Interview de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, à RMC le 6 mars 2003, sur les violences exercées contre les femmes, notamment les violences conjugales et les sanctions contre la maltraitance.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

L. Sègre - Je vais vous avouer quelque chose : hier, je cherchais votre fonction exacte. Et j'ai regardé sur la liste des secrétaires d'Etat : voyez à quel point c'est dans les mentalités ! Après, j'ai découvert que vous étiez ministre déléguée. C'est fou, quand même, cette inégalité homme-femme, de voir que c'est vraiment dans le cerveau des Français et des Françaises qu'il faut la faire bouger.
- "Ne dites pas cela, car justement, si c'était une question de nature, il y aurait moins d'espoir. Mais je crois plutôt que ce sont des conservatismes et des archétypes sociaux dont on a un peu de mal à se débarrasser, vous avez raison."
Le 8 mars est la Journée mondiale des femmes. Vous avez voulu, cette année, faire plus qu'une simple journée ?
- "Oui, d'ailleurs cette journée mériterait de se répéter toute l'année. Mais nous avons surtout souhaité faire une semaine autour du 8 mars, parce que j'ai souhaité que cette semaine soit placée sous le double signe de la performance, mais aussi de la souffrance. Parce que les femmes, aujourd'hui, sont certes de plus en plus présentes dans la société, elles s'affirment et ont du talent mais beaucoup d'entre elles subissent encore trop d'inégalités persistantes, au quotidien, voire des violences, pour ne pas en parler."
A propos de la violence, justement, ce samedi, vous allez recevoir à Matignon, avec le Premier ministre, les femmes de la marche "ni putes ni soumises". [...] C'est vraiment une initiative qui est formidable ?
- "Elle est très belle, je leur dis "bravo". Je les soutiens depuis le départ, parce qu'il y a deux choses dans cette démarche : d'abord, la prise de conscience, et cela, c'est remarquable, parce qu'il faut absolument que ces jeunes femmes s'affirment et rendent visible leur action ; et puis, il y a aussi cet acte de responsabilité qui doit aussi s'adresser aux garçons. De toute façon, on ne pourra rien faire dans ces cités, s'il n'y a pas une responsabilisation collective, des filles bien sûr - et on le voit, elles sont en avance -, mais aussi des garçons. Cela passe aussi par l'éducation, cela passe aussi par une implication peut-être plus forte dans leur quartier, parce qu'aujourd'hui, on sent bien qu'il y a une sorte de double exclusion, par rapport à la société toute entière et par rapport à la cité. Donc, il faut vraiment rétablir un dialogue et faciliter l'émergence de prises de responsabilité au coeur de ces banlieues."
Hier, vous étiez un peu en vedette au Conseil des ministres... J. Chirac a souligné que ce genre de violence contre les femmes doit être sévèrement condamné. Est-ce que l'arsenal législatif est suffisant ?
- "Nous allons effectivement regarder comment rendre plus fermes les sanctions. Il est tout à fait anormal, dans une société, en 2003, que les violences soient aussi nombreuses. Je rappelle quand même quelques chiffres : six femmes par mois meurent à la suite de violences conjugales, au coeur de la famille, là où l'espace devrait être protégé... Et une femme sur dix se plaint de maltraitances, quelles qu'elles soient, psychologiques ou autres. C'est pourquoi j'ai également placé cette semaine sous l'angle de la souffrance, car le président de la République et le Gouvernement, effectivement sont très sensibles au fait que ces violences perdurent. J'ai pris une mesure qui va être transposée dans notre arsenal juridique, et qui sera très emblématique : l'idée que c'est le conjoint violent qui doit quitter le domicile, lorsque c'est possible évidemment, de manière à ne pas ajouter à l'humiliation de la maltraitance une autre souffrance, qui est [...] de devoir repartir à zéro et de tout recommencer. Mais je voudrais dire à toutes les femmes qui sont aujourd'hui maltraitées au sein de leur famille, qu'au nom de leurs enfants, au nom de leur dignité, au nom du respect qu'elles méritent, elles ne doivent pas accepter l'inacceptable."
Il y a aussi un message à faire passer au voisinage. Parce qu'il est vrai, parfois, qu'on entend des scènes de ménage chez le voisin et qu'on n'ose pas intervenir, on ne sait pas trop ce qui se passe... Quels conseils peut-on donner ?
- "Il faut une solidarité active et une responsabilité de chacun face à cette violence très polymorphe, parce qu'elle touche tout le monde, elle touche toutes les origines sociales ou professionnelles. Je travaille beaucoup sur ces sujets, car je suis bouleversée par ce que je vois. Et je pense presque davantage aux enfants : lorsqu'un enfant a été témoin d'une maltraitance, surtout lorsqu'elle touche sa mère, il est durablement traumatisé. Donc, vraiment, il y a des associations, il y a des services sociaux, il y a une prise de conscience de la société ; il faut que les femmes agissent."
Vous avez visité un service de violences médicales, à Paris ?
- "Lundi soir..."
Vous avez rencontré des gens ?
- "Oui. J'ai surtout évoqué, avec l'ensemble du corps hospitalier, les problèmes. Eux soutiennent tout à fait l'esprit dans lequel je travaille, parce qu'ils considèrent qu'il faut que les femmes n'acceptent pas cette situation et que, très tôt, elles puissent dire "non". Il faut donc vraiment aujourd'hui ne pas attendre l'insupportable pour parler, pour agir. Il y a une volonté, à partir de l'accueil médical jusqu'à la police et à la justice. Et comme vous l'avez très bien dit, le président de la République souhaite un renforcement des sanctions pour qu'on retrouve une dignité dans les meilleures conditions."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 mars 2003)