Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à l'agence UPI le 4 octobre 1999 et à"MBC" le 5, sur le processus de paix au Proche-Orient, le contrôle du désarmement en Irak et la consolidation de la paix au Kosovo.

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Média : MBC - UPI

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC L'AGENCE DE PRESSE UPI
Q : Dans un entretien avec la presse américaine à New-York, il y a quelques jours, vous avez dit, je vous cite "attendez-vous à ce que cela se bloque à nouveau sur le statut final ?" ; dans ce cas de figure êtes-vous favorable à une conférence internationale et/ou multilatérale à Paris l'année prochaine, qui aurait comme objectif d'accompagner les parties afin de résoudre les problèmes qualifiés par vous-même de "terriblement complexes" concernant Jérusalem, les réfugiés, les frontières, l'eau ainsi que le statut de l'Etat palestinien ?
R - J'ai voulu dire que si je croyais à la reprise des négociations, je m'attendais aussi à ce qu'elles soient extrêmement difficiles. Le président Arafat l'a dit lui-même dans ses entretiens à Paris, comme il me l'avait dit à New York. La paix au Proche-Orient est un enjeu et un objectif pour toute la communauté internationale spécialement pour les européens, et spécialement pour nous, les Français. Nous ferons tout ce qui dépend de nous pour la favoriser soit que les parties nous le demandent, soit que nous ayons des idées à proposer pour sortir d'éventuelles difficultés ou blocages.
Q - Monsieur le Ministre, j'ai appris que vous allez vous rendre au Vatican juste après votre voyage en Israël et dans les territoires palestiniens la semaine prochaine, cette visite au Vatican s'inscrit-elle dans le cadre des concertations pour mettre au point un "projet" au sujet de Jérusalem ?
R - Pas directement. C'est une concertation normale pour la diplomatie française. Le Saint-Siège est un acteur important des relations internationales. J'aurai au Vatican des conversations qui porteront bien sûr, sur nos analyses respectives de la situation dans la région et des perspectives rouvertes par les négociations - comme vous le savez, le Pape a fait connaître son souhait de se rendre en Terre Sainte et en Iraq - mais aussi sur d'autres situations de conflit dans le monde, à Timor, en Afrique, ou ailleurs.
Q - Le calendrier du retrait israélien du Sud-Liban (le 7 juillet 2000) ne coïncide pas avec celui concernant le Golan annoncé par M. Barak. Ce dernier estime une durée de 12 à 15 mois sans compter le retrait effectif des troupes et des colons. Quel sentiment vous inspire cette "non concommitance" du calendrier ?
R - D'après ce que je sais, M. Barak n'a pas évoqué de calendrier précis pour le retrait du Golan. Il a parlé à un moment de 12 à 15 mois pour parvenir à un règlement global, sur l'ensemble des volets. Depuis, est intervenu, sur le volet palestinien, l'accord de Charm el-Cheikh, qui prévoit un accord dans un an. En revanche, il est exact que M. Barak a réitéré à Paris, l'engagement pris devant ses compatriotes de se retirer du Sud-Liban d'ici le 7 juillet 2000. Il vaut mieux que ce soit dans le cadre d'un accord. J'espère que d'ici là, les discussions avec la Syrie auront pu reprendre elles aussi car les responsables israéliens sont eux-mêmes conscients du fait que ces problèmes forment un tout et appellent une solution d'ensemble.
Q - Que pensez-vous de la suggestion venue de plusieurs capitales occidentales d'implanter les réfugiés palestiniens au Liban ce qui suscite un grave débat interne étant donné le déséquilibre démographique et religieux que cela entraînerait. Pour quelle solution la France penche-t-elle ?
R - Je n'ai pas connaissance d'une telle suggestion. Pour ce qui concerne la France, notre position, bien connue, est celle du nécessaire respect des résolutions internationales. Que disent-elles? Le droit au retour, ou à compensation, des réfugiés palestiniens est inscrit dans les résolutions 194 et 242 des Nations unies. Cette question devrait être traitée directement par les Palestiniens et les Israéliens - et par les pays d'accueil concernés - dans le délai d'un an. Nous souhaitons qu'émerge une solution conforme au droit de ces populations de vivre dans des conditions et des endroits convenables. Il n'est pas exclu, comme l'a dit le président de la République, qu'à un moment donné une concertation internationale, justifiée par un souci de solidarité, s'avère indispensable. Nous connaissons toute l'importance qu'attachent à cette question les autorités libanaises, qui savent combien nous sommes à leur écoute et attentifs à leurs aspirations. Le cas des réfugiés au Liban devra être réglé dans le respect de toutes les parties en présence.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 1999
ENTRETIEN AVEC LA TELEVISION "MBC"
Q - Monsieur le Ministre, merci de nous accorder cet entretien après votre semaine d'intenses rencontres à New York, à l'Assemblée générale. En même temps, à Paris, le président de la République recevait aussi les principaux acteurs du processus de paix. Est-ce que vous pensez que la paix est proche ?
R - Proche, non, mais je pense qu'elle est possible. Et je ne le pensais pas ces dernières années. Je crois que l'arrivée au pouvoir de M. Barak a créé une situation nouvelle et que, par ailleurs, les principaux protagonistes du conflit israélo-palestinien, israélo-syrien, israélo-libanais, israélo-arabe, veulent vraiment trouver une solution. Il me semble qu'il y a quelque chose de changé, de neuf, de prometteur, sur le plan non seulement politique et psychologique - cela vaut chez les dirigeants, et je crois que c'est vrai dans les opinions, dans les peuples - et à partir de cette situation, il y a tout un très long travail à faire encore pour parvenir à la paix. Mais ce n'est plus impensable, je crois.
Q - Vous entreprenez une tournée en Israël et dans les territoires occupés, plus tard peut-être, dans d'autres pays de la région. Partez-vous avec des idées précises de la part de la France et de l'Europe ?
R - La France est toujours en contact avec tous les protagonistes du conflit du Proche-Orient. Nous avons des relations bilatérales fortes, étroites, anciennes, amicales avec les uns et les autres même quand ils sont dans un affrontement, dans un antagonisme. Ce contact est entretenu par les visites très fréquentes à Paris - vous en citiez quelques unes - des dirigeants, par des contacts à New York ou ailleurs et, évidemment, par des visites sur place. Compte tenu de ce contexte nouveau, nous voulons être proches de tous nos amis du Proche-Orient et disponibles pour aider, si c'est possible et si c'est utile.
Je vais donc aller en octobre, novembre et peut-être décembre dans les pays concernés par cette question et je commence par un déplacement en Israël et dans les territoires palestiniens. C'est ma prochaine étape. Je vais voir sur place qu'elle est l'atmosphère et la façon dont on se prépare à l'étape suivante, qui est la discussion sur le statut final. Cela me paraît très compliqué. C'est très compliqué, mais si les protagonistes peuvent envisager d'aborder cette étape, c'est parce qu'ils se sont enfin remis d'accord sur la façon d'appliquer des engagements pris antérieurement. C'était un préalable, sinon on ne parlerait même pas de négociations sur le statut final. C'est dire que l'on est dans une situation totalement différente de celle qui prévalait encore il y a quelques mois.
Q - Vous pensez que le gouvernement de M. Barak est plutôt pressé sur le volet syro-libanais, plus que sur le volet palestinien qui sera assez complexe quand vous abordez la question des réfugiés et de Jérusalem ?
R - Je ne peux pas répondre à sa place. Ce sont les protagonistes du conflit qui négocient. On ne négocie pas à leur place, on ne peut pas se substituer à eux. On peut aider, être présent, accompagner. On peut le faire de multiples façons mais on ne peut pas négocier à leur place. Je peux simplement exprimer l'impression que j'ai de l'extérieur qui est que M. Barak est déterminé à trouver une solution. Je ne pense pas du tout qu'il se dise je vais vers une solution là et pas là. Je n'y crois pas du tout. Je pense qu'il veut avancer et qu'il avancera plus ou moins vite en fonction des difficultés intrinsèques des dossiers et des réponses qu'il rencontrera. Je ne crois pas que cela se présente sous la forme d'un choix, entre le volet israélo-palestinien et les autres. Maintenant quand on regarde de l'extérieur ; objectivement, les dossiers, on voit que les difficultés ne sont pas les mêmes. Et je crois que l'idée des dirigeants israéliens - et j'ai l'impression que c'est l'idée des dirigeants arabes concernés - est de trouver une solution, car ils sont les premiers conscients des immenses difficultés. Les difficultés ne sont pas du même ordre à mon avis, selon que l'on est dans un volet ou dans l'autre.
Q - C'est-à-dire ?
R - Du côté palestinien, le préalable c'était que les parties se remettent d'accord sur l'application des accords passés, de Wye et les autres. C'est fait, depuis Charm El-Cheikh. Maintenant, il faut aborder la négociation sur le statut final et l'on s'aperçoit que si l'on prend la question de Jérusalem - particulièrement complexe, chacun le sait - mais aussi la question des réfugiés - très difficile -, la question des frontières, la question de l'eau, la question des colonies, tout cela est très compliqué. Donc je suis convaincu, qu'ils vont se mettre d'accord facilement sur la façon de reprendre les négociations, mais après cela va être très difficile, dossier par dossier.
Q - Et là vous allez intervenir peut-être ?
R - Cela dépend bien sûr de ce que vous entendez par intervention. Encore une fois, on ne peut pas se substituer aux protagonistes. Ce sont ceux qui se sont fait la guerre qui font la paix, ce ne sont pas les autres en réalité. Parmi les autres, il y a, au tout premier plan, la France qui a joué un rôle historique très souvent, de pays précurseur, de pays prémonitoire, qui a su dire les choses à l'avance, qui a su faire évoluer les esprits et préparer justement les échéances nouvelles, à une époque où le Proche-Orient n'était pas encore en mesure d'imaginer des compromis et des solutions. Nous, nous l'avons fait souvent, avec beaucoup d'avance, ce qui fait que nous avons été souvent critiqué par les uns par les autres, mais enfin c'était notre rôle. Là, ils n'ont plus besoin de personne, ni des Américains, ni des Européens, pour renouer les dialogues. Mais, dans le coeur des discussions, quand elles seront vraiment dans les moments les plus difficiles, quand elles se bloqueront, peut-être, avant de se débloquer à nouveau, de se rebloquer, de se redébloquer et jusqu'à la fin, là, je pense que nous avons certainement une présence à assurer. Sous quelle forme ? cela sera justement un de mes sujets de conversation, que ce soit à Tel Aviv , avec les Palestiniens, ou à Damas, ou à Beyrouth. C'est une des choses que je vais voir au mieux, sur place.
Q - Donc sur les arrangements de sécurité, sur l'eau, c'est plutôt sur ces deux dossiers que vous pensez peut-être que l'Europe aura un rôle à jouer ?
R - Je n'exclue rien. Je pense en effet que l'Europe peut jouer un rôle utile sur tous les plans, en expliquant à l'avance ce qu'elle serait capable ou en mesure d'apporter pour consolider tel ou tel accord, pour garantir telle ou telle chose, pour faire vivre les accords après leur signature, parce qu'il faut commencer à penser à ce que serait un Proche-Orient après les accords qui vont être recherchés. Et là, je crois que le rôle de l'Europe sera encore plus grand qu'aujourd'hui. Et je pense que chacun des protagonistes le sait. Il faut donc commencer à entrer dans cette réflexion.
Q - Une conférence internationale sur Jérusalem, ou plutôt une concertation internationale sur les réfugiés et Jérusalem c'est quelque chose d'envisageable ?
R - Il ne faut pas s'enfermer dans une formule quelconque a priori. Certes, la concertation internationale existe. Elle va s'intensifier. Elle existe quand les uns et les autres vont à Paris, vont à Londres, ou à Berlin ou à Washington, ou quand ils se rencontrent en Egypte ou dans d'autres pays. Cette concertation existe, elle est même constante. Vous voyez bien qu'il y a à la fois des protagonistes, je le répète, qui sont en première ligne. Ce sont eux qui, au bout du compte, s'engagent et devant leur peuple, et devant l'histoire, à faire la paix ou à ne pas la faire pour telle ou telle raison mais, autour, il y a un environnement d'amis, un environnement sympathique qui, selon les moments, va stimuler les uns ou les autres, encourager les uns ou les autres, ou les encourager tous, va apporter des idées, essayer de représenter une valeur ajoutée par des propositions politiques, techniques, éthiques, économiques montrant que cela peut marcher, qu'il faut franchir les derniers obstacles qui nous séparent d'un Proche Orient en paix. Sous quelle forme exacte ? Je ne peux pas le dire à l'avance car cela dépend de la négociation, des points sur lesquels elle peut se bloquer. La question de l'eau n'est pas la même que la question du Golan, ou du sud Liban. Les problèmes ne sont pas les mêmes et, sur tous les plans, il faut que les uns et les autres sachent que l'Europe, et la France en tout premier lieu, sont disponibles, attentifs et seront inventives et je crois qu'elle peuvent être utiles.
Q - Monsieur le Ministre, Israël n'a toujours pas ratifié la Convention de non prolifération nucléaire. Peut-on arriver à un Moyen-Orient en paix avec un pays qui détient l'arme nucléaire ?
R - Je pense que, dans l'immédiat, il faut que les efforts des uns et des autres soient concentrés sur le règlement de ce grand contentieux historique israélo-arabe, dans les différents volets que nous avons déjà évoqués. Mais les choses ne s'arrêtent pas là. Il est évident qu'après, les différents pays devront travailler sur la coopération régionale, la coopération économique, les types de relations entre les sociétés, sur le plan humain, et sur la question de la sécurité. Mais je vois plutôt cette question de la sécurité et des modalités de la sécurité - désarmement, du contrôle des armements, de la maîtrise des armements, tous les volets de la sécurité - être abordée par des gouvernements ayant conclu des accords entre eux et étant sur une base clarifiée pour aborder cette question. Je ne la vois pas comme un préalable à la recherche des accords actuels.
Q - Et sur le sud Liban, le Comité de surveillance, vous trouvez qu'il fait bien son travail alors qu'Israël bombarde presque tous les jours le sud Liban ?
R - Je pense que le groupe de surveillance des accords du sud Liban fait son travail le mieux possible. Vous savez que la France a été largement à l'origine de sa création, qu'elle y est très active. Je veux dire par là que les choses seraient plus difficiles, me semble-t-il, si ce groupe n'existait pas et si la France n'avait pas beaucoup agi à l'époque, il y a quelques années, pour qu'il soit constitué. Mais cela ne suffit pas, cela n'est pas une solution de fond, naturellement. Il est évident que la situation actuelle est tout à fait mauvaise, à tout point de vue, et pour tout le monde d'ailleurs puisque M. Barak lui même a annoncé que l'armée israélienne quitterait le sud Liban justement l'été prochain, ou au début de l'été prochain.
Q - Est-il sincère ?
R - Je crois. Je le répète avec beaucoup de clarté, tout en disant qu'il serait préférable que cela s'inscrive dans un accord israélo-libanais, israélo-syrien, donc un accord d'ensemble. C'est un des sujets sur lequel nous souhaitons très vivement que la négociation reprenne. Il y a une discussion compliquée entre les Syriens et les Israéliens notamment, sur les bases à partir desquelles ils peuvent reprendre ce qui avait été entamé jusqu'à un certain point dans le passé. Ce sont eux qui sont concernés le plus directement. Tout ce que nous souhaitons nous c'est que cela reprenne. Nous ne pensons pas que cela soit insoluble, en fait, ni la question du Golan, ni la question du sud Liban et, d'une façon ou d'une autre, nous serons là pour aider si les uns et les autres le souhaitent.
Q - S'agissant de l'Iran, pensez-vous qu'il aura un rôle à jouer dans cette paix ? Le président Khatami s'apprête à venir à Paris en visite de travail.
R - Le président Khatami va être accueilli bientôt à Paris à l'occasion d'un déplacement qu'il doit faire à l'UNESCO. C'est le développement, en quelque sorte, de nos relations que j'avais initié par un voyage à l'été 1998, en Iran. Nous voulions montrer par là que nous avions bien pris conscience du changement qui s'était opéré en Iran du fait de la volonté du corps électoral iranien, un changement très important, mais encore partiel, et qui a changé le président de la République et le gouvernement. Nous avons affaire à des responsables - ceux que je viens de citer - qui, manifestement, veulent ouvrir plus l'Iran sur l'extérieur et rétablir des relations plus normales entre ce pays et beaucoup d'autres, à commencer par les pays de la région. Donc, nous voulons encourager ce mouvement et nous l'avons fait de différentes façons, nous allons le faire encore en accueillant le Président Khatami à Paris, ce qui ne veut pas dire que l'on soit inconscient des débats qui ont lieu en Iran sur la voie à suivre et des difficultés que rencontrent ses responsables. Mais, ça c'est notre attitude envers l'Iran. En ce qui concerne l'affaire de la paix au Proche-Orient, on ne peut pas dire que l'Iran soit un protagoniste sur le même plan qu'Israël, que la Syrie, le Liban ou les autres pays mais il est clair que si l'Iran veut jouer un rôle constructif à cette occasion. Ce serait une bonne démonstration.
Q - Monsieur le Ministre, sur le dossier iraquien, la France a beaucoup fait pour alléger les souffrances du peuple iraquien, est-ce qu'aujourd'hui au Conseil de sécurité vous êtes arrivé à un consensus entre vos propositions et la proposition qui a été faite par les Britanniques, alors qu'en plus aujourd'hui l'Iraq refuse toutes les propositions ?
R - Nous ne sommes pas encore arrivés à un consensus mais nous avons beaucoup bougé. Il y a eu beaucoup de travail au sein du Conseil de sécurité ces derniers mois. Nous avons fait des propositions d'ensemble parce qu'il faut dans cette question iraquienne à la fois traiter la question de la sécurité régionale, question que pose tous les voisins de l'Iraq et d'autre part la question sociale, humaine, humanitaire, de la société iraquienne qui est vraiment très déstructurée et très abîmée par les conséquences de cet embargo qui n'a été provoqué que par l'invasion du Koweït, naturellement, à l'origine, mais, au bout du compte, on ne peut pas les laisser ce problème perdurer sans rien faire mais, nous avons proposé une approche d'ensemble, qui ne porte pas que sur l'embargo. Nous l'avons proposée depuis plusieurs mois à nos partenaires au sein du Conseil de sécurité, parce que c'est là le lieu où l'on se discute, entre les pays du Conseil de sécurité qui ont édicté les résolutions de 1991. C'est à nous de voir s'il faut les compléter ou les modifier sur tel ou tel point. Notre ligne, c'est qu'il faut mettre en place un système de contrôle à long terme qui soit efficace et convaincant en ce qui concerne tout éventuel réarmement de l'Iraq en matière d'armes de destruction massive prohibées, ainsi qu'un contrôle financier. Cela permettrait de suspendre l'embargo, dans un premier temps, pour vérifier que les choses se passent bien.
Q - Pendant combien de temps ?
R - Quelques semaines, pour vérifier si les choses se passent bien, pour vérifier si l'Iraq coopère à cette nouvelle discussion. Et, après, on pourrait progresser en matière de suspension, la renouveler un certain nombre de fois, jusqu'au jour nous pourrons avoir réuni toutes les conditions pour une levée de l'embargo. C'est donc un plan d'ensemble. Il y a une proposition britannique. Elle était très différente de la nôtre sur la plupart des points. Nous avons travaillé, nous avons discuté, nous nous sommes énormément rapproché au sein du Conseil de sécurité et aujourd'hui les débats se poursuivent sur un point particulier : les conditions de l'éventuelle suspension. Mais la tendance générale c'est que travaillons sérieusement à un nouveau dispositif et que nous nous rapprochons.
Q - Donc là, il n'y a pas encore de projet pour une nouvelle résolution, rien ? Vous pensez que vous avez pu rapprocher les Britanniques et les Américains à vos points de vue, c'est cela ?
R - Oui, nous avons aussi évolué sur un certain nombre de dispositions : nous avons intégré un certain nombre d'éléments qui étaient proposés par les autres sur les modalités des contrôles, sur un certain nombre de choses. Et, nous nous sommes les uns et les autres rapprochés. C'est une politique d'ensemble.
Q - Ce qui vous a valu, d'ailleurs, malheureusement des critiques de la part des autorités iraquiennes, cela ne vous choque pas ?
R - Non cela ne me choque pas du tout. Ce ne sont d'ailleurs pas les autorités mais un journal qui a dit cela, c'est un peu différent. Cela ne me choque pas du tout. Nous poursuivons notre travail. Nous sommes, je crois, le pays le plus sincèrement désireux de trouver une solution qui combine les différents éléments. On ne peux pas ne voir que la question de la sécurité et oublier le sort du peuple iraquien ou ne voir que la question de l'embargo et oublier la question de la sécurité, il faut voir l'ensemble. Alors, nous sommes critiqués par les uns par les autres, selon les jours. Ce n'est pas un problème. Le problème c'est de savoir si nous acceptons passivement le statu quo, et ce n'est pas notre cas, ou si nous faisons des propositions à partir desquelles on travaille et on progresse, et c'est le cas. On a progressé ; on a pas encore atteint un dispositif que tous les pays du Conseil de sécurité pourraient adopter. Mais ce n'est pas impossible. Nous nous rapprochons, je crois.
Q - La commission qui pourrait retourner serait composée de gens complètement différents...
R - Tous les détails sont encore en discussion, je ne peux pas vous en parler. Je peux vous parler des idées générales qui sont claires. Mais, les détails, on en parlera quand nous serons arrivés à un nouveau texte.
Q - Pour terminer sur le Kosovo, le président serbe Milosevic est toujours au pouvoir. Quelle est l'étape prochaine au Kosovo ? Il y a un représentant du Secrétaire général aux Nations Unies, M. Bernard Kouchner, qui est français et qui travaille beaucoup là-bas. Qu'est ce qu'on peux imaginer pour cette enclave, cette partie de la Yougoslavie, comment voyez-vous l'avenir de cette région ?
R - Beaucoup d'objectifs ont déjà été atteints. D'abord le premier est évident : la répression extrêmement dure et féroce parfois qui était menée par les forces de sécurité serbes et yougoslaves a été interrompue, puisqu'ils ont perdu cette guerre et qu'ils ont du évacuer le Kosovo. La KFOR, la force internationale, s'est installée et a commencée à rétablir la sécurité dans le Kosovo. Elle fait de son mieux pour que la sécurité soit assurée pour tous. Les Nations unies ont une mission civile, la MINUK, dont vous parliez, qui essaie d'organiser le pays, de le réorganiser et de le construire ou de le reconstruire dans la vie quotidienne. Les choses progressent beaucoup. On sait maintenant qu'il y a beaucoup plus de Serbes qui sont resté au Kosovo qu'on ne le croyait au début. On parle maintenant d'un chiffre de 90 000 plutôt que de 30 000. La question qui se pose donc immédiatement est celle de la coexistence. On n'en est pas à parler de coopération et encore moins de réconciliation, mais de coexistence pacifique entre les différents groupes qui sont au Kosovo. C'est ce à quoi s'emploient Bernard Kouchner et le Général Jackson toute la journée avec toutes leurs équipes, avec beaucoup de mérite.
L'étape suivante est de consolider cette situation, c'est d'organiser cette autonomie, de faire en sorte que des dispositions soient prises avant l'hiver, de faire en sorte que l'on prépare la suite. Organiser l'autonomie du Kosovo c'est commencer à penser à des élections, puisqu'elles sont prévues par la résolution 1244 qui définit ce que doit être notre politique au Kosovo. Pour faire des élections, il faut qu'elles puissent se dérouler dans de bonnes conditions ; il faut des listes électorales, il faut que la question des papiers d'identité soit réglée, il faut que tout le monde puisse participer, les différents groupes du Kosovo : les Albanophones, les Roms, les Serbes... Il faut qu'il y ait des listes, il faut que la campagne électorale puisse avoir lieu dans des conditions équitables et démocratiques, puisqu'il s'agit d'établir une démocratie aussi, car elle n'a jamais véritablement existé. C'est tout un travail à faire auquel s'emploie, derrière la MINUK qui représente l'ONU, l'OSCE, l'Union européenne, etc.
Q - Donc autonomie et pas indépendance ?
R - L'objectif ce sont des élections municipales, dans le courant de l'année prochaine, peut-être vers l'été, si tout le travail de préparation a été fait. C'est sur quoi nous travaillons en ce moment.
Q - Vous pensez que les responsables américains ont complètement laissée tomber l'idée d'indépendance, avez-vous discuté de cela avec eux ?
R - On est pas dans un domaine d'impressions ou de discussions bilatérales. L'indépendance est écartée par la résolution 1244. La question a été débattue à de nombreuses reprises pendant tous les mois écoulés, avant Rambouillet, pendant, après, pendant la guerre, après, etc. Il n'y a aucun gouvernement européen, occidental ou autre qui soutienne l'idée d'indépendance. Cela n'est pas du tout une preuve d'insensibilité, parce que tout le monde a été extrêmement bouleversé par ce qu'a été, pendant longtemps, le calvaire des Albanais du Kosovo, c'est ce pour quoi nous avons agi et ce pour quoi nous sommes là. Mais, l'indépendance entraînerait une déstabilisation supplémentaire de toute la région, compte tenu des importantes minorités albanophones au Monténégro, en Macédoine et de ce qui se passe entre l'Albanie et le Kosovo. Comment accepter ça pour le Kosovo et le contester quand c'est demandé par des Serbes de Bosnie ou par les Croates de Bosnie ? Il y a, si vous voulez, le risque d'une sorte de réaction en chaîne dans toute la région des Balkans. Tous les gouvernements - ce n'est pas une position spécialement française, c'est la position de tout le monde - ont considéré que c'était trop dangereux. Donc on peut comprendre, sentimentalement, dans certains cas, les aspirations telles que les Kosovars les expriment régulièrement, mais on ne peut pas prendre la responsabilité géopolitique d'aller dans cette voie parce que cela entraînerait plus de désordres et de déstabilisations et de nouveaux malheurs, de nouvelles misères. Il faut traiter les choses autrement. De toutes façons, il y a suffisamment à faire au Kosovo pour s'organiser, pour que les choses marchent, pour que l'on bâtisse l'autonomie et qu'on la fasse fonctionner, notamment au niveau local, pour que l'on n'ait pas besoin de se compliquer les choses à ce stade par une discussion théorique.
Q - Monsieur le ministre, nous sommes à Paris et le siège de l'UNESCO se trouve à Paris. On se prépare pour une nouvelle élection d'un directeur général. Quels sont les critères français pour l'élection d'un nouveau directeur à la tête de l'UNESCO ?
R - Vous faites bien de poser la question, parce que c'est dans ces termes qu'elle se pose. D'abord, nous sommes le pays hôte, donc, traditionnellement, à chaque fois qu'il y a un débat pour l'élection du nouveau directeur général, nous y participons avec une certaine réserve, une certaine discrétion, compte tenu de cette situation particulière. Nous sommes très heureux d'être le pays hôte. Nous sommes bien entendu très heureux d'avoir ce beau bâtiment, place Fontenoy, qui a abrité autant d'activités de tout premier plan, sur le plan intellectuel, culturel, scientifique, éthique, depuis tant d'années Les critères sont simples : c'est d'abord un projet pour l'organisation. Pour l'UNESCO aussi, c'est l'époque de la mondialisation. Nous avons également une réflexion à mener sur les vocations de l'organisation, sur la façon dont elle se coordonne avec les autres, comment elle s'insère par rapport à tous les autres volets de la coopération internationale. Cela c'est le projet, le programme, les réformes éventuelles. Le deuxième critère, c'est la capacité pour les différents candidats qui sont très nombreux, semble-t-il, à rassembler une vraie majorité, une forte majorité d'Etats, pour pouvoir avoir l'autorité nécessaire pour mettre en place le projet dont je viens de parler. Et le troisième critère, c'est la capacité à travailler dans les deux langues de travail de l'organisation, c'est-à-dire l'anglais et le français.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 octobre 1999)