Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
- Je voudrais vous préciser les raisons pour lesquelles le gouvernement a choisi de faire du cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage une célébration d'ampleur nationale. Et vous dire pourquoi l'accent sera mis au cours de ces huit prochains mois sur des manifestations culturelles qui vont exprimer la vitalité contemporaine des peuples de l'Outre-Mer, et pourquoi nous avons fait ce choix de la culture pour cette célébration.
- Toute l'année 1998 se trouve placée sous le signe des droits de l'Homme - avec la célébration du quatrième centenaire de l'Edit de Nantes, du Centenaire du "J'Accuse" de Zola et du cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, qui va donner lieu à de nombreuses manifestations nationales et internationales. Mais chacun de ces événements a sa singularité et sa signification propre, à la fois dans l'Histoire et pour la société d'aujourd'hui.
- Tout esclavage est un crime, crime qui se perpétue aujourd'hui encore. Mais l'esclavage des Noirs en Amérique a été un crime contre l'humanité. Parce qu'il fut, à l'échelle d'un continent entier et pendant plusieurs siècles, la négation de l'homme par l'homme, la réduction de la personne à l'état d'animal. Cet esclavage, né de la traite et de la déportation, a entraîné, après le génocide amérindien, la saignée de toute l'Afrique, deux tragédies dont les conséquences se font encore sentir de nos jours.
- Pourtant ce crime n'a pas accouché de la mort. L'histoire de l'abolition de l'esclavage en Amérique et dans l'Océan Indien, c'est l'histoire d'un crime qui a été vaincu. C'est l'histoire d'une résistance qui n'a pas seulement préservé des survivants de la barbarie, mais qui se trouve à l'origine de nouveaux mondes qui, depuis un siècle, constituent l'un des ferments d'une culture métisse qui apparaît bien, aujourd'hui, comme l'un des plus puissants modèles d'avenir pour l'humanité.
- Il nous appartient de retrouver et de cultiver ces deux mémoires: celle du crime et celle de la victoire des résistants.
- Il nous faut retracer sans complaisance et en toute clarté ce qui a été nié, oublié ou occulté par les colonisateurs, et parfois par les victimes. Il nous faut écouter les paroles, les musiques, les récits et les réflexions qui ont été les instruments du combat des esclaves pour la liberté et l'égalité. Mais il nous faut aussi aujourd'hui écouter le message des descendants des esclaves, des enfants de l'abolition, qui nous proposent, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à la Réunion comme en métropole, où leur présence est si affirmée, l'expression multiple et très vivante de leur identité.
- La résistance de l'esclave a été la matrice de cette identité culturelle. Le vouloir de l'esclave n'était pas de prendre la place du maître ni de réduire à son tour le maître en esclavage. Il n'a pas voulu se laisser conduire par la faiblesse ou par le ressentiment. Il a refusé de se laisser enfermer dans le carcan d'inhumanité qui lui était imposé. Ce que le combat de l'esclave a imposé au maître, c'est le respect des droits de tous les hommes au-delà des déterminations de couleur, de religion et d'origines.
C'est en cela que la culture de cette mémoire est devenue une arme de la justice et de la dignité, l'une de ces "armes miraculeuses" dont parle Aimé Césaire.
- C'est en cela que le message de l'Outre-Mer doit nous éclairer aujourd'hui. Il nous prouve que l'oppresseur s'attaque toujours et en premier lieu à la culture pour asservir l'autre, en niant sa langue, en brûlant ses livres, en interdisant sa musique et ses chants, en lui déniant tout droit à la mémoire et à la transmission de cette mémoire. Parce que l'oppresseur sait que les armes de la culture sont mortelles pour l'oppression.
- L'esclavage a voulu se fonder sur la solitude imposée à l'esclave. La résistance à l'esclavage s'est fondée sur la volonté des esclaves de créer des communautés forgeant leur identité sur les lieux mêmes du déni de leur humanité. Vous comprendrez qu'en cette année, nous soyons tout particulièrement attachés à ce que tous les citoyens de ce pays se portent à l'écoute de nos frères de l'Outre-Mer.
- Cette année doit être considérée non pas comme une fin mais un commencement. Parce que ce n'est pas une année de célébration qui suffit à marquer l'héritage, à rattraper deux siècles d'oubli ou de mépris. Il s'agit de travailler ensemble à la prise en compte de la part des cultures d'Outre-Mer dans l'ensemble de la communauté nationale. Outre-Mer et dans son environnement régional, en métropole et dans l'ensemble du monde francophone.
- Il nous faut contribuer à développer la coopération inter-régionale dans la Caraïbe et dans l'Océan Indien, qui sont les deux grandes zones de rencontre et de métissage des continents, d'Afrique, d'Europe, d'Amérique et d'Asie.
- Il nous faut également travailler à donner une place prépondérante à l'Outre-Mer dans une coopération francophone renouvelée. Parce que l'Outre-Mer doit prendre sa place et jouer tout son rôle de vraie charnière historique, géographique et culturelle de la francophonie.
- Cette célébration révèle avec éclat la très forte affirmation culturelle de l'Outre-Mer sur le territoire métropolitain. Les très nombreux projets issus de la communauté elle-même à travers des collectifs, des comités, des associations ou des compagnies démontrent une volonté de prise en compte de leur originalité et de leur identité spécifique, en même temps qu'une revendication de la reconnaissance de leur place au sein de la République.
- Pour que des réponses justes et durables soient apportées à cette demande légitime, je demande au DRAC d'Ile de France, l'Ile de France étant, comme chacun sait, le plus grand département d'Outre-Mer en nombre d'habitants et d'acteurs culturels, de mener une étude afin de recenser les structures, les besoins et les attentes qui, je le constate, refusent le ghetto communautariste autant que la fusion assimilationniste, et de me présenter des propositions d'actions, évidemment valables pour l'ensemble du territoire, pour la fin de cette année.
- Je voudrais saluer et remercier tout particulièrement et très chaleureusement tous ceux qui, dans cette salle, malgré les contraintes et les difficultés matérielles, sociales et artistiques manifestent par leur engagement la vitalité de leur identité, que ce soit ici-même en métropole ou dans l'Outre-Mer. -
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 2 octobre 2001)
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
- Je voudrais vous préciser les raisons pour lesquelles le gouvernement a choisi de faire du cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage une célébration d'ampleur nationale. Et vous dire pourquoi l'accent sera mis au cours de ces huit prochains mois sur des manifestations culturelles qui vont exprimer la vitalité contemporaine des peuples de l'Outre-Mer, et pourquoi nous avons fait ce choix de la culture pour cette célébration.
- Toute l'année 1998 se trouve placée sous le signe des droits de l'Homme - avec la célébration du quatrième centenaire de l'Edit de Nantes, du Centenaire du "J'Accuse" de Zola et du cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, qui va donner lieu à de nombreuses manifestations nationales et internationales. Mais chacun de ces événements a sa singularité et sa signification propre, à la fois dans l'Histoire et pour la société d'aujourd'hui.
- Tout esclavage est un crime, crime qui se perpétue aujourd'hui encore. Mais l'esclavage des Noirs en Amérique a été un crime contre l'humanité. Parce qu'il fut, à l'échelle d'un continent entier et pendant plusieurs siècles, la négation de l'homme par l'homme, la réduction de la personne à l'état d'animal. Cet esclavage, né de la traite et de la déportation, a entraîné, après le génocide amérindien, la saignée de toute l'Afrique, deux tragédies dont les conséquences se font encore sentir de nos jours.
- Pourtant ce crime n'a pas accouché de la mort. L'histoire de l'abolition de l'esclavage en Amérique et dans l'Océan Indien, c'est l'histoire d'un crime qui a été vaincu. C'est l'histoire d'une résistance qui n'a pas seulement préservé des survivants de la barbarie, mais qui se trouve à l'origine de nouveaux mondes qui, depuis un siècle, constituent l'un des ferments d'une culture métisse qui apparaît bien, aujourd'hui, comme l'un des plus puissants modèles d'avenir pour l'humanité.
- Il nous appartient de retrouver et de cultiver ces deux mémoires: celle du crime et celle de la victoire des résistants.
- Il nous faut retracer sans complaisance et en toute clarté ce qui a été nié, oublié ou occulté par les colonisateurs, et parfois par les victimes. Il nous faut écouter les paroles, les musiques, les récits et les réflexions qui ont été les instruments du combat des esclaves pour la liberté et l'égalité. Mais il nous faut aussi aujourd'hui écouter le message des descendants des esclaves, des enfants de l'abolition, qui nous proposent, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à la Réunion comme en métropole, où leur présence est si affirmée, l'expression multiple et très vivante de leur identité.
- La résistance de l'esclave a été la matrice de cette identité culturelle. Le vouloir de l'esclave n'était pas de prendre la place du maître ni de réduire à son tour le maître en esclavage. Il n'a pas voulu se laisser conduire par la faiblesse ou par le ressentiment. Il a refusé de se laisser enfermer dans le carcan d'inhumanité qui lui était imposé. Ce que le combat de l'esclave a imposé au maître, c'est le respect des droits de tous les hommes au-delà des déterminations de couleur, de religion et d'origines.
C'est en cela que la culture de cette mémoire est devenue une arme de la justice et de la dignité, l'une de ces "armes miraculeuses" dont parle Aimé Césaire.
- C'est en cela que le message de l'Outre-Mer doit nous éclairer aujourd'hui. Il nous prouve que l'oppresseur s'attaque toujours et en premier lieu à la culture pour asservir l'autre, en niant sa langue, en brûlant ses livres, en interdisant sa musique et ses chants, en lui déniant tout droit à la mémoire et à la transmission de cette mémoire. Parce que l'oppresseur sait que les armes de la culture sont mortelles pour l'oppression.
- L'esclavage a voulu se fonder sur la solitude imposée à l'esclave. La résistance à l'esclavage s'est fondée sur la volonté des esclaves de créer des communautés forgeant leur identité sur les lieux mêmes du déni de leur humanité. Vous comprendrez qu'en cette année, nous soyons tout particulièrement attachés à ce que tous les citoyens de ce pays se portent à l'écoute de nos frères de l'Outre-Mer.
- Cette année doit être considérée non pas comme une fin mais un commencement. Parce que ce n'est pas une année de célébration qui suffit à marquer l'héritage, à rattraper deux siècles d'oubli ou de mépris. Il s'agit de travailler ensemble à la prise en compte de la part des cultures d'Outre-Mer dans l'ensemble de la communauté nationale. Outre-Mer et dans son environnement régional, en métropole et dans l'ensemble du monde francophone.
- Il nous faut contribuer à développer la coopération inter-régionale dans la Caraïbe et dans l'Océan Indien, qui sont les deux grandes zones de rencontre et de métissage des continents, d'Afrique, d'Europe, d'Amérique et d'Asie.
- Il nous faut également travailler à donner une place prépondérante à l'Outre-Mer dans une coopération francophone renouvelée. Parce que l'Outre-Mer doit prendre sa place et jouer tout son rôle de vraie charnière historique, géographique et culturelle de la francophonie.
- Cette célébration révèle avec éclat la très forte affirmation culturelle de l'Outre-Mer sur le territoire métropolitain. Les très nombreux projets issus de la communauté elle-même à travers des collectifs, des comités, des associations ou des compagnies démontrent une volonté de prise en compte de leur originalité et de leur identité spécifique, en même temps qu'une revendication de la reconnaissance de leur place au sein de la République.
- Pour que des réponses justes et durables soient apportées à cette demande légitime, je demande au DRAC d'Ile de France, l'Ile de France étant, comme chacun sait, le plus grand département d'Outre-Mer en nombre d'habitants et d'acteurs culturels, de mener une étude afin de recenser les structures, les besoins et les attentes qui, je le constate, refusent le ghetto communautariste autant que la fusion assimilationniste, et de me présenter des propositions d'actions, évidemment valables pour l'ensemble du territoire, pour la fin de cette année.
- Je voudrais saluer et remercier tout particulièrement et très chaleureusement tous ceux qui, dans cette salle, malgré les contraintes et les difficultés matérielles, sociales et artistiques manifestent par leur engagement la vitalité de leur identité, que ce soit ici-même en métropole ou dans l'Outre-Mer. -
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 2 octobre 2001)