Texte intégral
RTL - 7h50
10janvier 2003
R. Elkrief-. Vous connaissez comme moi la chanson de Coluche : "Aujourd'hui, on n'a plus le droit ni d'avoir faim, ni d'avoir froid". Et pourtant, au moins quatre SDF ont trouvé la mort dans la région parisienne. Comment pouvez-vous expliquer cela, vous secrétaire d'Etat à l'exclusion ?
- "Tout le monde le sait, il y a des personnes qui sont très désocialisées et qui refusent toute aide, parce qu'elles sont dans la rue depuis tellement longtemps qu'elles ne sont plus en mesure d'apprécier leur état de souffrance physique, psychique et qu'elles ont perdu toute confiance dans les institutions et dans les êtres humains. Et malgré l'immense dispositif d'hébergement, d'accueil qui a été mis en place - nous ne manquons absolument pas de places ; il y a même des lits vides et il y a des travailleurs sociaux qui passent les voir, des équipes mobiles, des infirmières - ces personnes qui refusent de venir, à un moment ou à un autre, sont très fragiles."
On parlait de cet état de désarroi des sans-domicile fixe qui sont secourus mais qui ne souhaitent pas, finalement, quitter un lieu de vie qu'ils ont improvisé comme un petit chez eux qui est la rue.
- "C'est-à-dire que l'on constate que, dans la rue, ils ont recréé des repères de territoire, de protection, des repères où ils font la manche, des liens aussi avec des gens du quartier qui s'en occupent souvent, des commerçants autour, des habitants du quartier qui connaissent même leurs noms. Ils ont recréé une autre vie. Et puis, effectivement, le froid arrive et je dois dire qu'il y a aussi des personnes qui décèdent dans la rue tout l'été et, à mon grand regret, je constate que cela intéresse beaucoup moins l'actualité."
Et les médias, il faut le reconnaître humblement à cette heure-ci. C'est vrai que quand il fait très froid, lorsque les gens partagent un peu cette souffrance ou en tout cas cet inconfort pour le moins, on peut mieux comprendre la misère des autres, mais cela dure après. Et justement, dans cette population de sans-domicile fixe qui est secourue aujourd'hui, il y a pas mal aussi de sans-papiers, de demandeurs d'asile, de gens qui sont un peu sans repère. On dit même qu'il y en a qui viennent du Pas-de-Calais, qui viennent de Sangatte qui a été fermé. On dit qu'aujourd'hui on en retrouve. Cela veut dire concrètement que même si on arrive à les secourir un jour, finalement, on est loin de résoudre le problème. Le lendemain, le même problème se pose ?
- "Bien sûr. Si on secourt les personnes un soir, il faut être capable de le faire tout au long de l'année. C'est pour cela qu'il faut créer de liens avec eux, et leur permettre d'avoir des lieux sécurisants où ils peuvent venir. C'est pour cela que, lorsque nous avons créé le Samu social, qui a quand même changer..."
Je rappelle que vous étiez la directrice du Samu social avant d'être secrétaire d'Etat à l'exclusion.
- "...qui a changé les méthodes de travail, puisqu'avant, c'est la police qui ramassait les SDF d'autorité. Le Samu social a créé une méthode, avec des infirmières, des travailleurs sociaux, pour créer des liens et ramener les gens dans la vie sociale. C'est comme cela qu'il faut faire, il n'y a pas d'autre méthode. Il faut le faire tout au long de l'année et il faut se prémunir. Il est vrai qu'il y a des flux de migrants qui arrivent tous les jours. Nous sommes à une époque de la société où les migrants fuient la misère de leur pays, fuient la guerre, fuient le désespoir et tentent leur chance dans notre pays. C'est comme cela, c'est un fait de société. Evidemment, on a vu Sangatte, on a tous ces demandeurs d'asile, on a toute cette misère sous les yeux. Je crois qu'il faut faire face, parce que de toute façon, c'est l'histoire de la société. Les populations bougent et l'on ne les empêchera pas de bouger. Je pense que c'est la responsabilité et l'honneur de la France de les accueillir, évidemment de leur permettre d'avoir accès à toutes les prestations de base - être hébergé, manger, se laver - et aussi travailler sur leur situation, sur leur statut. Nous avons beaucoup de pain sur la planche."
Je sens un peu de, je dirais, une sorte d'énergie, pas de la colère. On sait qu'on a entendu certaines personnes, dont le préfet de Paris notamment, J.-P. Proust, et d'autres préfets, dire : "Tant pis, il faut les amener de force au chaud pour les protéger et les aider contre leur volonté." Et cela heurte vos principes.
- "Ah oui, ça heurte mes méthodes de travail et mon expérience professionnelle, parce que je crois que si on prend en charge une personne de force, un soir, on le peut. Je ne sais pas sur quel texte on va le faire, mais on peut prendre, admettons, une personne de force, et le lendemain, elle va repartir. Mais vous imaginez bien qu'elle ne va pas se mettre à un endroit où la police va pouvoir la reprendre en charge, si elle ne veut pas venir. Alors que si une équipe du Samu social, de la Croix Rouge ou de la Protection civile est passée, ils auront créé du lien. Elle acceptera de revoir la personne, et sans doute que le lendemain ou le surlendemain, elle acceptera de venir. Alors, c'est vrai qu'il y a des gens qui décèdent et c'est inacceptable. C'est la raison pour laquelle, ce que j'ai demandé au préfet de police, c'est qu'effectivement, les agents qui patrouillent et qui voient des personnes, nous permettent justement d'ouvrir les yeux comme tous les citoyens, qu'ils leur proposent de les amener dans un lieu d'accueil géré par des travailleurs sociaux."
Et pas par la police et pas au commissariat.
- "Pas au commissariat. Ce n'est pas un lieu où on met les SDF, sûrement pas quand il fait froid. Si la personne est en danger, en urgence, que leur peur c'est "et s'il meurt ?", s'il est en danger de mort, c'est tout simple : il faut appeler le Samu médical. De toute façon, quand une équipe du Samu social rencontre un SDF qui ne va pas bien, on appelle le Samu médical, et je pense que la place des SDF, elle est soit dans des lieux réservés où des travailleurs sociaux les accueillent, et leur permettent de se poser, soit aux urgences de hôpitaux où on les soigne. Pour moi, il n'y a pas d'autres lieux."
Vous étiez directrice du Samu social. Aujourd'hui, vous êtes ministre, vous êtes une politique. Comment vivez-vous ce changement ? Est-ce que c'est aussi facile ou est-ce douloureux ? Avez-vous l'impression d'avoir plus de moyens ou, au contraire, moins, en quelque sorte ?
- "Je le vis toujours avec la même force dans mes convictions, puisque j'ai la chance d'être au Gouvernement sur un champ que je connais. Je pense que c'est pour cela que le président de la République et le Premier ministre m'ont proposé ce sujet-là. Pour le reste, ma foi, il faut coordonner différentes institutions qui ont d'autres méthodes, d'autres points de vue. J'ai réuni, hier, d'ailleurs, tous ces gens-là : la préfecture de police, le Samu médical, les urgences psychiatriques et on a fait le point. Et je leur ai dit ce que moi je souhaitais. Je leur ai donné des consignes que je souhaite voir suivies."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 janvier 2003)
LCI - 8h05
14 janvier 2003
A. Hausser -. Vous lancez aujourd'hui une campagne de sensibilisation pour les sans-abri, pour que les gens appellent le 115, qui est le numéro d'urgence pour les sans-abri. C'est indispensable, même en période de grand froid ?
- "Oui, c'est indispensable, car des sans-abri meurent, malheureusement, dans la rue. Et il est du devoir, selon moi, de l'ensemble des pouvoirs publics, mais aussi des citoyens qui passent dans la rue, qui voient ces formes allongées et qui, souvent, sont gênés, ne savent pas quoi faire. Ce qu'il faut faire, c'est assez simple : il faut appeler le 115, le numéro d'urgence pour les sans-abri, qu'on peut contacter partout en France. Mais si la personne est inconsciente, ne répond pas à la sollicitation, alors, il ne faut pas hésiter, il faut appeler le Samu médical, le 15 ou les pompiers, le 18."
Vous nous rappelez que neuf personnes sont mortes de froid depuis le début de cette vague de froid qui frappe la France. Il y a eu une controverse, à laquelle vous vous êtes d'ailleurs mêlée, puisque le préfet de police demandait qu'on embarque d'autorité les personnes qui seraient en danger, ce à quoi beaucoup de SDF se refusent. Vous vous êtes mise du côté de ceux qui refusent, en disant qu'on ne peut forcer personne. Où est la vérité ? Pour empêcher les gens de mourir de froid, que fait-on ?
- "C'est un vrai problème, c'est une vraie question de société. Je ne me suis pas mêlée à la controverse, qui n'a pas de sens. Mais je pense qu'il y a une méthode : c'est le professionnalisme et c'est le respect des gens. Bien évidemment, le froid est un facteur aggravant, c'est dangereux d'être à la rue lorsqu'il fait froid, notamment lorsque la personne est très alcoolisée, parce que l'alcool fait baisser la température du corps. Cela la met donc en danger. Mais pour autant, faut-il prendre une personne d'autorité, même si elle le refuse ? Je crois que non, parce qu'à chaque fois qu'on l'a fait - et on le faisait jusqu'en 1994, il y avait un délit de vagabondage -, la personne, ensuite, se planquait, allait se cacher dans un parking, dans un endroit où on ne la trouvait pas. Et là, elle risquait encore plus de mourir. Par contre, ce que je pense, c'est qu'il faut être très vigilant. C'est pour cela que j'appelle nos concitoyens à la vigilance : lorsque l'on voit une personne, il faut lui demander si elle veut venir quelque part ; si elle ne répond pas, si elle semble en difficulté, il faut appeler le Samu médical..."
Et si la personne refuse ? Ce n'est pas de la non-assistance à personne en danger ?
- "Seul un médecin peut décider s'il y a non-assistance à personne en danger, seul un médecin peut décider si votre vie est en danger et nécessite qu'on vous hospitalise d'office. A ce moment-là, l'orientation, ce sont les urgences hospitalières. Et là, cela ne me pose aucun problème, parce que la personne est dans un lieu de soins. C'est pour cela qu'il faut être extrêmement prudent sur ce genre de sujets. Toute l'actualité nous a d'ailleurs montré que les personnes le refusent, mais par contre, lorsqu'une personne a été en danger, la prise en charge avec conviction, avec persuasion, avec des arguments, avec gentillesse et, s'il le faut, après avis d'un médecin, effectivement, une hospitalisation par des personnels de santé, dont c'est le travail."
Ce n'est pas toujours facile, parce que ces personnes ne parlent pas toujours le français, il n'y pas les interprètes qu'il faut, il y a une incompréhension, elles ont peur... Il faut quand même se mettre à la place de ceux qui veulent porter secours.
- "Oui, mais c'est pour cela que seul un médecin peut prendre la température, prendre un pouls et décider s'il faut hospitaliser, que la personne parle ou pas français. Il y a des constantes, il y a un diagnostic médical. Et si j'ai créé le Samu social, avec le Dr X. Emmanuelli, c'est justement pour cela : c'est parce qu'il faut une approche médico-sociale des gens, et non pas une approche policière, sauf - et attention, là, il faut être très clair - lorsqu'il y a un problème de sécurité publique, lorsqu'il y a un délit, lorsqu'il y a quelque chose qui met en danger l'ordre public."
Il y a assez de médecins au Samu social, pour pouvoir estimer, évaluer la dangerosité d'une situation ?
- "Au Samu social, il y a toutes les nuits des infirmières, dans tous les camions - un soignant, une infirmière -, pour faire ce premier diagnostic. Et le Samu médical est là pour répondre - c'est le 15, qu'on appelle tous à un moment ou à un autre. Et c'est leur boulot. Je suis pour que chacun fasse son travail."
Vous faisiez allusion à l'ancien délit de vagabondage. A partir de cet après-midi, l'Assemblée va examiner le projet de loi sur la sécurité intérieure présenté par N. Sarkozy. Vous connaissez les protestations qu'il suscite. On dit que c'est un projet de loi anti-pauvres, notamment à cause du délit de mendicité agressive, des problèmes vestimentaires qui sont un peu inclus dans cette loi. Vous sentez-vous à l'aise dans ce Gouvernement qui axe tout sur la sécurité plus que sur la compassion ?
- "Je me sens d'abord très à l'aise dans ce gouvernement qui n'axe pas tout sur la sécurité, bien que la sécurité soit une demande justifiée d'une grande majorité des Français. Je vous rappelle que, personnellement, je relève de la tutelle du ministre des Affaires sociales, F. Fillon, qui, lui, mène la politique sociale et de solidarité de la France, qu'il y a aussi un ministre de la Santé qui se dévoue pour la santé. Donc, oui, concernant le projet de loi de N. Sarkozy, les protestations des associations à mon sens ne sont pas justifiées."
Aucune ? Il y en a qui ont proposé des amendements assez constructifs.
- "Le projet a déjà été revu. Je ne suis évidemment pas là pour défendre le projet de N. Sarkozy, qui le fait très bien tout seul. Mais il faut être juste aussi. Il y a dans ce projet, le besoin de répondre à des vraies problématiques qui sont l'exploitation de la misère. Il y a des gens, des réseaux, qui exploitent des enfants, qui les forcent à mendier, qui les forcent à se prostituer. Il y a des réseaux qui exploitent la misère des gens en leur louant des squatts. Ce qu'il faut punir - c'est l'objet du texte de loi, et je souhaite que cela le reste, bien évidemment, il faudra voir comment se passe l'application -, c'est que tout ce qui concerne l'atteinte à l'ordre public soit réprimé. Mais bien évidemment, en aucun cas, il n'est question de réprimer la mendicité du clochard qui est devant l'église ou qui est au coin de la rue, en train de faire la manche. Ce n'est pas du tout le projet de loi, en tout cas, ce n'est pas du tout comme cela que je l'ai compris."
C'est un mauvais procès quand on parle de loi anti-pauvres ?
- "On ne peut pas le dire, non, je trouve que c'est un mauvais procès. Vous savez combien je défends avec ardeur les associations - je salue leur courage et leur dévouement. Bien sûr, le monde associatif est toujours méfiant à l'égard des mesures sécuritaires, parce que jusqu'en 1994, il y avait le délit de vagabondage, qui faisait qu'on pouvait ramasser d'office les personnes à la rue, et que de tout temps, il y a eu des tentations. Déjà, Louis XIV avait fait un édit par lequel il avait promulgué le grand renfermement visant à enfermer tous les mendiants, les prostituées, etc. Le monde associatif qui lui est dévoué et qui est là pour accompagner les pauvres et les gens en difficulté dans leurs souffrances, forcément, ils ne peuvent pas être sur la même ligne que le ministre de l'Intérieur. Mais chacun son boulot, après tout."
Au moment de Noël, quand la loi de financement de la Sécurité sociale a été validée, on a découvert un amendement qui restreint, nous dit-on, l'aide médicale aux exclus. Cela restreindrait l'application de la loi de Couverture médicale universelle. Vous avez promis que les décrets d'application seraient discutés avec les associations. Où est-ce qu'on en est ?
- "D'abord, il s'agit d'une initiative parlementaire qui a été votée, effectivement, et qui nécessite un décret d'application. Je tiens à préciser qu'il ne s'agit d'aucune atteinte à la Couverture médicale universelle, mais à une autre protection qui est l'aide médicale d'Etat, et qui concerne la prise en charge des personnes étrangères en situation irrégulière, car les députés ont constaté que le budget est passé de 50 millions d'euros à 500 millions d'euros en trois ans, et qu'il semblerait - cela reste à vérifier, il y une enquête IGAS qui est en cours, on en attend les résultats - qu'il y ait des gens qui viennent pour faire une sorte de tourisme médical. Je n'en suis pas sûre. En tout cas, c'est vrai que les associations vivent très mal cet amendement, et que le Premier ministre m'a demandé de les rencontrer et de les consulter, ce que je vais faire dans les jours qui viennent. Ensuite, je ferai des propositions au Premier ministre qui décidera ou non de signer le décret d'application. Il faut dire que s'il ne le signe pas, le décret ne sera pas applicable."
Dans quel délai, très brièvement ?
- "Il faut le temps de rencontrer les gens. C'est un délai très proche."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 janvier 2003)
10janvier 2003
R. Elkrief-. Vous connaissez comme moi la chanson de Coluche : "Aujourd'hui, on n'a plus le droit ni d'avoir faim, ni d'avoir froid". Et pourtant, au moins quatre SDF ont trouvé la mort dans la région parisienne. Comment pouvez-vous expliquer cela, vous secrétaire d'Etat à l'exclusion ?
- "Tout le monde le sait, il y a des personnes qui sont très désocialisées et qui refusent toute aide, parce qu'elles sont dans la rue depuis tellement longtemps qu'elles ne sont plus en mesure d'apprécier leur état de souffrance physique, psychique et qu'elles ont perdu toute confiance dans les institutions et dans les êtres humains. Et malgré l'immense dispositif d'hébergement, d'accueil qui a été mis en place - nous ne manquons absolument pas de places ; il y a même des lits vides et il y a des travailleurs sociaux qui passent les voir, des équipes mobiles, des infirmières - ces personnes qui refusent de venir, à un moment ou à un autre, sont très fragiles."
On parlait de cet état de désarroi des sans-domicile fixe qui sont secourus mais qui ne souhaitent pas, finalement, quitter un lieu de vie qu'ils ont improvisé comme un petit chez eux qui est la rue.
- "C'est-à-dire que l'on constate que, dans la rue, ils ont recréé des repères de territoire, de protection, des repères où ils font la manche, des liens aussi avec des gens du quartier qui s'en occupent souvent, des commerçants autour, des habitants du quartier qui connaissent même leurs noms. Ils ont recréé une autre vie. Et puis, effectivement, le froid arrive et je dois dire qu'il y a aussi des personnes qui décèdent dans la rue tout l'été et, à mon grand regret, je constate que cela intéresse beaucoup moins l'actualité."
Et les médias, il faut le reconnaître humblement à cette heure-ci. C'est vrai que quand il fait très froid, lorsque les gens partagent un peu cette souffrance ou en tout cas cet inconfort pour le moins, on peut mieux comprendre la misère des autres, mais cela dure après. Et justement, dans cette population de sans-domicile fixe qui est secourue aujourd'hui, il y a pas mal aussi de sans-papiers, de demandeurs d'asile, de gens qui sont un peu sans repère. On dit même qu'il y en a qui viennent du Pas-de-Calais, qui viennent de Sangatte qui a été fermé. On dit qu'aujourd'hui on en retrouve. Cela veut dire concrètement que même si on arrive à les secourir un jour, finalement, on est loin de résoudre le problème. Le lendemain, le même problème se pose ?
- "Bien sûr. Si on secourt les personnes un soir, il faut être capable de le faire tout au long de l'année. C'est pour cela qu'il faut créer de liens avec eux, et leur permettre d'avoir des lieux sécurisants où ils peuvent venir. C'est pour cela que, lorsque nous avons créé le Samu social, qui a quand même changer..."
Je rappelle que vous étiez la directrice du Samu social avant d'être secrétaire d'Etat à l'exclusion.
- "...qui a changé les méthodes de travail, puisqu'avant, c'est la police qui ramassait les SDF d'autorité. Le Samu social a créé une méthode, avec des infirmières, des travailleurs sociaux, pour créer des liens et ramener les gens dans la vie sociale. C'est comme cela qu'il faut faire, il n'y a pas d'autre méthode. Il faut le faire tout au long de l'année et il faut se prémunir. Il est vrai qu'il y a des flux de migrants qui arrivent tous les jours. Nous sommes à une époque de la société où les migrants fuient la misère de leur pays, fuient la guerre, fuient le désespoir et tentent leur chance dans notre pays. C'est comme cela, c'est un fait de société. Evidemment, on a vu Sangatte, on a tous ces demandeurs d'asile, on a toute cette misère sous les yeux. Je crois qu'il faut faire face, parce que de toute façon, c'est l'histoire de la société. Les populations bougent et l'on ne les empêchera pas de bouger. Je pense que c'est la responsabilité et l'honneur de la France de les accueillir, évidemment de leur permettre d'avoir accès à toutes les prestations de base - être hébergé, manger, se laver - et aussi travailler sur leur situation, sur leur statut. Nous avons beaucoup de pain sur la planche."
Je sens un peu de, je dirais, une sorte d'énergie, pas de la colère. On sait qu'on a entendu certaines personnes, dont le préfet de Paris notamment, J.-P. Proust, et d'autres préfets, dire : "Tant pis, il faut les amener de force au chaud pour les protéger et les aider contre leur volonté." Et cela heurte vos principes.
- "Ah oui, ça heurte mes méthodes de travail et mon expérience professionnelle, parce que je crois que si on prend en charge une personne de force, un soir, on le peut. Je ne sais pas sur quel texte on va le faire, mais on peut prendre, admettons, une personne de force, et le lendemain, elle va repartir. Mais vous imaginez bien qu'elle ne va pas se mettre à un endroit où la police va pouvoir la reprendre en charge, si elle ne veut pas venir. Alors que si une équipe du Samu social, de la Croix Rouge ou de la Protection civile est passée, ils auront créé du lien. Elle acceptera de revoir la personne, et sans doute que le lendemain ou le surlendemain, elle acceptera de venir. Alors, c'est vrai qu'il y a des gens qui décèdent et c'est inacceptable. C'est la raison pour laquelle, ce que j'ai demandé au préfet de police, c'est qu'effectivement, les agents qui patrouillent et qui voient des personnes, nous permettent justement d'ouvrir les yeux comme tous les citoyens, qu'ils leur proposent de les amener dans un lieu d'accueil géré par des travailleurs sociaux."
Et pas par la police et pas au commissariat.
- "Pas au commissariat. Ce n'est pas un lieu où on met les SDF, sûrement pas quand il fait froid. Si la personne est en danger, en urgence, que leur peur c'est "et s'il meurt ?", s'il est en danger de mort, c'est tout simple : il faut appeler le Samu médical. De toute façon, quand une équipe du Samu social rencontre un SDF qui ne va pas bien, on appelle le Samu médical, et je pense que la place des SDF, elle est soit dans des lieux réservés où des travailleurs sociaux les accueillent, et leur permettent de se poser, soit aux urgences de hôpitaux où on les soigne. Pour moi, il n'y a pas d'autres lieux."
Vous étiez directrice du Samu social. Aujourd'hui, vous êtes ministre, vous êtes une politique. Comment vivez-vous ce changement ? Est-ce que c'est aussi facile ou est-ce douloureux ? Avez-vous l'impression d'avoir plus de moyens ou, au contraire, moins, en quelque sorte ?
- "Je le vis toujours avec la même force dans mes convictions, puisque j'ai la chance d'être au Gouvernement sur un champ que je connais. Je pense que c'est pour cela que le président de la République et le Premier ministre m'ont proposé ce sujet-là. Pour le reste, ma foi, il faut coordonner différentes institutions qui ont d'autres méthodes, d'autres points de vue. J'ai réuni, hier, d'ailleurs, tous ces gens-là : la préfecture de police, le Samu médical, les urgences psychiatriques et on a fait le point. Et je leur ai dit ce que moi je souhaitais. Je leur ai donné des consignes que je souhaite voir suivies."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 janvier 2003)
LCI - 8h05
14 janvier 2003
A. Hausser -. Vous lancez aujourd'hui une campagne de sensibilisation pour les sans-abri, pour que les gens appellent le 115, qui est le numéro d'urgence pour les sans-abri. C'est indispensable, même en période de grand froid ?
- "Oui, c'est indispensable, car des sans-abri meurent, malheureusement, dans la rue. Et il est du devoir, selon moi, de l'ensemble des pouvoirs publics, mais aussi des citoyens qui passent dans la rue, qui voient ces formes allongées et qui, souvent, sont gênés, ne savent pas quoi faire. Ce qu'il faut faire, c'est assez simple : il faut appeler le 115, le numéro d'urgence pour les sans-abri, qu'on peut contacter partout en France. Mais si la personne est inconsciente, ne répond pas à la sollicitation, alors, il ne faut pas hésiter, il faut appeler le Samu médical, le 15 ou les pompiers, le 18."
Vous nous rappelez que neuf personnes sont mortes de froid depuis le début de cette vague de froid qui frappe la France. Il y a eu une controverse, à laquelle vous vous êtes d'ailleurs mêlée, puisque le préfet de police demandait qu'on embarque d'autorité les personnes qui seraient en danger, ce à quoi beaucoup de SDF se refusent. Vous vous êtes mise du côté de ceux qui refusent, en disant qu'on ne peut forcer personne. Où est la vérité ? Pour empêcher les gens de mourir de froid, que fait-on ?
- "C'est un vrai problème, c'est une vraie question de société. Je ne me suis pas mêlée à la controverse, qui n'a pas de sens. Mais je pense qu'il y a une méthode : c'est le professionnalisme et c'est le respect des gens. Bien évidemment, le froid est un facteur aggravant, c'est dangereux d'être à la rue lorsqu'il fait froid, notamment lorsque la personne est très alcoolisée, parce que l'alcool fait baisser la température du corps. Cela la met donc en danger. Mais pour autant, faut-il prendre une personne d'autorité, même si elle le refuse ? Je crois que non, parce qu'à chaque fois qu'on l'a fait - et on le faisait jusqu'en 1994, il y avait un délit de vagabondage -, la personne, ensuite, se planquait, allait se cacher dans un parking, dans un endroit où on ne la trouvait pas. Et là, elle risquait encore plus de mourir. Par contre, ce que je pense, c'est qu'il faut être très vigilant. C'est pour cela que j'appelle nos concitoyens à la vigilance : lorsque l'on voit une personne, il faut lui demander si elle veut venir quelque part ; si elle ne répond pas, si elle semble en difficulté, il faut appeler le Samu médical..."
Et si la personne refuse ? Ce n'est pas de la non-assistance à personne en danger ?
- "Seul un médecin peut décider s'il y a non-assistance à personne en danger, seul un médecin peut décider si votre vie est en danger et nécessite qu'on vous hospitalise d'office. A ce moment-là, l'orientation, ce sont les urgences hospitalières. Et là, cela ne me pose aucun problème, parce que la personne est dans un lieu de soins. C'est pour cela qu'il faut être extrêmement prudent sur ce genre de sujets. Toute l'actualité nous a d'ailleurs montré que les personnes le refusent, mais par contre, lorsqu'une personne a été en danger, la prise en charge avec conviction, avec persuasion, avec des arguments, avec gentillesse et, s'il le faut, après avis d'un médecin, effectivement, une hospitalisation par des personnels de santé, dont c'est le travail."
Ce n'est pas toujours facile, parce que ces personnes ne parlent pas toujours le français, il n'y pas les interprètes qu'il faut, il y a une incompréhension, elles ont peur... Il faut quand même se mettre à la place de ceux qui veulent porter secours.
- "Oui, mais c'est pour cela que seul un médecin peut prendre la température, prendre un pouls et décider s'il faut hospitaliser, que la personne parle ou pas français. Il y a des constantes, il y a un diagnostic médical. Et si j'ai créé le Samu social, avec le Dr X. Emmanuelli, c'est justement pour cela : c'est parce qu'il faut une approche médico-sociale des gens, et non pas une approche policière, sauf - et attention, là, il faut être très clair - lorsqu'il y a un problème de sécurité publique, lorsqu'il y a un délit, lorsqu'il y a quelque chose qui met en danger l'ordre public."
Il y a assez de médecins au Samu social, pour pouvoir estimer, évaluer la dangerosité d'une situation ?
- "Au Samu social, il y a toutes les nuits des infirmières, dans tous les camions - un soignant, une infirmière -, pour faire ce premier diagnostic. Et le Samu médical est là pour répondre - c'est le 15, qu'on appelle tous à un moment ou à un autre. Et c'est leur boulot. Je suis pour que chacun fasse son travail."
Vous faisiez allusion à l'ancien délit de vagabondage. A partir de cet après-midi, l'Assemblée va examiner le projet de loi sur la sécurité intérieure présenté par N. Sarkozy. Vous connaissez les protestations qu'il suscite. On dit que c'est un projet de loi anti-pauvres, notamment à cause du délit de mendicité agressive, des problèmes vestimentaires qui sont un peu inclus dans cette loi. Vous sentez-vous à l'aise dans ce Gouvernement qui axe tout sur la sécurité plus que sur la compassion ?
- "Je me sens d'abord très à l'aise dans ce gouvernement qui n'axe pas tout sur la sécurité, bien que la sécurité soit une demande justifiée d'une grande majorité des Français. Je vous rappelle que, personnellement, je relève de la tutelle du ministre des Affaires sociales, F. Fillon, qui, lui, mène la politique sociale et de solidarité de la France, qu'il y a aussi un ministre de la Santé qui se dévoue pour la santé. Donc, oui, concernant le projet de loi de N. Sarkozy, les protestations des associations à mon sens ne sont pas justifiées."
Aucune ? Il y en a qui ont proposé des amendements assez constructifs.
- "Le projet a déjà été revu. Je ne suis évidemment pas là pour défendre le projet de N. Sarkozy, qui le fait très bien tout seul. Mais il faut être juste aussi. Il y a dans ce projet, le besoin de répondre à des vraies problématiques qui sont l'exploitation de la misère. Il y a des gens, des réseaux, qui exploitent des enfants, qui les forcent à mendier, qui les forcent à se prostituer. Il y a des réseaux qui exploitent la misère des gens en leur louant des squatts. Ce qu'il faut punir - c'est l'objet du texte de loi, et je souhaite que cela le reste, bien évidemment, il faudra voir comment se passe l'application -, c'est que tout ce qui concerne l'atteinte à l'ordre public soit réprimé. Mais bien évidemment, en aucun cas, il n'est question de réprimer la mendicité du clochard qui est devant l'église ou qui est au coin de la rue, en train de faire la manche. Ce n'est pas du tout le projet de loi, en tout cas, ce n'est pas du tout comme cela que je l'ai compris."
C'est un mauvais procès quand on parle de loi anti-pauvres ?
- "On ne peut pas le dire, non, je trouve que c'est un mauvais procès. Vous savez combien je défends avec ardeur les associations - je salue leur courage et leur dévouement. Bien sûr, le monde associatif est toujours méfiant à l'égard des mesures sécuritaires, parce que jusqu'en 1994, il y avait le délit de vagabondage, qui faisait qu'on pouvait ramasser d'office les personnes à la rue, et que de tout temps, il y a eu des tentations. Déjà, Louis XIV avait fait un édit par lequel il avait promulgué le grand renfermement visant à enfermer tous les mendiants, les prostituées, etc. Le monde associatif qui lui est dévoué et qui est là pour accompagner les pauvres et les gens en difficulté dans leurs souffrances, forcément, ils ne peuvent pas être sur la même ligne que le ministre de l'Intérieur. Mais chacun son boulot, après tout."
Au moment de Noël, quand la loi de financement de la Sécurité sociale a été validée, on a découvert un amendement qui restreint, nous dit-on, l'aide médicale aux exclus. Cela restreindrait l'application de la loi de Couverture médicale universelle. Vous avez promis que les décrets d'application seraient discutés avec les associations. Où est-ce qu'on en est ?
- "D'abord, il s'agit d'une initiative parlementaire qui a été votée, effectivement, et qui nécessite un décret d'application. Je tiens à préciser qu'il ne s'agit d'aucune atteinte à la Couverture médicale universelle, mais à une autre protection qui est l'aide médicale d'Etat, et qui concerne la prise en charge des personnes étrangères en situation irrégulière, car les députés ont constaté que le budget est passé de 50 millions d'euros à 500 millions d'euros en trois ans, et qu'il semblerait - cela reste à vérifier, il y une enquête IGAS qui est en cours, on en attend les résultats - qu'il y ait des gens qui viennent pour faire une sorte de tourisme médical. Je n'en suis pas sûre. En tout cas, c'est vrai que les associations vivent très mal cet amendement, et que le Premier ministre m'a demandé de les rencontrer et de les consulter, ce que je vais faire dans les jours qui viennent. Ensuite, je ferai des propositions au Premier ministre qui décidera ou non de signer le décret d'application. Il faut dire que s'il ne le signe pas, le décret ne sera pas applicable."
Dans quel délai, très brièvement ?
- "Il faut le temps de rencontrer les gens. C'est un délai très proche."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 janvier 2003)