exporter de façon importante, et on constate qu'aux Etats-Unis, après la catastrophe du 11 septembre, il y a eu une baisse, et on constate qu'en Allemagne il y a eu une baisse parce que la situation de l'Allemagne est assez difficile également. Donc, les deux pays, deux pays très importants, le premier plus important, et le quatrième plus important, les Etats-Unis et l'Allemagne, ont connu des baisses et nos exportations ont baissé forcément."
Ce sont les statistiques. Venons-en maintenant à la politique : on assiste à une série d'appels au boycott des produits français aux Etats-Unis, de la part des éditorialistes de la presse écrite, mais aussi de parlementaires républicains, 18 se sont regroupés et ont demandé à leurs compatriotes de ne plus acheter français. Cela vous préoccupe ? Vous avez déjà eu des signes ? On dit que les brasseries françaises sont vides à New York, mais à part ça ?
- "D'abord, il faut dire que ni le gouvernement américains, ni les milieux patronaux américains, ni les responsables patronaux, les responsables de fédérations patronales n'ont fait cet appel au boycott, premièrement. Donc, il n'y a pas d'appel officiel dans ce sens. D'un autre côté, il ne peut pas y avoir d'appel officiel, parce que s'il y en avait un, il serait immédiatement attaqué par l'Union européenne, à l'Organisation mondiale du commerce qui a un tribunal en son sein, et il serait immédiatement condamné. C'est donc quelque chose que les Américains n'auront sûrement pas essayé officiellement."
Oui, mais les consommateurs ?
- "D'un autre côté, il y a des officiels qui ont dit clairement que jamais ils ne feraient ça. Le président de la commission des voies et moyens, de la Chambre des représentants si vous voulez, un des représentants politiques élevés de l'Assemblée nationale américaine, a indiqué qu'en aucun cas c'était possible. Alors, bien sûr, vous ne pouvez pas empêcher les consommateurs de penser que les Français ont raison ou tort. Cela dit, nos entreprises vendent sur des critères de qualité, de prix, de compétence, de délais. Les succès de nos entreprises se font toujours avec une concurrence américaine extrêmement vigoureuse. Il ne faut pas croire que les ventes françaises aux Etats-Unis ou les ventes françaises dans des pays tiers, se font avec des Américains béats d'admiration devant la politique française. C'est en général parce qu'on vend contre des concurrents très très rudes, qu'on arrive à vendre. Les Américains sont des adversaires commerciaux extrêmement sévères. On le voit dans le domaine de l'aéronautique, où vous imaginez bien la tension forte qu'il y a entre un Airbus européen et un Boeing américain. On le voit de la même façon sur tous les produits : dans le domaine agroalimentaire, dans le domaine des biens de consommation en général, face aux Américains, on a vraiment à se battre et nos entreprises y sont habituées, elles savent que c'est comme ça."
Mais avez-vous déjà réfléchi à une éventuelle contre-offensive, soit en termes de campagne, de publicité ?
- "La seule contre-offensive qu'il faudrait faire, ce serait de s'adresser aux Américains pour leur expliquer notre vision du monde, pour leur expliquer que si nous avons d'excellents produits, c'est parce que ces produits sont également disponibles, que nous avons une alliance traditionnelle avec les Américains, et que nous avons à leur expliquer qu'il ne faut pas tout confondre. Que nous souhaitons aussi, que S. Hussein disparaisse, nous avons aussi les mêmes préoccupations de sécurité à travers le monde mais nous avons une analyse différente. Ce n'est pas une raison pour s'en prendre aux produits français."
Vous avez une occasion de le leur dire ?
- "Je l'ai proposé à une chaîne de télévision américaine qui pour le moment refuse."
Et avec les Anglais ?
- "Avec les Anglais, nous avons des échanges très positifs. Les Anglais ont une balance commerciale négative, nous au contraire, nous avons un excédent très important avec l'Angleterre. Je vois aujourd'hui même ma collègue anglaise, avec laquelle je passe en revue l'ensemble des problèmes de l'OMC, sur lesquels nous avons des positions un peu différentes, néanmoins, souvent nous convergeons quand on analyse les problèmes à fond. Il y a l'intérêt commercial, économique et quand on va au fond des choses, on s'aperçoit que souvent ce sont des malentendus. Avec les Anglais, sur les questions économiques, on a des possibilités d'accord, c'est évident."
Concernant l'Afrique, le Sommet France-Afrique s'ouvre aujourd'hui. La France se veut le défenseur des intérêts de l'Afrique, et pourtant les Africains nous disent "avec votre PAC, on ne peut pas progresser".
- "On a essayé de bercer le monde d'illusions. Les pays ultralibéraux, comme l'Australie, ont essayé d'expliquer pendant des années, que c'était le libéralisme qui allait permettre le rattrapage des pays pauvres par rapport aux pays riches. Ce sont les échanges qui permettent le rattrapage, plus les échanges sont importants et plus le rattrapage se fait. Nous avons une très bonne expérience de ça : c'est l'Union européenne. Lorsque nous avons fait rentrer l'Espagne, le Portugal, la Grèce, l'Irlande dans l'Union européenne, il y a eu un rattrapage économique qui se poursuit aujourd'hui encore. Les pays de l'élargissement, c'est le même phénomène qui va se produire : il y a un rattrapage économique qui est à leur profit mais qui est aussi à notre profit. Chez eux, il y a une croissance importante, chez nous il y a une petite croissance qui vient de ça. Le problème c'est que pour faire cela, ce n'est pas uniquement en libéralisant, c'est beaucoup plus compliqué que ça. Au niveau mondial, nous avons à tenir vis-à-vis de nos amis africains, un discours de propositions. Et nous n'avons pas simplement à dire : "vous allez supprimer votre barrière douanière et manger de l'aide alimentaire américaine", ce n'est pas comme ça qu'on va résoudre les problèmes. Non, au contraire, mais "nous allons essayer de vous aider à garantir les cours des matières premières que vous produisez". Il y a une différence fondamentale dans l'approche américaine et dans l'approche française dans ce domaine. Voilà un sujet avec lequel nous pouvons discuter avec nos collègues anglais qui ont une forte ambition aussi d'aider les pays en voie de développement, qui ont une grande tradition dans ce domaine, qui ont une grande connaissance. Nous avons à nous accorder sur ces questions-là."
C'est possible ?
- "Mais bien sûr, parce que cela se traduit par des problèmes très concrets."
Il y a une négociation qui piétine et que vous menez pour permettre aux pays pauvres d'importer des médicaments génériques. Il y a actuellement un blocage américain. Hier encore, à Genève, les négociations ont échoué. Tant que l'opinion mondiale ne sera pas motivée, ça bloquera ?
- "J'ai peur de l'opinion publique mondiale parce que dans toute construction d'un pouvoir, il faut toujours imaginer un contre-pouvoir pour avoir une société équilibrée et harmonieuse. Je pense qu'il faut convaincre les Américains que c'est même leur intérêt d'aller dans ce sens-là. Nous, nous avons fait le choix de l'humanitaire, de dire que l'accès aux médicaments est plus important que tout. Il faut que les Américains fassent la même chose. Et nous pouvons les convaincre de ça. Maintenant, cela prendra peut-être du temps, peut-être que les délais qui sont prévus ne seront pas respectés intégralement, mais je pense qu'il faut convaincre et on y arrivera."
Et les opinions publiques valent aussi pour les manifestations contre la guerre ?
- "Les opinions publiques c'est très important, mais il faut qu'il y ait une organisation démocratique qui puisse reprendre les opinions publiques. Et à un moment donné, il faut bien pouvoir prendre des décisions."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 février 2003)