Conférence de presse conjointe de MM. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, et Charles Millon, ministre de la défense, sur le bilan de la Présidence française de l'UEO, l'installation du Comité militaire de l'UEO et la mise au point du concept de "nation-cadre", Paris le 13 mai 1997.

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Circonstance : Réunion ministérielle de l'UEO à Paris le 13 mai 1997

Texte intégral


H. de Charette - Nous jugeons, Charles Millon, José Cutilero et moi-même, le bilan de cette réunion très largement positif. Je vais demander à M. Charles Millon de nous faire ses commentaires sur les aspects militaires, et notamment sur ce fameux Comité militaire, qui est certainement une décision, en effet, très importante.

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C. Millon - Je crois qu'il convient de se souvenir quels étaient les axes majeurs de la présidence française quand nous avons pris, Hervé de Charette et moi-même, la responsabilité de la présidence de l'UEO.

Les axes majeurs de la présidence étaient, d'une part, la mise en oeuvre par l'UEO des orientations arrêtées à Berlin, et ce concernant, le renforcement de l'identité européenne de défense. Je pense que M. Hervé de Charette reviendra sur cette question. Deuxièmement, c'était le rapprochement avec l'Union européenne, comme vient de le rappeler M. le Secrétaire général de l'UEO, et puis, enfin, c'était l'amélioration de la crédibilité de l'UEO, tant sur le plan politique que sur le plan militaire. Pour ce qui est du plan politique, ce sont les relations avec le Conseil européen, essentiellement. Pour ce qui est du plan militaire, c'est la mise en place, qui a été officialisée aujourd'hui, et je crois que c'est un élément extrêmement important, du Comité militaire de l'Union de l'Europe occidentale. A partir, donc, d'aujourd'hui, puisque c'est une décision qui a été actée, il y aura une réunion du Comité militaire de l'UEO. Cette réunion des chefs d'état-major se fera d'une manière régulière. Ce sera la plus haute autorité militaire de l'UEO. Elle sera chargée de suivre pour le Conseil, le développement d'une politique en matière de sécurité et de défense. C'est un élément d'autant plus important que l'UEO est en train de devenir l'organisation qui va incarner l'identité européenne de sécurité et de défense, et qu'ainsi, elle passe du principe à la pratique.

Un certain nombre de décisions doivent être mentionnées. C'est d'abord la mise au point du concept de "nation-cadre". Ce concept permettra la conduite d'opérations européennes à partir d'un noyau d'état-major fourni par une nation pilote ou un groupe de nations. Le deuxième point, c'est le concept d'emploi du centre satellitaire de Torejon qui va ainsi devenir opérationnel. C'est, troisièmement, la mise au point d'un programme d'exercices jusqu'à l'an 2002 auxquels, dans certains cas, pourront s'associer des pays-membres du Cercle des 28.

En ce qui concerne l'articulation entre l'OTAN et l'UEO, qui s'appuie sur les principes qui ont été émis à Berlin, lors du Conseil de Berlin, elle prévoit une véritable chaîne de commandement européenne. A cette fin, un accord-cadre sur le transfert des moyens entre l'OTAN et l'UEO, pour des opérations qui sont placées sous le contrôle politico-militaire du Conseil de l'UEO, a été préparé. Il s'agit aussi du Saceur-adjoint européen, qui sera placé sous l'autorité du Conseil de l'UEO, principe qui est maintenant totalement reconnu.

D'autre part, nous avons évoqué la contribution de l'UEO à la planification de défense de l'OTAN. Dès cette année, les ministres apporteront collectivement un point de vue européen sur les objectifs et les besoins en matière de défense. Cette contribution figurera dans la directive ministérielle de planification de l'OTAN.

Donc, vous le voyez, une dynamique de coopération commence maintenant à s'instaurer. Elle s'instaure non seulement avec l'OTAN, mais aussi avec l'Union européenne. Sur cette question, je laisserai le soin à M. Hervé de Charette, qui a beaucoup plus de compétence que moi dans ce domaine, de vous donner des éléments concernant cette coordination entre l'Union européenne et l'Union de l'Europe occidentale.

S'il y a donc des sujet de satisfaction, il y a aussi des regrets : C'est de voir que l'UEO, aujourd'hui, n'a pas pu être présente en tant que telle sur certains théâtres d'opérations. Pour ce qui est de l'Albanie, comme l'a dit ce matin, M. Hervé de Charette, nous nous félicitons de l'intervention de la force multinationale pour accomplir les missions qui ont été décrites dans la résolution de l'ONU, mais, nous aurions préféré que ceci se fasse dans le cadre de l'UEO. Nous regrettons aussi que l'UEO n'ait pu se contenter que d'une déclaration de principe pour ce qui est du Zaïre, la Déclaration d'Ostende n'ayant pas été suivie d'effets. C'est la raison pour laquelle nous espérons que les décisions prises aujourd'hui mettront l'UEO mieux à même d'agir à l'avenir.

H. de Charette - Ainsi s'achève donc la session ministérielle de l'UEO à Paris. Avec elle la présidence française touche à sa fin. Il reste évidemment encore quelques semaines. Comme vous le savez, l'année 1997 est une année clé en matière de sécurité en Europe. Deux négociations centrales se déroulent en même temps : l'une au sein de l'Union européenne, l'autre dans le cadre de l'Alliance atlantique. Sans compter, d'ailleurs, les discussions qui sont en cours actuellement pour établir un document qui relie l'OTAN et la Russie. Je dirais que l'UEO est vraiment située au confluent de ces deux négociations essentielles en matière de sécurité.

De la CIG, l'Union de l'Europe occidentale attend qu'elle renforce sa crédibilité politique, en organisant le rapprochement entre l'Union européenne et l'Union de l'Europe occidentale.

De la réforme de l'OTAN, l'UEO attend qu'elle renforce sa crédibilité militaire en organisant les modalités pratiques de l'utilisation par l'UEO des moyens européens de l'OTAN, au cas où il en serait décidé ainsi. Je dirai que tous les efforts que nous avons conduits et que nous conduirons jusqu'à la fin de notre mandat sont destinés à préparer cette double échéance.

Nous avions retenu un programme à la fois, comme l'on dit dans ces circonstances, ambitieux et réaliste. Le président de la République l'avait annoncé le 3 décembre dernier, devant l'Assemblée de l'UEO, en proposant quatre objectifs à la présidence française :

- redonner visibilité et crédibilité opérationnelle à l'UEO ; - resserrer les liens entre l'UEO et l'Union européenne ;
- renforcer les relations entre l'UEO et l'OTAN ;
- redonner substance au dialogue et à la coopération à 28, ainsi qu'aux
relations entre l'UEO et les pays tiers.

Je crois que sur l'ensemble de ces perspectives, la session de Paris a permis de faire des progrès importants, des progrès réels.

Nous avons adopté un très grand nombre de déclarations ou de documents, ou pris note d'un certain nombre d'entre eux, et c'est de cet ensemble de textes que je déduis les progrès dont je vous parle. L'Union de l'Europe occidentale est aujourd'hui sensiblement mieux en mesure de répondre aux demandes qui pourraient lui être adressées par l'Union européenne. En particulier, nous avons adopté un document sur la notion de nation-cadre, qui est, je crois, extrêmement riche de perspectives futures.

Nous avons, comme l'évoquait à l'instant Charles Millon, fixé un programme d'exercices pluriannuel et mis au point le concept d'emploi du centre satellitaire. Nous nous sommes mis d'accord sur les principes et les paramètres du transfert, du suivi et du retour des moyens de l'OTAN, et, enfin, c'est très important, nous avons adopté le principe de la création d'un Comité militaire de l'Union de l'Europe occidentale, je n'y reviens pas.

entre l'Union européenne et l'UEO. Vis-à-vis de l'OTAN, l'UEO a crée les conditions d'une coopération renforcée. Les ministres ont approuvés le document qui fixe les conditions de contrôle par l'UEO, opération qu'elle conduirait avec les moyens de l'OTAN ainsi que la contribution de l'UEO à la planification de défense de l'OTAN qu'évoquait à l'instant M. Charles Millon.

Cet après-midi, ministres de la Défense d'un côté, ministres des Affaires étrangères de l'autre et puis ensemble, nous avons travaillé à 28 dans le droit fil de la conception commune élaborée à Madrid en 1995. Nous avons travaillé à la définition des intérêts européens de sécurité dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne et de l'OTAN.

Nous avons constaté la volonté des pays associés, partenaires d'Europe centrale et orientale, de contribuer au développement de l'identité européenne de défense dont je peux dire ce soir qu'elle est, en quelque sorte, passée de 10 ou de 18 à 28 en tout cas, dans les objectifs et dans les travaux que nous nous sommes fixés pour l'avenir. Bien sûr, je voudrais, avant que vous ne me le disiez vous-mêmes, constater que beaucoup de délégations, comme la délégation française ont regretté que le rôle de l'UEO n'ait pas été plus visible et plus net dans l'intervention européenne face à la crise albanaise. C'est vrai, on ne peut que le déplorer, je l'ai moi-même déploré quitte à vous faire une confidence imprévue, au cours du dîner qui réunissait de façon informelle et privée les ministres des Affaires étrangères des 18, hier. Pour autant, faut-il toujours regarder les choses sous leur plus mauvais jour ? Il n'en demeure pas moins que dans cette affaire albanaise, un certain nombre de pays européens, membre de l'UEO, avec l'accord et le soutien de l'UEO qui a d'ailleurs été exprimé aujourd'hui même, sont intervenus pour constituer une force militaire de protection, après avoir reçu mandat du Conseil de sécurité et que, tout compte fait, nous avons là, tel M. Jourdain faisant de la prose sans le savoir, inventer ensemble ce qui sera peut-être demain le concept de Coopération renforcée dans le cadre de l'UEO. En tout cas, nous avons agi et somme toute, dans ces instances internationales où l'on parle beaucoup de questions institutionnelles, il n'est pas inutile de rappeler que ce qui compte, ce sont les réalités concrètes. En Albanie, l'Europe dans son ensemble est intervenue de façon jusqu'à présent efficace et rapide. Enfin, Mesdames et Messieurs, nous sommes tombés d'accord cet après-midi à 28 qu'au-delà de la diversité des statuts des différents pays présents autour de la table, ceux qui sont membres pleins de l'UEO et ceux qui ont des statuts différents, il convenait de travailler ensemble à nos concepts communs et que la différenciation des statuts ne devait pas nous empêcher de considérer que nos intérêts profonds en matière de sécurité, qui sont les intérêts de l'Europe, étaient des intérêts communs. Par conséquent, il faut travailler ensemble à faire en sorte que cette identité européenne de sécurité et de défense, au-delà des systèmes, au-delà des statuts particuliers des uns et des autres ,était notre préoccupation collective. De sorte que, finalement, je suis tenté de vous dire ce soir que cette session ministérielle s'est avérée positive, qu'elle nous a permis de réaliser quelques progrès pratiques et concrets significatifs et, me semble-t-il, qu'elle a aussi permis de faire avancer dans le bon sens le concept, l'idée que les Européens doivent assurer ensemble leur propre sécurité.

Q - Vous avez beaucoup parlé de l'OTAN, où en êtes-vous de votre discussion avec les Américains sur un meilleur partage des responsabilités dans le sud de l'Europe ? On a l'impression, vu de l'extérieur que ces discussions tournent
en rond ?

R - H. de Charette - Je pensais que nous parlions de l'UEO, mais si vous voulez que nous parlions de l'OTAN, c'est toujours possible. La question de la rénovation de l'OTAN est encore sur l'établi. Nous avons encore un peu de temps devant nous pour poursuivre nos travaux, voir où ils conduisent. Le moment venu nous ferons le bilan

Q - Nous avons entendu, il y a quelques heures, le nouveau ministre de la diplomatie anglaise qui a beaucoup insister sur les missions Petersberg de l'UEO en laissant finalement le rôle de défense à l'OTAN. Apparemment, ce n'est pas tout à fait l'idée que vous partagez puisque, si je comprends bien, vous êtes plutôt pour la thèse d'une fusion à terme de l'Union européenne avec l'UEO.

R - H. de Charette - Oui, vous n'avez pas tort de pointer du doigt l'une des difficultés de nos discussions et de nos travaux. C'est vrai que dans le cadre de la CIG, la France, l'Allemagne et plusieurs autres pays ont déposé un texte commun qui prévoit des étapes, en vu du rapprochement de l'Union européenne et de l'UEO et dont la dernière étape est d'ailleurs la fusion entre ces deux institutions, dernière étape forcément lointaine.

Nous ne pouvons que constater ensemble, je ne le nierai pas, qu'il y a sur cette question, des positions britanniques qui sont assez éloignées de celles que nous avons présentées nous-mêmes à la CIG. Si toutes les positions étaient conformes et sur la même ligne, il y a longtemps que les problèmes que nous essayons de résoudre seraient déjà résolus.

Q - Voulez-vous préciser la notion de "nation-cadre" ?
R - C. Millon - La notion de "nation-cadre" est un concept qui actuellement commence à prendre forme sous l'angle pratique dans le cadre de l'Albanie. C'est une nation qui organise l'intervention de l'UEO autour de sa structure d'état major et qui devient pilote de l'opération. C'est un concept qui a été proposé par la France qui, aujourd'hui, semble admis, au moins dans les faits puisque l'opération d'Albanie, même si elle ne relève pas de l'UEO, s'appuie en réalité sur ce concept-là. Cela doit permettre d'avoir une efficacité bien supérieure à celle qui est aujourd'hui imaginée dans l'organisation des forces des interventions.

Q - Est-ce transposable à d'autres régions et à d'autres crises ?
R - C. Millon - Elle est transposable à d'autres régions et à d'autres crises ; simplement, il faudra une décision au cas par cas. On verra si une nation peut être une nation pilote. Elle pourrait à ce moment-là mettre ses structures d'état-major à disposition pour en faire le noyau d'état-major et être le noyau de l'organisation militaire sur le terrain.

R - H. de Charette - C'est un concept qui a été précisément élaboré et adopté en tant que concept pour permettre de contribuer à la résolution des crises. Voyez bien comment cela pourrait se passer. Il y a des crises pour lesquelles on peut imaginer que ce soit l'Alliance atlantique dans son entier qui soit impliquée pour y faire face. Il peut y avoir des crises, en Europe bien entendu, où dans le cadre de la rénovation de l'Alliance, ce soient les éléments européens de l'Alliance qui soient amenés à intervenir, c'est tout l'objet des négociations sur la rénovation de l'Alliance et sur le recours à l'UEO comme le pilier européen de l'Alliance. On peut imaginer un troisième type de situation : l'Albanie nous aide facilement à comprendre ce que cela pourrait être où quelques pays au sein de l'UEO, par le fait d'une décision de l'UEO, seraient amenés à intervenir sur un modèle du type de ce qui s'est passé en Albanie. Voilà le concept de "nation cadre". Mais c'est évidemment un concept que la France a proposé comme l'un des moyens de préparer les interventions futures éventuelles de l'UEO face à des crises en Europe.

Q - Vous avez l'un et l'autre regretté l'absence de l'UEO en Albanie. Il y a une autre crise actuellement au Zaïre. Peut-on imaginer que l'UEO, par l'intermédiaire du nouveau concept de "nation-cadre" puisse dégager une opération pour aller par exemple retirer tous les occidentaux qui sont à Kinshasa ?

R - H. de Charette - Non, ne compliquons pas les choses. Je ne crois que nous soyons dans cette situation. Vous savez que les pays qui avaient, à cet égard, des préoccupations ont pris des dispositions il y a de nombreuses semaines. Je ne crois donc pas que votre question soit d'actualité. R - C. Millon - La France regrette que la résolution de l'UEO d'Ostende n'ait pas été retenue par la communauté internationale et qu'il n'y ait pas eu une force militaire internationale pour intervenir au Kivu.

Q - De quelle manière pensez-vous pouvoir associer la Russie et l'Ukraine dans votre ensemble de sécurité européenne ?

R - H. de Charette - Concernant la Russie, vous savez qu'il y a des négociations qui sont en cours qui doivent déboucher, si tout va bien, sur la signature d'un texte entre l'OTAN et la Russie le 27 mai, bientôt à Paris. C'est cela l'élément important. Comme vous le savez également, d'autres discussions concernent les négociations entre l'OTAN et l'Ukraine.

Q - J'ai une question sur l'article 17 de la Déclaration de Paris, concernant les alliés européens de l'UEO. Lorsque l'on parle de la planification de la préparation des opérations, est-ce que cela inclut la décision politique et éventuellement les buts de l'opération ?

R - R. Millon - La décision est prise par le Conseil, la planification est ensuite effectuée par les autorités militaires et en particulier par le comité militaire. Mais le comité militaire dont j'ai parlé tout à l'heure sera responsable vis-à-vis du Conseil de la conduite générale des affaires militaires de l'UEO. La décision sera prise au niveau des ministres.

Q - Vous avez parlé de l'union éventuelle de l'UEO et de l'Union européenne. Etes-vous réconforté par l'attitude très positive du nouveau gouvernement britannique ?

R - H. de Charette - Je ne vais pas faire devant vous des analyses qui seraient déplacées de ma part entre le gouvernement britannique précédent et celui-ci. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a une position britannique qui, à l'égard de l'UEO et de sa mission, est plus réservée, moins ambitieuse que celle que nous avons développée, s'agissant des relations entre l'Union européenne et l'UEO avec plusieurs de nos partenaires européens au cours des semaines passées au sein de la CIG. Mais, encore une fois, nous restons très disponibles, très ouverts, je crois, bien entendu, que, entre la France et la Grande-Bretagne en particulier, il y a en matière de sécurité et de défense de nombreuses raisons de travailler la main dans la main..

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2001)