Texte intégral
Mesdames et Messieurs.
Je sais, Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, ce que représente le colloque annuel pour votre association : sa fonction rituelle est nécessaire à une institution qui, bien plus que centenaire, y rassemble à chaque fois ses forces. Mais c'est aussi une réunion de travail que vous avez raison de juger indispensable pour recadrer à chaque fois votre mission spécifique : une bonne partie de notre réseau de diffusion culturelle dans le monde repose sur l'Alliance française, c'est une raison suffisante pour veiller au moral de vos équipes, à la qualité de leur jeu et à leur positionnement sur le terrain.
Le Mondial nous ayant réconciliés avec l'idée d'une France qui gagne, vous sentez bien que ces images me viennent spontanément à l'esprit au moment où mes responsabilités comprennent désormais l'ensemble de notre dispositif de coopération internationale.
Et c'est au fond parce que le gouvernement voulait donner de l'action de la France dans le monde l'image de la modernité, du dynamisme et de la générosité qui nous a tous galvanisés il y a quelques jours, que la grande réforme de notre Coopération internationale a été entreprise.
Je vous en parlerai tout à l'heure, naturellement puisqu'elle intéresse vos activités.
Mais je voudrais tout d'abord vous livrer la représentation que j'ai de votre institution dans ce qu'on appelle habituellement, le Réseau - d'un terme dont on se méfie d'ailleurs autant Rue Monsieur, pour les raisons que vous imaginez, qu'on s'en réclame à la "DG" : "vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà", vous voyez que ma tâche n'est pas commode pour forger une culture commune de coopération et que la difficulté peut être aussi sémantique...
Beaucoup avant moi se sont, j'imagine, attardés à décrire la remarquable capacité de l'Alliance française à tutoyer l'espace et le temps. Au moment où on s'émerveille, où on s'effarouche encore - c'est selon - des réalités de l'heure, la mondialisation et la globalisation, vos 1085 comités, implantés dans 138 pays - excusez du peu - vous donnent quelque familiarité avec le monde tel qu'il est. Et 115 années d'existence pourraient vous inviter à la sérénité : vous n'êtes pas, tant s'en faut, un accident de l'Histoire.
J'apprécie d'autant plus votre regard planétaire, qui ne néglige aucune possibilité d'emprises nouvelles, et l'inquiétude positive qui vous pousse par exemple à réfléchir ces jours-ci au bénéfice des nouvelles technologies sur l'enseignement et la diffusion du français.
Car vous vous inscrivez dans la dynamique globale que le ministère des Affaires étrangères élargi à la Coopération cherche à imprimer à l'ensemble des établissements culturels qui dans le monde animent et entretiennent notre présence culturelle.
Et vous le faites avec votre identité. Ce double sentiment d'appartenance et de prévention contre toute allégeance a tissé ces dernières années des relations tout à la fois fécondes et complexes sur lesquelles, il me paraît utile de m'attarder quelques minutes si l'on veut bien comprendre ce que l'Etat attend d'un opérateur comme l'alliance dans la réforme que nous avons entreprise.
J'envisagerai cela sous trois angles différents, si vous le voulez bien :
- l'Etat a besoin d'opérateurs dont l'identité soit la marque d'un professionnalisme avéré dans leur champ de compétence : c'est une garantie de résultats.
- Mais les priorités qu'il exprime et auxquelles il affecte des moyens proportionnés à son attente déterminent un besoin de relations contractuelles claires, propices à un sain exercice de l'autonomie.
- La réorganisation de notre dispositif de coopération offrira à cette relation partenariale les moyens d'orientation, de négociation et de régulation qui devraient la stabiliser.
1. Du bon usage de l'identité.
Les atouts de l'Alliance, il est commun de le rappeler, touchent à la mission qu'elle s'est fixée à la fin du siècle dernier et au cadre associatif dans lequel elle s'est développée.
Mais, il est possible que l'histoire ait, sinon affaibli, du moins relativisé la première et au contraire fait de mieux en mieux ressortir les avantages du second, à mesure que la déconcentration et l'adaptation de notre action dans le monde rendaient plus évidentes les aptitudes de l'alliance à approfondir des liens partenariaux à l'étranger.
Je m'explique :
a) - la mission originelle que l'association s'était fixée en 1883 "pour regrouper tous ceux qui désirent contribuer au développement de la connaissance et du goût de la langue et de la pensée française" lui a longtemps donné un avantage sur l'enseignement et la diffusion du français.
Mais, celui-ci s'est progressivement réduit à mesure que, la demande augmentant et se diversifiant, une offre publique et privée, française, nationale voire souvent multilatérale avec la francophonie s'est développée. Le phénomène est inégal, mais de façon réelle, une situation d'émulation, même parfois de concurrence s'est créée qui d'un côté a conduit depuis 10 ans à une meilleure distribution des rôles entre nos propres établissements à l'étranger et de l'autre nous fait maintenant raisonner en termes de publics, de rationalisation de l'offre, et par conséquent de spécialisation.
Or cette spécialisation est éminemment souhaitable mais elle est aussi difficile à obtenir. Car on sent bien qu'elle est la meilleure réponse à un marché linguistique extraordinairement varié, volatile, lié à la demande, donc la plupart du temps à des motivations qui ont à voir avec l'économie, la promotion, l'insertion. En d'autres termes, la réponse d'un opérateur spécialisé comme l'alliance exige une anticipation constante, une ingéniérie renouvelée, un dispositif qui sache partout coupler la pratique de l'enseignement et celle de la formation, donc la pédagogie et la didactique. Tout cela pour que votre réseau s'adapte et soit garanti d'une bonne homogénéité puisqu'il repose sur un grand nombre d'enseignants locaux.
D'un autre côté on voit comme le marché linguistique est sensible aux crises économiques et financières et peut tout à coup s'effriter, vous l'avez éprouvé déjà en Amérique latine. A l'inverse une demande inédite peut apparaître dans des zones qui n'étaient pas vraiment programmées dans notre dispositif, on le constate en Afrique francophone.
L'une des principales conclusions que l'on puisse tirer de ces évolutions c'est que votre mission, sans rien abandonner, au contraire, de l'enseignement direct, pratiqué à partir de nos implantations de terrain, se développera de plus en plus vers la formation de formateurs.
Ce n'est pas un métier nouveau pour vous mais à coup sûr, votre nature associative est dépositaire d'une culture de Coopération qui doit permettre par le transfert à une expertise pédagogique locale d'assurer à notre langue et à notre culture la possibilité de conquérir de nouvelles frontières .
Cela, à mes yeux, emporte deux conséquences :
- la recherche de liaisons toujours plus étroites entre notre coopération linguistique universitaire partout où elle peut développer des pôles nationaux spécialisés et vos établissements, qui doivent en recueillir le fruit en termes de recherche pédagogique et naturellement de ressources humaines formées.
- Mais notre administration centrale devra pouvoir également vous aider à anticiper avec des outils de compréhension et d'analyse des situations qui sont encore aujourd'hui insuffisantes. Je ne vois d'ailleurs pas pourquoi nos postes, qui recueillent tous les éléments alimentant les rapports sur l'état de la Francophonie dans le monde n'en seraient pas les premiers bénéficiaires sous la forme d'une sorte d'observatoire du français dans le monde nous permettant à tous de mieux comprendre, mieux piloter, mieux stimuler notre Coopération linguistique et la ressource française pour la soutenir.
b) - Les dernières années ont donné beaucoup de relief aux vertus du statut associatif de l'Alliance française.
J'en porterai témoignage à partir de l'Afrique francophone. Vous le savez bien, à part quelques emprises très anciennes à Maurice, à Madagascar, au Sénégal tous pays où d'ailleurs on se flatte de la fréquentation de votre association, il paraissait incongru voilà 10 ans encore d'imaginer que le môle francophone le plus solide laisse place à des structures qu'on voit d'avantage appropriées pour développer le français langue étrangère.
Deux phénomènes expliquent que le nombre d'établissement ait plus que doublé dans cette partie du monde et ce au profit de comités d'alliance :
- la dégradation des structures éducatives nationales induit d'abord une forte demande d'enseignement parallèle du français et de ressources documentaires dont peu d'Etats assument la responsabilité.
- Le redéploiement de notre coopération éducative qui, pour des raisons aussi budgétaires que politiques, ne peut jouer "ad libitum" un rôle substitutif, laissant la place à des formules nouvelles attendues de nos partenaires.
Et c'est ainsi que le concept s'est affirmé de pôles francophones d'enseignement et de ressources correspondant à un besoin suffisamment fort pour justifier un triple investissement de notre coopération, des Etats et de comités locaux y assumant leurs responsabilités.
J'ajoute que dans cette partie du monde, on a pu vérifier à plusieurs reprises qu'en périodes d'étiage pour notre coopération, lorsque les difficultés politiques entravent la poursuite d'échanges normaux, les comités eux, poursuivent leurs activités, protègent leurs entreprises.
Ce fut le cas en Haïti, plus récemment en République démocratique du Congo. Mais de façon générale, au moment où partout dans le monde le périmètre de l'Etat se resserre, où la stimulation de l'initiative collective et individuelle semble mieux convenir pour des formes de développement à la main des sociétés bénéficiaires, on perçoit la modernité de votre approche.
On pense parfois que ce sont les tours de vis budgétaires qui commandent le développement de comités d'alliance, apparemment moins coûteux que les centres. Il faut nuancer ce jugement et comprendre que la question, plus profondément tient à la recherche de modes d'échanges plus partenariaux, permettant à notre coopération de se développer sur une offre qui passe mieux quand elle répond à une demande parfaitement assumée.
Car tout a un coût et vous le savez. Le revers de la médaille pour l'alliance, c'est qu'elle est tout de même tributaire de la solvabilité nationale. Partout cette solvabilité existe mais elle est inégale : exceptionnelle dans les pays les plus riches, elle vous permet à Singapour ou à Chicago de vous en remettre presque totalement à une disponibilité locale dont on ne peut que se féliciter. Dans les pays en développement elle est naturellement bien plus modeste et implique beaucoup plus la ressource français.
C'est la raison pour laquelle je voudrais maintenant vous parler de votre relation avec l'Etat.
2. Votre autonomie s'exprimera mieux dans une relation contractuelle claire
Je paraphraserais ici Montaigne : "votre monde vient d'en découvrir un autre". En effet, votre partenaire essentiel jusqu'à récemment était la DG. Celle-ci, depuis 1981, date de votre première convention avec l'Etat n'a cessé de rationaliser et rapprocher les deux réseaux culturels que nous entretenons ou accompagnons : le sien et le vôtre. Parfois chirurgicales, ces opérations ont été nécessaires car il n'était pas imaginable que pût perdurer un Yalta de plus en plus étrange entre des structures concourant aux mêmes missions.
Chacun convient que des efforts importants ont été faits de part et d'autre pour arriver non pas à des compromis boîteux mais à des relations contractuelles qui prennent forme dans des documents signés localement par l'ambassadeur et le président du comité, et qui prennent sens dans le projet culturel de nos postes.
L'autre monde, j'en ai parlé, c'est celui de l'ex champ de coopération et pour reprendre ma référence à Montaigne, c'est vrai qu'il peut paraître plus neuf, plus libre, plus audacieux aussi ; surtout au moment où la France et l'Afrique explorent des modes de relation qui nous affranchissent les uns et les autres des formes dépassées d'assistance et de paternalisme, que nous laissons à l'histoire.
Même dans ce cas de figure pourtant, j'aurai rapidement besoin de disposer d'une sorte de schéma de développement de notre dispositif culturel. Il y a à cela au moins 2 bonnes raisons :
la programmation d'abord, elle tombe sous le sens. Nous avons jusqu'ici réussi à tenir bon pour accompagner cette expansion soudaine du réseau, d'autant que sa nature d'opérateur de coopération nous autorisait à solliciter le Fonds d'aide et de Coopération pour financer les investissements de l'Alliance. Mais cette manne elle aussi est limitée et les personnels eux, sont partie intégrante de nos ressources humaines globales.
Plus profondément, tous ces moyens étant pris sur les enveloppes de coopération que nous mettons à disposition des Etats, on n'imagine plus qu'elle leur soit subrepticement dérobée au profit des alliances. Comme vous le savez, nous voulons une coopération transparente et négociée. Nous devons donc aller jusqu'au bout des bénéfices que procure votre statut et situer les perspectives de l'alliance dans les pays en développement au coeur des négociations que nous conduisons avec eux. Celles-ci se concluront et se traduisent déjà, peu à peu, par des accords de partenariat fixant nos engagements réciproques.
Cela emporte, ici aussi, plusieurs conséquences, car j'attends :
- que la mission des comités soit clairement perçue comme un élément du projet culturel commun que nous conduisons avec les Etats ;
- que les besoins de ce réseau soient quantifiés, programmés, et ses résultats soumis à une appréciation partagée ;
- qu'enfin se dessine un plan de développement et de financement maîtrisé de l'Alliance dans les pays en développement, supposant de notre côté un projet plus global dont nous devons discuter et que nos partenaires doivent connaître.
En résumé la démarche adoptée par la DG devra s'étendre à ce que nous appelons maintenant la zone de solidarité prioritaire, correspondant à la géographie future de notre Coopération au développement. Naturellement tout cela partira d'une définition des missions de l'alliance dans ces pays, tout à la fois opérateur de coopération éducative, linguistique, culturelle, articulé à l'ensemble de nos programmes de développement.
Je n'omets pas de préciser du reste que rien n'interdit, bien au contraire, que les alliances, structures associatives nationales, s'inscrivent dans la coopération francophone et sur la base de ce projet, soient éligibles à ses moyens.
3. L'Alliance française dans la réforme
J'ai, chemin faisant, par petites touches, énoncé quelques principes qui guident la réforme de notre Coopération internationale et au développement. Je vous rends attentif au fait que le gouvernement a souhaité un dispositif ouvert donc décloisonné par rapport aux structures anciennes, professionnel et partenarial :
- Ouvert, cela signifie que les frontières sur lesquelles nous vivions tombent et que nous adoptons des modalités de travail communes à tous les pays et régions avec lesquels nous échangeons, même si la solidarité que nous souhaitons manifester aux plus démunis justifie que des investissements plus conséquents leur soient affectés. C'est le sens de la zone de solidarité prioritaire dont je vous ai parlé.
- Professionnel, il le faut pour aborder avec efficacité les grands enjeux de l'heure. Voilà pourquoi la nouvelle direction générale de la Coopération internationale et du développement (DGCID) s'appuiera sur 4 grandes directions fonctionnelles :
- Développement et coopération technique
- Coopération culturelle et française
- Echanges universitaires et recherche
- Audiovisuel, médias et nouvelles technologies de l'information et de la communication, coordonnées par une direction de la stratégie, de la programmation et de l'évaluation visant aux synthèses, à la préparation des grands arbitrages, à la cohérence générale.
- Partenarial, c'est un besoin ressenti par tous pour que l'Etat mobilise le plus et le mieux possible la société française autour de sa coopération internationale.
A cette fin, un comité interministériel présidé par le Premier ministre donnera à intervalles réguliers à notre coopération internationale ses orientations, ses priorités géographiques et thématiques et évaluera les moyens globalement affectés par le pays à cette coopération.
Un Haut conseil de la Coopération internationale réunira d'autre part les principaux acteurs de notre société intéressés pour débattre de ses priorités, les faire connaître et les enrichir.
J'en tirerai, pour finir, quelques conclusions, à l'usage de l'alliance française :
- son interlocuteur principal sera la direction de la Coopération culturelle et du français. Elle aura un rôle de chef de file car il conviendra aussi que vous puissiez dialoguer avec les directions du développement, de l'audiovisuel, des échanges universitaires mais ce sera pour vous en quelque sorte un truchement et un lieu de synthèse.
- la direction de la Stratégie et de la Programmation lui indiquera les moyens dont elle dispose et contribuera à leur évaluation
- la Francophonie, dont j'ai la charge, est, elle, traitée par le service des Affaires francophones qui sera rattaché au Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Si vos opérations vous conduisent à participer aux projets francophones, il sera votre interlocuteur.
Voilà le cadre. Les orientations seront progressivement fixées. Elle nourriront notre dialogue et vos propositions y seront intégrées, dans le respect d'une identité dont j'ai cru bon de vous donner la certitude qu'elle a sa place dans une coopération professionnelle, audacieuse, mais cohérente. Car c'est cela que nous recherchons.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)
Je sais, Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, ce que représente le colloque annuel pour votre association : sa fonction rituelle est nécessaire à une institution qui, bien plus que centenaire, y rassemble à chaque fois ses forces. Mais c'est aussi une réunion de travail que vous avez raison de juger indispensable pour recadrer à chaque fois votre mission spécifique : une bonne partie de notre réseau de diffusion culturelle dans le monde repose sur l'Alliance française, c'est une raison suffisante pour veiller au moral de vos équipes, à la qualité de leur jeu et à leur positionnement sur le terrain.
Le Mondial nous ayant réconciliés avec l'idée d'une France qui gagne, vous sentez bien que ces images me viennent spontanément à l'esprit au moment où mes responsabilités comprennent désormais l'ensemble de notre dispositif de coopération internationale.
Et c'est au fond parce que le gouvernement voulait donner de l'action de la France dans le monde l'image de la modernité, du dynamisme et de la générosité qui nous a tous galvanisés il y a quelques jours, que la grande réforme de notre Coopération internationale a été entreprise.
Je vous en parlerai tout à l'heure, naturellement puisqu'elle intéresse vos activités.
Mais je voudrais tout d'abord vous livrer la représentation que j'ai de votre institution dans ce qu'on appelle habituellement, le Réseau - d'un terme dont on se méfie d'ailleurs autant Rue Monsieur, pour les raisons que vous imaginez, qu'on s'en réclame à la "DG" : "vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà", vous voyez que ma tâche n'est pas commode pour forger une culture commune de coopération et que la difficulté peut être aussi sémantique...
Beaucoup avant moi se sont, j'imagine, attardés à décrire la remarquable capacité de l'Alliance française à tutoyer l'espace et le temps. Au moment où on s'émerveille, où on s'effarouche encore - c'est selon - des réalités de l'heure, la mondialisation et la globalisation, vos 1085 comités, implantés dans 138 pays - excusez du peu - vous donnent quelque familiarité avec le monde tel qu'il est. Et 115 années d'existence pourraient vous inviter à la sérénité : vous n'êtes pas, tant s'en faut, un accident de l'Histoire.
J'apprécie d'autant plus votre regard planétaire, qui ne néglige aucune possibilité d'emprises nouvelles, et l'inquiétude positive qui vous pousse par exemple à réfléchir ces jours-ci au bénéfice des nouvelles technologies sur l'enseignement et la diffusion du français.
Car vous vous inscrivez dans la dynamique globale que le ministère des Affaires étrangères élargi à la Coopération cherche à imprimer à l'ensemble des établissements culturels qui dans le monde animent et entretiennent notre présence culturelle.
Et vous le faites avec votre identité. Ce double sentiment d'appartenance et de prévention contre toute allégeance a tissé ces dernières années des relations tout à la fois fécondes et complexes sur lesquelles, il me paraît utile de m'attarder quelques minutes si l'on veut bien comprendre ce que l'Etat attend d'un opérateur comme l'alliance dans la réforme que nous avons entreprise.
J'envisagerai cela sous trois angles différents, si vous le voulez bien :
- l'Etat a besoin d'opérateurs dont l'identité soit la marque d'un professionnalisme avéré dans leur champ de compétence : c'est une garantie de résultats.
- Mais les priorités qu'il exprime et auxquelles il affecte des moyens proportionnés à son attente déterminent un besoin de relations contractuelles claires, propices à un sain exercice de l'autonomie.
- La réorganisation de notre dispositif de coopération offrira à cette relation partenariale les moyens d'orientation, de négociation et de régulation qui devraient la stabiliser.
1. Du bon usage de l'identité.
Les atouts de l'Alliance, il est commun de le rappeler, touchent à la mission qu'elle s'est fixée à la fin du siècle dernier et au cadre associatif dans lequel elle s'est développée.
Mais, il est possible que l'histoire ait, sinon affaibli, du moins relativisé la première et au contraire fait de mieux en mieux ressortir les avantages du second, à mesure que la déconcentration et l'adaptation de notre action dans le monde rendaient plus évidentes les aptitudes de l'alliance à approfondir des liens partenariaux à l'étranger.
Je m'explique :
a) - la mission originelle que l'association s'était fixée en 1883 "pour regrouper tous ceux qui désirent contribuer au développement de la connaissance et du goût de la langue et de la pensée française" lui a longtemps donné un avantage sur l'enseignement et la diffusion du français.
Mais, celui-ci s'est progressivement réduit à mesure que, la demande augmentant et se diversifiant, une offre publique et privée, française, nationale voire souvent multilatérale avec la francophonie s'est développée. Le phénomène est inégal, mais de façon réelle, une situation d'émulation, même parfois de concurrence s'est créée qui d'un côté a conduit depuis 10 ans à une meilleure distribution des rôles entre nos propres établissements à l'étranger et de l'autre nous fait maintenant raisonner en termes de publics, de rationalisation de l'offre, et par conséquent de spécialisation.
Or cette spécialisation est éminemment souhaitable mais elle est aussi difficile à obtenir. Car on sent bien qu'elle est la meilleure réponse à un marché linguistique extraordinairement varié, volatile, lié à la demande, donc la plupart du temps à des motivations qui ont à voir avec l'économie, la promotion, l'insertion. En d'autres termes, la réponse d'un opérateur spécialisé comme l'alliance exige une anticipation constante, une ingéniérie renouvelée, un dispositif qui sache partout coupler la pratique de l'enseignement et celle de la formation, donc la pédagogie et la didactique. Tout cela pour que votre réseau s'adapte et soit garanti d'une bonne homogénéité puisqu'il repose sur un grand nombre d'enseignants locaux.
D'un autre côté on voit comme le marché linguistique est sensible aux crises économiques et financières et peut tout à coup s'effriter, vous l'avez éprouvé déjà en Amérique latine. A l'inverse une demande inédite peut apparaître dans des zones qui n'étaient pas vraiment programmées dans notre dispositif, on le constate en Afrique francophone.
L'une des principales conclusions que l'on puisse tirer de ces évolutions c'est que votre mission, sans rien abandonner, au contraire, de l'enseignement direct, pratiqué à partir de nos implantations de terrain, se développera de plus en plus vers la formation de formateurs.
Ce n'est pas un métier nouveau pour vous mais à coup sûr, votre nature associative est dépositaire d'une culture de Coopération qui doit permettre par le transfert à une expertise pédagogique locale d'assurer à notre langue et à notre culture la possibilité de conquérir de nouvelles frontières .
Cela, à mes yeux, emporte deux conséquences :
- la recherche de liaisons toujours plus étroites entre notre coopération linguistique universitaire partout où elle peut développer des pôles nationaux spécialisés et vos établissements, qui doivent en recueillir le fruit en termes de recherche pédagogique et naturellement de ressources humaines formées.
- Mais notre administration centrale devra pouvoir également vous aider à anticiper avec des outils de compréhension et d'analyse des situations qui sont encore aujourd'hui insuffisantes. Je ne vois d'ailleurs pas pourquoi nos postes, qui recueillent tous les éléments alimentant les rapports sur l'état de la Francophonie dans le monde n'en seraient pas les premiers bénéficiaires sous la forme d'une sorte d'observatoire du français dans le monde nous permettant à tous de mieux comprendre, mieux piloter, mieux stimuler notre Coopération linguistique et la ressource française pour la soutenir.
b) - Les dernières années ont donné beaucoup de relief aux vertus du statut associatif de l'Alliance française.
J'en porterai témoignage à partir de l'Afrique francophone. Vous le savez bien, à part quelques emprises très anciennes à Maurice, à Madagascar, au Sénégal tous pays où d'ailleurs on se flatte de la fréquentation de votre association, il paraissait incongru voilà 10 ans encore d'imaginer que le môle francophone le plus solide laisse place à des structures qu'on voit d'avantage appropriées pour développer le français langue étrangère.
Deux phénomènes expliquent que le nombre d'établissement ait plus que doublé dans cette partie du monde et ce au profit de comités d'alliance :
- la dégradation des structures éducatives nationales induit d'abord une forte demande d'enseignement parallèle du français et de ressources documentaires dont peu d'Etats assument la responsabilité.
- Le redéploiement de notre coopération éducative qui, pour des raisons aussi budgétaires que politiques, ne peut jouer "ad libitum" un rôle substitutif, laissant la place à des formules nouvelles attendues de nos partenaires.
Et c'est ainsi que le concept s'est affirmé de pôles francophones d'enseignement et de ressources correspondant à un besoin suffisamment fort pour justifier un triple investissement de notre coopération, des Etats et de comités locaux y assumant leurs responsabilités.
J'ajoute que dans cette partie du monde, on a pu vérifier à plusieurs reprises qu'en périodes d'étiage pour notre coopération, lorsque les difficultés politiques entravent la poursuite d'échanges normaux, les comités eux, poursuivent leurs activités, protègent leurs entreprises.
Ce fut le cas en Haïti, plus récemment en République démocratique du Congo. Mais de façon générale, au moment où partout dans le monde le périmètre de l'Etat se resserre, où la stimulation de l'initiative collective et individuelle semble mieux convenir pour des formes de développement à la main des sociétés bénéficiaires, on perçoit la modernité de votre approche.
On pense parfois que ce sont les tours de vis budgétaires qui commandent le développement de comités d'alliance, apparemment moins coûteux que les centres. Il faut nuancer ce jugement et comprendre que la question, plus profondément tient à la recherche de modes d'échanges plus partenariaux, permettant à notre coopération de se développer sur une offre qui passe mieux quand elle répond à une demande parfaitement assumée.
Car tout a un coût et vous le savez. Le revers de la médaille pour l'alliance, c'est qu'elle est tout de même tributaire de la solvabilité nationale. Partout cette solvabilité existe mais elle est inégale : exceptionnelle dans les pays les plus riches, elle vous permet à Singapour ou à Chicago de vous en remettre presque totalement à une disponibilité locale dont on ne peut que se féliciter. Dans les pays en développement elle est naturellement bien plus modeste et implique beaucoup plus la ressource français.
C'est la raison pour laquelle je voudrais maintenant vous parler de votre relation avec l'Etat.
2. Votre autonomie s'exprimera mieux dans une relation contractuelle claire
Je paraphraserais ici Montaigne : "votre monde vient d'en découvrir un autre". En effet, votre partenaire essentiel jusqu'à récemment était la DG. Celle-ci, depuis 1981, date de votre première convention avec l'Etat n'a cessé de rationaliser et rapprocher les deux réseaux culturels que nous entretenons ou accompagnons : le sien et le vôtre. Parfois chirurgicales, ces opérations ont été nécessaires car il n'était pas imaginable que pût perdurer un Yalta de plus en plus étrange entre des structures concourant aux mêmes missions.
Chacun convient que des efforts importants ont été faits de part et d'autre pour arriver non pas à des compromis boîteux mais à des relations contractuelles qui prennent forme dans des documents signés localement par l'ambassadeur et le président du comité, et qui prennent sens dans le projet culturel de nos postes.
L'autre monde, j'en ai parlé, c'est celui de l'ex champ de coopération et pour reprendre ma référence à Montaigne, c'est vrai qu'il peut paraître plus neuf, plus libre, plus audacieux aussi ; surtout au moment où la France et l'Afrique explorent des modes de relation qui nous affranchissent les uns et les autres des formes dépassées d'assistance et de paternalisme, que nous laissons à l'histoire.
Même dans ce cas de figure pourtant, j'aurai rapidement besoin de disposer d'une sorte de schéma de développement de notre dispositif culturel. Il y a à cela au moins 2 bonnes raisons :
la programmation d'abord, elle tombe sous le sens. Nous avons jusqu'ici réussi à tenir bon pour accompagner cette expansion soudaine du réseau, d'autant que sa nature d'opérateur de coopération nous autorisait à solliciter le Fonds d'aide et de Coopération pour financer les investissements de l'Alliance. Mais cette manne elle aussi est limitée et les personnels eux, sont partie intégrante de nos ressources humaines globales.
Plus profondément, tous ces moyens étant pris sur les enveloppes de coopération que nous mettons à disposition des Etats, on n'imagine plus qu'elle leur soit subrepticement dérobée au profit des alliances. Comme vous le savez, nous voulons une coopération transparente et négociée. Nous devons donc aller jusqu'au bout des bénéfices que procure votre statut et situer les perspectives de l'alliance dans les pays en développement au coeur des négociations que nous conduisons avec eux. Celles-ci se concluront et se traduisent déjà, peu à peu, par des accords de partenariat fixant nos engagements réciproques.
Cela emporte, ici aussi, plusieurs conséquences, car j'attends :
- que la mission des comités soit clairement perçue comme un élément du projet culturel commun que nous conduisons avec les Etats ;
- que les besoins de ce réseau soient quantifiés, programmés, et ses résultats soumis à une appréciation partagée ;
- qu'enfin se dessine un plan de développement et de financement maîtrisé de l'Alliance dans les pays en développement, supposant de notre côté un projet plus global dont nous devons discuter et que nos partenaires doivent connaître.
En résumé la démarche adoptée par la DG devra s'étendre à ce que nous appelons maintenant la zone de solidarité prioritaire, correspondant à la géographie future de notre Coopération au développement. Naturellement tout cela partira d'une définition des missions de l'alliance dans ces pays, tout à la fois opérateur de coopération éducative, linguistique, culturelle, articulé à l'ensemble de nos programmes de développement.
Je n'omets pas de préciser du reste que rien n'interdit, bien au contraire, que les alliances, structures associatives nationales, s'inscrivent dans la coopération francophone et sur la base de ce projet, soient éligibles à ses moyens.
3. L'Alliance française dans la réforme
J'ai, chemin faisant, par petites touches, énoncé quelques principes qui guident la réforme de notre Coopération internationale et au développement. Je vous rends attentif au fait que le gouvernement a souhaité un dispositif ouvert donc décloisonné par rapport aux structures anciennes, professionnel et partenarial :
- Ouvert, cela signifie que les frontières sur lesquelles nous vivions tombent et que nous adoptons des modalités de travail communes à tous les pays et régions avec lesquels nous échangeons, même si la solidarité que nous souhaitons manifester aux plus démunis justifie que des investissements plus conséquents leur soient affectés. C'est le sens de la zone de solidarité prioritaire dont je vous ai parlé.
- Professionnel, il le faut pour aborder avec efficacité les grands enjeux de l'heure. Voilà pourquoi la nouvelle direction générale de la Coopération internationale et du développement (DGCID) s'appuiera sur 4 grandes directions fonctionnelles :
- Développement et coopération technique
- Coopération culturelle et française
- Echanges universitaires et recherche
- Audiovisuel, médias et nouvelles technologies de l'information et de la communication, coordonnées par une direction de la stratégie, de la programmation et de l'évaluation visant aux synthèses, à la préparation des grands arbitrages, à la cohérence générale.
- Partenarial, c'est un besoin ressenti par tous pour que l'Etat mobilise le plus et le mieux possible la société française autour de sa coopération internationale.
A cette fin, un comité interministériel présidé par le Premier ministre donnera à intervalles réguliers à notre coopération internationale ses orientations, ses priorités géographiques et thématiques et évaluera les moyens globalement affectés par le pays à cette coopération.
Un Haut conseil de la Coopération internationale réunira d'autre part les principaux acteurs de notre société intéressés pour débattre de ses priorités, les faire connaître et les enrichir.
J'en tirerai, pour finir, quelques conclusions, à l'usage de l'alliance française :
- son interlocuteur principal sera la direction de la Coopération culturelle et du français. Elle aura un rôle de chef de file car il conviendra aussi que vous puissiez dialoguer avec les directions du développement, de l'audiovisuel, des échanges universitaires mais ce sera pour vous en quelque sorte un truchement et un lieu de synthèse.
- la direction de la Stratégie et de la Programmation lui indiquera les moyens dont elle dispose et contribuera à leur évaluation
- la Francophonie, dont j'ai la charge, est, elle, traitée par le service des Affaires francophones qui sera rattaché au Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. Si vos opérations vous conduisent à participer aux projets francophones, il sera votre interlocuteur.
Voilà le cadre. Les orientations seront progressivement fixées. Elle nourriront notre dialogue et vos propositions y seront intégrées, dans le respect d'une identité dont j'ai cru bon de vous donner la certitude qu'elle a sa place dans une coopération professionnelle, audacieuse, mais cohérente. Car c'est cela que nous recherchons.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)