Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur le champ des compétences de l'OSCE pour la prévention des conflits en Europe, ses relations avec l'OTAN et l'ONU et sur les tensions au Kosovo, Vienne le 12 février 1998.

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Circonstance : Réunion du Conseil permanent de l'OSCE à Vienne (Autriche) le 12 février 1998

Texte intégral

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire général, Mesdames Messieurs les Ambassadeurs,
Je vous remercie, Monsieur le Président, de vos paroles de bienvenue et, en dépit de la brièveté du temps dont je dispose puisque je suis là à l'occasion de la visite en Autriche du président de la République française, j'ai tenu à saisir l'occasion de venir m'exprimer aujourd'hui devant votre Conseil permanent pour dire quelles sont les vues actuelles de la France sur l'OSCE. A titre personnel, je rappellerai que j'étais présent au Sommet qui, à Budapest, a pris la décision de transformer la CSCE, qui avait eu le rôle historique et l'importance que l'on sait, en l'organisation qui est la nôtre maintenant.
La première remarque que je voudrais faire au nom de mon pays concerne la nouvelle donne politico-stratégique en Europe et même au-delà, laquelle justifie amplement le rôle de cette organisation. Certes, personne ne peut ignorer ou négliger l'importance considérable de l'OTAN, que ce soient les pays qui en font partie ou les pays qui n'en font pas partie. Mais le champ de compétence, la liste des pays participants, les problèmes à traiter ne sont pas les mêmes dans les deux cas et, à tout point de vue, nous pensons que l'OSCE répond à un besoin, à une nécessité, fournit un cadre qui n'est comparable à aucun autre, et qu'il ne doit pas y avoir de problèmes de compétition ni de double emploi entre les organisations dont l'objectif n'est pas le même. Au sein de l'OSCE, tous les Etats européens et euro-asiatiques sont représentés aux côtés des Etats-Unis et du Canada. Dans notre organisation tous s'expriment sur un pied d'égalité. L'OSCE a donc une vocation particulière, selon nous, à définir les grands principes qui doivent constituer une base de sécurité commune et indivisible. C'est l'objet du projet de Charte de sécurité qui devrait aboutir d'ici le prochain Sommet de l'OSCE dont, je crois, le moment exact reste à fixer. A partir des orientations retenues à Copenhague, on voit à présent assez clairement se dessiner la structure de cette Charte, et j'évoquerai plusieurs aspects de ce projet.
- Le concept de solidarité : il est au coeur de cette démarche, il recouvre l'assistance au respect des engagements, l'action commune en cas de menace ou d'usage de la force, l'assistance dans les situations caractérisées par l'implosion des structures et l'effondrement de l'ordre public dans un Etat membre. Ce sont malheureusement des événements qui peuvent se produire, et qui se produisent à l'heure actuelle, comme l'illustre l'ordre du jour du Conseil permanent d'aujourd'hui. - En matière de prévention, de gestion de crises et de règlement des conflits, il faut commencer par se servir des instruments existants. J'ai à l'esprit, par exemple, la Cour de conciliation et d'arbitrage. De nouveaux outils peuvent les compléter, en particulier en matière de réhabilitation d'après crise, ce que l'on fait une fois que la phase la plus aiguë de la crise est dépassée. - Les opérations de maintien de la paix sont un élément crucial de la gestion de beaucoup de crises, qu'elles soient inter-étatiques, infra ou intra-étatiques. Il est vrai que l'on parle souvent de maintien de la paix même dans des cas où la paix n'est pas encore établie. On en parle à la fois pour tenter de rétablir la paix et dans d'autres cas pour maintenir la paix quand elle est là. Mon pays pense que sur la scène européenne, ces opérations ne peuvent être engagées et légitimées que par l'Organisation des Nations unies et par l'OSCE. Il ne s'agit pas de créer des capacités de maintien de la paix qui soient particulières à l'OSCE - cela compliquerait inutilement les choses et mélangerait les genres - mais il s'agit d'utiliser l'OSCE comme un cadre politique de concertation, cadre précieux comparable à aucun autre de par la composition que j'ai rappelée tout à l'heure. Par exemple, s'agissant de la situation en ex-Yougoslavie, quelques mois avant l'achèvement du mandat de la force de déploiement préventif des Nations unies en ancienne République yougoslave de Macédoine. Voilà un exemple précis.
- La coopération entre l'OSCE et les autres organisations européennes et euro-atlantiques revêt une importance déterminante. Il faut que les différentes organisations dont la composition, le champ de compétences ne sont pas toujours les mêmes, se complètent, travaillent ensemble, et il faut toujours éviter qu'elles entrent dans une concurrence stérile.
- Dans le domaine de la maîtrise des armements et du désarmement conventionnel en Europe, c'est à l'OSCE que doivent être mises en cohérence la révision du document de Vienne sur les mesures de confiance et de sécurité, la négociation de modernisation du Traité sur les Forces conventionnelles en Europe, ainsi que les négociations régionales visées à l'article V de l'annexe 1B des Accords de Dayton-Paris.
- Notre souci doit être, tout en préservant les acquis de la troisième corbeille d'Helsinki et de la Charte de Paris, qui demeurent essentiels, de redynamiser les mécanismes chargés de suivre leur mise en oeuvre.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
La rédaction de la Charte nous donne l'occasion de réfléchir aux principes fondateurs de la sécurité européenne au sens le plus large sans affecter la qualité majeure de l'OSCE, qui a été celle de la CSCE à ses débuts, à savoir sa flexibilité, sa souplesse, qui est un élément de son efficacité. Cet exercice ne doit pas nous faire oublier les soucis quotidiens que causent les crises en cours. Je songe bien entendu à la situation en Géorgie - encore rappelée récemment à notre attention par une actualité douloureuse dont vous allez parler ce matin -, en Moldavie et au Haut-Karabagh, mais aussi et surtout à la situation de tout le Sud-Est de l'Europe. Voilà des éléments d'actualité, des crises plus ou moins aiguës, mais qui s'imposent à notre attention, à votre attention.
L'ensemble de la région du Sud-Est de l'Europe se ressent encore du conflit qui a marqué l'ex-Yougoslavie pendant sa désintégration. Mon collègue et ami, M. Kinkel, et moi-même avons pris l'initiative de faire au président Milosevic des propositions pour aider à résoudre la question de plus en plus préoccupante du Kosovo, question dont la gravité apparaît de plus en plus nettement chaque jour. Mais c'est aux autorités de Belgrade qu'il revient de faire les premiers pas, d'abord par des mesures de confiance susceptibles de faire baisser la tension, ensuite par l'amorce de bonne foi de discussions sur l'avenir de la région avec les représentants des populations concernées. Un retour de la mission à long terme de l'OSCE au Kosovo, au Sandjak et en Voïvodine permettrait, selon nous, de répondre au souhait de la République fédérale de Yougoslavie d'être membre de l'OSCE par le biais d'une formule acceptable par toutes les parties.
Au-delà de cette zone qui reste particulièrement troublée, c'est toute l'Europe du Sud-Est qui a besoin d'un pacte de stabilité et de confiance pour réussir sa transition économique et politique. L'OSCE permettrait de fédérer, sans hiérarchie, les efforts déjà entrepris dans de nombreuses directions. Une enceinte souple de négociation pourrait réunir, sur un pied d'égalité et sans exclusive, tous les Etats de la région, les autres Etats de l'OSCE qui s'estiment concernés, ainsi qu'à titre d'observateurs, les grandes organisations internationales qui participent déjà à l'effort commun. La négociation visée à l'article V des Accords de Dayton-Paris pourrait tout naturellement trouver sa place au sein de cette conférence.
Sous l'égide de l'OSCE pourraient aussi se développer des synergies et des complémentarités avec d'autres forums tels que le processus de Royaumont, que la France a proposé pour renouer les fils de la société civile et pour lequel l'Union européenne vient de désigner un coordonnateur spécial. Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, En concluant mon propos je voudrais former le voeu que l'année 1998, sous l'impulsion de la présidence en exercice de la Pologne, dont je voudrais saluer ici la détermination, - j'ai eu l'occasion de parler longuement avec mon collègue et ami M. Geremek du rôle qu'allait jouer et que joue déjà la Pologne pendant cette présidence -, que 1998 donc puisse être l'occasion d'avancées significatives pour l'OSCE, pour l'ensemble de ses tâches, pour la gestion de ses crises si nombreuses malheureusement encore et donc au total pour la paix en Europe.
Je vous remercie, Monsieur le Président./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 septembre 2001)