Texte intégral
Q - Quelle est la méthode la plus appropriée pour que la Commission défende l'"exception culturelle" dans le cadre des négociations de l'OMC ?
R - Je voudrais rappeler que la France est un partisan convaincu du principe même de ces négociations, qui sont le moyen approprié, parce qu'impliquant l'ensemble de la communauté internationale, d'oeuvrer en faveur du développement et de la régulation du commerce international.
L'Europe, qui est l'ensemble économique le plus ouvert dans le monde, et, en particulier, la France, quatrième puissance exportatrice mondiale, ont tout à gagner à cette évolution.
C'est la meilleure réponse face aux tentations de l'unilatéralisme, qui est la loi du plus fort et qui guette certains de nos partenaires, notamment outre-Atlantique.
Seule la confirmation de cette "exception" dans la négociation peut permettre à l'Europe de défendre son industrie audiovisuelle et ses oeuvres culturelles, c'est-à-dire le droit à la diversité, le refus de l'uniformisation.
C'est la raison pour laquelle la France agit en faveur d'orientations précises et claires données par les quinze Etats membres à la Commission européenne, pour l'aider à négocier dans la clarté, et donc la mettre en position de force.
Q - L'expression d'"exception culturelle" a-t-elle encore un sens pour vous ?
R - Parler d'exception culturelle, cela consiste simplement à dire que les biens culturels, le cinéma, les programmes de télévision, le livre également, ne sont pas, je le répète, des marchandises comme les autres mais au contraire qu'ils sont un vecteur essentiel de l'identité des peuples.
La nécessité de la préservation de la création passe avant la volonté générale de libéraliser les échanges. En conséquence, les Etats doivent pouvoir maintenir des régimes d'aides, de subvention, en fonction de la situation particulière de chaque mode d'expression.
Cette expression n'est aucunement synonyme de repli ou de conception uniquement défensive de notre politique culturelle.
Qu'il n'y ait pas de malentendu sur les termes : en Europe, la culture, ce doit être notre règle de vie, sûrement pas une exception !
En ce qui concerne l'audiovisuel même, nous devons rejeter la logique de mauvaise conscience que certains voudraient nous voir endosser : il est stupéfiant de soupçonner l'Europe de vouloir se réfugier derrière une ligne Maginot audiovisuelle, quand la part de marché du cinéma américain que j'apprécie énormément, dans les salles et les télévisions européennes est de 60 %, alors que la part de marché du cinéma européen aux Etats-Unis n'est que de 3 %.
Q - La nouvelle Commission européenne vous semble-t-elle suivre, dans ce domaine, la même politique que la précédente ?
R - Je suis convaincu que la Commission présidée par Romano Prodi, et au sein de laquelle Pascal Lamy a la pleine responsabilité des négociations commerciales, aura a coeur de promouvoir les intérêts de l'Europe, dans le secteur audiovisuel comme dans les autres, avec la plus grande énergie. C'est pourquoi il est nécessaire que les gouvernements la dotent d'un mandat fort et précis.
J'espère - je suis même sûr - que nous ne reverrons pas certains comportements individuels... disons peu conformes à la conception que l'on peut se faire de la collégialité de la Commission, que l'on avait pu constater et regretter dans le passé.
J'ai, en particulier, noté avec un grand intérêt les déclarations de Mme Reding, commissaire en charge de l'audiovisuel, durant son audition devant la Commission des Affaires culturelles du Parlement européen, selon lesquelles elle "fera tout son possible, comme un chien qui a mordu un os, pour ne pas lâcher l'exception culturelle". Cette détermination, exprimée devant les représentants des citoyens européens, me paraît de très bon aloi.
On a sans doute mal interprété de plus récents propos de Mme Reding. Je tiens à redire, à cet égard, que les quotas de diffusion d'oeuvres audiovisuelles font partie de l'acquis communautaire; que la Commission européenne a mission de défendre. Mme Reding a proposé d'explorer éventuellement d'autres voies pour mieux atteindre les mêmes résultats que les quotas de diffusion.
Je serais curieux de voir quelles propositions, assorties de quels moyens de mise en oeuvre, pourraient être avancées pour compléter les quotas. Il faudra faire preuve de beaucoup d'imagination pour nous convaincre.
Pour l'heure, le rôle de la Commission est, dans la négociation qui s'ouvre, de défendre bec et ongles la politique européenne.
Q - Quelle est, dans le domaine culturel ou audiovisuel, le point au-delà duquel l'Europe ne doit pas reculer ?
R - Nous devons maintenir les acquis du "cycle de l'Uruguay", conclus par les Accords de Marrakech, en 1994, c'est-à-dire préserver la marge de manoeuvre des Etats dans la mise en place et la gestion des instruments qui permettent la promotion de la diversité culturelle.
Concrètement, pendant la négociation, cela implique de continuer de refuser des engagements de libéralisation du secteur audiovisuel et de maintenir l'exemption de l'audiovisuel de la clause dite de la nation la plus favorisée.
Nous refuserons tout ce qui irait à l'encontre de ces objectifs, de la même façon que nous avons rejeté, l'année dernière, le projet d'accord multilatéral sur les investissements.
Q - L'Europe n'a-t-elle pas autre chose à faire, à l'aube de l'an 2000, pour promouvoir son identité culturelle que d'en défendre le sanctuaire ?
R - J'avoue mal comprendre votre question. Promouvoir notre identité culturelle, c'est justement, d'abord et avant tout, faire en sorte que la création audiovisuelle européenne le cinéma, la télévision - ne disparaisse pas, qu'elle se développe encore. Or nous savons que, contrairement à d'autres formes d'expression artistique qui ne représentent pas de semblables enjeux financiers et qui ne sont donc pas vulnérables aux mêmes menaces, le cinéma d'un pays, au départ florissant, peut quasiment disparaître. L'exemple de l'Italie est malheureusement là pour le montrer.
L'attitude du gouvernement de Lionel Jospin, en phase avec le président de la République est tout sauf défensive: nous voulons que l'Europe continue d'être ouverte aux cultures du monde, de Hollywood comme de Tokyo, tout en conservant une identité culturelle forte.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 1999)
R - Je voudrais rappeler que la France est un partisan convaincu du principe même de ces négociations, qui sont le moyen approprié, parce qu'impliquant l'ensemble de la communauté internationale, d'oeuvrer en faveur du développement et de la régulation du commerce international.
L'Europe, qui est l'ensemble économique le plus ouvert dans le monde, et, en particulier, la France, quatrième puissance exportatrice mondiale, ont tout à gagner à cette évolution.
C'est la meilleure réponse face aux tentations de l'unilatéralisme, qui est la loi du plus fort et qui guette certains de nos partenaires, notamment outre-Atlantique.
Seule la confirmation de cette "exception" dans la négociation peut permettre à l'Europe de défendre son industrie audiovisuelle et ses oeuvres culturelles, c'est-à-dire le droit à la diversité, le refus de l'uniformisation.
C'est la raison pour laquelle la France agit en faveur d'orientations précises et claires données par les quinze Etats membres à la Commission européenne, pour l'aider à négocier dans la clarté, et donc la mettre en position de force.
Q - L'expression d'"exception culturelle" a-t-elle encore un sens pour vous ?
R - Parler d'exception culturelle, cela consiste simplement à dire que les biens culturels, le cinéma, les programmes de télévision, le livre également, ne sont pas, je le répète, des marchandises comme les autres mais au contraire qu'ils sont un vecteur essentiel de l'identité des peuples.
La nécessité de la préservation de la création passe avant la volonté générale de libéraliser les échanges. En conséquence, les Etats doivent pouvoir maintenir des régimes d'aides, de subvention, en fonction de la situation particulière de chaque mode d'expression.
Cette expression n'est aucunement synonyme de repli ou de conception uniquement défensive de notre politique culturelle.
Qu'il n'y ait pas de malentendu sur les termes : en Europe, la culture, ce doit être notre règle de vie, sûrement pas une exception !
En ce qui concerne l'audiovisuel même, nous devons rejeter la logique de mauvaise conscience que certains voudraient nous voir endosser : il est stupéfiant de soupçonner l'Europe de vouloir se réfugier derrière une ligne Maginot audiovisuelle, quand la part de marché du cinéma américain que j'apprécie énormément, dans les salles et les télévisions européennes est de 60 %, alors que la part de marché du cinéma européen aux Etats-Unis n'est que de 3 %.
Q - La nouvelle Commission européenne vous semble-t-elle suivre, dans ce domaine, la même politique que la précédente ?
R - Je suis convaincu que la Commission présidée par Romano Prodi, et au sein de laquelle Pascal Lamy a la pleine responsabilité des négociations commerciales, aura a coeur de promouvoir les intérêts de l'Europe, dans le secteur audiovisuel comme dans les autres, avec la plus grande énergie. C'est pourquoi il est nécessaire que les gouvernements la dotent d'un mandat fort et précis.
J'espère - je suis même sûr - que nous ne reverrons pas certains comportements individuels... disons peu conformes à la conception que l'on peut se faire de la collégialité de la Commission, que l'on avait pu constater et regretter dans le passé.
J'ai, en particulier, noté avec un grand intérêt les déclarations de Mme Reding, commissaire en charge de l'audiovisuel, durant son audition devant la Commission des Affaires culturelles du Parlement européen, selon lesquelles elle "fera tout son possible, comme un chien qui a mordu un os, pour ne pas lâcher l'exception culturelle". Cette détermination, exprimée devant les représentants des citoyens européens, me paraît de très bon aloi.
On a sans doute mal interprété de plus récents propos de Mme Reding. Je tiens à redire, à cet égard, que les quotas de diffusion d'oeuvres audiovisuelles font partie de l'acquis communautaire; que la Commission européenne a mission de défendre. Mme Reding a proposé d'explorer éventuellement d'autres voies pour mieux atteindre les mêmes résultats que les quotas de diffusion.
Je serais curieux de voir quelles propositions, assorties de quels moyens de mise en oeuvre, pourraient être avancées pour compléter les quotas. Il faudra faire preuve de beaucoup d'imagination pour nous convaincre.
Pour l'heure, le rôle de la Commission est, dans la négociation qui s'ouvre, de défendre bec et ongles la politique européenne.
Q - Quelle est, dans le domaine culturel ou audiovisuel, le point au-delà duquel l'Europe ne doit pas reculer ?
R - Nous devons maintenir les acquis du "cycle de l'Uruguay", conclus par les Accords de Marrakech, en 1994, c'est-à-dire préserver la marge de manoeuvre des Etats dans la mise en place et la gestion des instruments qui permettent la promotion de la diversité culturelle.
Concrètement, pendant la négociation, cela implique de continuer de refuser des engagements de libéralisation du secteur audiovisuel et de maintenir l'exemption de l'audiovisuel de la clause dite de la nation la plus favorisée.
Nous refuserons tout ce qui irait à l'encontre de ces objectifs, de la même façon que nous avons rejeté, l'année dernière, le projet d'accord multilatéral sur les investissements.
Q - L'Europe n'a-t-elle pas autre chose à faire, à l'aube de l'an 2000, pour promouvoir son identité culturelle que d'en défendre le sanctuaire ?
R - J'avoue mal comprendre votre question. Promouvoir notre identité culturelle, c'est justement, d'abord et avant tout, faire en sorte que la création audiovisuelle européenne le cinéma, la télévision - ne disparaisse pas, qu'elle se développe encore. Or nous savons que, contrairement à d'autres formes d'expression artistique qui ne représentent pas de semblables enjeux financiers et qui ne sont donc pas vulnérables aux mêmes menaces, le cinéma d'un pays, au départ florissant, peut quasiment disparaître. L'exemple de l'Italie est malheureusement là pour le montrer.
L'attitude du gouvernement de Lionel Jospin, en phase avec le président de la République est tout sauf défensive: nous voulons que l'Europe continue d'être ouverte aux cultures du monde, de Hollywood comme de Tokyo, tout en conservant une identité culturelle forte.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 1999)