Plan de la déclaration de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur les grandes orientations du projet de loi de finances pour 2000, à l' Assemblée nationale le 19 octobre 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation par M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, du projet de loi de finances pour l'an 2000, à l'Assemblée nationale le 19 octobre 1999

Texte intégral

Nous vous présentons aujourd'hui un budget de croissance et un budget de réformes. On a souvent opposé les deux. A tort. La croissance permet les réformes. Et les réformes renforcent le potentiel de croissance.
Ces réformes sont conduites avec ténacité depuis juin 1997. Elles permettent aujourd'hui une triple rupture.
rupture budgétaire : réduction des déficits => inversion spirale de la dette ; excédents primaires ; réduction du déficit structurel à 1% fin 2000 selon le FMI.
rupture fiscale : maîtrise des dépenses => plus forte baisse d'impôts
rupture économique : le seuil du million d'emplois marchands fin 2000 - début 2001
Ce budget a soulevé des questions. Je voudrais essayer d'y apporter quelques réponses :
1) Dans quel contexte politique s'inscrit ce budget ?
Avec les Français, une confiance confortée
Quels que soient les indicateurs retenus, les prévisions pour leur pays ou pour eux-mêmes, l'emploi ou l'activité, jamais, depuis au moins quinze ans, la confiance n'a été aussi forte.
Avec la gauche plurielle, des choix partagés
Grâce aux résultats
Grâce à la concertation : débats en commission (par exemple sur le programme pluriannuel), débats en séance( par exemple sur le DOB ou sur la résolution sur la TVA), rencontres régulières (avec C. Sautter ou moi-même).
le budget de la majorité et pas seulement du Gouvernement : la principale mesure fiscale de ce budget, largement approuvée par les Français, trouve largement son origine ici à l'Assemblée nationale.
Avec l'opposition, des prévisions moins contestées
Pour 1999, on a eu, avec Paco Rabane, la prévision sur l'éclipse et, avec la droite, l'éclipse de la prévision.
Il y aurait là de quoi alimenter plusieurs discours : au petit jeu des citations, 1999 est un aussi bon cru que 1998 !
Vous avez raillé les prévisions de croissance avec une unanimité d'autant plus précieuse qu'elle est rare...
. En octobre : budget " irréaliste ", " imprudent ", " vicié ".
. En mars, mieux encore : DL évoque " des indicateurs qui tournent au rouge " et parie sur " le renouvellement du scénario catastrophe de 1993 " ; le RPR affirme " vous avez cassé la croissance ".
Vous avez formulé vos propres prévisions : " mon expérience me fait dire que ce budget doit en cacher un autre " (Alphandéry) et vous avez rivalisé en conjectures (augmentation du déficit à plus de 3% ; collectif avec de nouveaux impôts ; gel des dépenses en janvier...).
Je dois reconnaître qu'il n'y en a qu'un qui vous ait égalé : " à partir de 2,3%, on ne crée plus d'emplois et le budget ne s'exécute pas " (Seillière)...
2) La politique économique a-t-elle contribué aux bons résultats économiques du pays ?
Aucune auto-congratulation : lucidité sur l'état du pays
Chômage : 2,8 millions ; + de 11% ; la France dans le dernier groupe
Déficits : des " excédents " ? 200 MDF de déficits pour l'ensemble des administrations publiques
Impôts : sentiment souvent légitime des Français de payer des impôts trop lourds
Innovation : des retards persistants (même si le second tableau de bord de l'innovation montre que la France le comble à grande vitesse).
Des motifs de satisfaction relative (comparaison avec les grands pays de la zone euro car elle permet de juger de l'efficacité des politiques nationales et car la comparaison avec la législature précédente chagrine l'opposition !)
" Le cercle vertueux confiance - emplois - consommation - croissance semble être au cur de la meilleure performance relative de la France comparée à celle de ses principaux partenaires européens " (rapport du FMI sur la France).
Croissance : depuis juin 1997, plus forte que dans la moyenne de la zone euro ; deux fois plus forte qu'en Allemagne et qu'en Italie
Emplois : sur la même période, +3% pour l'emploi salarié en France ; 1% en Italie ; 0% en Allemagne
Chômage : France : -1,3 point ; Allemagne : -0,8 ; Italie : -0,4
Déficits (1997-2000) :France : -1,7 ; Allemagne-Grande-Bretagne : -1,5 ; Italie : -1,2
Une question centrale : le gouvernement y est-il pour quelque chose ?
A défaut désormais de pouvoir contester les résultats économiques, la droite affirme que le gouvernement n'y est pour rien.
mais avec de plus en plus de contradiction : il y a un an, c'est la conjoncture internationale catastrophique qui rendait irréaliste nos prévisions ; aujourd'hui, c'est grâce à cette même conjoncture internationale que nous aurions nos résultats... qui sont les meilleurs du G7 !
avec de moins en moins de crédibilité : plus la croissance dure, plus sa crédibilité est molle : on peut dire qu'une année de croissance, c'est de la chance, mais alors deux années, cela devient un miracle, et trois années un mystère !
avec de plus en plus d'idéologie : à la différence des Libéraux, nous croyons en la politique économique
En tout cas, si je vois que vous ne vous tournez pas vers nous quand notre politique marche, je sais vers qui vous vous seriez tournés si elle ne marchait pas !
3) Ce budget est-il un budget trop prudent ?
J'aime autant avoir à traiter cette question !
Des risques persistants
Le risque des marchés financiers
Depuis le début de la décennie, de nombreux chocs, souvent provoqués par des mouvements brusques des marchés financiers :
crises de changes au sein du SME en 1992-1993,
krach obligataire en 1994-1995,
fuites des capitaux au Mexique en 1995
en Asie en 1997.
des conséquences brutales sur les économies réelles et parfois de graves récessions.
Avec l'euro, l'Europe est désormais en partie protégé de ces mouvements : la stabilité des changes est assurée et les mouvements de taux d'intérêt sont bien mieux maîtrisés. La BCE a montré depuis sa création une capacité à combiner son objectif de stabilité des prix et une grande attention aux évolutions de l'activité économique. Cette capacité du système européen des banques centrales à soutenir la croissance est un des acquis de l'euro.
Il nous reste à mettre en uvre à l'échelle mondiale des régulations des mouvements de capitaux qui réduisent leur instabilité : c'est le sens de l'action contre les paradis fiscaux, de l'encadrement des hedge funds que j'ai proposés. Et je souhaite, comme votre Assemblée, une accélération de ces nouvelles régulations dans la perspective de la prochaine présidence française.
le risque de la croissance américaine.
Nous avons provisionné un ralentissement sensible de l'économie américaine, qui distingue la prévision du gouvernement de celle de beaucoup d'Instituts privés de conjoncture. Ce ralentissement n'est pas acquis, mais l'évolution récente des cours boursiers constitue un des facteurs qui pourrait déclencher un ajustement du sentier de croissance de l'économie américaine.
D'un côté, l'introduction de nouvelles technologies a sans aucun doute contribué à l'émergence d'une nouvelle économie américaine. Depuis 20 ans, la croissance cumulée de l'économie américaine a dépassé de 20 points celle de l'économie française.
D'un autre côté, comme toutes les périodes de mutations, celle ci s'est accompagné de déséquilibres économiques et sociaux.
Ces déséquilibres devront être résorbés. La manière dont ils le seront pèsera sur l'environnement international de la France.
Retenir une prévision prudente pour l'économie française, prudence qui ne doit pas cacher qu'au total les trois dernières années de la décennie 90 de 1998 à 2000 auront été les trois meilleures de la décennie. De juin 1997 à fin 2000, la croissance de l'économie française aura dépassé celle enregistré sur les sept premières années de la décennie.
Une bonne année 2000
Un environnement international qui s'améliore
La coopération internationale a permis de surmonter la crise des pays émergents. Alors que l'économie coréenne a connu une profonde récession en 1998, sa croissance dépassera 5% en 1999. Toute l'Asie du sud est connaîtra une évolution parallèle cette année. Au Brésil, le plan d'action du Gouvernement devrait avoir pour effet de fortement limiter l'ampleur de la récession en 1999, l'année 2000 permettant de renouer avec la croissance. Le retour de la croissance dans les pays émergents explique le rebond des exportations européennes et françaises depuis le printemps et l'accélération de la croissance économique en cours sur l'ensemble du continent européen.
Une vigueur de la demande intérieure qui persiste.
Le choix que nous avons fait en juin 1997 de soutenir la demande des ménages s'est révélé payant. Si la croissance de l'économie française dépasse celle de ses grands partenaires européens, c'est d'abord grâce à une dynamique plus forte de la demande domestique, premier moteur de la croissance française.
L'accélération de l'effort d'équipement depuis ans est impressionnant, même si le retard d'investissement accumulé depuis le début de la décennie est considérable. En juin 1999, l'investissement des entreprises dépassait de 13% son niveau de juin 1997. Plus remarquable, le ralentissement de l'économie française à la fin 1998 - début 1999 n'a eu qu'un effet modeste sur les comportement d'investissement des entreprises.
Tout s'est passé comme si le chefs d'entreprise avaient partagé l'idée que le ralentissement de l'activité n'était que temporaire et que la France était engagée dans un cycle long de croissance qui impliquait un effort soutenu de préparation de l'avenir.
Restent deux questions :
. pourquoi une fourchette ? Parce qu'il reste des incertitudes, que j'ai mentionnées. Parce que malgré la qualité de nos instruments de prévision, il faut se garder du fétichisme de la décimale.
. pourquoi cette fourchette ? Depuis l'été 1997, toutes les prévisions présentées ont suscité des débats. Ces débats sont utiles. Ils ne doivent cependant pas se résumer au commentaire du dernier indicateur rendu public. Une telle démarche nous conduirait à faire alterner excès de pessimisme et bouffée d'euphorie.
Excès de pessimisme l'hiver dernier, bouffée d'euphorie aujourd'hui. Les derniers indicateurs indiquent en effet que la croissance française est repartie d'un bon pied, et que l'activité sera dynamique au second semestre. Je m'en réjouis. Tout indique que l'année 2000 sera aussi marqué par une croissance soutenue. Il reste qu'il serait irresponsable d'extrapoler les mouvements saisonniers.
4) L'équilibre retenu pour l'affectation des fruits de la croissance est-il bon ?
En 1998 : la règle des trois tiers
En 1999, dépenses stabilisées ; déficits -21 MDF ; impôts -39 MDF
a) La stabilisation des dépenses
Par réflexe, elle est critiquée par la droite... qui était pourtant à la fois moins vertueuse et moins réformatrice quand elle était au pouvoir.
Du point de vue quantitatif.
Nous faisons :
- mieux qu'avant : en volume : +1,6% par an entre 1993 et 1996 ; +0,3% entre 1997 et 2000
- mieux qu'ailleurs : plus forte réduction de la part des dépenses publiques dans le PIB des cinq plus grands pays de l'Union.
- mieux que prévu : les objectifs sont tenus ; nous nous situons dans le bas de la fourchette du programme pluriannuel (+1% sur trois ans)
Du point de vue qualitatif
Cette maîtrise s'accompagne :
- d'un financement de nos priorités, avec constance
- d'une réforme de l'Etat (exemple du MEFI avec la signature des contrats d'objectifs sur trois ans à la DGI)
b) la réduction des déficits
En centrant notre politique des finances publiques autour d'un objectif de dépenses sérieux, nous augmentons notre marge de manoeuvre pour l'avenir.
La politique budgétaire doit être conduite en sorte de pouvoir laisser jouer les " stabilisateurs automatiques ". En effet, il est tout à fait habituel que le déficit public se modifie au cours d'un cycle économique par le libre jeu des stabilisateurs automatiques. Le déficit budgétaire suit ainsi les fluctuations cycliques.
Cela doit être vrai à la hausse. En phase basse du cycle, les recettes fiscales évoluent, comme leurs assiettes, avec la conjoncture. Ce faisant, l'Etat amortit les fluctuations des revenus des agents privés induites spontanément par l'évolution de la conjoncture.
Cela doit être vrai à la baisse.
c) La réduction des impôts
réduction de la TVA sur les travaux dans les logements, baisse des " frais de notaires (avec une réforme d'ensemble et progressive), suppression en deux ans du droit de bail pour les locataires, suppression de près de 50 impôts : la plus forte baisse depuis 10 ans.
5) La politique économique du Gouvernement contribue-t-elle à la lutte contre les inégalités ?
Un contexte d'accroissement des inégalités
avant : le rapport de l'INSEE qui vient d'être publié, mais qui traite de la période 90/96
ailleurs : la marche du monde ; " l'exemple " des USA ou de la GB
Un objectif : le plein emploi sans les inégalités
refus de la résignation au chômage qui serait une fatalité française ou européenne
refus des inégalités qui seraient une fatalité de la mondialisation.
Des premiers résultats encourageants
Une croissance plus solidaire :
- le double partage de la valeur ajoutée (capital/travail ; emplois/revenus) ;
- le recul de la précarité grâce à une croissance durable (1997 : la moitié des emplois sous forme de CDD ou d'intérim ; 1998 : un quart ; 1999 : les dernières données de l'UNEDIC montrent que la part de l'intérim a fortement reculé au premier semestre)
Une redistribution plus efficace
- Entreprises : au total, stabilité ; avec restructuration : sur l'emploi : -27 MDF ; sur les profits et le capital : +22 MDF
- Ménages : au total, -24 MDF ; avec redistributions : 90 % = - 28 MDF ; 90 % = +4 MDF
6) Qu'est-ce que le Gouvernement attend du débat parlementaire ?
Un moment d'explication : tordre le cou aux fantasmes (cagnotte 99, croissance 2000...)
Un moment de décisions
Le Gouvernement est bien évidemment attaché à l'équilibre général du projet de loi de finances.
Cela n'empêche pas les améliorations :
- il y a eu des amendements gouvernementaux au PLF
il y a les amendements parlementaires dont je souhaite qu'ils marquent soit un point d'arrivée (les améliorations utiles de la commission des finances qu'évoquera Christian Sautter), soit un point de départ (rapport sur la lutte contre la spéculation financière ; moralisation des stock options ; réflexions - sans doute ! - sur la réforme des impôts directs).
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 21 octobre 1999)