Interviews de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "RTL" le 7 mars, et dans "Le Journal du dimanche" le 9 mars 2003, sur les conséquences du déclenchement de la guerre en Irak, sur le ralentissement de la croissance économique et le déficit budgétaire de la France qualifié d'excessif par la Commission européenne et sur la poursuite éventuelle de la baisse des impôts sur le revenu.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Le Journal du Dimanche - RTL

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RTL
R. Elkrief-. Après une soirée avec l'Eurogroupe, vos collègues européens, quel effet cela fait-il d'être un peu le mauvais élève de la classe européenne, puisque l'Union européenne a décidé de lancer des procédures disciplinaires contre la France pour "trop lourds déficits budgétaires" ?
- "Quand il y a des règles du jeu, elles sont faites pour être respectées, à la fois par les acteurs et par le juge arbitre ; en l'occurrence, la Commission est le juge arbitre. Compte tenu des déclarations que j'ai faites hier, qui consistaient à annoncer un déficit probable en 2003, qui serait de l'ordre de 3,4 % du PIB, il était normal que la Commission joue son rôle d'arbitre, et que les autres acteurs accueillent cela en fonction des décisions de l'arbitre."
Et ce n'était pas difficile, sur le plan personnel, politiquement, de vivre cela, quand on sait que la France a créé avec l'Allemagne ce pacte de stabilité ?
- "Le Pacte de stabilité et de croissance est un élément majeur de la création européenne autour de l'euro. Et il est donc normal que lorsqu'un acteur, en l'occurrence la France, n'a pas été capable, parce qu'elle a décidé que l'optimum de ses conditions économiques et budgétaires passait par ce franchissement temporaire des lignes, il est normal à ce moment-là que la Commission reconnaisse que nous n'avons pas respecté la règle, et il est normal que nous reconnaissions que cette règle doit être respectée."
Vous avez promis qu'en 2004, le déficit budgétaire serait en dessous des 3 %. Et dans cet objectif, vous annoncez que vous allez supprimer un milliard et demi d'euros, que vous allez ne pas renouveler un certain nombre de crédits automatiques... Mais alors, précisément, où est-ce que vous allez supprimer ces crédits ? Dans l'Education nationale ? A Bercy par exemple, dans l'administration de Bercy ?
- "Le fait d'avoir annoncé que notre volonté était clairement de revenir dans les clous, c'est-à-dire de repasser sous la barrière symbolique de 3 %, est un élément majeur, démontrant à nos partenaires que nous avons signé le Traité de Maastricht et que nous le respectons. En ce qui concerne la manière d'y arriver, il faut bien d'abord se rendre compte que, après les événements irakiens, le ciel sera plus clair et que par conséquent, la conjoncture va s'améliorer, y compris avec le soutien de la Banque centrale, qui a déjà fait un petit signe dans la bonne direction hier. Deuxièmement, nous avons l'intention, dans beaucoup de domaines, de maîtriser mieux disons nos dépenses, de manière responsable, c'est-à-dire en étroite liaison avec tous les ministères concernés, pour que cette période d'économies ne se traduise pas par des politiques irresponsables."
Alors précisément, je répète un peu ma question : Education nationale ? Bercy, par exemple, peut donner l'exemple ?
- "Bercy a déjà donné l'exemple depuis longtemps, et continuera à donner l'exemple, puisque nous sommes dans un processus de mouvement qui est en train de démontrer, non seulement aux fonctionnaires de Bercy mais plus généralement aux clients, aux usagers, aux contribuables et aux entreprises, que nous pouvons avoir une performance meilleure avec moins de coûts."
Je voudrais vous rapporter la phrase de Jean Arthuis, qui est président de la commission des Finances du Sénat, qui appartient à la majorité, et qui dit qu'il faut retarder de quelques mois ou de quelques trimestres le recrutement de fonctionnaires, ne pas remplacer tous les départs à la retraite et - j'imagine - qu'on ne peut pas continuer la baisse des impôts...
- "En ce qui concerne l'évolution des effectifs, vous savez bien qu'il faut commencer maintenant, et nous avons - y compris à Bercy - commencé dès l'année dernière. Mais c'est un lent mouvement sur plusieurs années."
A baisser les effectifs, et vous continuerez, c'est ce que vous dites...
- "Et nous continuerons sans problèmes particuliers, car nous avons la méthode pour développer les efforts de productivité et de reconsidération des processus de fabrication des services permettant de dégager cette productivité."
Et vous n'accélérerez pas ce processus que vous nous décrivez avec des mots un peu techniques, mais enfin qui veut dire : non-renouvellement de postes...
- "Le non-renouvellement de postes n'est pas la cause, c'est la conséquence ; la conséquence d'un système plus performant où on constate qu'on peut faire mieux avec moins de moyens. Quant à votre autre question, cela fait partie d'une politique économique - à ne pas confondre avec une politique budgétaire - ; notre politique économique, elle est claire. Elle consiste à donner le pouvoir à l'acteur économique, à lui créer un environnement aussi favorable à la prise de risques, à son développement, à sa croissance, et c'est à travers ces éléments-là que nous voulons réussir à sortir, par le haut, d'une situation relativement difficile."
J. Chirac disait pendant la campagne électorale : nous baisserons de 30 % les impôts en cinq ans. Aujourd'hui, tout le monde a remarqué que vous dites : "Nous n'augmenterons pas les impôts." C'est une nuance sémantique importante...
- "Je rappelle que lors de la campagne électorale, J. Chirac, et tous ceux qui ont travaillé pour lui, a précisé que cette baisse des impôts était un élément de politique qui était conditionné à un taux de croissance moyen, qui n'est pas aujourd'hui possible d'imaginer, compte tenu de l'environnement mondial. Ceci fait partie de la politique qui consiste à dire : dès que possible, la croissance revenue, la baisse des charges et des impôts doit continuer à s'appliquer, parce qu'en même temps, nous savons baisser les dépenses. Voilà le résumé de cette politique. Il faut à la fois, et d'abord, baisser les dépenses ; deuxièmement, en même temps, créer les conditions pour que la croissance soit aussi forte que possible. Et à ce moment-là, ça tombe comme un fruit mûr : les prélèvements baissent, de manière à ce que les déficits n'augmentent pas."
Vous ne seriez pas un peu optimiste ?
- "C'est pas une question d'optimisme, c'est une question de pédagogie. La croissance d'un pays et les prélèvements sur cette croissance sont d'autant plus faibles en valeur absolue que la croissance est forte."
En même temps, économies budgétaires, pas de baisse d'impôts en tout cas immédiate comme prévu, c'est un peu de la rigueur, ou en tout cas une première étape de la rigueur ?
- "Les baisses d'impôts qui ont été prévues dans le budget 2003 seront exécutées. Deuxièmement, les baisses d'impôts et de prélèvements qui ont, dans le contexte des décisions de 2002, été prévues pour non seulement 2003, mais 2004 et 2005, seront exécutées. Je ne vois pas où vous trouvez les éléments de votre qualificatif."
Deux dernières questions très précises : est-ce que vous n'êtes pas déçu que J.-P. Raffarin ait refusé la baisse du taux du Livret A hier ?
- "Ce problème du Livret A est un problème qui déborde le contexte purement budgétaire et mécanique. Au moment même où nous annonçons aux Français que nous avons besoin d'être plus sourcilleux dans nos dépenses, nous n'avons pas jugé opportun de leur annoncer qu'en même temps, on allait diminuer la rémunération de leur épargne."
Et la TIPP flottante, cette taxe sur le pétrole, est-ce qu'elle sera rétablie ? Les Européens en ont parlé hier soir ?
- "Nous sommes convenus ensemble que s'il y avait un problème.."
Vous voulez dire, s'il y a la guerre...
- "Non. S'il y avait un problème en ce qui concerne la flambée des prix du pétrole, si nous considérions ensemble que ce problème apportait une contrainte supplémentaire non négligeable à nos économies européennes, qui n'en ont pas besoin actuellement, à ce moment-là, ensemble, nous déciderions ce que nous devrions faire."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernent, le 10 mars 2003)