Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO à LCI le 31 janvier 2003, sur la réforme des retraites, notamment l'allongement de la durée des cotisations, et la présentation des orientations par le Gouvernement aux partenaires sociaux.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

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A. Hausser-. La réforme des retraites entre dans une phase active, nous dit-on. Le Premier ministre doit donner les grandes orientations de cette réforme lundi et les syndicats prennent les devants demain, avec toute une série de manifestations à travers le pays. Vous dites que cela doit être un acte de rébellion. Un acte de rébellion ou une démonstration de force ?
- "C'est à la fois les deux, pour montrer que les gens sont attachés à leur retraite, au système par répartition, aux données générales - la retraite à 60 ans, etc. Il faut que les gens montrent que l'on est dans l'obligation de faire une réforme, il faut que cela reste une réforme et non pas une contre réforme et qu'il faut essayer de stabiliser les choses Mais nous avons besoin, dans le cadre du rapport de force, de montrer qu'en tout état de cause, les gens n'accepteront pas d'être déshabillés dans cette affaire."
Pourquoi ne pas avoir organisé une grande manifestation nationale, dont l'effet masse serait peut-être plus impressionnant ?
- "Vous noterez que nous avons fait un débat qui a été assez ouvert, avec l'ensemble des organisations syndicales. Cela veut donc dire que, par définition, certains doivent faire des concessions et évoluer. Au départ, ce n'était pas du tout ni un samedi, c'était même un dimanche. Je plaidais plutôt pour une journée de la semaine avec une mobilisation nationale. On a réussi à tomber d'accord sur une formule qui était un peu l'un, un peu l'autre. C'est le samedi, mais je ne pense pas que ce sera la dernière manifestation que nous ferons en la matière."
D'ici le mois de juin, on peut garder ses baskets pour marcher, c'est cela ?
- "Oui et puis nous serons bien obligés de regarder tout simplement Je rappelle que la réforme Balladur s'est faite au mois de juillet, pendant l'été, et que les gens étaient plus disposés à aller à la mer, voire à la campagne, pour se reposer et bénéficier du soleil, ce qui fait qu'il n'y a peut-être pas eu la réaction qui était souhaitable en 1993. Ce qui veut dire que là aussi, on sent que M. Raffarin va annoncer, je crois, au conseil économique, lundi, que ce sera terminé au mois de juillet. Cela veut donc dire qu'il faut que nous prenions en quelque sorte quelques dispositions, de manière à ne pas laisser retomber le soufflet."
Vous êtes en phase avec les parlementaires de la majorité, puisqu'ils pressent le Gouvernement d'aller plus vite !
- "Tout cela, c'est de la tactique, mais le problème est un problème de fond. J'ai l'impression, premièrement, que le Gouvernement répond au président de la République qui, lors des vux, a rappelé qu'il fallait régler le problème, parce que nous étions interrogés, semoncés, voire même avions pression de l'Europe. On peut d'ailleurs se demander pourquoi ils se permettent de mettre leur nez là-dedans, mais enfin quand même l'Europe... Et puis, deuxièmement, je crois aussi qu'il y a le bénéfice de l'élection : nous sommes encore peu ou prou un petit peu sur les retombées de l'élection politique, ce qui veut donc dire qu'en définitive, dans la foulée en quelque sorte, les élus de la majorité pensent que les mauvaises actions pourraient passer et seraient justifiées par un crédit politique qu'ils n'auraient peut-être plus dans quelques mois..."
Ce que vous soupçonnez déjà d'être une contre réforme, en fait, ne pourrait passer que rapidement ?
- "Plus cela passera très vite, sans qu'il y ait de discussions, et plus ce sera mauvais. "
A partir de quel moment est-ce que l'on ne peut plus parler de réforme et parler de contre réforme ?
- "A partir du moment où on remettra en cause le droit à la retraite de manière substantielle."
C'est-à-dire ?
- "Je ne sais pas Si on dit par exemple qu'il faut aller jusqu'à 42, 43 ans, voire 45 ans de cotisations..."
Seul le Medef ose dire cela de temps en temps !
- "Oui, mais le Medef est un élément déterminant quand mêmeEst-ce que vous ne vous posez pas la question de savoir si le Gouvernement n'a pas tendance à représenter un petit peu le Medef ? Moi, je me pose la question de savoir qui influe l'autre et je crains que la réponse, ce soit que le Medef influe sur le Gouvernement."
Et qu'il dicte sa loi au gouvernement ?
- "Pour le moins, pour l'instant quand on regarde, M. Raffarin leur a fait quand même de lourdes concessions, à commencer par celle des 35 heures, mais pas simplement celle-là, a commencé aussi pat la neutralisation des dispositions en matière de licenciements collectifs... Et vous voyez ce que cela donne en ce moment. "
Ce n'est peut-être pas seulement à cause de cela qu'il y a des plans sociaux en ce moment ?
- "Non, mais en tout cas, quelles sont les protections ? Vous vous rendez compte qu'on en est maintenant à dire "on va aller devant les avocats ", pour Metaleurop, on ne discute même plus, on ne sait même plus les délais d'informations, on ne sait plus rien. Il y a une série de contradictions qui mériterait qu'on l'élève et qu'on en discute. On parle d'attractivité de la France, etc, on a les investisseurs étrangers, ils décident de plier bagages, ils s'en vont, le lendemain matin, ils ne sont plus là. Ce n'est pas vrai pour Metaleurop, mais c'est quand même cela les effets. Mais c'est vrai pour le parfum, etc. Cela veut dire que tout cela mérite d'être réfléchi et qu'il faut arrêter un peu ce qui me semble être une démagogie, de penser que plus nous baisserons la tête et plus les gens viendront nous exploiter ici. Je rappelle tout simplement qu'ils viennent aussi parce que nous avons un pouvoir d'achat."
J'en reviens aux retraites. Le problème tourne quand même beaucoup autour de l'allongement de la durée du travail
- "Oui, mais c'est une hérésie."
J. Chirac a dit qu'on ne remettrait pas en cause la retraite à 60 ans Où est le problème ?
- "Le problème est simple : c'est que la durée moyenne d'activité, que l'on soit du privé ou que l'on soit du public, c'est 37 ans et demi en ce moment. A partir de ce moment-là, je ne peux discuter que la contre valeur d'une retraite pleine et entière avec 37 ans et demi de travail. Vous croyez que les gens de Metaleurop, vous croyez que les gens de chez Daewoo, vous croyez que les gens de Act Manufacturing ne voulaient pas travailler jusqu'à 60 ans ? Il y a une contradiction dans la position de M. Seillière qui dit très clairement qu'il faut allonger la durée des cotisations pour obtenir les droits d'une retraite entière et, en même temps, les entreprises qui licencient les gens à 55 ou 56 ans ! Ce n'est pas moi..."
Cela cache quoi ? Vous vous connaissez le problème, nous, on ne le connaît pas...
- "Le problème, il est simple, cela veut dire qu'à l'heure actuelle la moyenne d'activité, c'est 37 ans et demi. Moi, je ne discute pas d'une retraite théorique. 37 ans et demi, quels sont les droits, le niveau de retraite est à 60 ans, voilà c'est clair. Le jour où nous travaillerons 40 ans, je dirai retraite entière à 40 ans. Mais pour l'instant, c'est 37 ans et demi. Ce sont les patrons..."
On y vient à 40 ans ?
- "Mais non ! Mais non, regardez le nombre de licenciements qu'il y a encore, regardez dans le textile tous les plans sociaux qui sont annoncés, regardez ce matin les statistiques sont claires. Et même les statistiques ne correspondent plus totalement à la réalité, compte tenu notamment qu'il y a maintenant des licenciements arrangés, etc. Cela veut dire qu'il y a une désindustrialisation du pays, on ne veut pas regarder les choses. A l'heure actuelle on est en train de désindustrialiser la France. On avait nommé M. Viet qui devait être le task-force ; pour l'instant, il fait des études, on ne fait rien. Qu'est-ce que l'on peut faire pour faire que la France se réindustrialise ou est-ce qu'il faut se poser la question de savoir si..."
Est-ce qu'il faut que la France se réindustrialise ou est-ce qu'il faut qu'elle change le niveau d'activité ? Parce que l'industrialisation va dans des pays qui sont en voie de développement ?
- "Mais alors soyons clairs, on va poser d'autres problèmes. L'autre problème, c'est de savoir pourquoi on ouvre par exemple l'Europe aux dix pays des Peco supplémentaires, ce qui va faire qu'il y aura des migrations en 2005 - 2006 ! Mais c'est évident ! Il faut regarder les choses et il faut voir si oui ou non nous serons capables, sur des secteurs particuliers de l'industrie, demain, de recréer les emplois ou si cela va être la peau de chagrin en permanence.
Une dernière question, répondez-moi brièvement : qu'est-ce que vous pensez du retour de L. Jospin ?
- "J'en suis fort étonné, parce que j'ai quelques rapports personnels avec L. Jospin et, pour tout vous dire, ces derniers temps j'avais reçu un petit carton, nous avions échangé du courrier, où il me disait qu'il n'avait pas du tout l'intention de reprendre des activités publiques. Alors, je suis quelque peu étonné de ce que l'on peut laisser entendre, je ne suis pas sûr que ce soit confirmé."
En tout cas, il publie une tribune cet après-midi dans Le Monde...
- "Oui, mais enfin, publier une tribune, ce n'est quand même pas obligatoirement refaire de la politique au haut niveau. Que ce soit un homme engagé, il restera un homme engagé !"
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 janvier 2003)