Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à RTL le 1er octobre 2002, sur l'annonce de la privatisation d'EDF-GDF.

Prononcé le 1er octobre 2002

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Ruth Elkrief.- Une grande manifestation est prévue jeudi 3 octobre contre les privatisations, essentiellement d'abord d'EDF-GDF, à laquelle vont s'ajouter un certain nombre de salariés d'autres entreprises publiques ou en voie d'ouverture de capital. C'est un troisième tour social pour vous ?
- "Non, ce n'est pas un troisième tour. J'avais dit avant l'été, après avoir entendu le discours de politique générale du Premier ministre, que nous irions à un certain nombre de complications rapidement à la rentrée. Je crois qu'on y est. On est dans les complications, dans la mesure où il ne me semble pas - et le projet de budget en atteste - que le Gouvernement ait tiré le bon diagnostic après les élections politiques d'avant l'été. Et le bon diagnostic, notamment en matière de situation sociale et économique."
En même temps, la manière dont le Gouvernement explique justement sa méthode par exemple... Vous avez entendu J.-P. Raffarin dire : "On réformera, mais on ne bloquera pas, on fera à notre rythme, tranquillement, on ne reculera pas, mais on ne bloquera pas." Cela peut être rassurant, non ?
- "Oui, mais une bonne communication ne dure qu'un temps. Une bonne communication, c'est utile, mais je crois que de plus en plus, les Français apprécient l'action d'un gouvernement, quel qu'il soit, d'abord sur le fond plutôt que sur sa capacité à communiquer. Et je pense qu'au fur et à mesure où on entre dans le vif de sujets, il y a plus qu'un fossé qui existe entre les attentes et la nature des réponses qui sont offertes. Il y a pour moi, dans le projet de budget, deux absents que sont la priorité à l'emploi et la justice sociale. Je pense que les mesures en matière fiscale réservent l'essentiel des évolutions pour les ménages les plus aisés. Et je pense que beaucoup de Français s'en aperçoivent aujourd'hui et vont s'en apercevoir de plus en plus. Le fait que le premier débat à l'Assemblée nationale sur un projet de loi dit social, vise à remettre en cause le processus de réduction du temps de travail, je pense que de plus en plus, les Français s'en apercevront."
Ce n'est pas une surprise, c'était dans le programme électoral du Gouvernement d'aujourd'hui...
- "Justement, le problème, c'est qu'on ne peut pas faire comme si le programme du candidat effectivement élu à la présidence de la République désormais, avait été approuvé par une majorité de Français. Or j'ai l'impression que tout le monde fait..."
Vous remettez quand même en question le résultat...
- "Je ne remets pas en question le résultat. Je l'ai dit à plusieurs reprises : il y a un président de la République qui a été élu, il a été élu dans des circonstances exceptionnelles, et de mon point de vue, comme tous les observateurs l'ont relevé à l'époque, certainement pas sur la base d'une approbation de son programme économique et social. Si on ne revient pas sur cette situation, on ne peut pas comprendre pourquoi il peut y avoir autant de désaccords entre une partie importante des Français et les décisions politiques qui relèvent du Gouvernement qui, à mon avis, entendent beaucoup trop exclusivement l'opinion du patronat sur un certain nombre de questions."
Revenons sur les services publics. Les syndicats d'EDF et GDF vont être reçus par Francis Mer et Nicole Fontaine, jeudi matin. Quand même, ils répètent que leur souci, c'est le service public. Il y a une ouverture du capital d'EDF prévue, mais ce n'est pas très précis non plus. Vous voulez que rien ne change ?
- "Absolument pas. Si je prends le cas de France Télécom, je pense qu'il faut se reposer la question de savoir comment notre pays, mais aussi l'Europe, entend gérer les télécommunications, cet enjeu stratégique. On a cette tendance, depuis à peu près 25 ans, à nous vendre la privatisation des profits, dans un certain nombre de secteurs, et à nationaliser les pertes."
Pour vous, c'est le contre-exemple... Après France Télécom, il ne faudrait plus ouvrir le capital d'entreprises publiques ?
- "Il faut à la fois se reposer la question de la manière de gérer les télécommunications en Europe, et je ne suis pas sûr, je suis même sûr du contraire, que la gestion exclusivement marchande, telle qu'elle a été pratiquée ces dernières années, telle que les pouvoirs publics, quelles que soient les majorités, ont suggéré aux directions d'entreprises... Il ne suffira pas de changer de PDG. Si on change de PDG et on ne change absolument pas notre approche dans la gestion dans ce domaine, on pourra avoir de nouveaux scandales. Lorsque j'examine cette situation, mais aussi ce qui se passe dans d'autres entreprises publiques qui ont pu être privatisées..."
On peut avoir le contre-exemple, parce que Air France, cela marche bien. Il y a eu une ouverture du capital et cela marche très bien...
- "Examinez sur la scène internationale combien des compagnies privatisées ou privées aériennes aujourd'hui se tournent vers les pouvoirs publics outre-Atlantique, voire même en Europe, lorsque les déficits sont en présence, et on se tourne vers le contribuable lorsqu'on frôle la faillite, pour encore une fois éponger des déficits. Je pense que le transport aérien aussi fait partie de domaines d'activité où la présence du public est justifiée. Je ne vois donc pas de raisons objectives à nous priver d'éléments essentiels pour la performance économique, mais aussi pour la cohésion sociale, d'entreprises publiques qui - les dernières enquêtes en témoignent encore - recueillent plutôt un fort taux de satisfaction dans l'opinion publique."
Un mot sur les retraites, parce que cela va être un très grand sujet ce jeudi, de part des salariés d'EDF notamment. Il n'est pas question pour vous de toucher aux régimes spéciaux ?
- "Il faudra négocier sur l'ensemble de la question des retraites. Le Gouvernement a fixé un rendez-vous pour le début de l'année prochaine..."
Votre position ? On n'y touche pas ou on peut y toucher, on peut en discuter ?
- "Il faudra discuter des retraites en général."
Donc des régimes spéciaux ?
- "De tous les systèmes de retraites. Il faudra avoir de nouveaux mécanismes pour améliorer le niveau des retraites, garantir la retraite par répartition sur le long terme, pour une population retraitée qui va augmenter de 50 % sur les 25 prochaines années. Il ne faut pas laisser un certain nombre de retraités aujourd'hui partir avec des niveaux de pension de 50 % de leurs salaires, comme c'est ce qui va se produire si on ne change pas la situation. Donc, il faudra négocier pour trouver les moyens financiers permettant de subvenir aux besoins d'une population retraitée, qui va être plus nombreuse. Ce qui ne veut pas dire un alignement vers le bas, ce qui ne veut pas dire une remise en cause d'un certain nombre d'objectifs qui sont chers au mouvement syndical - les 60 ans et les 75 % du niveau de pension par exemple. Et à partir de ces droits globaux, regarder effectivement comment certaines disparités de situation peuvent être compatibles avec des droits collectifs."
La CFDT a rencontré le Medef. François Chérèque en est sorti en disant que c'était un bon contact. FO a rendez-vous également avec le Medef. Vous, pas du tout. C'est parce qu'il y a les élections prud'homales le 11 décembre que vous faites un peu de surenchère ? Vous êtes sur une ligne plus dure ?
- "Elections ou pas élections, la situation sociale est ce qu'elle est."
Vous allez rencontrer le Medef ou pas ?
- "On rencontrera probablement le Medef à notre tour. Nous ne sommes pas particulièrement impatients, dans la mesure où nous ne nous faisons aucune illusion quant aux intentions du Medef. Il annonce déjà la couleur, à savoir qu'il souhaite relancer une part de discussion sur les sujets que lui-même a retenus et pour des négociations qui doivent aboutir sur les points que lui a retenus. Ce que je souhaiterais, c'est que dans les prochains jours, dans les prochaines semaines, le mouvement syndical français fasse preuve d'un peu plus de cohésion et d'unité dans les discussions avec le patronat. Et je relève - toute l'expérience syndicale l'a montré - que chaque fois que le mouvement syndical était divisé, c'est en fait la situation des salariés qui avait des chances de se dégrader."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er oct 2002)