Texte intégral
Réponse à une question à l'Assemblée nationale le 13 octobre
Dès l'annonce de l'incarcération de ces treize juifs iraniens, la France, notamment par ma voix, s'est exprimée avec force sur le sujet. Nous n'avons cessé de dire combien cette situation était choquante. Je m'en suis encore entretenu récemment à New York avec mon homologue qui m'a fait valoir qu'il ne s'agissait pas de treize juifs mais de quarante personnes impliquées dans une affaire d'espionnage. Je lui ai répondu que, comme vous l'avez dit vous-même, cette accusation n'était pas crédible. Il a également insisté sur le fait que ces personnes n'étaient pas encore condamnées, et que les juges n'avaient pas été saisis, ce à quoi j'ai rétorqué qu'elles ne bénéficiaient d'aucune garantie. Cela étant, il semble que rien d'irréversible n'ait été accompli et que le président Khatami cherche à parvenir à une solution la moins mauvaise possible.
Partisans et adversaires de l'ouverture du pays à l'extérieur s'affrontent actuellement de manière très rude en Iran. Depuis l'élection du président Khatami, nous n'avons cessé d'encourager les tenants de l'ouverture et poursuivrons dans cette voie. Le Premier ministre et moi-même ne manquerons pas de redire à M. Khatami combien l'opinion publique mondiale sera sensible à la décision prise et combien celle-ci pourra influer sur les relations internationales de l'Iran.
Vous avez évoqué le Proche-Orient. M. Barak, avec lequel j'ai fait le point de la situation il y a quelques jours ainsi qu'avec M. Arafat, est tout à fait conscient des efforts déployés par la France et sait pouvoir compter sur notre constance et notre détermination.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 octobre 1999)
Réponse à une question à l'Assemblée nationale le 26 octobre
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Monsieur le Député,
Vous êtes soucieux du sort des étudiants en Iran, nous aussi. Vous êtes vigilant quant au sort des 13 juifs iraniens qui ont été arrêtés avec une trentaine d'autres iraniens et qui sont accusés d'une façon qui nous paraît invraisemblable d'espionnage. nous sommes soucieux, nous sommes vigilants, nous l'avons dit publiquement et nous avons agi également de façon discrète, avec beaucoup d'insistance. Vous êtes soucieux de la démocratisation de l'Iran, de son ouverture, nous aussi. Aucune de ces justes causes n'avancerait mieux si nous renoncions à avoir un dialogue au sommet et des échanges avec le président Khatami qui a été élu par le corps électoral iranien, dans des élections non contestées, contre les tenants les plus archaïques de la ligne antérieure de la révolution islamique élu on le sait par les analyses, par une immense majorité de jeunes et de femmes en Iran qui attendent de sa part une ouverture qui est contrecarrée par des actions constantes dans ce pays notamment sur le plan judiciaire, sur le plan policier.
Nous n'avons donc pas changé d'analyse, nous sommes tout à fait lucides et prudents. Nous connaissons bien la violence des luttes qui existent à l'heure actuelle dans ce pays et nous pensons qu'il est utile, pour l'avenir de l'Iran, pour l'ensemble de la région, nous pensons qu'il est utile que nous ayons ce dialogue qui sera en même temps, croyez-le, très franc et très direct.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 octobre 1999)
Interview à RTL le 28 octobre 1999
Q - Bonjour Hubert Védrine, la visite du président chinois et puis celle maintenant du président iranien ne sont-elles pas préjudiciables à la réputation de la France à travers le monde ?
R - Pas du tout, la France a la réputation d'être un grand pays qui a une vraie politique étrangère c'est-à-dire qui est capable d'entretenir des relations avec tous les pays du monde. Partir du monde tel qu'il est pour essayer de l'améliorer et en essayant d'encourager les évolutions favorables, par conséquent cela ne peut que renforcer notre place, notre rang, notre influence. Tout dépend après de ce que l'on fait, de ce qu'on leur dit, sur quelle politique cela s'inscrit. Mais là-dessus nous sommes clairs à chaque fois. Il y a de plus une coïncidence de calendrier.
Q - Mais est-ce que cela ne donne pas une impression de retour à la réelle politique, pure et dure à une époque où le respect des Droits de l'Homme constitue une exigence de plus en plus souvent affirmée ?
R - Mais quand est-ce qu'on a cessé de dialoguer et de parler avec tels pays ? Le dialogue avec la Chine, par exemple, n'a jamais été interrompu, même dans les moments les plus difficiles. Pourquoi faudrait-il que le dialogue avec la Chine, pour reprendre, cet exemple soit réservé aux seuls Etats-Unis. Le président Clinton a été en Chine, il a fait un voyage spectaculaire, le président Jiang Zemin a été aux Etats-Unis, il a fait un autre voyage spectaculaire, avec des parties officielles, des parties privées. Pourquoi faudrait-il que le dialogue avec eux, portant à la fois sur ce qui peut représenter des convergences et en même temps sur des accords comme la démocratie que nous voudrions voir se construire beaucoup plus vite. Sur les Droits de l'Homme, sur la question du Tibet, par exemple, pourquoi est-ce que ce serait seulement les Etats-Unis ? Non, nous pensons que l'Europe a un rôle à jouer, que la France a un rôle à jouer et qu'il est important que les chinois entendent le point de vue de l'Europe et de la France sur ces questions.
Q - Mais le moteur de la politique étrangère française est-il finalement, ne pas laisser le champ libre à l'hyper-puissance américaine ?
R - Non, c'est une combinaison, vous ne pouvez pas faire une politique étrangère parcellaire ou partielle. Par exemple il y a une dimension Droits de l'Homme dans toutes les actions de politique étrangère que nous menons. Mais il y a une dimension sécurité nationale, il y a une dimension renforcement de l'Europe. Il y a une dimension influence française et sur le plan de la culture, parce que nous sommes pour un monde qui soit divers et qui ne soit pas uniforme. Donc cela prend des formes différentes que nous devons mener à travers toutes les négociations, tous les contacts avec tous les grands pays du monde, et avec les autres. Bref, nous ne pouvons pas nous extraire d'un dialogue avec la Chine, l'important c'est le contenu de ce dialogue.
Q - Parlons de l'Iran, à un moment on a le sentiment, quand on entend les officiels français, vous-même, le président Chirac, que la visite de M. Khatami, c'est presque un voyage de l'espoir ?
R - Ce qui représentait un espoir, c'est le vote des Iraniens, quand ils ont choisi M. Khatami. Sur neuf candidats, c'est celui qui avait le moins de chances et il a été choisi par énormément de jeunes et de femmes, on l'a su par l'analyse électorale et les élections sont libres en Iran, c'est reconnu internationalement. Il est passé devant tous, parce que c'était un ancien ministre de la Culture. A l'intérieur du régime, il s'était fait reconnaître et remarquer par des positions plus ouvertes et plus libérales, donc, il représentait un espoir pour ce pays. Et je pense que les Iraniens qui ont voté pour lui ne se trompent pas sur le sens du message que nous adressons, comme nos amis italiens, comme d'autres Européens. Il y a eu beaucoup de chefs d'Etat ou de Premiers ministres qui se sont rendus à Téhéran pour alimenter ce dialogue. Quand nous l'accueillons, nous disons que nous comprenons, tout en restant prudents, lucides et critiques sur de nombreux points. Mais nous comprenons sa démarche d'ouverture, nous y répondons, je crois que les Iraniens ne se trompent pas sur le message.
Q - Quand vous lui parlez des 13 juifs accusés d'espionnage en Iran qui risquent la pendaison, que vous répond-il ?
R - Nous en avons d'abord parlé beaucoup, j'en ai parlé publiquement, j'en ai parlé à l'Assemblée, nous en avons parlé dans des contacts directs et nos interlocuteurs iraniens nous disent qu'il ne faut pas tenir compte des déclarations faites en Iran qui sont faites par des gens qui n'ont pas le dossier en main, qui n'ont pas de responsabilités. Que d'autre part, c'est un réseau de 40 personnes et non pas de 13 Juifs, qu'ils n'ont pas été arrêtés parce qu'ils étaient juifs, alors nous leur disons que nous ne croyons pas une seconde ces accusations d'espionnage. Nous pensons en réalité que c'est une bataille parmi beaucoup d'autres qui se déroule à l'intérieur de l'Iran entre les tenants de la ligne du président Khatami et ceux qui veulent l'empêcher à tout prix d'avancer dans cette politique d'ouverture, qui est très très loin du compte.
Q - Mais lui, vous laisse un espoir sur l'issue du procès ?
R - Ils nous disent qu'il y aura des garanties, que ce sera un procès normal, que rien n'est fait, que quand on dit qu'ils sont condamnés, c'est totalement faux, qu'ils sont simplement été inculpés avec d'autres. Mais l'essentiel est plus dans pression que nous continuons à exercer quoi qu'il arrive que dans les réponses qui nous sont apportées à ce stade. Même les Etats-Unis se sont félicités hier à l'occasion de la visite du président Khatami en France de voir l'Iran vouloir rejoindre la communauté internationale. Même les Etats-Unis qui sont pourtant en situation de rupture encore, ont dit, ils veulent bouger, il faut encourager ce mouvement. Nous pensons que c'est la meilleure façon de faire bouger les choses dans le bon sens, mais croyez-moi, nous ne sous-estimons pas une seconde les difficultés.
Q - Pour en revenir à la Chine, vous avez récusé hier à l'Assemblée nationale les reproches de mercantilisme qui étaient adressés à la diplomatie française, mais qu'avez-vous obtenu de plus, qu'est-ce que la France a obtenu de plus durant cette visite que l'achat des 28 Airbus ?
R - C'était une parlementaire qui employait l'expression de cynisme commercial, j'ai trouvé cela un peu...
Q - De la majorité en plus !
R - Un peu choquant dans la mesure où nous sommes dans un pays, ou un salarié sur trois travaille pour l'exportation.
Q - Oui, mais qu'est-ce qu'on a obtenu de plus ?
R - Non, cela ne se présente pas comme cela. Je lui ai dit, est-ce que vous pensez que la Chine va aller beaucoup plus vite vers la démocratie, si elle n'achète que des Boeing et si elle n'achète pas d'Airbus ? Qu'est-ce qui se passerait de mieux dans l'évolution de la Chine, que nous souhaitons naturellement, vers l'élaboration d'un état de droit, si nous avions une attitude de refus ? La même parlementaire souligne d'ailleurs à juste titre, je lui ai dit, l'hypocrisie des politiques de sanction et d'embargo, il faut savoir ce que l'on veut!
Q - Oui, mais attendez, est-ce que vous ne croyez pas que les images de la réception de M. Jiang Zemin en France, du tour de valse avec l'épouse du président de la République lui servent plus à lui qu'elles n'apportent des atouts à la politique étrangère de la France ?
R - Il faut s'inscrire dans un événement stratégique, un événement de longue durée, ces images ne sont pas très différentes de la partie privée du voyage de Jiang Zemin en Chine et cela n'empêche pas les désaccords. Nous ne renoncerons à rien de ce que nous sommes, ils savent très bien que nous sommes une grande démocratie.
Q - Mais cela n'assoit pas son pouvoir ?
R - Son pouvoir contre qui, contre quoi ?
Q - En Chine même !
R - Et s'il ne venait pas, et si on ne le recevait pas, qu'est-ce que cela améliorerait en Chine par rapport à cela, quel serait le message positif, envoyé à qui ? Non je ne crois pas que l'on puisse s'en laver les mains. Je ne crois pas que ce soit en nous abstenant, en restant à côté, en faisant des déclarations dans notre coin et en laissant le monde se faire autrement, par d'autres, que nous ferons progresser la démocratie dans le monde, qui est évidemment un de nos objectifs.
Q - Aujourd'hui vous recevez le ministre russe des Affaires étrangères Igor Ivanov après le massacre à Grozny en Tchétchénie, vous allez lui dire que les règles du jeu avec la Russie vont changer ?
R - Igor Ivanov est le ministre des Affaires étrangères russes, la Russie fait partie du G8, Igor Ivanov est dans un dialogue constant avec les Allemands, avec les Britanniques, avec les Italiens, avec les Américains et je le reçois parce que j'ai travaillé avec lui dans l'affaire du Kosovo et j'ai trouvé que dans cette affaire, sauf dans la phase militaire proprement dite, où s'ils n'ont pas pu nous suivre, ils ont été aussi coopératifs qu'il était possible. Je le reçois parce que la Russie est un très grand pays, que nous avons intérêt là aussi à agir subtilement et si possible efficacement pour que la Russie devienne un grand pays avec lequel il est possible de voisiner.
Q - Et les règles du jeu vont changer ?
R - Nous avons besoin de lui dire sur la Tchétchénie, ce que j'ai dit d'ailleurs dans plusieurs déclarations publiques, c'est que personne ne conteste l'intégrité, la souveraineté territoriale de la Russie, personne. Tout le monde admet la nécessité de lutter contre le terrorisme, mais pour autant, nous pensons que l'escalade à laquelle il procède, y compris les victimes si nombreuses auxquelles vous faites allusion, cela les conduit dans une impasse, et que la seule solution pour la Russie dans cette affaire du Caucase et notamment de la Tchétchénie, c'est de revenir à une solution politique qu'ils avaient commencé à enclencher en 1996. Nous avons besoin de parler, nous avons besoin de lui dire, nous avons des relations qui sont toujours étroites. La Russie est proche, donc il faut voir avec eux, comment on pourrait revenir dans cette affaire du Caucase à une solution gérable qui tienne la route. Et il nous entend, il nous dit, là, je ne suis pas d'accord, là on ne peut pas, là peut-être on peut, là, on peut peut-être bouger. C'est cela le travail à l'international pour que les choses aillent un peu mieux.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 1999)
Dès l'annonce de l'incarcération de ces treize juifs iraniens, la France, notamment par ma voix, s'est exprimée avec force sur le sujet. Nous n'avons cessé de dire combien cette situation était choquante. Je m'en suis encore entretenu récemment à New York avec mon homologue qui m'a fait valoir qu'il ne s'agissait pas de treize juifs mais de quarante personnes impliquées dans une affaire d'espionnage. Je lui ai répondu que, comme vous l'avez dit vous-même, cette accusation n'était pas crédible. Il a également insisté sur le fait que ces personnes n'étaient pas encore condamnées, et que les juges n'avaient pas été saisis, ce à quoi j'ai rétorqué qu'elles ne bénéficiaient d'aucune garantie. Cela étant, il semble que rien d'irréversible n'ait été accompli et que le président Khatami cherche à parvenir à une solution la moins mauvaise possible.
Partisans et adversaires de l'ouverture du pays à l'extérieur s'affrontent actuellement de manière très rude en Iran. Depuis l'élection du président Khatami, nous n'avons cessé d'encourager les tenants de l'ouverture et poursuivrons dans cette voie. Le Premier ministre et moi-même ne manquerons pas de redire à M. Khatami combien l'opinion publique mondiale sera sensible à la décision prise et combien celle-ci pourra influer sur les relations internationales de l'Iran.
Vous avez évoqué le Proche-Orient. M. Barak, avec lequel j'ai fait le point de la situation il y a quelques jours ainsi qu'avec M. Arafat, est tout à fait conscient des efforts déployés par la France et sait pouvoir compter sur notre constance et notre détermination.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 octobre 1999)
Réponse à une question à l'Assemblée nationale le 26 octobre
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Monsieur le Député,
Vous êtes soucieux du sort des étudiants en Iran, nous aussi. Vous êtes vigilant quant au sort des 13 juifs iraniens qui ont été arrêtés avec une trentaine d'autres iraniens et qui sont accusés d'une façon qui nous paraît invraisemblable d'espionnage. nous sommes soucieux, nous sommes vigilants, nous l'avons dit publiquement et nous avons agi également de façon discrète, avec beaucoup d'insistance. Vous êtes soucieux de la démocratisation de l'Iran, de son ouverture, nous aussi. Aucune de ces justes causes n'avancerait mieux si nous renoncions à avoir un dialogue au sommet et des échanges avec le président Khatami qui a été élu par le corps électoral iranien, dans des élections non contestées, contre les tenants les plus archaïques de la ligne antérieure de la révolution islamique élu on le sait par les analyses, par une immense majorité de jeunes et de femmes en Iran qui attendent de sa part une ouverture qui est contrecarrée par des actions constantes dans ce pays notamment sur le plan judiciaire, sur le plan policier.
Nous n'avons donc pas changé d'analyse, nous sommes tout à fait lucides et prudents. Nous connaissons bien la violence des luttes qui existent à l'heure actuelle dans ce pays et nous pensons qu'il est utile, pour l'avenir de l'Iran, pour l'ensemble de la région, nous pensons qu'il est utile que nous ayons ce dialogue qui sera en même temps, croyez-le, très franc et très direct.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 octobre 1999)
Interview à RTL le 28 octobre 1999
Q - Bonjour Hubert Védrine, la visite du président chinois et puis celle maintenant du président iranien ne sont-elles pas préjudiciables à la réputation de la France à travers le monde ?
R - Pas du tout, la France a la réputation d'être un grand pays qui a une vraie politique étrangère c'est-à-dire qui est capable d'entretenir des relations avec tous les pays du monde. Partir du monde tel qu'il est pour essayer de l'améliorer et en essayant d'encourager les évolutions favorables, par conséquent cela ne peut que renforcer notre place, notre rang, notre influence. Tout dépend après de ce que l'on fait, de ce qu'on leur dit, sur quelle politique cela s'inscrit. Mais là-dessus nous sommes clairs à chaque fois. Il y a de plus une coïncidence de calendrier.
Q - Mais est-ce que cela ne donne pas une impression de retour à la réelle politique, pure et dure à une époque où le respect des Droits de l'Homme constitue une exigence de plus en plus souvent affirmée ?
R - Mais quand est-ce qu'on a cessé de dialoguer et de parler avec tels pays ? Le dialogue avec la Chine, par exemple, n'a jamais été interrompu, même dans les moments les plus difficiles. Pourquoi faudrait-il que le dialogue avec la Chine, pour reprendre, cet exemple soit réservé aux seuls Etats-Unis. Le président Clinton a été en Chine, il a fait un voyage spectaculaire, le président Jiang Zemin a été aux Etats-Unis, il a fait un autre voyage spectaculaire, avec des parties officielles, des parties privées. Pourquoi faudrait-il que le dialogue avec eux, portant à la fois sur ce qui peut représenter des convergences et en même temps sur des accords comme la démocratie que nous voudrions voir se construire beaucoup plus vite. Sur les Droits de l'Homme, sur la question du Tibet, par exemple, pourquoi est-ce que ce serait seulement les Etats-Unis ? Non, nous pensons que l'Europe a un rôle à jouer, que la France a un rôle à jouer et qu'il est important que les chinois entendent le point de vue de l'Europe et de la France sur ces questions.
Q - Mais le moteur de la politique étrangère française est-il finalement, ne pas laisser le champ libre à l'hyper-puissance américaine ?
R - Non, c'est une combinaison, vous ne pouvez pas faire une politique étrangère parcellaire ou partielle. Par exemple il y a une dimension Droits de l'Homme dans toutes les actions de politique étrangère que nous menons. Mais il y a une dimension sécurité nationale, il y a une dimension renforcement de l'Europe. Il y a une dimension influence française et sur le plan de la culture, parce que nous sommes pour un monde qui soit divers et qui ne soit pas uniforme. Donc cela prend des formes différentes que nous devons mener à travers toutes les négociations, tous les contacts avec tous les grands pays du monde, et avec les autres. Bref, nous ne pouvons pas nous extraire d'un dialogue avec la Chine, l'important c'est le contenu de ce dialogue.
Q - Parlons de l'Iran, à un moment on a le sentiment, quand on entend les officiels français, vous-même, le président Chirac, que la visite de M. Khatami, c'est presque un voyage de l'espoir ?
R - Ce qui représentait un espoir, c'est le vote des Iraniens, quand ils ont choisi M. Khatami. Sur neuf candidats, c'est celui qui avait le moins de chances et il a été choisi par énormément de jeunes et de femmes, on l'a su par l'analyse électorale et les élections sont libres en Iran, c'est reconnu internationalement. Il est passé devant tous, parce que c'était un ancien ministre de la Culture. A l'intérieur du régime, il s'était fait reconnaître et remarquer par des positions plus ouvertes et plus libérales, donc, il représentait un espoir pour ce pays. Et je pense que les Iraniens qui ont voté pour lui ne se trompent pas sur le sens du message que nous adressons, comme nos amis italiens, comme d'autres Européens. Il y a eu beaucoup de chefs d'Etat ou de Premiers ministres qui se sont rendus à Téhéran pour alimenter ce dialogue. Quand nous l'accueillons, nous disons que nous comprenons, tout en restant prudents, lucides et critiques sur de nombreux points. Mais nous comprenons sa démarche d'ouverture, nous y répondons, je crois que les Iraniens ne se trompent pas sur le message.
Q - Quand vous lui parlez des 13 juifs accusés d'espionnage en Iran qui risquent la pendaison, que vous répond-il ?
R - Nous en avons d'abord parlé beaucoup, j'en ai parlé publiquement, j'en ai parlé à l'Assemblée, nous en avons parlé dans des contacts directs et nos interlocuteurs iraniens nous disent qu'il ne faut pas tenir compte des déclarations faites en Iran qui sont faites par des gens qui n'ont pas le dossier en main, qui n'ont pas de responsabilités. Que d'autre part, c'est un réseau de 40 personnes et non pas de 13 Juifs, qu'ils n'ont pas été arrêtés parce qu'ils étaient juifs, alors nous leur disons que nous ne croyons pas une seconde ces accusations d'espionnage. Nous pensons en réalité que c'est une bataille parmi beaucoup d'autres qui se déroule à l'intérieur de l'Iran entre les tenants de la ligne du président Khatami et ceux qui veulent l'empêcher à tout prix d'avancer dans cette politique d'ouverture, qui est très très loin du compte.
Q - Mais lui, vous laisse un espoir sur l'issue du procès ?
R - Ils nous disent qu'il y aura des garanties, que ce sera un procès normal, que rien n'est fait, que quand on dit qu'ils sont condamnés, c'est totalement faux, qu'ils sont simplement été inculpés avec d'autres. Mais l'essentiel est plus dans pression que nous continuons à exercer quoi qu'il arrive que dans les réponses qui nous sont apportées à ce stade. Même les Etats-Unis se sont félicités hier à l'occasion de la visite du président Khatami en France de voir l'Iran vouloir rejoindre la communauté internationale. Même les Etats-Unis qui sont pourtant en situation de rupture encore, ont dit, ils veulent bouger, il faut encourager ce mouvement. Nous pensons que c'est la meilleure façon de faire bouger les choses dans le bon sens, mais croyez-moi, nous ne sous-estimons pas une seconde les difficultés.
Q - Pour en revenir à la Chine, vous avez récusé hier à l'Assemblée nationale les reproches de mercantilisme qui étaient adressés à la diplomatie française, mais qu'avez-vous obtenu de plus, qu'est-ce que la France a obtenu de plus durant cette visite que l'achat des 28 Airbus ?
R - C'était une parlementaire qui employait l'expression de cynisme commercial, j'ai trouvé cela un peu...
Q - De la majorité en plus !
R - Un peu choquant dans la mesure où nous sommes dans un pays, ou un salarié sur trois travaille pour l'exportation.
Q - Oui, mais qu'est-ce qu'on a obtenu de plus ?
R - Non, cela ne se présente pas comme cela. Je lui ai dit, est-ce que vous pensez que la Chine va aller beaucoup plus vite vers la démocratie, si elle n'achète que des Boeing et si elle n'achète pas d'Airbus ? Qu'est-ce qui se passerait de mieux dans l'évolution de la Chine, que nous souhaitons naturellement, vers l'élaboration d'un état de droit, si nous avions une attitude de refus ? La même parlementaire souligne d'ailleurs à juste titre, je lui ai dit, l'hypocrisie des politiques de sanction et d'embargo, il faut savoir ce que l'on veut!
Q - Oui, mais attendez, est-ce que vous ne croyez pas que les images de la réception de M. Jiang Zemin en France, du tour de valse avec l'épouse du président de la République lui servent plus à lui qu'elles n'apportent des atouts à la politique étrangère de la France ?
R - Il faut s'inscrire dans un événement stratégique, un événement de longue durée, ces images ne sont pas très différentes de la partie privée du voyage de Jiang Zemin en Chine et cela n'empêche pas les désaccords. Nous ne renoncerons à rien de ce que nous sommes, ils savent très bien que nous sommes une grande démocratie.
Q - Mais cela n'assoit pas son pouvoir ?
R - Son pouvoir contre qui, contre quoi ?
Q - En Chine même !
R - Et s'il ne venait pas, et si on ne le recevait pas, qu'est-ce que cela améliorerait en Chine par rapport à cela, quel serait le message positif, envoyé à qui ? Non je ne crois pas que l'on puisse s'en laver les mains. Je ne crois pas que ce soit en nous abstenant, en restant à côté, en faisant des déclarations dans notre coin et en laissant le monde se faire autrement, par d'autres, que nous ferons progresser la démocratie dans le monde, qui est évidemment un de nos objectifs.
Q - Aujourd'hui vous recevez le ministre russe des Affaires étrangères Igor Ivanov après le massacre à Grozny en Tchétchénie, vous allez lui dire que les règles du jeu avec la Russie vont changer ?
R - Igor Ivanov est le ministre des Affaires étrangères russes, la Russie fait partie du G8, Igor Ivanov est dans un dialogue constant avec les Allemands, avec les Britanniques, avec les Italiens, avec les Américains et je le reçois parce que j'ai travaillé avec lui dans l'affaire du Kosovo et j'ai trouvé que dans cette affaire, sauf dans la phase militaire proprement dite, où s'ils n'ont pas pu nous suivre, ils ont été aussi coopératifs qu'il était possible. Je le reçois parce que la Russie est un très grand pays, que nous avons intérêt là aussi à agir subtilement et si possible efficacement pour que la Russie devienne un grand pays avec lequel il est possible de voisiner.
Q - Et les règles du jeu vont changer ?
R - Nous avons besoin de lui dire sur la Tchétchénie, ce que j'ai dit d'ailleurs dans plusieurs déclarations publiques, c'est que personne ne conteste l'intégrité, la souveraineté territoriale de la Russie, personne. Tout le monde admet la nécessité de lutter contre le terrorisme, mais pour autant, nous pensons que l'escalade à laquelle il procède, y compris les victimes si nombreuses auxquelles vous faites allusion, cela les conduit dans une impasse, et que la seule solution pour la Russie dans cette affaire du Caucase et notamment de la Tchétchénie, c'est de revenir à une solution politique qu'ils avaient commencé à enclencher en 1996. Nous avons besoin de parler, nous avons besoin de lui dire, nous avons des relations qui sont toujours étroites. La Russie est proche, donc il faut voir avec eux, comment on pourrait revenir dans cette affaire du Caucase à une solution gérable qui tienne la route. Et il nous entend, il nous dit, là, je ne suis pas d'accord, là on ne peut pas, là peut-être on peut, là, on peut peut-être bouger. C'est cela le travail à l'international pour que les choses aillent un peu mieux.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 1999)