Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur la situation économique et sociale, notamment les inégalités sociales et le rejet de l'ultralibéralisme dans le cadre des négociations sur l'OMC, Paris le 6 décembre 1999.

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Il n'aura échappé à personne, je pense, l'abondance de l'actualité sociale dans cette période.
Pourquoi cette intensification des mouvements sociaux, alors que d'autre part la confiance atteint des sommets d'après les enquêtes d'opinion, que les chiffres du chômage sont en baisse, qu'on annonce une croissance durable ?
Justement, n'y a-t-il pas dans le décalage entre ce qu'on appelle "les bons chiffres" et ce que vivent des millions de français un malentendu lourd de risques politiques si on n'y prend garde.
A côté des bons indices, il faut avoir en tête les autres chiffres. Par exemple ceux de l'écart grandissant, du gouffre entre le niveau de vie de l'immense majorité des salariés, et l'explosion des revenus financiers et de la bourse.
Loin de moi l'idée que rien n'aurait été entrepris, que le gouvernement serait resté inerte. Les 35 heures, les emplois-jeunes, certaines mesures fiscales, une légère relance de la consommation, ne sont pas pour rien dans la baisse du chômage, dans la croissance et dans ce regain de confiance. Mais il faut garder la tête froide. Pour une majorité de salariés, de nos concitoyens, la tendance n'est pas inversée. Trop souvent on en reste aux marges. Et les pressions libérales et patronales ne sont pas sans effet.
Ce n'est pas un hasard si dans les conflits que j'évoquais, le pouvoir d'achat et la mise en cause de la précarité sont en train de prendre une place centrale.
Et avec les revendications des associations et comités de chômeurs, l'expiration de la convention de l'Unedic, avec l'intolérable chantage du Medef, remet sur le devant de l'actualité les distorsions actuelles de l'indemnisation du chômage, et sa nécessaire réforme.
Peut-être faut-il rappeler que moins de la moitié des chômeurs sont indemnisés par l'Unedic. Chez ceux qui le sont, 80% touchent moins que le Smic, et la moitié moins de 4700 F.
Par ailleurs, toutes les études récentes confirment un creusement des inégalités, dû essentiellement à l'augmentation exponentielle de la précarité ? emplois à statut précaire et à temps partiel ?. A côté des trois millions de chômeurs recensés, notre pays compte plus de trois millions de personnes qui gagnent moins que le Smic.
La diminution du chômage s'accompagne d'une explosion du sous-emploi: deux emplois sur trois sont à statut précaire, touchant en priorité les femmes et les jeunes.
Qu'on m'excuse pour cette énumération ? encore que très succincte ?, mais ce retour sur le réel me semble indispensable pour tenter de comprendre ce qui est en train de se passer. Et puis, il faut imaginer la somme de souffrances, d'angoisse, de détresse que cela représente.
Comment vivre avec 3000 francs pas mois, ou moins encore ? Travailler 20 heures par semaine, avec des horaires impossibles, à la merci de l'arbitraire, et la plupart du temps pour un salaire de misère, ça n'est pas acceptable en cette fin du 20° siècle, dans un des pays les plus développés de la planète.
Voir dans le même temps le Medef bloquer les négociations de l'Unedic, pousser tous les feux pour accroître la précarité, peser sur les salaires et le pouvoir d'achat, dénoncer des conventions collectives, ça ne passe pas.
Parce qu'il en espérait un meilleur rapport de forces, le Medef a tout fait pour reporter la négociation sur les 35 heures sur le terrain de l'entreprise. Peut-être s'est-il piégé lui-même, en renvoyant la construction du rapport de forces en bas, au plus près des réalités, en responsabilisant chaque salarié, et en les poussant à s'organiser. C'est sans doute un des traits remarquables de ces mouvements qu'à côté de mobilisations importantes dans le secteur public, des actions très combatives, très dynamiques, sont en train de se démultiplier dans le privé.
Cette poussée du mouvement social ne me semble pas étrangère au rejet de l'ultralibéralisme dans les opinions publiques dont l'échec du Sommet de Seattle vient de fournir une démonstration assez éclatante.
Je considère l'échec de Seattle comme un tournant, un événement considérable, un camouflet pour les chantres de la mondialisation capitaliste. Il s'agissait au départ, on s'en souvient, avec ce nouveau cycle de négociations, d'engager une nouvelle phase de libéralisation du commerce mondial, de la déréglementation impliquant l'agriculture, les services, mais aussi la santé, les biotechniques, l'éducation. Au fur et à mesure que les véritables enjeux ont été mieux connus de l'opinion, le mouvement de contestation a pris une telle ampleur qu'il est devenu irrésistible. J'ai suivi avec intérêt d'ailleurs, les évolutions de la position des Européens. La mobilisation de l'opinion n'est pas étrangère à l'évidence avec la fermeté affichée.
Il faut être clair : pour nous, communistes, ce qui est en cause avec l'OMC, ce n'est pas la nécessité de règles et de normes qui permettent de favoriser les échanges, et un co-développement équilibré, fondé sur des coopérations. Mais en l'occurrence, il s'agissait dans la ville de Microsoft et de Boeing de célébrer le triomphe de la libre concurrence et de la mondialisation libérale. C'est un fiasco.
Après l'échec de l'AMI, dans lequel on s'en souvient la France avait joué un rôle pilote, il faut que les gouvernements et les négociateurs revoient leur copie et la conception même de l'organisation. Ils savent qu'ils sont sous surveillance des citoyens.
Ce qui était au cur des manifestations à Seattle et dans ce mouvement autour du sommet : c'est la contestation du libéralisme et l'intervention citoyenne. Vous comprendrez que je trouve cela tout à fait réconfortant et encourageant. D'autant que nous avons été dès le départ partie prenante de ce mouvement. Il y a beaucoup d'enseignements à tirer de la forme qu'a prise à l'échelle planétaire cette nouvelle " internationale des citoyens ".
Pour en revenir à notre pays - mais aujourd'hui tout est lié ? le succès et l'écho de la manifestation du 16 octobre, puis dans un autre cadre, celui des initiatives du 27 novembre sur l'OMC ne sont pas étrangers à ce nouveau climat. Et c'est dans ce contexte que nous préparons avec de nombreuses autres organisations les manifestations du 11 décembre.
Pour ce qui nous concerne, je voudrais mettre l'accent sur trois questions qui me semblent appeler des réponses urgentes.
D'abord le pouvoir d'achat des chômeurs.
J'appuie sans réserve la demande d'une prime de fin d'année. Elle est plus que jamais justifiée.
En cette fin d'année, tout particulièrement avec le passage du siècle, le gouvernement doit donner un signal fort, très visible, à la hauteur des besoins et des attentes.
Cela vaut aussi pour la revalorisation des minima sociaux. Je sais que Martine Aubry annonce en ce moment même des mesures à ce sujet. Si j'en crois les éléments en ma possession, les dispositions envisagées sont en décalage notoire avec les attentes sociales.
Chaque jour nous voyons s'afficher en effet la progression extraordinaire de la bourse : depuis le début de l'année le CAC 40 a progressé de près de 40% ! Et dans le même temps les maigres allocations que perçoivent 6 millions de Français - aucune, je le rappelle, n'excède 3 550 F. - stagnent ou sont augmentées à dose homéopathique.
On parle de la croissance, des bons résultats qu'elle enregistre ; on estime de 20 à 30 milliards les recettes fiscales supplémentaires...
Eh bien je dis prenons une décision forte, bien à gauche. Je propose que le gouvernement consacre dès maintenant 5 milliards de francs pour répondre aux revendications des chômeurs.
Martine Aubry et le gouvernement doivent mettre la main à la poche de façon plus significative.
Et puis, il y a besoin de mettre à plat tout le système d'indemnisation du chômage, qui n'a cessé de se dégrader, par le désengagement du patronat et en raison du transfert du coût du chômage sur l'état et la collectivité nationale. Il faut reconstruire un système qui garantisse aux sans-emploi un revenu décent, stable, fondé sur la responsabilité des entreprises, et rendant les licenciements plus coûteux.
Autre urgence : donner un coup d'arrêt à la précarisation de l'emploi.
Je le répète : on ne peut accepter que les créations d'emploi, ou la réorganisation du travail dans les entreprises se traduisent par une généralisation de la précarité.
Il n'est ni normal, ni acceptable que les CDD - souvent à répétition - deviennent la règle, alors qu'ils devraient être l'exception.
Nous proposons donc de mettre en place des dispositifs dissuasifs qui rendent coûteux l'abus de contrats précaires.
Différents mécanismes peuvent être envisagés, y compris au plan législatif, pour taxer le recours systématique aux CDD à l'intérim et à toutes formes de précarité. Ce sera une de nos priorités dans la période à venir.
Cela m'amène à une troisième urgence : l'engagement dès le 1er janvier 2000 du processus de transformation des emplois-jeunes en emplois stables.
Ce programme décidé au début de la législature signifiait que la nouvelle majorité considérait l'emploi des jeunes comme une priorité, même avec les limites que nous avions alors relevées.
Aujourd'hui, on a fait la démonstration que ces emplois correspondent à des besoins.
On ne peut laisser les jeunes concernés ans une incertitude qui s'accroît au fur et à mesure que le temps passe. Un sur deux ignore ce qu'il va devenir. Je n'imagine pas qu'on puisse s'arrêter au milieu du gué. C'est le moment de passer à une nouvelle étape : de l'expérimentation à la pérennisation, par la création d'emplois stables. Suivant les secteurs concernés, les formes de la pérennisation varieront évidemment. Mais ce dont je suis certain c'est que le gouvernement doit se fixer rapidement la perspective de leur transformation en véritables professions, et pour mettre en place les financements nécessaires.
Ces questions, aujourd'hui particulièrement sensibles, seront au cur des manifestations et des rassemblements du 11 décembre. Avec de nombreuses organisations, nous sommes totalement engagés pour le succès des initiatives décidées dans les régions, comme à Paris, et qui s'annoncent d'ores et déjà comme des moments forts.
A Paris, on le sait, nous nous associons à la manifestation des organisations de chômeurs. Je voudrais dire à ce propos que je crois le moment propice pour que se rejoignent les revendications des sans-emplois, et celles des salariés. C'est à travers de telles convergences que les batailles pour la création d'emplois, contre les plans de licenciements, contre la précarité, pour le pouvoir d'achat, peuvent prendre toute leur efficacité. Nous allons beaucoup y travailler.
Certains se demandaient si le 16 octobre ne serait pas un "coup" conjoncturel, un épisode. J'ai plutôt le sentiment que le succès de la manifestation du 16 octobre dont nous avions pris l'initiative mais qui finalement a mis en mouvement beaucoup d'associations et de groupes différents, a aidé à franchir un cap dans la dynamique du mouvement populaire.
Ce qui est en train de se passer autour des 35 heures, de la prime pour les chômeurs et des minima sociaux, de la précarité, cette combativité répond à l'arrogance et aux chantages provocateurs de M. Sellières, qui se comporte en fer de lance de l'opposition et en parti des patrons. C'est aussi pour le gouvernement le signal que l'heure est à des mesures sociales plus significatives. Plus à gauche.
(Source http://www.pcf.fr, le 12 février 2003)