Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO à France-Inter le 3 octobre 2002, sur la situation sociale et la mobilisation sur la réforme des retraites, notamment le financement des retraites à EDF.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli.- Quelle est aujourd'hui la marge de manoeuvre du Gouvernement, face à la mobilisation syndicale qui va s'exprimer ? Déficits publics lourds, promesses politiques de J. Chirac qui doivent être tenues - baisse d'impôts et des charges sociales. Où la concertation sociale et la négociation trouveront-elles leur voie de passage ? Dans la rue, on retrouvera les mêmes personnes qu'en 1995 et pourtant, la situation n'est pas tout à fait la même ?
- "Non, ce serait d'ailleurs risqué de considérer que le scénario est identique. J'insiste sur le fait que la manifestation de tout à l'heure est une manifestation à l'initiative des fédérations d'EDF et GDF. Car le problème de l'ouverture du capital de GDF est un problème particulier qui mérite une attention particulière. Et cette manifestation va avoir l'appui d'autres organisations syndicales représentant les gens, notamment de France Télécom - parce qu'il y a une émotion bien compréhensible -, mais aussi d'Air France et puis d'autres, comme la SNCF. Je rappelle qu'il est programmé, dès le 26 novembre, une manifestation, pour défendre le service public ferré. C'est autre chose. Ceci étant, tout cela s'inscrit peut-être dans un comportement et d'une certaine façon, c'est une espèce de test que nous allons faire aujourd'hui qui va nous permettre de voir et de comprendre si c'est de l'idéologie ou s'il y a des raisons fondées. Or, la grande question que je me pose, moi, c'est : pourquoi ouvrir le capital d'EDF, compte tenu qu'EDF rend parfaitement le service pour lequel elle a été mise en place ?"
On va revenir sur cette question de l'ouverture de capital et sur celle très importante aussi des retraites. Juste une remarque, pour rester encore dans la question de 1995 : dans les banderoles qu'on verra, tout à l'heure, il y a un slogan qui dit "nos droits sont les vôtres". Vous vous souvenez qu'en 1995, on avait beaucoup évoqué un mouvement de grève, dont on disait qu'il était par "délégation", c'est-à-dire qu'au fond, les fonctionnaires manifestaient et exprimaient aussi les préoccupations du privé. On va retrouver cela ou pas ?
- "Je vous remercie de me permettre de me souvenir qu'en 1995, c'est moi qui avait lancé cette banderole !"
On peut sourire dans une question !
- "Justement, ceci étant, nous avions lancé la grève, rappelez-vous, après la présentation par M. Juppé de la Sécurité sociale réformée, une Sécurité sociale avec une maîtrise comptable. C'est un échec d'ailleurs, il le reconnaît. Ceci étant, il y avait eu une maladresse dans la négociation du contrat de plan entre la SNCF et l'Etat. Justement, la question de la retraite se posait déjà pour le régime particulier de la SNCF. C'est ce mouvement qui est venu accompagner ce que j'avais lancé, moi, sur la Sécurité sociale et qui a donné un caractère, je dirais, plus dynamique à la revendication que nous exprimions. Car, sur la Sécurité sociale, il n'était pas certain que tout le monde réagisse. Il y a eu le complément avec les transports et ensuite, il y a eu effectivement une espèce de grève dite par délégation. C'est-à-dire que j'ai défilé avec des gens qui ne venaient défiler que pendant deux heures. Ils disaient qu'ensuite, ils s'en allaient travailler pour la simple et bonne raison qu'ils avaient un contrat à durée déterminée et que s'ils ne travaillaient pas l'après-midi, leur patron allait les virer. Mais comme ils étaient d'accord, donc ils manifestaient. J'ai vu des choses fort intéressantes."
Mais là, il y a le même projet ou pas, aujourd'hui ?
- "Non, nous n'en sommes pas là. J'ai lu, comme tout le monde, malheureusement, dans le Journal officiel qu'il y avait des réseaux. Mais pardonnez-moi, même en 1995, il n'y avait pas de réseaux. Il n'y avait pas je ne sais quel réseau révolutionnaire qui voulait je ne sais quoi. Nous nous battions pour défendre la Sécurité sociale et ensuite, peut-être que des réseaux se sont constitués et peut-être que des gens se sont retrouvés là et sont restés en liens. C'est autre chose. Mais là, cet après-midi, c'est clair qu'il s'agit des organisations syndicales qui lancent ce mouvement. Le reste, c'est de la pluie ! Il ne faut pas transformer en quelque sorte la revendication et que cela devienne la propriété de qui que ce soit et le troisième tour social. Ce n'est pas l'objectif. L'objectif est de dire : pourquoi, bougre, voulez-vous ouvrir le capital d'EDF, alors que c'est la plus grande entreprise de France, celle qui fonctionne le mieux, qui a réussi sur le plan technologique ? Expliquez-nous ce que vous voulez, mise à part pour des raisons idéologiques, et pourquoi vous voulez absolument faire ce genre de choses, puisqu'elle correspond à l'objectif pour lequel elle a été mise en place : distribuer l'électricité sur l'ensemble du territoire français ? EDF, c'est ça avant toute chose. Distribuer l'électricité, si possible, au coût le plus bas. Ce sont les deux éléments."
En faisant abstraction de toutes les cultures idéologiques, restons dans l'explication et la compréhension : est-ce qu'il est possible de poser à EDF, et probablement ailleurs, la question des retraites sans poser, en même temps, la question de l'ouverture partielle du capital ? Est-ce qu'on aura les moyens de régler cette question-là ?
- "Vous intervertissez les facteurs. C'est justement une curiosité et c'est fort intéressant : je suppose que ceux qui se sont battus pour mettre debout le système de retraites, tel que nous le connaissons, n'imaginaient pas, un jour, que ce serait une garantie contre l'ouverture du capital. Ils ne se posaient pas cette question. D'ailleurs, ils pensaient que ce serait nationalisé et que ce serait manifestement le top niveau. Mais c'est curieux de voir que c'est la charge de la retraite qui justement apparaît comme étant un frein à l'ouverture du capital au privé. Parce que tout le monde se dit qu'il n'y a personne qui viendra mettre l'argent dans une entreprise dans laquelle la charge de retraite est telle. On va essayer dans la réflexion d'isoler les retraites. C'est là que se posera, alors, le premier problème. Les gaziers et électriciens disent : "vous allez mettre notre régime spécial en difficultés. Nous avions la garantie de l'Etat, que nous donnez-vous en contrepartie ?". Pour l'instant, il n'y a pas de solution. Mais c'est curieux, car ce n'était pas cela. Le problème est de distribuer l'électricité à tout le monde, sur l'ensemble du territoire. Cela fait partie de ce que j'appelle, moi, l'égalité républicaine. C'est une garantie. Nous l'avions avec le secteur nationalisé et nous l'avions avec le service public. A partir du moment où on fait rentrer de l'argent, où des gens vont exiger - et c'est tout à fait normal - une rentabilité qui ne sera pas de l'ordre de 3 %, comme certains le laissent supposer, mais qui sera de 10 ou 15 %, c'est-à-dire en fait au taux de l'argent que l'on trouve sur le marché - il n'y a pas de secret -, ils seront obligés de s'adapter. On crée un dynamisme nouveau qui me semble particulièrement dangereux dans un secteur dangereux comme celui du nucléaire. Moi, je ne suis pas un écologiste stupide, je suis pour le nucléaire. Les bons écologistes ont compris ce qu'était le nucléaire. Ceci étant, je ne veux pas - je vais être brutal mais c'est pour me faire comprendre - ouvrir le capital d'EDF à Total. Il nous a fait la démonstration de ce qu'il était capable de faire avec AZF !"
Néanmoins, encore une fois vos arguments sont entendus, mais où va-t-on trouver le financement des retraites à EDF ? On voit que le Gouvernement est confronté à une situation économique difficile, que la question de la croissance se pose quotidiennement et on voit la situation sur les places financières. Bref, on voit que les marges de manoeuvre sont très étroites. Où trouver l'argent du financement de la retraite à EDF, sachant que la contribution d'EDF et de GDF - c'est dans tous les quotidiens ce matin - représentera plus de 100 % de la masse salariale en 2050 ? Comment fait-on pour financer ?
- "C'est la garantie qu'offre EDF. EDF fournit des richesses, produit des richesses et les travailleurs ne travaillent pas pour rien. Ils amènent une activité. Et c'est l'équilibre d'EDF bien entendu. Il est possible qu'il y ait un problème de retraites en général, mais que nous allons traiter et pas simplement celles d'EDF mais l'ensemble des retraites. C'est un problème qu'il ne faut pas, je crois, agréger comme ça dans la situation même de l'entreprise. On ne va quand même pas, aujourd'hui, prétendre que l'on va ouvrir le capital exclusivement pour satisfaire les charges de retraites. Pardonnez-moi, mais cela devient de la folie. C'est justement ce qui ne permettra pas l'ouverture du capital. C'est ce que je viens d'expliquer. Il n'y aura pas un investisseur pour mettre son argent là-dedans s'il sait que, par avance, il va avoir cette charge. C'est pour cela qu'ils vont essayer de discuter. Ou alors, ayons le courage de dire tout de suite que les gens d'EDF bénéficient d'une retraite qu'on va couper en deux, car on ne peut plus tenir ce genre de choses. On verra les réactions. Mais ne me dites pas que nous sommes dans une société moderne et de progrès, si vous faites cela. C'est évident."
Dans ce cas, il faut poser toutes les questions : est-ce qu'il n'y a pas aussi la question des statuts et des cas particuliers, auxquels on ne veut pas toucher chez les syndicats, notamment par exemple à EDF et GDF ?
- "Pourquoi voulez-vous qu'en 2003, 2004, 2005, on mette debout des situations pour les salariés qui soient inférieures à celles qu'ils avaient en 2000 ou en 1999. Pardonnez-moi, mais le progrès, c'est bien cela. Pourquoi voulez-vous, qu'à l'heure actuelle, on décide qu'il y a des difficultés en fonction du fait que ce sont les salariés qui doivent partir ? Sauf erreur de ma part, on produit beaucoup plus de richesses que l'année dernière. Le PIB sera encore, cette année, meilleur que l'année dernière. Fort heureusement d'ailleurs. C'est vrai depuis plus de 30 ans. Cela veut donc dire que les richesses sont réaffectées ailleurs qu'aux salariés. Tout le monde sait cela. L'Insee donne des chiffres tout à fait précis. Cela veut donc dire que d'une manière générale, il n'y aucune raison pour que ce soit les salariés qui payent, y compris en période de faible croissance. Il faut regarder les choses. Peut-être que sur le capital, il y a à faire attention et peut-être à le faire moins fructifier ou l'affecter plus aux salariés qu'aux capitaux."
Vous les voyez où, les marges de manoeuvre de négociations, avec ce Gouvernement aujourd'hui ?
- "Pour l'instant, j'ai dit, à deux reprises différentes, qu'au Gouvernement, c'était le cafouillage. Je ne vois pas les lignes politiques de façon très nette. Cela ne fait pas un programme de dire qu'on va tenir les promesses de J. Chirac. D'autant plus que les promesses de J. Chirac, ou les engagements de J. Chirac ont été des engagements de campagne que je n'ai pas vus très clairs et très précis. J'ai l'impression et le sentiment que J.-P. Raffarin essaye de jouer le bonhomme tranquille qui arbitre entre - et il y a eu des dessins - M. Seillière qui lèvent les bras aux cieux pour la hausse des Smics et moi qui lève les bras aux cieux, parce qu'il y aurait des fonctionnaires en moins. On voit, sur ces dessins M. Raffarin qui arbitre entre ce qui serait être les deux extrêmes. Je regrette : je ne suis pas un extrémiste. Et ce n'est pas une politique que d'arbitrer entre l'un et l'autre. Il faut une politique claire. Là, cela va être la première attaque. Elle est claire et vous allez voir la réponse. On verra les conclusions qu'on en tirera. C'est la démocratie et cela fait partie de la vie et de la respiration de notre pays."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 oct 2002)