Texte intégral
J.-P. Elkabbach.- S. Hussein est donc tombé, sa dictature aussi, les soldats américains sont accueillis à Bagdad en libérateurs. Dites-vous : bravo ! et êtes-vous embarrassé ce matin ?
- "Je dis bravo ! Pour ma part, j'ai toujours considéré et dit que le régime de S. Hussein était une dictature et une dictature de la pire espèce. Et donc, la chute de ce régime est une bonne nouvelle. Par ailleurs, chacun doit se réjouir de voir que la guerre va s'arrêter. Il faut être encore prudent, puisqu'on nous dit qu'elle pourrait durer quelques semaines. Si les buts de guerre sont atteints, si l'on peut cesser les bombardements, et tous les dommages collatéraux qui s'en sont suivis, notamment la perte de dizaines de vies humaines, eh bien tout le monde s'en réjouira."
Pensez-vous que le président de la République dit bravo ! lui aussi ?
- "Je pense que la fin de la guerre, des opérations militaires et la chute du régime de S. Hussein réjouit tout le monde."
Y compris le président de la République ?
- "Il l'exprimera, mais je pense que oui."
Les trois quarts des Français, nous avons approuvé le président de la République de refuser une guerre, qu'on jugeait inutile, illégale sans l'ONU. Est-ce que nous nous sommes tous trompés ?
- "Je ne crois pas. Je crois que nous avions raison de dire qu'il y avait d'autres moyens que la guerre pour parvenir à l'objectif, c'est-à-dire au désarmement du régime irakien. Je ne gloserai pas sur la question de savoir s'il avait ou pas des armes de destruction massive, en tout cas il ne s'en est pas servi. Et donc, la logique qui était la nôtre, de continuer des inspections renforcées, dans un temps déterminé, me paraissait effectivement la bonne. Et je crois que nous n'avons pas de regrets à avoir."
Par exemple, on a tous remarqué, puis la presse internationale, que notre diplomatie, avait animé, avec MM. Schröder, Poutine, K. Annan, c'est-à-dire les partisans du désarmement pour la paix. Est-ce que notre diplomatie a perdu ?
- "C'est pas la diplomatie française qui a poussé le désarmement par la paix, c'est l'ensemble de la communauté internationale. C'est la majorité du Conseil de sécurité aux Nations Unies, c'est les pays que vous avez cités, et beaucoup d'autres : la Ligue arabe, les pays africains, la Chine, beaucoup de pays d'Asie, d'Amérique Latine et même d'Amérique du Nord."
Mais vous lisez comme nous que beaucoup jugent que la France est allée trop loin à ce moment-là...
- "Oui, vous savez, je suis dans toutes ces affaires un peu prudent et un peu mesuré. Il y a 15 jours, tout le monde tressait des couronnes à la France, on parlait du prix Nobel pour le président de la République, et aujourd'hui, avec la versatilité de certains commentateurs, on commence à dire que nous avons eu tort. Non, je crois que nous avons eu raison. Maintenant, bien sûr, il faut se projeter sur l'avenir. Et l'avenir, c'est de voir comment reconstruire les choses, avec une priorité absolue, comme l'a dit le président de la République, hier soir, après son entretien avec T. Blair : qu'il y ait l'aide humanitaire, parce que la situation est dramatique et dans bien des endroits, vous l'avez vu, nous l'avons tous vu sur les écrans de télévision. Et dans ce domaine-là, si on veut que les ONG - les Organisations non gouvernementales - fassent leur travail, il est évident que l'ensemble de la communauté internationale, y compris les Nations Unies, doivent se réinvestir."
Quand on voit que trois semaines de bombardements suffisent pour éliminer une dictature de 34 ans, est-ce que G. Bush ne peut pas considérer ou estimer qu'il a eu raison ? Que seule compte aujourd'hui et pour les conflits à venir la manière forte ?
- "Je suis sûr que M. Bush estime qu'il a eu raison. Mais nous devons, nous, nous interroger sur votre question. Je ne pense pas que, malgré ce qui est en train de se passer, la manière forte doive être désormais érigée en loi. En loi de quoi ? En loi de la jungle ? Non. La France ne doit pas renoncer à sa vision de l'organisation du monde, qui est une vision qui repose sur le droit, si les Nations Unies, sur la recherche d'un règlement pacifique des conflits. Si la conclusion de ce qui se passe en Irak devait être : allons-y, utilisons la force, y compris de manière unilatérale dès qu'il y a un problème, alors là, je pense que ce serait extrêmement dommageable et je mesure mes mots naturellement. La deuxième priorité après l'aide humanitaire, c'est évidemment, la reconstruction, politique et économique de l'IraK:"
Est-ce que la France aura un rôle, elle n'a pas voulu jouer de rôle pendant la guerre, elle peut en avoir un dans l'après-guerre ?
- "Le problème n'est pas de savoir si c'est la France qui va jouer un rôle. Le problème est de savoir si les Etats-Unis vont faire ça tout seuls, dans une vision que je qualifierais de néocoloniale. Ou si au contraire, on va arriver à convaincre tout le monde que, la seule façon de s'en sortir durablement, c'est d'avoir une solution s'appuyant sur la communauté internationale et sur les Nations Unies. J'observe des déclarations de M. Bush, il ne dit pas le contraire, il a même évoqué récemment un "rôle vital" à confier aux Nations unies". Je crois que c'est un enjeu qui va au-delà..."
Qu'est-ce que c'est que le "rôle vital" et le "rôle central" comme dit J. Chirac ?
- "Là, on est en train de..."
Non, mais un "rôle central" ? Est-ce à Washington de désigner l'autorité intérimaire qui gouvernera l'Irak, par exemple ?
- "Pour ma part, je crois que ce serait une erreur. Je crois que la désignation de cette autorité intérimaire devrait faire l'objet d'une décision de la communauté internationale. Et en tout hypothèse - et cela un grand nombre de responsables politiques internationaux l'ont déjà dit - il faut arriver à une solution où ce sont les Irakiens qui désigneront leur régime."
Plus tard, plus tard...
- "Oui, plus tard."
Dans un deuxième temps, sans trop tarder quand même.
- "Oui, pas aux calendes grecques."
Demain, il y a un grand rendez-vous à Saint-Petersbourg, entre MM. Poutine, Chirac, Schröder. Vont-ils réclamer, comme vous pouvez le penser, puisque vous avez peut-être discuté avec le président de la République, que les Nations unies administrent l'Irak de l'après-guerre ?
- "Tout le monde a déjà demandé, y compris T. Blair, qui ne sera pas à Saint-Petersbourg, que les Nations unies jouent un rôle, en particulier dans la reconstruction et dans l'administration de l'Irak. Ce que je souhaite, c'est que cette réunion n'apparaisse pas comme une espèce de manifestation d'anti-américanisme. Je l'ai toujours dit, y compris quand je me suis exprimé devant l'Assemblée nationale, nous avons une divergence avec les Etats-Unis, il faut se garder comme de la peste, d'entrer dans une sorte de spirale de conflit ou d'anti-américanisme - on le qualifie toujours de primaire. Qu'il soit primaire ou secondaire, je n'en sais rien. Mais les Etats-Unis sont nos alliés et nos amis. Et quand nous avons, quand nous défendons une vision, pour prendre un mot à peu près clair quand même, "multipolaire" du monde, c'est-à-dire un monde dans lequel il y a plusieurs pôles d'influence, ça veut bien dire que nous sommes très attachés à une relation entre le pôle européen et le pôle américain. Il y a une relation transatlantique à rénover, à renforcer."
Mais vous savez que nos alliés et amis américains, comme vous dites, sont encore très fâchés. Le temps est peut-être venu de nous réconcilier ou de nous rapprocher d'eux. Comment peut-on le faire ?
- "Je fais confiance aux gens qui ont le sens des responsabilités pour dépasser la fâcherie. Il ne pas se laisser trop impressionner, non plus, par les réactions d'une presse qui est parfois prompte à s'emporter - je parle de la presse américaine, bien entendu. Il faut reprendre le dialogue et il faut relancer des opérations ou des concertations entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Nous avons un point d'application très précis et qui est au coeur finalement de tout ce qui se passe au Proche-Orient : c'est le conflit israélo-palestinien. Quelle est la seule façon de s'en sortir aujourd'hui, il y a une sorte de consensus là-dessus ? C'est de faire appliquer ce qu'on appelle dans le langage diplomatique "la feuille de route du Cartel". Expliquons : le Cartel c'est qui ? Les Nations unies, plus l'Union européenne, plus les Etats-Unis, plus la Russie. Et ces quatre institutions se sont mises d'accord pour dire : voilà, nous proposons une feuille de route pour sortir du conflit israélo palestinien. C'est la preuve que le dialogue continue. Donc, il faut y aller."
Ca fait partie des priorités.
- "Oui."
Là, il y a les retombées économiques, on dit qu'il y a peut-être des représailles entre les Français et les Américains, surtout les Américains à l'égard de la France, je ne sais pas si vous le ressentez à Bordeaux ?
- "Non, je n'y crois pas, je n'y crois pas. Juste un petit exemple : nous avons à Bordeaux, le premier Salon mondial des vins et spiritueux, qui s'appelle Vinexpo, il a lieu au mois de juin, les Américains y viennent en force. Il n'y a pas pour l'instant une seule annulation."
Aujourd'hui, il y a quelques instants, on a annoncé avec Air France et British Airways que Concorde allait arrêter définitivement ses vols.
- "Ca n'a rien à avoir avec le conflit irakien."
Il paraît que ça a accélérer, accentué la crise. Enfin, c'est une merveille technologique qui va s'arrêter.
- "Oui, je le regrette naturellement, mais il y a beaucoup de raisons. Laissez-moi vous dire que la chute du transport aérien frappe également les compagnies américaines. C'est une des conséquences de la crise internationale et de la crise irakienne. C'est pas du tout une conséquence d'un conflit transatlantique entre les Etats-Unis et l'Europe."
La fin de la guerre, est-ce que c'est une situation plus favorable pour l'économie mondiale et donc pour la nôtre ?
- "Nous le souhaitons tous. Je suis d'une extrême prudence pour ce qui concerne les prévisions économiques. Mais enfin beaucoup d'experts pensent qu'avec la fin de la guerre, un rebond économique va se produire, aux Etats-Unis certainement. Il faut que la France se mette en situation de profiter de ce rebond, parce que toutes nos difficultés aujourd'hui viennent de la panne de croissance dans laquelle nous nous trouvons."
Ancien ministre et Premier ministres, vous savez ce que c'est. J.-P. Raffarin en ce moment est critiqué par l'opposition qui en fait une cible de choix, c'est un peu normal. Il garde apparemment bon moral. A quelles conditions J.-P. Raffarin peut-il remonter la pente ?
- "Que J.-P. Raffarin soit critiqué par l'opposition, c'est la loi de la démocratie. Je constate qu'il est soutenu par la majorité de l'opinion publique, et en tout cas par sa majorité parlementaire. Il a une vision claire de ce qu'il veut faire, il a déjà engagé dans des tas de domaines que je n'ai pas le temps d'énumérer, des réformes de fond. Je suis convaincu qu'il va réussir la réforme des retraites, il fait preuve de beaucoup de courage et de détermination. Je lui apporte donc un soutien total et amical. Il faut qu'il continue sur la ligne qu'il s'est fixée, c'est-à-dire engager des réformes profondes. La décentralisation est une sorte de révolution, qui va bénéficier, je l'espère, aux Françaises et aux Français, parce que les décisions seront plus proches de chacune et de chacun d'entre elles. Les retraites vont être un progrès dans le sens de la justice. Notre régime de retraite sera plus juste, cette réforme est nécessaire. Et puis, nous allons poursuivre sur le reste des objectifs que nous nous sommes fixés, et qui ont été clairement définis par le Premier ministre."
Ce matin, vous êtes plutôt optimiste, je vous entends depuis tout à l'heure. C'est le fait d'être à Bordeaux peut-être ?
- "Optimisme", "pessimisme", qu'est-ce que ça veut dire en politique ? Je suis confiant, et je suis sûr qu'avec l'impulsion du président de la République, la détermination du Gouvernement, la qualité des réformes qui sont en cours et un soutien indéfectible de l'UMP, petit à petit, nous allons sortir de ce qui est aujourd'hui une crise internationale, une crise française aussi. Il faut faire des réformes, ça va pas être facile. Mais avec le temps qui est devant nous, je suis conscient que nous y arriverons."
(Source http://www.u-m-p.org, le 11 avril 2003)
- "Je dis bravo ! Pour ma part, j'ai toujours considéré et dit que le régime de S. Hussein était une dictature et une dictature de la pire espèce. Et donc, la chute de ce régime est une bonne nouvelle. Par ailleurs, chacun doit se réjouir de voir que la guerre va s'arrêter. Il faut être encore prudent, puisqu'on nous dit qu'elle pourrait durer quelques semaines. Si les buts de guerre sont atteints, si l'on peut cesser les bombardements, et tous les dommages collatéraux qui s'en sont suivis, notamment la perte de dizaines de vies humaines, eh bien tout le monde s'en réjouira."
Pensez-vous que le président de la République dit bravo ! lui aussi ?
- "Je pense que la fin de la guerre, des opérations militaires et la chute du régime de S. Hussein réjouit tout le monde."
Y compris le président de la République ?
- "Il l'exprimera, mais je pense que oui."
Les trois quarts des Français, nous avons approuvé le président de la République de refuser une guerre, qu'on jugeait inutile, illégale sans l'ONU. Est-ce que nous nous sommes tous trompés ?
- "Je ne crois pas. Je crois que nous avions raison de dire qu'il y avait d'autres moyens que la guerre pour parvenir à l'objectif, c'est-à-dire au désarmement du régime irakien. Je ne gloserai pas sur la question de savoir s'il avait ou pas des armes de destruction massive, en tout cas il ne s'en est pas servi. Et donc, la logique qui était la nôtre, de continuer des inspections renforcées, dans un temps déterminé, me paraissait effectivement la bonne. Et je crois que nous n'avons pas de regrets à avoir."
Par exemple, on a tous remarqué, puis la presse internationale, que notre diplomatie, avait animé, avec MM. Schröder, Poutine, K. Annan, c'est-à-dire les partisans du désarmement pour la paix. Est-ce que notre diplomatie a perdu ?
- "C'est pas la diplomatie française qui a poussé le désarmement par la paix, c'est l'ensemble de la communauté internationale. C'est la majorité du Conseil de sécurité aux Nations Unies, c'est les pays que vous avez cités, et beaucoup d'autres : la Ligue arabe, les pays africains, la Chine, beaucoup de pays d'Asie, d'Amérique Latine et même d'Amérique du Nord."
Mais vous lisez comme nous que beaucoup jugent que la France est allée trop loin à ce moment-là...
- "Oui, vous savez, je suis dans toutes ces affaires un peu prudent et un peu mesuré. Il y a 15 jours, tout le monde tressait des couronnes à la France, on parlait du prix Nobel pour le président de la République, et aujourd'hui, avec la versatilité de certains commentateurs, on commence à dire que nous avons eu tort. Non, je crois que nous avons eu raison. Maintenant, bien sûr, il faut se projeter sur l'avenir. Et l'avenir, c'est de voir comment reconstruire les choses, avec une priorité absolue, comme l'a dit le président de la République, hier soir, après son entretien avec T. Blair : qu'il y ait l'aide humanitaire, parce que la situation est dramatique et dans bien des endroits, vous l'avez vu, nous l'avons tous vu sur les écrans de télévision. Et dans ce domaine-là, si on veut que les ONG - les Organisations non gouvernementales - fassent leur travail, il est évident que l'ensemble de la communauté internationale, y compris les Nations Unies, doivent se réinvestir."
Quand on voit que trois semaines de bombardements suffisent pour éliminer une dictature de 34 ans, est-ce que G. Bush ne peut pas considérer ou estimer qu'il a eu raison ? Que seule compte aujourd'hui et pour les conflits à venir la manière forte ?
- "Je suis sûr que M. Bush estime qu'il a eu raison. Mais nous devons, nous, nous interroger sur votre question. Je ne pense pas que, malgré ce qui est en train de se passer, la manière forte doive être désormais érigée en loi. En loi de quoi ? En loi de la jungle ? Non. La France ne doit pas renoncer à sa vision de l'organisation du monde, qui est une vision qui repose sur le droit, si les Nations Unies, sur la recherche d'un règlement pacifique des conflits. Si la conclusion de ce qui se passe en Irak devait être : allons-y, utilisons la force, y compris de manière unilatérale dès qu'il y a un problème, alors là, je pense que ce serait extrêmement dommageable et je mesure mes mots naturellement. La deuxième priorité après l'aide humanitaire, c'est évidemment, la reconstruction, politique et économique de l'IraK:"
Est-ce que la France aura un rôle, elle n'a pas voulu jouer de rôle pendant la guerre, elle peut en avoir un dans l'après-guerre ?
- "Le problème n'est pas de savoir si c'est la France qui va jouer un rôle. Le problème est de savoir si les Etats-Unis vont faire ça tout seuls, dans une vision que je qualifierais de néocoloniale. Ou si au contraire, on va arriver à convaincre tout le monde que, la seule façon de s'en sortir durablement, c'est d'avoir une solution s'appuyant sur la communauté internationale et sur les Nations Unies. J'observe des déclarations de M. Bush, il ne dit pas le contraire, il a même évoqué récemment un "rôle vital" à confier aux Nations unies". Je crois que c'est un enjeu qui va au-delà..."
Qu'est-ce que c'est que le "rôle vital" et le "rôle central" comme dit J. Chirac ?
- "Là, on est en train de..."
Non, mais un "rôle central" ? Est-ce à Washington de désigner l'autorité intérimaire qui gouvernera l'Irak, par exemple ?
- "Pour ma part, je crois que ce serait une erreur. Je crois que la désignation de cette autorité intérimaire devrait faire l'objet d'une décision de la communauté internationale. Et en tout hypothèse - et cela un grand nombre de responsables politiques internationaux l'ont déjà dit - il faut arriver à une solution où ce sont les Irakiens qui désigneront leur régime."
Plus tard, plus tard...
- "Oui, plus tard."
Dans un deuxième temps, sans trop tarder quand même.
- "Oui, pas aux calendes grecques."
Demain, il y a un grand rendez-vous à Saint-Petersbourg, entre MM. Poutine, Chirac, Schröder. Vont-ils réclamer, comme vous pouvez le penser, puisque vous avez peut-être discuté avec le président de la République, que les Nations unies administrent l'Irak de l'après-guerre ?
- "Tout le monde a déjà demandé, y compris T. Blair, qui ne sera pas à Saint-Petersbourg, que les Nations unies jouent un rôle, en particulier dans la reconstruction et dans l'administration de l'Irak. Ce que je souhaite, c'est que cette réunion n'apparaisse pas comme une espèce de manifestation d'anti-américanisme. Je l'ai toujours dit, y compris quand je me suis exprimé devant l'Assemblée nationale, nous avons une divergence avec les Etats-Unis, il faut se garder comme de la peste, d'entrer dans une sorte de spirale de conflit ou d'anti-américanisme - on le qualifie toujours de primaire. Qu'il soit primaire ou secondaire, je n'en sais rien. Mais les Etats-Unis sont nos alliés et nos amis. Et quand nous avons, quand nous défendons une vision, pour prendre un mot à peu près clair quand même, "multipolaire" du monde, c'est-à-dire un monde dans lequel il y a plusieurs pôles d'influence, ça veut bien dire que nous sommes très attachés à une relation entre le pôle européen et le pôle américain. Il y a une relation transatlantique à rénover, à renforcer."
Mais vous savez que nos alliés et amis américains, comme vous dites, sont encore très fâchés. Le temps est peut-être venu de nous réconcilier ou de nous rapprocher d'eux. Comment peut-on le faire ?
- "Je fais confiance aux gens qui ont le sens des responsabilités pour dépasser la fâcherie. Il ne pas se laisser trop impressionner, non plus, par les réactions d'une presse qui est parfois prompte à s'emporter - je parle de la presse américaine, bien entendu. Il faut reprendre le dialogue et il faut relancer des opérations ou des concertations entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Nous avons un point d'application très précis et qui est au coeur finalement de tout ce qui se passe au Proche-Orient : c'est le conflit israélo-palestinien. Quelle est la seule façon de s'en sortir aujourd'hui, il y a une sorte de consensus là-dessus ? C'est de faire appliquer ce qu'on appelle dans le langage diplomatique "la feuille de route du Cartel". Expliquons : le Cartel c'est qui ? Les Nations unies, plus l'Union européenne, plus les Etats-Unis, plus la Russie. Et ces quatre institutions se sont mises d'accord pour dire : voilà, nous proposons une feuille de route pour sortir du conflit israélo palestinien. C'est la preuve que le dialogue continue. Donc, il faut y aller."
Ca fait partie des priorités.
- "Oui."
Là, il y a les retombées économiques, on dit qu'il y a peut-être des représailles entre les Français et les Américains, surtout les Américains à l'égard de la France, je ne sais pas si vous le ressentez à Bordeaux ?
- "Non, je n'y crois pas, je n'y crois pas. Juste un petit exemple : nous avons à Bordeaux, le premier Salon mondial des vins et spiritueux, qui s'appelle Vinexpo, il a lieu au mois de juin, les Américains y viennent en force. Il n'y a pas pour l'instant une seule annulation."
Aujourd'hui, il y a quelques instants, on a annoncé avec Air France et British Airways que Concorde allait arrêter définitivement ses vols.
- "Ca n'a rien à avoir avec le conflit irakien."
Il paraît que ça a accélérer, accentué la crise. Enfin, c'est une merveille technologique qui va s'arrêter.
- "Oui, je le regrette naturellement, mais il y a beaucoup de raisons. Laissez-moi vous dire que la chute du transport aérien frappe également les compagnies américaines. C'est une des conséquences de la crise internationale et de la crise irakienne. C'est pas du tout une conséquence d'un conflit transatlantique entre les Etats-Unis et l'Europe."
La fin de la guerre, est-ce que c'est une situation plus favorable pour l'économie mondiale et donc pour la nôtre ?
- "Nous le souhaitons tous. Je suis d'une extrême prudence pour ce qui concerne les prévisions économiques. Mais enfin beaucoup d'experts pensent qu'avec la fin de la guerre, un rebond économique va se produire, aux Etats-Unis certainement. Il faut que la France se mette en situation de profiter de ce rebond, parce que toutes nos difficultés aujourd'hui viennent de la panne de croissance dans laquelle nous nous trouvons."
Ancien ministre et Premier ministres, vous savez ce que c'est. J.-P. Raffarin en ce moment est critiqué par l'opposition qui en fait une cible de choix, c'est un peu normal. Il garde apparemment bon moral. A quelles conditions J.-P. Raffarin peut-il remonter la pente ?
- "Que J.-P. Raffarin soit critiqué par l'opposition, c'est la loi de la démocratie. Je constate qu'il est soutenu par la majorité de l'opinion publique, et en tout cas par sa majorité parlementaire. Il a une vision claire de ce qu'il veut faire, il a déjà engagé dans des tas de domaines que je n'ai pas le temps d'énumérer, des réformes de fond. Je suis convaincu qu'il va réussir la réforme des retraites, il fait preuve de beaucoup de courage et de détermination. Je lui apporte donc un soutien total et amical. Il faut qu'il continue sur la ligne qu'il s'est fixée, c'est-à-dire engager des réformes profondes. La décentralisation est une sorte de révolution, qui va bénéficier, je l'espère, aux Françaises et aux Français, parce que les décisions seront plus proches de chacune et de chacun d'entre elles. Les retraites vont être un progrès dans le sens de la justice. Notre régime de retraite sera plus juste, cette réforme est nécessaire. Et puis, nous allons poursuivre sur le reste des objectifs que nous nous sommes fixés, et qui ont été clairement définis par le Premier ministre."
Ce matin, vous êtes plutôt optimiste, je vous entends depuis tout à l'heure. C'est le fait d'être à Bordeaux peut-être ?
- "Optimisme", "pessimisme", qu'est-ce que ça veut dire en politique ? Je suis confiant, et je suis sûr qu'avec l'impulsion du président de la République, la détermination du Gouvernement, la qualité des réformes qui sont en cours et un soutien indéfectible de l'UMP, petit à petit, nous allons sortir de ce qui est aujourd'hui une crise internationale, une crise française aussi. Il faut faire des réformes, ça va pas être facile. Mais avec le temps qui est devant nous, je suis conscient que nous y arriverons."
(Source http://www.u-m-p.org, le 11 avril 2003)