Interview de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, à Europe 1 le 24 février 2003, sur la réforme de la PAC notamment le découplage des aides et le risque de boycott des produits français aux Etats-Unis.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Cette année, le Salon de l'Agriculture a très bien commencé ?
- "Oui, on sent une confiance retrouvée des consommateurs. Toute la semaine, on aura cet état d'esprit de confiance des consommateurs envers leur agriculture et leurs paysans."
Le nombre de paysans diminue encore, mais de moins en moins vite. Est-ce dire que le climat est plus favorable aux agriculteurs qui, eux-mêmes, ont l'air plus détendu dans la société française ?
- "Le renouvellement n'est pas satisfaisant. Moins 6.000 installations par an, dans un département où j'étais la semaine dernière, 3.000 agriculteurs, moins de 40 installations... Ce n'est pas bon, mais ces chiffres peuvent s'améliorer si on a une lisibilité de la politique agricole..."
C'est-à-dire ? Vous ne voulez pas dire au niveau français, mais au niveau au moins européen, pour ne pas dire mondial ?
- "Oui, au niveau européen et mondial. Et puis, d'un autre côté, sortir des crises. Parce ce qu'il y a une bonne ambiance au Salon mais malheureusement, il y a aussi des crises. Je pense au secteur porcin, secteur agricole qui est en pleine restructuration, voire la baisse du prix du lait. Donc, on a un peu des contrastes."
Et on voit qu'on a une exigence plus grande à l'égard de l'environnement et de la sécurité alimentaire, y compris chez les paysans ?
- "C'est indispensable. On a longtemps refusé de voir les efforts que faisaient les agriculteurs..."
Quelquefois lents...
- "Oui, je le reconnais. Je suis Breton, je reconnais donc qu'il y a beaucoup d'efforts à faire et qu'on a besoin d'avoir des courbes sur les taux de nitrate, sur des choses comme ça, qui s'améliorent quand l'environnement ou la qualité de l'eau ont pu être détériorés [sic]. Mais les agriculteurs qui développent un concept d'agriculture raisonnée, donc avec des pratiques agronomiques, des pratiques d'élevage, sont dans la bonne démarche. Ce qui est clair pour les consommateurs, c'est la sécurité des aliments qu'ils consomment. On a aussi eu des crises sanitaires..."
Cela va mieux.
- "Oui, cela va mieux. D'ailleurs, le meilleur exemple est la consommation de viande bovine. On avait connu un tel désastre, avec des moins 40 % de consommation. Aujourd'hui, on a retrouvé des chiffres meilleurs qu'avant la crise de la vache folle."
Est-ce que vous entendez, comme nous tous, le vacarme de la guerre américaine en préparation ?
- "Bien sûr. Quel est le citoyen français qui ne pourrait pas entendre ce vacarme ? J'ai personnellement appelé à signer l'appel contre la guerre en Irak. Il y a le militaire mais nous savons aussi ce que veut dire quelquefois la guerre alimentaire. La guerre alimentaire est dominée le plus souvent par les Américains, pour contrôler le monde. Il est donc évident qu'il faut sortir, en Irak, S. Hussein de ses responsabilités et en même temps, il faudrait pouvoir le faire sans la guerre."
L'establishment américain menace les vins, les fromages, les eaux minérales venant de France. Est-ce que vous craignez un boycott des produits français ?
- "Bien sûr, parce que ce ne sont pas que des menaces, nous l'avons déjà connu avec le boycott des fromages. On est surtout touché, lorsque c'est le cas, sur les fromages et sur les vins et spiritueux. Donc, nous le craignons, parce que les Américains qui se disent de grands libéraux, pour le commerce le plus libre possible entre tous les continents, ce sont les premiers à fermer leurs portes, quelquefois en trouvant des arguments sanitaires, ce qui est quand même désastreux."
Mais il y a déjà des effets à leurs menaces de boycott ?
- "Non, pas encore, heureusement. Mais il est vrai que les entreprises les plus présentes sur leur marché le craignent, parce qu'on sent qu'il y a des menaces sur les commandes."
Samedi, vous avez reçu le soutien, qui n'est pas une surprise, de la part du président de la République, pour le respect du calendrier de la réforme de la Politique agricole commune, en 2006, malgré le commissaire Fischler. Est-ce que cela vous a rassuré ?
- "J'ai apprécié la grande fermeté du président de la République. Il faut dire les choses très clairement. Nous contestons nous-mêmes la réforme que nous propose le commissaire Fischler. Il faut que la politique agricole européenne évolue mais pas sur la logique proposée par monsieur Fischler, qui est une logique où seuls les marchés régulent les choses, qui vont faire en sorte que, très vite, les plus faibles tombent. Dans un pays comme le nôtre, on ne voit toujours que l'aspect économique, que l'aspect du commerce, on oublie ce que représente notre agriculture sur le plan social, en termes d'emplois. Je trouve qu'en agriculture, nous ne parlons pas assez de l'emploi. Je comprends ce que représente la suppression d'Air Lib pour ceux qui y travaillaient, ou de Metaleurop, mais on devrait avoir la même sensibilité pour la disparition des agriculteurs. Seulement, quand il n'y en a qu'un par commune, si on multiplie par les 36.000 communes, vous voyez ce que cela donne. Seulement, c'est beaucoup plus diffus."
Mais on n'oublie pas qu'en 2001, la PAC vous a rapporté, sur les 42 milliards d'euros, près de 9 milliards d'euros, ce qui est pas mal, c'est un beau pactole !
- "Je n'aime pas cette présentation..."
Mais elle est douloureusement vraie !
- "Elle a rapporté à qui ? A tout le monde, et pas aux agriculteurs seulement. On voudrait finalement qu'il n'y ait pas beaucoup d'agriculteurs, quand même avoir cette belle diversité de produits dont nous disposons tous, et notamment en France avec nos produits "label", d'appellation d'origine, les produits bio, etc. Et dans le même temps, on voudrait une agriculture qui ne coûte absolument rien, on voudrait que tout ce que représente comme activité l'agriculture, coûte zéro ! Et en plus, quand on dit "cela vous a rapporté", la France est elle-même contributive au budget européen..."
Moins que les Allemands.
- "Parce l'Allemagne est le premier pays agricole en Europe depuis la réunification et qu'il y a là-bas encore plus d'agriculteurs et un PIB plus important."
Mais il y avait un accord Schröder-Chirac justement, sur la réforme de la PAC...
- "Non, ce qui est important dans cet accord, c'est qu'on ait une politique agricole jusqu'en 2013, et qu'on arrête de se poser des questions sur l'avenir-même de cette politique agricole..."
C'est pourquoi monsieur Chirac a dénoncé "l'entêtement" de Fischler... Et pourtant, cet "entêté" a remis ça, en disant dans le Journal du Dimanche, que "la réforme de la PAC est une chance à saisir et qu'il vaut mieux commencer en 2004". Il a l'air, lui, d'essayer de défendre au mieux les intérêts des agriculteurs français.
- "Il n'y a que monsieur Fischler pour le croire !"
P. Lamy aussi !
- "Oui, j'ai reçu personnellement, au Salon hier, P. Lamy et autant nous sommes d'accord, parce qu'il faut faire le lien entre la politique agricole européenne et la politique internationale, les négociations internationales dont a la responsabilité P. Lamy ; autant nous sommes d'accord pour les pays en développement, pour la protection du développement de leur agriculture et même de leur commerce ; autant nous ne pouvons pas accepter les orientations de la politique agricole présentées par monsieur Fischler. Personne ne peut croire qu'on peut allier la politique de qualité pour les consommateurs avec des prix toujours plus bas. Ce n'est pas possible."
Cela veut dire que vous allez encore manifester sous les fenêtres de la Commission de Bruxelles ?
- "Je ne sais sous quelles fenêtres nous allons manifester. Tous les agriculteurs vont se mobiliser pour faire échec au projet de monsieur Fischler."
Vous le dites tout le temps !
- "Non. La première mobilisation, c'est déjà cette semaine, au Salon, parce qu'on nous avons aussi besoin de la compréhension de l'opinion publique française, pour nous aider à convaincre que cette réforme est mauvaise pour la France, mauvaise pour la qualité de nos produits, pour l'environnement, contrairement au marketing de monsieur Fischler, mauvaise pour garder une agriculture sur tous nos territoires..."
C'est cette semaine mais dans les semaines qui viennent ?
- "Le prochain rendez-vous, c'est le congrès de la FNSEA, à Rodez fin mars, sur les terres de Raymond Lacombe, dont tout le monde se souvient, qui défendait si bien la ruralité. Et au mois d'avril, il y aura forcément une mobilisation des agriculteurs français."
A propos de l'élargissement de l'Europe à 25, vous avez déclaré, il y a quelques temps, que c'est une belle opportunité. Est-ce que vous le répétez, ce matin ?
- "Oui, je répète que l'élargissement est une opportunité. Les agriculteurs polonais manifestent presque tous les jours pour défendre les conditions dans lesquelles ils vont entrer. Je comprends leurs manifestations, mais il est clair qu'il faut qu'ils rentrent en préservant les bases de la politique agricole européenne."
Il faut dire qu'ils vont faire un effort, parce qu'ils sont aujourd'hui 2,5 millions, c'est-à-dire trois fois et demi de plus que nous ?
- "Si on prend l'exemple du plus grand pays agricole qu'est la Pologne, ce sont 2,5 millions d'agriculteurs. C'est vrai qu'ils vont avoir beaucoup d'efforts à faire, de restructuration, malheureusement."
Il y en a peut-être 2 millions qui vont peut-être disparaître ou se transformer... C'est peut-être l'heure de la solidarité : le Président Chirac a proposé, - je le cite - que "les pays riches gèlent les aides agricoles accordées à leurs paysans, pour aider l'Afrique à sortir de sa pauvreté". Vous êtes d'accord ?
- "Je dis qu'il faut effectivement protéger les agriculteurs africains. C'est vrai qu'il n'y aura pas de développement de leur agriculture sans protection. Protection à l'intérieur, protection eux mêmes de leur [inaud.]. Là aussi, ce n'est pas la politique européenne qui fait qu'il y a crise sur le cacao, le café ou le coton ; c'est plus, là encore, la responsabilité des Américains."
On commence et on finit avec les Américains !
- "On accuse toujours la politique européenne. Là aussi, il faudrait sortir de ces accusations. Quand est-ce qu'on accusera toutes les aides américaines, qui veulent un alignement d'un prix mondial qui casse finalement les agricultures partout dans le monde ?"
Est-ce que le Salon est prêt à accueillir, peut-être dès l'an prochain, des paysans africains, comme producteurs et exposants ?
- "Je crois - je me trompe peut-être - qu'il y en a déjà. Mais en tout cas, oui, certainement qu'il faut montrer cette agriculture africaine. Il y aura aussi, plus proche de nous, un congrès mondial, organisé en France à Paris, par les Jeunes agriculteurs, qui devrait déjà être une occasion de tendre la main à nos collègues africains."
"Nous sommes tous des Africains" ?
- "On peut le dire ainsi, mais en tous cas, il faut les aider."
Le Salon va dépasser les 600.000 visiteurs de 2002. Je sais que c'est un formidable outil de lobbying pour vous. Par exemple, aujourd'hui, qui allez-vous recevoir ?
- "Je ne sais pas si c'est un outil de lobbying pour nous, mais en tout cas, c'est visiblement l'ensemble des membres du Gouvernement et des hommes politiques qui veulent venir au Salon. Aujourd'hui, il y a beaucoup de ministres, notamment F. Mer, R. Bachelot, donc l'environnement. Et je recevrai aussi F. Hollande, sur le stand de la FNSEA. Donc, le débat continue. Et la relation entre les agriculteurs, les politiques, les consommateurs, c'est cette grande semaine qu'il faut vivre."
Pourtant, il n'y a pas d'élection...
(Source://www.fnsea.fr, le 24 février 2003)