Texte intégral
Je tiens tout d'abord à rappeler que la décision de privatiser la société Air France a été prise dès 1993. La compagnie Air France figure en effet sur la liste des entreprises privatisables annexée à la loi du 19 juillet 1993 de privatisation. Le texte qui vous est proposé aujourd'hui vise essentiellement à offrir toutes les garanties pour que la privatisation soit réalisée dans les meilleures conditions possibles pour l'entreprise et pour ses personnels.
Cette privatisation n'a pas été engagée en 1993 car, au début des années quatre-vingt-dix, premier transport aérien mondial a connu une grave crise, qu'Air France a pu surmonter grâce à un effort important de l'État et à une profonde restructuration. La compagnie a alors mis en oeuvre sous l'égide de son président, Christian BLANC, un plan stratégique de redressement approuvé par les salariés, le ''Projet pour l'entreprise 1994-1996''. Ces années ont vu la compagnie bâtir à Roissy-Charles-de-Gaulle une plate-forme de correspondances et mettre en place de nouveaux outils de gestion et de nouveaux produits moyen et long courriers.
Je rappelle que l'État s'était à nouveau engagé à privatiser Air France lors de la recapitalisation de 1994. C'était un des engagements qui avait été pris vis à vis de la Commission européenne à l'occasion de cette aide.
La stratégie développée par Air France a porté ses fruits puisqu'Air France et redevenue bénéficiaire lors de son exercice 1996/1997 et l'a toujours été depuis.
Ces bonnes performances d'Air France ont permis une première ouverture du capital de la compagnie par le gouvernement de M. JOSPIN. Elle a eu lieu en février 1999 et a nécessité d'apporter quelques changements d'ordre législatif aux dispositions du code de l'aviation civile qui régissent Air France. L'opération a été un succès.
En mars 2000, Monsieur Jean-Claude GAYSSOT, alors ministre en charge des Transports, avait d'ailleurs souligné, je le cite, que ''l'ouverture du capital, en février 1999, a été et demeure un succès. La demande privée a très largement dépassé l'offre et l'opération destinée aux salariés a été aussi innovante que réussie''.
Le Premier ministre, Jean-Pierre RAFFARIN, a annoncé en juillet dernier que le recentrage de l'État sur ses missions essentielles conduisait également à redéfinir l'intervention de l'État dans le champ économique, au cas par cas, et avec une approche pragmatique, l'État ayant vocation à se retirer du secteur concurrentiel.
Dans ce cadre, Francis MER, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, et moi-même avons annoncé fin juillet la décision du gouvernement de poursuivre le processus de privatisation d'Air France.
Comme vous le savez, la situation de la compagnie Air France est aujourd'hui bonne, dans un secteur qui peine à sortir d'une crise amorcée au printemps 2001 et qui a été dramatiquement aggravée par les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.
Air France a été une des rares compagnies en Europe et dans le monde à ne pas subir de pertes dans cette période ; elle vient d'enregistrer pour les neuf premiers mois de son exercice 2002/2003, clos le 31 décembre 2002, un résultat net avant impôt de 278 millions d'euros, en progression de 68,5%. Aujourd'hui, Air France a une structure financière saine, avec un endettement raisonnable et stable.
Ces résultats sont le produit des efforts accomplis au milieu des années 1990 par l'État, l'entreprise et ses salariés. La société a mené au cours des dix dernières années un très gros chantier de désendettement, d'assainissement et de restructuration de l'appareil de production.
Ce retour à la rentabilité a permis à Air France d'intégrer une alliance de taille mondiale. En juin 2000, Air France a en effet été l'un des membres fondateurs de l'alliance SkyTeam, avec Delta Air Lines, Aeromexico et Korean Air. Cette alliance s'est ensuite élargie à la compagnie tchèque CSA et à Alitalia. Air France a par ailleurs noué des accords avec Alitalia, qui ont amené les deux sociétés à procéder récemment à une prise de participation réciproque de 2 % de leur capital, et à un échange d'administrateurs.
Par ailleurs, Air France a entamé début 2002 des discussions en vue d'un rapprochement avec KLM, qui se sont accélérées en août 2002 à la suite de la conclusion d'un accord de partenariat entre les compagnies Delta, Northwest et Continental Airlines, ces deux dernières étant alliées à la compagnie néerlandaise. L'annonce de la privatisation à venir de la compagnie ont facilité ces derniers développements.
Ces discussions montrent que la consolidation du transport aérien européen, pronostiquée par tous, est en train de se développer. Or, les discussions passées avec Alitalia et présentes avec KLM montrent qu'il n'est pas envisageable que d'autres compagnies européennes acceptent de lier leur destin à celui d'Air France en allant au-delà d'une alliance commerciale tant que cette compagnie sera contrôlée par l'État. La privatisation d'Air France est donc une condition nécessaire pour que cette compagnie ne soit pas marginalisée dans la restructuration qui s'ébauche en Europe, et pour qu'elle puisse y jouer un rôle majeur à l'instar de Lufthansa ou British Airways. J'en veux pour preuve le témoignage que nous a apporté Monsieur Christian BLANC lorsque j'ai été auditionné par la Commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan ; n'a-t-il pas souligné, qu'Air France aurait pu, s'il elle n'avait pas été sous statut public, conclure dès 1997 des accords intégrés avec Alitalia et Ibéria.
En outre, la sortie de la compagnie du secteur public renforcera son attrait pour les investisseurs et lui donnera donc plus de facilité pour financer son développement par le recours au marché financier, par augmentation de capital ou émission obligataire.
Cette analyse a donc conduit le gouvernement à considérer que l'intérêt d'Air France et ses perspectives d'alliance et de développement militaient pour un nouveau retrait partiel de l'État de son capital. Dans ce but, la participation de l'État sera réduite de 54,4 % à un peu moins de 20 % du capital, pour accompagner la mutation de l'entreprise tout en restant l'un de ses principaux actionnaires.
Une compagnie bien gérée comme l'est aujourd'hui Air France, et je souhaite ici rendre hommage aux dirigeants de la compagnie et à ses personnels qui ont, les uns comme les autres, contribué au redressement de l'entreprise et à son positionnement parmi les grands du transport aérien mondial, peut avoir des ambitions pour l'avenir. Il convient de lui donner les moyens de ces ambitions et de nouveaux espaces de liberté.
Le gouvernement entend faire confiance aux dirigeants d'Air France qui ont su trouver au cours des dernières années une stratégie adaptée à un développement rentable de l'entreprise, aux cadres de cette entreprise ainsi qu'à tous ses employés pour qu'ils tirent ensemble le meilleur parti des nouvelles opportunités qui leur seront offertes par la privatisation.
Certains ont pu manifester des inquiétudes à l'égard de cette opération, je suis pour ma part convaincu que les personnels d'Air France ont aujourd'hui, dans leur très grande majorité, compris que cette opération se faisait dans l'intérêt de l'entreprise et qu'elle offrait pour chacun d'entre eux des opportunités intéressantes.
La privatisation était juridiquement possible depuis 1993. A partir du moment où nous avons décidé l'an passé de poursuivre le processus engagé en 1999 de cession des titres détenus par l'État, il convenait de faire en sorte que les cessions futures se fassent dans les meilleures conditions possibles et ne soient pas porteuses de difficultés pour Air France dès lors que le capital de la société, qui est cotée en bourse, serait détenu majoritairement par des intérêts privés. Le texte qui vous est soumis aujourd'hui vise à cet égard à prendre en compte certaines spécificités propres aux activités de transport aérien, ainsi que d'autres issues de l'histoire d'Air France.
Ainsi, la privatisation d'Air France ne doit pas faire peser de risques sur ses droits de trafic vers les pays extra-communautaires. En effet, si la majorité du capital d'Air France devait être détenue par des intérêts non Français, ses droits de trafic, accordés dans le cadre d'accords bilatéraux, pourraient être remis en cause par les pays concernés, en application des clauses de nationalité figurant dans ces accords. Ces clauses font partie du fondement des relations aériennes internationales, dont le cadre général a été posé par la Convention de Chicago du 7 décembre 1944.
La Cour de Justice des Communautés européennes a rendu le 5 novembre dernier un arrêt, dans le cadre d'une procédure concernant les accords conclus avec les États-Unis par huit pays membres, déclarant la clause de nationalité type des accords aériens contraire au Traité de Rome. Nous sommes entrés dans une phase de consultations avec les autres États membres et la Commission pour tirer tous les enseignements de cette nouvelle jurisprudence ; sans que l'on puisse encore dire ce qu'elle sera, il semble inéluctable que la France doivent dans le futur négocier une nouvelle clause, communautaire et non plus nationale, avec les quelques 120 États
avec lesquels nous avons des accords bilatéraux.
Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser les droits de trafic d'Air France sans protection pendant la durée, qui va se compter en années, de ce grand chantier. Toutes les grandes concurrentes d'Air France, British Airways, Lufthansa, Iberia, KLM, ont des dispositifs nationaux permettant de concilier la protection des droits de trafic et le statut d'entreprise privée cotée en bourse.
Le choix du mécanisme que vous propose le gouvernement a reposé sur plusieurs critères : il ne devait pas receler de risques juridiques ou financiers indus pour l'État, ce qui a en particulier conduit à rejeter le système néerlandais qui aurait pu conduire l'État à devoir renationaliser Air France. Il devait donner toutes les garanties nécessaires de sécurité aux investisseurs ; il devait reposer sur la responsabilité et l'autodiscipline des actionnaires, la cession forcée n'étant utilisée qu'en dernier recours. Enfin et bien évidemment, il ne devait contenir aucune disposition en contradiction avec nos engagements européens.
Le texte qui vous est soumis pour l'article premier satisfait l'ensemble de ces contraintes, et je souligne en outre qu'il n'aura pas à être modifié quand l'ensemble de nos clauses de nationalité bilatérales seront remplacées par des clauses communautaires.
S'agissant des aspects sociaux de la privatisation, ce projet de loi traduit les engagements pris par le gouvernement fin juillet. L'article 2 fixe un cadre législatif qui permettra à l'entreprise de conserver les modalités actuelles de la participation des salariés à la gestion de l'entreprise, sans toutefois l'y contraindre. De même, l'article 3 prévoit de ménager une durée de deux ans pour que le statut du personnel soit transposé en un accord d'entreprise par la négociation collective.
Ce texte prévoit également des dispositions qui permettront de poursuivre dans la voie de l'ouverture du capital de 1999 pour constituer un actionnariat salarié important. Les modalités de l'offre réservée aux salariées prévues par la loi du 2 juillet 1998 sont reconduites ; les salariés pourront souscrire jusqu'à 15 % du volume d'actions cédé par l'État, aux conditions préférentielles habituelles dans ce type d'opération. De plus, un nouvel échange de salaire contre des actions va être proposé. Il ne sera pas réservé aux seuls pilotes comme l'avais fait le précédent gouvernement en 1999, mais sera ouvert à tous les salariés volontaires.
Enfin, je voudrais aborder la question des modalités et du calendrier. L'opération de privatisation proprement dite nécessite de franchir en amont un certain nombre d'étapes juridiques, parmi lesquelles les plus importantes sont l'adoption par le Parlement de ce projet de loi, la prise d'un décret d'application en Conseil d'État et la réunion d'une assemblée générale pour modifier les statuts de la société. En outre, la date de l'opération, qui nécessite l'information la plus précise possible des investisseurs potentiels, doit tenir compte du calendrier de publication des informations financières de la compagnie.
La privatisation d'Air France pourrait donc avoir lieu à la mi 2003 ou en fin d'année.
Le gouvernement entendant bien évidemment protéger les intérêts des contribuables, l'opération ne se déroulera que lorsque les conditions de marché le permettront. La valeur boursière d'Air France souffre à ce jour des conditions générales du marché boursier et des incertitudes liées à l'amélioration de la conjoncture mondiale et à la clarification de la situation géopolitique.
Compte tenu de ces incertitudes, il ne m'est pas possible de me prononcer plus précisément sur les modalités de l'opération, et notamment sur le prix de mise sur le marché des actions. Ces paramètres seront fixés en temps utile, avec le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous devons cependant nous mettre en situation d'être prêts au plus tôt, pour ne pas laisser passer le moment où les conditions de l'opération seront réunies.
(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 14 mars 2003)