Interview de M. Arnaud Montebourg, député PS, à France Info le 21 janvier 2003, sur les enjeux du congrès du Parti socialiste, les raisons des divergences entre les différentes contributions et les positions du "Nouveau Parti Socialiste" sur la construction européenne, la rénovation du système politique et la lutte contre les délocalisations.

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Média : France Info

Texte intégral

Jean-Michel Blier : Arnaud Montebourg, bonjour.
Arnaud Montebourg : Bonjour.
Jean-Michel Blier : Le PS est entré dans la préparation finale de son Congrès. Au total, on dénombre 16 contributions. " C'est la polka des ego " comme le dit joliment Jean-Christophe Cambadélis ?
Arnaud Montebourg : C'est surtout, je crois, le temps des remises en question et de la discussion en profondeur sur les causes d'une défaite. On a vu apparaître, je le rappelle, 16 millions d'abstentionnistes, je préfère les appeler grévistes du vote, qui d'une façon de plus en plus décidée refusent ce système politique dans lequel nous nous trouvons et dans lequel les socialistes, d'ailleurs, se sont laissés malheureusement entraîner. J'ajoute les 6 millions de votants pour l'extrême-droite. Nous sommes dans une crise civique sans précédent.
Jean-Michel Blier : Mais au sein du Parti Socialiste, est-ce qu'il y a de tels clivages, de telles différences qui justifient un tel émiettement ?
Arnaud Montebourg : Il y a, je crois, des analyses divergentes. Les désaccords existent, notamment sur la manière dont nous nous sommes laissés entraîner dans l'affaire européenne, où nous nous retrouvons à cogérer avec la droite européenne libérale, le destin de centaines de millions de salariés dans le sens de la diminution des droits sociaux. L'affaire des retraites au somment de Barcelone en a été un excellent exemple. Nous avons donc maintenant à nous poser la question de savoir si nous voulons continuer à fonctionner dans une Europe qui est un instrument, un agent de la mondialisation libérale, ou est-ce que nous décidons de dire stop ! Certains disent " continuons comme avant " dans une espèce d'eurobéatitude. Nous autres, nous disons : nous voulons la démocratie. Faites entrer les citoyens européens par les portes et les fenêtres et avant tout élargissement.
Jean-Michel Blier : Mais on a entendu François Hollande dire exactement le discours, qu'il fallait se projeter dans l'Europe et que le salut, je dirais, des socialistes, des sociaux-démocrates, passerait par l'Europe.
Arnaud Montebourg : Heureusement que nous avons un idéal commun. La question est : qu'est ce qu'on fait aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui sur le traité d'élargissement ? Je fais partie des députés qui aujourd'hui se posent la question de savoir si ils vont vraiment voter ce traité. Je suis plutôt aujourd'hui sur la réponse négative aussi longtemps qu'on n'aura pas donné aux citoyens les moyens de dire ce qu'ils veulent faire de l'Europe. Pour le moment les technocrates, les gouvernements entre eux ne répondent pas au contrôle de la population et des citoyens. Et nous aurons une Europe qui ne nous ressemblera pas. Donc aujourd'hui nous sommes dans le coup d'arrêt. Voilà une énorme divergence sur laquelle le Congrès devra évidement se pencher et se prononcer. Sur la mondialisation, c'est une question fondamentale. Les ravages sociaux des délocalisations, à la fois sur le plan industriel, sur le plan agricole où on voit réapparaître la misère dans nos sociétés comme au début du XIXème siècle, au début du XXème siècle
Jean-Michel Blier : Encore une fois, c'est dans toutes les contributions. Elles parlent toutes de la mondialisation et Porto Alègre aujourd'hui, c'est Davos d'hier.
Arnaud Montebourg : Nous proposons, en ce qui nous concerne, une nouvelle politique d'agressivité publique à l'égard des firmes multinationales qui finalement fabriquent des chômeurs dans les pays riches et fabriquent des esclaves dans les pays pauvres. Elles veulent le pouvoir d'achat des salariés qu'elles refusent de payer chez nous, et elles veulent les bas salaires dans les pays en voie de développement qui ont un peu de retard dans le développement économique. Et la différence, ce n'est pas le développement des pays pauvres. La différence ce sont les profits des multinationales. Nous proposons le rétablissement assumé des droits de douane contre les produits des entreprises qui aujourd'hui délocalisent et finalement font prospérer
Jean-Michel Blier : Arnaud Montebourg
Arnaud Montebourg : Attendez, laissez-moi terminer ma phrase, c'est un point très important car nous assumons le protectionnisme, font prospérer le dumping social.
Jean-Michel Blier : Oui, mais on peut se faire plaisir en imaginant l'instauration d'une sorte de taxe Tobin, mais concrètement, je posais la question à Henri Emmanuelli qui était à votre place la semaine dernière, qu'est-ce que vous auriez dit pendant la campagne électorale, aux ouvriers de chez Lu ?
Arnaud Montebourg : Je leurs aurais dit, la délocalisation est un choix aujourd'hui économique pour une entreprise qui a décidé de maximiser ses profits. Si les Nations européennes ne décident pas de s'assembler pour sanctionner ensemble, ou si une Nation comme la France ne décide pas aujourd'hui de rétablir la taxation des produits aux frontières européennes qui vont aujourd'hui se fabriquer en faisant " suer le burnous ", passez-moi l'expression, dans ces pays, il n'y a aucune raison que cela s'arrête. Donc une politique, cela veut dire une agence qui va surveiller la manière dont les flux
Jean-Michel Blier : Ethique ?
Arnaud Montebourg : Oui, éthique, mais surtout sociale. Si aujourd'hui un certain nombre de firmes, de grandes marques comme GAP, Nike, Adidas, font travailler des salariés en violation des normes sociales, et bien nous proposons le rétablissement des droits de douane aux frontières européennes.
Jean-Michel Blier : Prenons encore un exemple, ce sera le dernier. Les institutions. Là encore, tout le monde est d'accord. J'ai lu la contribution du Premier secrétaire, François Hollande. Il y a l'interdiction du cumul des mandats, le retour à un régime parlementaire, la réforme du Sénat, l'introduction d'une dose de proportionnelle. Qu'est-ce qui vous différencie de cette contribution ?
Arnaud Montebourg : Cela fait 20 ans que tout ça est dans les textes du Parti Socialiste. Mais on n'a jamais rien fait. Vous savez, le mandat unique, on aurait pu le voter, mais ça été impossible. Je pratique le mandat unique dans ma circonscription, la 6ème circonscription de Saône et Loire. La question est la suivante : est-ce qu'on prend la mesure de la crise civique qui aujourd'hui frappe ce pays et est-ce qu'on crée les conditions d'une rupture politique avec ce système politique qui est aujourd'hui en décomposition morale et est complètement discrédité. Cela suppose une refonte de tous les pouvoirs. Et surtout, pour regagner la confiance perdue des millions de citoyens qui refusent de voter ou qui votent aux extrêmes, il va bien falloir qu'à un moment ou un autre nous disions que nous ne voulons plus de ce système. Et ça, nous sommes les seuls à l'indiquer et à le défendre.
Jean-Michel Blier : Aujourd'hui, vous êtes plus proche d'Henri Emmanuelli que de François Hollande ?
Arnaud Montebourg : Je dois vous dire avec franchise que nous sommes déjà très proches de nous-mêmes. C'est déjà considérable car nous défendons avec force, courage et sincérité nos convictions. Et nous voulons en convaincre une majorité de militants et d'adhérents du Parti Socialiste.
Jean-Michel Blier : François Hollande a annoncé aujourd'hui qu'il souhaitait très vite un rassemblement, qu'il organiserait un rendez-vous dès le 4 février. Et le 4 février, c'est après demain. C'est quelque chose qui est possible, un rapprochement avec la ligne de la direction ?
Arnaud Montebourg : Et bien, voyez-vous, nous, nous organisons un grand rassemblement à la Mutualité, le 1er février, avec tous ceux qui se reconnaissent dans les thèses nouvelles, différentes, du Nouveau Parti Socialiste. Notre problème à nous, socialistes, est que si à Dijon nous ne sortons pas des chemins battus, il n'y a aucune raison que les millions d'électeurs qui nous ont quittés reviennent. Donc il va falloir, en effet, qu'il y ait une brisure dans l'histoire du Parti Socialiste à Dijon. Si tel n'est pas le cas, je prédis le pire pour la suite.
Jean-Michel Blier : On peut craindre un nouveau Congrès de Rennes, comme le disait Laurent Fabius ?
Arnaud Montebourg : Je ne le crois pas, car le Congrès de Rennes c'était des querelles de pouvoir et d'écuries présidentielles. Là, c'est un enjeu considérable. C'est la transformation en profondeur du Parti Socialiste, avec une nouvelle ligne sur laquelle nous allons aujourd'hui discuter.
Jean-Michel Blier : Merci Arnaud Montebourg, député socialiste de Saône et Loire, cofondateur du Nouveau Parti Socialiste qui était ce soir l'invité de France Info.

(source http://www.nouveau-ps.net, le 11 février 2003)