Texte intégral
Madame, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les recteurs,
Mesdames, Messieurs les inspecteurs d'académie et les délégués régionaux,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous rencontrer en ce lieu particulièrement prestigieux, la Sorbonne, symbole de notre université, avec tout ce qu'elle représente d'histoire, de recherche, de savoir, de rayonnement international. Née au 13e siècle de l'organisation en corporations des maîtres et écoliers de la capitale, elle est déjà, à cette époque, signe de diversité régionale et internationale. Reconstruite à la fin du 19è siècle par l'Etat et la Ville de Paris, elle est aussi, pour nous aujourd'hui, signe du partenariat nécessaire entre l'Etat et les collectivités locales.
En matière d'éducation et de recherche, nous avons le souci de mobiliser l'ensemble de notre pays sur l'intelligence nationale, l'intelligence des Français et donc sur la perspective, très humaniste, de faire appel à l'énergie humaine, au dépassement, et à tout ce qui peut permettre à la personne de vouloir s'élever elle-même. Ceci peut se faire grâce à l'éducation, qui est la voie de l'épanouissement. C'est à cette logique-là, qui est au cur de la stratégie gouvernementale, que nous sommes très attachés. Je vous le disais tout à l'heure, il me paraît très important aujourd'hui que la France montre son attachement aux idées, à sa culture, à l'éducation. Ceci au sein des processus de mondialisation, où l'on voit des forces puissantes, d'organisation, d'argent, qui appellent à la concentration, au gigantisme et quelque part à la déshumanisation. La France doit aussi montrer que c'est par l'innovation, par la qualité de la formation qu'on peut atteindre un épanouissement, personnel et national. Cette ligne-là est celle du Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger. La fonction enseignante est évidemment au cur de notre service public et je voulais vraiment réaffirmer ici, devant vous, que le service public d'enseignement et de recherche est l'une des priorités fondamentales du Gouvernement.
Il s'agit aujourd'hui d'étudier les manières différentes, qui peuvent s'inscrire dans une logique cohérente, de renforcer le service d'enseignement et de recherche pour préparer notre pays à l'avenir. Je crois que c'est essentiel dans l'éducation évidemment, mais aussi dans la recherche. Je suis très heureux qu'on ait pu, dans notre organisation gouvernementale, rassembler ces départements ministériels pour qu'il soit vraiment, avec celui de la jeunesse et celui de l'enseignement supérieur, le pôle de la valorisation de la matière grise. Je suis très heureux de pouvoir dire, à Claudie Haigneré, à la veille de la présentation budgétaire, que son budget sera en augmentation. Elle s'est beaucoup battue pour cela. Je crois que c'est important de faire en sorte qu'il y ait plus de moyens mis à la disposition des laboratoires en 2003. Il faut surtout inscrire tout cela dans une perspective de développement de notre matière grise nationale et de la capacité que peut avoir la France à inventer.
Il est clair que la mobilisation dont je vous parle est une mobilisation nationale. L'éducation est nationale. Nous sommes très attachés à cette place de l'école dans la nation. Je vais vous dire franchement : je trouve que le Parlement devrait débattre plus souvent des questions d'éducation pour bien montrer que la représentation nationale se sent elle aussi concernée par le débat éducatif. L'éducation est le ciment de la nation ; nous sommes tous, ici, attachés aux valeurs de la République. Je crois qu'il est très important que nous puissions toujours mettre en avant deux principes : au cur de la République, il y a l'école et au cur de la nation, il y a l'éducation. C'est une approche qu'il nous faut renforcer. Je ferai en sorte, qu'au Parlement, on puisse davantage débattre de l'éducation pour bien montrer que l'éducation est au cur de la préoccupation de tous. Chacun sait que le rôle de l'Etat est très important dans ce dispositif national d'éducation et de recherche.
La République, aujourd'hui, doit faire en sorte d'assumer l'ambition nationale d'éducation, avec ses valeurs : Liberté, Egalité, Fraternité. La fraternité, dans certains établissements, est difficile aujourd'hui. La liberté et l'égalité ne sont pas vécues par les uns et les autres comme quelque chose de forcément acquis. C'est pour cela que nous voulons travailler avec vous tous pour que le service public puisse faire partager la République sur le terrain, dans les établissements, les écoles, au plus près des élèves et de leurs maîtres. Je crois que, dans ce contexte-là, il y a un certain nombre de valeurs auxquelles nous sommes attachés. Le Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger n'oublie pas le 21 avril et le 1er mai. De nombreux professeurs étaient dans la rue le 1er mai pour dire qu'ils croient aux valeurs de la République et qu'ils y sont attachés.
Le 21 avril, c'était un peu l'exaspération : " la République, ça marche mal ". Le 1er mai et le 5 mai, c'est : "on croit bien aux valeurs de la République et on veut les partager". Nous avons ce message à assumer et je souhaite vraiment qu'on puisse l'assumer. Un certain nombre de valeurs doivent être défendues pour que cette République puisse tenir sa promesse. Parmi les valeurs, je crois qu'il est important de réhabiliter le travail, notamment par le biais de l'enseignement. L'enfant a besoin du travail pour affirmer sa capacité de liberté. Il a aussi besoin des obstacles, il a besoin de forger son caractère, de rencontrer quelquefois la difficulté pour se renforcer et se créer lui-même. Le travail est un trait d'union entre le monde de l'enfance et celui de l'adulte. C'est un moment très important pour que l'enfant s'apprivoise lui-même. Et, au fond, si nous faisons de l'innovation, de la recherche et de l'éducation un objectif national, c'est parce que nous croyons à la valeur de création. La richesse économique mais aussi sociale, humaine est dans la création. Donc, l'école c'est d'abord le lieu où l'enfant est créateur de lui-même mais avec l'adulte. Et c'est dans ce dialogue qu'il peut se créer lui-même. C'est cet objectif que nous voulons atteindre en faisant en sorte que l'enseignant puisse transmettre son savoir, et qu'il puisse assumer son rôle. Nous devons l'aider dans l'exercice de sa mission, à la fois dans son autorité scientifique comme dans son autorité personnelle. On voit aujourd'hui qu'il en a besoin. C'est pour cela que l'ensemble de l'institution scolaire doit soutenir les enseignants, du proviseur au Premier ministre. Tout le monde doit être à leurs côtés pour les aider à faire en sorte qu'ils puissent assumer dignement leurs responsabilités professionnelles au service de la nation.
Dans ce contexte de mobilisation nationale, il faut que nous puissions nous adapter à un certain nombre de mutations. Chacun connaît l'histoire budgétaire de notre pays : depuis vingt ans, les budgets augmentent et malgré cela, les difficultés persistent. Cela veut dire que la réponse n'est pas seulement budgétaire. Il ne m'a pas échappé que le budget était important pour vous tous et pour nous tous. Mais au-delà, il faut chercher comment améliorer l'ensemble de la qualité du service public d'éducation sans faire appel seulement et toujours à la règle budgétaire qui ne suffit pas.
Il faut faire en sorte que nous trouvions les moyens de développer une plus grande capacité de qualité de notre service public d'éducation. Je tiens à dire qu'au fond, quand on regarde les choses, on voit d'énormes progrès. On en parlait tout à l'heure : la décentralisation a fait d'énormes progrès, a permis des progrès. En matière de décentralisation, d'expérimentation, c'est sans doute le dossier de l'éducation qui a le mieux profité ces vingt dernières années de la coopération entre l'Etat, ses représentants nationaux et territoriaux, et les territoires. Je pense que c'est dans ce domaine que les choses se sont le mieux équilibrées : chacun respectant l'autre et chacun apportant sa spécificité à l'autre, sans qu'il y ait d'ambiguïté. Je le disais tout à l'heure avec les proviseurs, qui sont des personnages particulièrement importants de l'ensemble du système éducatif. Ils sont les principales personnalités bilingues qui parlent le langage régional quand il s'agit du chauffage, des équipements sportifs ou des ordinateurs. Ils savent parler le langage du recteur et de l'inspecteur quand il s'agit des programmes ou des professeurs. Je pense qu'il y a là une certaine clarté dans les responsabilités et que cette clarté a permis de grands progrès. Mais malgré ces progrès, il faut mesurer toutes les difficultés qu'on a pu rencontrer, qu'on rencontre encore et dont on ne peut pas se satisfaire : aujourd'hui un certain nombre de jeunes sortent de notre système éducatif (plus de 140 000) sans qualification. On ne peut donc pas être satisfait de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Il y a des performances, des gens formidables, une mobilisation mais il y a aussi des difficultés, qui méritent d'être traitées et nous voulons nous y attacher.
Je crois qu'il est très important - Luc Ferry le disait tout à l'heure - de pouvoir remobiliser la nation en faveur de l'éducation, notamment par l'expérimentation. Bien rappeler le rôle des uns et des autres, c'est-à-dire être porteurs d'une clarté. Il ne faut pas inquiéter. Donc, il faut dire clairement les choses : l'Etat doit assumer sa mission régalienne, l'école. Il est donc hors de question de mettre à l'expérimentation le choix des programmes, le recrutement des professeurs, les statuts des enseignants, les diplômes nationaux, l'évaluation. Cette mission d'égalité pour tous, c'est une égalité de résultats et pas forcément une égalité de méthode. Il est très important de bien affirmer ce qui est la responsabilité de l'Etat et de l'ensemble de l'éducation nationale.
Dans l'approche qui est la nôtre aujourd'hui, pour faire progresser notre service public d'éducation, nous souhaitons faire des expérimentations sans toucher au cur régalien de la mission d'éducation nationale. Mais, à côté de ce cur, dans un grand nombre de sujets, nous souhaitons faire appel à la subsidiarité, nous souhaitons faire appel à la décentralisation par l'expérimentation. Donc, pas question pour nous de faire des choses générales, obligatoires. Simplement, il s'agit de faire appel à votre créativité pour trouver les sujets sur lesquels des expérimentations pluriannuelles, associant tous les partenaires, nous permettraient de progresser. C'est une démarche à laquelle nous voulons associer l'ensemble des territoires de France. Cette démarche est construite en trois étapes. Première étape : une loi constitutionnelle (un projet de loi d'abord, une loi ensuite). Un projet de loi sera proposé au Conseil des ministres à la mi-octobre. Ce projet de loi permettra l'expérimentation, c'est-à-dire une dérogation législative et/ou réglementaire permettant de s'engager dans une expérimentation. C'est-à-dire une ouverture constitutionnelle pour mener des expérimentations. Donc, nous nous donnons les moyens juridiques de pouvoir engager des expérimentations. C'est un élément très important. Ces expérimentations seront définies à l'occasion d'une loi organique dans laquelle seront précisées exactement la durée (il faudra une durée pluriannuelle trois ou cinq ans), et la méthode d'évaluation. Les partenaires concernés seront associés à cette évaluation pour faire en sorte que l'ensemble des acteurs puisse participer à cette expérimentation. Cette loi constitutionnelle sera à la fois réforme de l'Etat et décentralisation. Il ne s'agit pas de dire, par exemple, qu'à l'avenir l'orientation en matière d'éducation se fera au niveau régional : nous allons essayer de définir le niveau pertinent, l'échelon le mieux adapté pour l'exercice des responsabilités. Nous mettons en oeuvre dans la Constitution le principe de subsidiarité par expérimentation. Nous essaierons de voir à quel niveau la responsabilité " X " est la mieux exercée. Et c'est, je crois, un élément central de la logique des futurs textes : les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à l'échelle de leur ressort.
Nous le ferons donc par expérimentation à partir de cette première étape constitutionnelle : un texte qui ouvre le dispositif constitutionnel. Ensuite, un grand débat national dans toutes les régions, dans toutes les académies, plusieurs mois durant, pour entendre, écouter les projets des uns et des autres. Faire en sorte que les territoires puissent s'exprimer et montrer ce dont ils ont envie, non pas, comme je le disais tout à l'heure, avec velléité mais avec responsabilité. Il ne s'agit pas de dire : "nous, on voudrait bien faire cela ou on ferait mieux cela". Si vous pensez que vous vous occuperez mieux de telles compétences, montrez-le, prouvez-le ! Je pense que cette méthode est positive si elle dégage des responsabilités. Nous ne progressons pas si nous nous situons en permanence dans un jeu local ou territorial dans lequel l'acteur n'apparaît pas réellement responsable de la décision. Nous progressons si nous clarifions les responsabilités. C'est l'objectif qui est le nôtre.
Je vous demande donc de participer à ces Assises territoriales, assises des libertés locales. Je vous demande d'y prendre la parole, d'y susciter la parole des différents acteurs qui sont les vôtres, de vos communautés éducatives, pour que les uns et les autres puissent s'exprimer et que l'éducation soit présente dans ce débat. C'est un élément très important. Je souhaiterais vraiment qu'à l'occasion de ces débats, on puisse entendre, à la fois, des inquiétudes qui nous permettrons de déterminer les limites, mais en même temps les espoirs qui nous permettrons de donner le champ des expérimentations. Nous avons besoin, pour bien définir l'espace que nous allons soumettre à l'expérimentation, d'avoir ce débat public et que chacun puisse s'exprimer. Le débat public va démarrer en octobre ; il aura lieu jusqu'au mois de janvier, dans toutes les régions.
La troisième étape sera la loi organique. Elle proposera, d'une part, un certain nombre de transferts de compétences aux territoires. Et d'autre part, définira une série d'expérimentations qui seront précisées par une loi. Elles pourront donc être généralisées un jour par une autre loi. Nous voulons faire en sorte que l'expérimentation soit encadrée par deux lois et avec toujours la possibilité du réversible. Nous ne sommes pas dans une expérimentation qui conduit à quelque chose de définitif. Expérimentation, évaluation par le Parlement et les différents acteurs concernés par l'expérimentation. Le dispositif définitivement choisi sera déterminé ultérieurement par une autre loi. Donc, une loi constitutionnelle, un grand débat, une loi organique. Je souhaite que tout soit prêt dès la prochaine rentrée pour lancer un certain nombre d'expérimentations, en ce qui concerne l'Education.
C'est un élément très important de tout l'ensemble de la réforme que nous voulons engager avec les collectivités territoriales aujourd'hui pour donner plus de responsabilités aux territoires. Mais nous voulons faire en sorte que la cohérence nationale soit bien respectée et que vous puissiez vous-mêmes faire entendre sur le terrain la voix de l'Etat déconcentré. De manière à ce que le débat soit clair et que tous les acteurs puissent être actifs dans la préparation de ces expérimentations.
Il va de soi que nous n'envisagerons des expérimentations qu'après délibération des collectivités. Prenons le cas d'une expérimentation pour la région : il faudra que la région ait voté pour demander cette expérimentation, et que le Conseil économique et social, dans lequel il y a les partenaires sociaux, ait aussi bien sûr été consulté. Le territoire doit pouvoir participer de la décision. On n'est pas dans le velléitaire, on s'engage. Cet engagement est très important, aussi bien pour l'Education que pour la recherche et les technologies. J'insiste beaucoup sur ces questions-là auprès des délégués à la recherche et à la technologie qui sont ici présents. Il y a sur ces questions-là aussi, beaucoup d'initiatives qui peuvent être prises.
Nous ne mettons pas en cause l'autonomie des universités à laquelle nous sommes attachés, ni la cohérence nationale d'une politique de la recherche - et je dirais d'une politique européenne de la recherche. Il vous faut concilier le grand programme européen d'excellence qui est engagé par l'Europe. Nous souhaitons que l'Europe joue un rôle très important dans des choix stratégiques. Nous voulons développer nos programmes nationaux, territoriaux, et aussi tout ce qui concerne les technologies, les transferts de technologies, l'ensemble des dispositifs. Ceci pour pouvoir développer la participation des citoyens aux grandes aventures technologiques.
C'est cette logique qui est la nôtre. Vous voyez bien qu'en permanence nous recherchons et la cohérence de l'Etat et la proximité territoriale. Quand il y aura conflit entre les deux, la cohérence l'emportera. Ce que je vous demande, c'est de faire vivre la cohérence et la proximité. Pour pouvoir renforcer la cohérence, on a besoin de la proximité. C'est aujourd'hui le défi qui est engagé par nous tous. Au fond, ce que nous cherchons, c'est une République des bonnes pratiques. Vous avez déjà, dans l'exercice de vos responsabilités, perçu un certain nombre d'initiatives positives, un certain nombre d'initiatives qui sont porteuses d'avenir. Je voudrais, un peu une contagion des bonnes pratiques. Ne pas partir de modèles et de logiciels centraux, inventés par les meilleurs de nos administrations centrales - vous y êtes tous passés au moins une fois dans votre vie. Dans celles-ci, il y a des gens de très grandes qualités, vous le savez tous - je salue ceux qui sont ici présents. Mais ce que nous souhaitons, c'est que cette expérience qualitative des administrations centrales puisse être confrontée avec l'expérience pragmatique de ceux qui, sur le territoire, ont mené des avancées au service de l'Education.
Je pense qu'il y a là un progrès important pour notre pays. C'est un progrès au nom du pragmatisme, avec des convictions : l'école est au coeur de notre pacte républicain. Mais pour qu'elle y reste, il faut que les Françaises et les Français sentent qu'il y a une mobilisation nationale. Celle-ci ne doit pas être lointaine, distante ou enfermée. C'est une mobilisation qui leur est ouverte, et ils ont leur place dans cette mobilisation nationale. Je crois qu'il est nécessaire que vous vous engagiez dans ce débat, au côté de vos ministres. Je peux vous assurer de la détermination du Gouvernement.
Je termine en vous disant que le rôle des représentants de l'Etat que vous êtes est vraiment très important. Vous devez en permanence être bilingues, parler le niveau du national et aussi le niveau du local. Car l'Etat est partout capable de défendre et la logique de la cohérence et la logique de proximité. La seule chose que je souhaite, c'est que l'Etat ne soit pas refermé sur lui-même, en pensant qu'il est le seul capable de régler tous les problèmes. Il sait qu'il a des missions républicaines à assumer, mais il sait aussi que pour faire respirer nos territoires, il faut pouvoir associer tous les personnels, toutes les activités, tous les partenaires à cette mobilisation du pays pour son avenir.
Je vous remercie."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 3 octobre 2002)
Mesdames, Messieurs les recteurs,
Mesdames, Messieurs les inspecteurs d'académie et les délégués régionaux,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous rencontrer en ce lieu particulièrement prestigieux, la Sorbonne, symbole de notre université, avec tout ce qu'elle représente d'histoire, de recherche, de savoir, de rayonnement international. Née au 13e siècle de l'organisation en corporations des maîtres et écoliers de la capitale, elle est déjà, à cette époque, signe de diversité régionale et internationale. Reconstruite à la fin du 19è siècle par l'Etat et la Ville de Paris, elle est aussi, pour nous aujourd'hui, signe du partenariat nécessaire entre l'Etat et les collectivités locales.
En matière d'éducation et de recherche, nous avons le souci de mobiliser l'ensemble de notre pays sur l'intelligence nationale, l'intelligence des Français et donc sur la perspective, très humaniste, de faire appel à l'énergie humaine, au dépassement, et à tout ce qui peut permettre à la personne de vouloir s'élever elle-même. Ceci peut se faire grâce à l'éducation, qui est la voie de l'épanouissement. C'est à cette logique-là, qui est au cur de la stratégie gouvernementale, que nous sommes très attachés. Je vous le disais tout à l'heure, il me paraît très important aujourd'hui que la France montre son attachement aux idées, à sa culture, à l'éducation. Ceci au sein des processus de mondialisation, où l'on voit des forces puissantes, d'organisation, d'argent, qui appellent à la concentration, au gigantisme et quelque part à la déshumanisation. La France doit aussi montrer que c'est par l'innovation, par la qualité de la formation qu'on peut atteindre un épanouissement, personnel et national. Cette ligne-là est celle du Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger. La fonction enseignante est évidemment au cur de notre service public et je voulais vraiment réaffirmer ici, devant vous, que le service public d'enseignement et de recherche est l'une des priorités fondamentales du Gouvernement.
Il s'agit aujourd'hui d'étudier les manières différentes, qui peuvent s'inscrire dans une logique cohérente, de renforcer le service d'enseignement et de recherche pour préparer notre pays à l'avenir. Je crois que c'est essentiel dans l'éducation évidemment, mais aussi dans la recherche. Je suis très heureux qu'on ait pu, dans notre organisation gouvernementale, rassembler ces départements ministériels pour qu'il soit vraiment, avec celui de la jeunesse et celui de l'enseignement supérieur, le pôle de la valorisation de la matière grise. Je suis très heureux de pouvoir dire, à Claudie Haigneré, à la veille de la présentation budgétaire, que son budget sera en augmentation. Elle s'est beaucoup battue pour cela. Je crois que c'est important de faire en sorte qu'il y ait plus de moyens mis à la disposition des laboratoires en 2003. Il faut surtout inscrire tout cela dans une perspective de développement de notre matière grise nationale et de la capacité que peut avoir la France à inventer.
Il est clair que la mobilisation dont je vous parle est une mobilisation nationale. L'éducation est nationale. Nous sommes très attachés à cette place de l'école dans la nation. Je vais vous dire franchement : je trouve que le Parlement devrait débattre plus souvent des questions d'éducation pour bien montrer que la représentation nationale se sent elle aussi concernée par le débat éducatif. L'éducation est le ciment de la nation ; nous sommes tous, ici, attachés aux valeurs de la République. Je crois qu'il est très important que nous puissions toujours mettre en avant deux principes : au cur de la République, il y a l'école et au cur de la nation, il y a l'éducation. C'est une approche qu'il nous faut renforcer. Je ferai en sorte, qu'au Parlement, on puisse davantage débattre de l'éducation pour bien montrer que l'éducation est au cur de la préoccupation de tous. Chacun sait que le rôle de l'Etat est très important dans ce dispositif national d'éducation et de recherche.
La République, aujourd'hui, doit faire en sorte d'assumer l'ambition nationale d'éducation, avec ses valeurs : Liberté, Egalité, Fraternité. La fraternité, dans certains établissements, est difficile aujourd'hui. La liberté et l'égalité ne sont pas vécues par les uns et les autres comme quelque chose de forcément acquis. C'est pour cela que nous voulons travailler avec vous tous pour que le service public puisse faire partager la République sur le terrain, dans les établissements, les écoles, au plus près des élèves et de leurs maîtres. Je crois que, dans ce contexte-là, il y a un certain nombre de valeurs auxquelles nous sommes attachés. Le Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger n'oublie pas le 21 avril et le 1er mai. De nombreux professeurs étaient dans la rue le 1er mai pour dire qu'ils croient aux valeurs de la République et qu'ils y sont attachés.
Le 21 avril, c'était un peu l'exaspération : " la République, ça marche mal ". Le 1er mai et le 5 mai, c'est : "on croit bien aux valeurs de la République et on veut les partager". Nous avons ce message à assumer et je souhaite vraiment qu'on puisse l'assumer. Un certain nombre de valeurs doivent être défendues pour que cette République puisse tenir sa promesse. Parmi les valeurs, je crois qu'il est important de réhabiliter le travail, notamment par le biais de l'enseignement. L'enfant a besoin du travail pour affirmer sa capacité de liberté. Il a aussi besoin des obstacles, il a besoin de forger son caractère, de rencontrer quelquefois la difficulté pour se renforcer et se créer lui-même. Le travail est un trait d'union entre le monde de l'enfance et celui de l'adulte. C'est un moment très important pour que l'enfant s'apprivoise lui-même. Et, au fond, si nous faisons de l'innovation, de la recherche et de l'éducation un objectif national, c'est parce que nous croyons à la valeur de création. La richesse économique mais aussi sociale, humaine est dans la création. Donc, l'école c'est d'abord le lieu où l'enfant est créateur de lui-même mais avec l'adulte. Et c'est dans ce dialogue qu'il peut se créer lui-même. C'est cet objectif que nous voulons atteindre en faisant en sorte que l'enseignant puisse transmettre son savoir, et qu'il puisse assumer son rôle. Nous devons l'aider dans l'exercice de sa mission, à la fois dans son autorité scientifique comme dans son autorité personnelle. On voit aujourd'hui qu'il en a besoin. C'est pour cela que l'ensemble de l'institution scolaire doit soutenir les enseignants, du proviseur au Premier ministre. Tout le monde doit être à leurs côtés pour les aider à faire en sorte qu'ils puissent assumer dignement leurs responsabilités professionnelles au service de la nation.
Dans ce contexte de mobilisation nationale, il faut que nous puissions nous adapter à un certain nombre de mutations. Chacun connaît l'histoire budgétaire de notre pays : depuis vingt ans, les budgets augmentent et malgré cela, les difficultés persistent. Cela veut dire que la réponse n'est pas seulement budgétaire. Il ne m'a pas échappé que le budget était important pour vous tous et pour nous tous. Mais au-delà, il faut chercher comment améliorer l'ensemble de la qualité du service public d'éducation sans faire appel seulement et toujours à la règle budgétaire qui ne suffit pas.
Il faut faire en sorte que nous trouvions les moyens de développer une plus grande capacité de qualité de notre service public d'éducation. Je tiens à dire qu'au fond, quand on regarde les choses, on voit d'énormes progrès. On en parlait tout à l'heure : la décentralisation a fait d'énormes progrès, a permis des progrès. En matière de décentralisation, d'expérimentation, c'est sans doute le dossier de l'éducation qui a le mieux profité ces vingt dernières années de la coopération entre l'Etat, ses représentants nationaux et territoriaux, et les territoires. Je pense que c'est dans ce domaine que les choses se sont le mieux équilibrées : chacun respectant l'autre et chacun apportant sa spécificité à l'autre, sans qu'il y ait d'ambiguïté. Je le disais tout à l'heure avec les proviseurs, qui sont des personnages particulièrement importants de l'ensemble du système éducatif. Ils sont les principales personnalités bilingues qui parlent le langage régional quand il s'agit du chauffage, des équipements sportifs ou des ordinateurs. Ils savent parler le langage du recteur et de l'inspecteur quand il s'agit des programmes ou des professeurs. Je pense qu'il y a là une certaine clarté dans les responsabilités et que cette clarté a permis de grands progrès. Mais malgré ces progrès, il faut mesurer toutes les difficultés qu'on a pu rencontrer, qu'on rencontre encore et dont on ne peut pas se satisfaire : aujourd'hui un certain nombre de jeunes sortent de notre système éducatif (plus de 140 000) sans qualification. On ne peut donc pas être satisfait de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Il y a des performances, des gens formidables, une mobilisation mais il y a aussi des difficultés, qui méritent d'être traitées et nous voulons nous y attacher.
Je crois qu'il est très important - Luc Ferry le disait tout à l'heure - de pouvoir remobiliser la nation en faveur de l'éducation, notamment par l'expérimentation. Bien rappeler le rôle des uns et des autres, c'est-à-dire être porteurs d'une clarté. Il ne faut pas inquiéter. Donc, il faut dire clairement les choses : l'Etat doit assumer sa mission régalienne, l'école. Il est donc hors de question de mettre à l'expérimentation le choix des programmes, le recrutement des professeurs, les statuts des enseignants, les diplômes nationaux, l'évaluation. Cette mission d'égalité pour tous, c'est une égalité de résultats et pas forcément une égalité de méthode. Il est très important de bien affirmer ce qui est la responsabilité de l'Etat et de l'ensemble de l'éducation nationale.
Dans l'approche qui est la nôtre aujourd'hui, pour faire progresser notre service public d'éducation, nous souhaitons faire des expérimentations sans toucher au cur régalien de la mission d'éducation nationale. Mais, à côté de ce cur, dans un grand nombre de sujets, nous souhaitons faire appel à la subsidiarité, nous souhaitons faire appel à la décentralisation par l'expérimentation. Donc, pas question pour nous de faire des choses générales, obligatoires. Simplement, il s'agit de faire appel à votre créativité pour trouver les sujets sur lesquels des expérimentations pluriannuelles, associant tous les partenaires, nous permettraient de progresser. C'est une démarche à laquelle nous voulons associer l'ensemble des territoires de France. Cette démarche est construite en trois étapes. Première étape : une loi constitutionnelle (un projet de loi d'abord, une loi ensuite). Un projet de loi sera proposé au Conseil des ministres à la mi-octobre. Ce projet de loi permettra l'expérimentation, c'est-à-dire une dérogation législative et/ou réglementaire permettant de s'engager dans une expérimentation. C'est-à-dire une ouverture constitutionnelle pour mener des expérimentations. Donc, nous nous donnons les moyens juridiques de pouvoir engager des expérimentations. C'est un élément très important. Ces expérimentations seront définies à l'occasion d'une loi organique dans laquelle seront précisées exactement la durée (il faudra une durée pluriannuelle trois ou cinq ans), et la méthode d'évaluation. Les partenaires concernés seront associés à cette évaluation pour faire en sorte que l'ensemble des acteurs puisse participer à cette expérimentation. Cette loi constitutionnelle sera à la fois réforme de l'Etat et décentralisation. Il ne s'agit pas de dire, par exemple, qu'à l'avenir l'orientation en matière d'éducation se fera au niveau régional : nous allons essayer de définir le niveau pertinent, l'échelon le mieux adapté pour l'exercice des responsabilités. Nous mettons en oeuvre dans la Constitution le principe de subsidiarité par expérimentation. Nous essaierons de voir à quel niveau la responsabilité " X " est la mieux exercée. Et c'est, je crois, un élément central de la logique des futurs textes : les collectivités territoriales ont vocation à exercer l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à l'échelle de leur ressort.
Nous le ferons donc par expérimentation à partir de cette première étape constitutionnelle : un texte qui ouvre le dispositif constitutionnel. Ensuite, un grand débat national dans toutes les régions, dans toutes les académies, plusieurs mois durant, pour entendre, écouter les projets des uns et des autres. Faire en sorte que les territoires puissent s'exprimer et montrer ce dont ils ont envie, non pas, comme je le disais tout à l'heure, avec velléité mais avec responsabilité. Il ne s'agit pas de dire : "nous, on voudrait bien faire cela ou on ferait mieux cela". Si vous pensez que vous vous occuperez mieux de telles compétences, montrez-le, prouvez-le ! Je pense que cette méthode est positive si elle dégage des responsabilités. Nous ne progressons pas si nous nous situons en permanence dans un jeu local ou territorial dans lequel l'acteur n'apparaît pas réellement responsable de la décision. Nous progressons si nous clarifions les responsabilités. C'est l'objectif qui est le nôtre.
Je vous demande donc de participer à ces Assises territoriales, assises des libertés locales. Je vous demande d'y prendre la parole, d'y susciter la parole des différents acteurs qui sont les vôtres, de vos communautés éducatives, pour que les uns et les autres puissent s'exprimer et que l'éducation soit présente dans ce débat. C'est un élément très important. Je souhaiterais vraiment qu'à l'occasion de ces débats, on puisse entendre, à la fois, des inquiétudes qui nous permettrons de déterminer les limites, mais en même temps les espoirs qui nous permettrons de donner le champ des expérimentations. Nous avons besoin, pour bien définir l'espace que nous allons soumettre à l'expérimentation, d'avoir ce débat public et que chacun puisse s'exprimer. Le débat public va démarrer en octobre ; il aura lieu jusqu'au mois de janvier, dans toutes les régions.
La troisième étape sera la loi organique. Elle proposera, d'une part, un certain nombre de transferts de compétences aux territoires. Et d'autre part, définira une série d'expérimentations qui seront précisées par une loi. Elles pourront donc être généralisées un jour par une autre loi. Nous voulons faire en sorte que l'expérimentation soit encadrée par deux lois et avec toujours la possibilité du réversible. Nous ne sommes pas dans une expérimentation qui conduit à quelque chose de définitif. Expérimentation, évaluation par le Parlement et les différents acteurs concernés par l'expérimentation. Le dispositif définitivement choisi sera déterminé ultérieurement par une autre loi. Donc, une loi constitutionnelle, un grand débat, une loi organique. Je souhaite que tout soit prêt dès la prochaine rentrée pour lancer un certain nombre d'expérimentations, en ce qui concerne l'Education.
C'est un élément très important de tout l'ensemble de la réforme que nous voulons engager avec les collectivités territoriales aujourd'hui pour donner plus de responsabilités aux territoires. Mais nous voulons faire en sorte que la cohérence nationale soit bien respectée et que vous puissiez vous-mêmes faire entendre sur le terrain la voix de l'Etat déconcentré. De manière à ce que le débat soit clair et que tous les acteurs puissent être actifs dans la préparation de ces expérimentations.
Il va de soi que nous n'envisagerons des expérimentations qu'après délibération des collectivités. Prenons le cas d'une expérimentation pour la région : il faudra que la région ait voté pour demander cette expérimentation, et que le Conseil économique et social, dans lequel il y a les partenaires sociaux, ait aussi bien sûr été consulté. Le territoire doit pouvoir participer de la décision. On n'est pas dans le velléitaire, on s'engage. Cet engagement est très important, aussi bien pour l'Education que pour la recherche et les technologies. J'insiste beaucoup sur ces questions-là auprès des délégués à la recherche et à la technologie qui sont ici présents. Il y a sur ces questions-là aussi, beaucoup d'initiatives qui peuvent être prises.
Nous ne mettons pas en cause l'autonomie des universités à laquelle nous sommes attachés, ni la cohérence nationale d'une politique de la recherche - et je dirais d'une politique européenne de la recherche. Il vous faut concilier le grand programme européen d'excellence qui est engagé par l'Europe. Nous souhaitons que l'Europe joue un rôle très important dans des choix stratégiques. Nous voulons développer nos programmes nationaux, territoriaux, et aussi tout ce qui concerne les technologies, les transferts de technologies, l'ensemble des dispositifs. Ceci pour pouvoir développer la participation des citoyens aux grandes aventures technologiques.
C'est cette logique qui est la nôtre. Vous voyez bien qu'en permanence nous recherchons et la cohérence de l'Etat et la proximité territoriale. Quand il y aura conflit entre les deux, la cohérence l'emportera. Ce que je vous demande, c'est de faire vivre la cohérence et la proximité. Pour pouvoir renforcer la cohérence, on a besoin de la proximité. C'est aujourd'hui le défi qui est engagé par nous tous. Au fond, ce que nous cherchons, c'est une République des bonnes pratiques. Vous avez déjà, dans l'exercice de vos responsabilités, perçu un certain nombre d'initiatives positives, un certain nombre d'initiatives qui sont porteuses d'avenir. Je voudrais, un peu une contagion des bonnes pratiques. Ne pas partir de modèles et de logiciels centraux, inventés par les meilleurs de nos administrations centrales - vous y êtes tous passés au moins une fois dans votre vie. Dans celles-ci, il y a des gens de très grandes qualités, vous le savez tous - je salue ceux qui sont ici présents. Mais ce que nous souhaitons, c'est que cette expérience qualitative des administrations centrales puisse être confrontée avec l'expérience pragmatique de ceux qui, sur le territoire, ont mené des avancées au service de l'Education.
Je pense qu'il y a là un progrès important pour notre pays. C'est un progrès au nom du pragmatisme, avec des convictions : l'école est au coeur de notre pacte républicain. Mais pour qu'elle y reste, il faut que les Françaises et les Français sentent qu'il y a une mobilisation nationale. Celle-ci ne doit pas être lointaine, distante ou enfermée. C'est une mobilisation qui leur est ouverte, et ils ont leur place dans cette mobilisation nationale. Je crois qu'il est nécessaire que vous vous engagiez dans ce débat, au côté de vos ministres. Je peux vous assurer de la détermination du Gouvernement.
Je termine en vous disant que le rôle des représentants de l'Etat que vous êtes est vraiment très important. Vous devez en permanence être bilingues, parler le niveau du national et aussi le niveau du local. Car l'Etat est partout capable de défendre et la logique de la cohérence et la logique de proximité. La seule chose que je souhaite, c'est que l'Etat ne soit pas refermé sur lui-même, en pensant qu'il est le seul capable de régler tous les problèmes. Il sait qu'il a des missions républicaines à assumer, mais il sait aussi que pour faire respirer nos territoires, il faut pouvoir associer tous les personnels, toutes les activités, tous les partenaires à cette mobilisation du pays pour son avenir.
Je vous remercie."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 3 octobre 2002)