Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO à Europe 1 le 7 février 2003, sur le conflit social à Air Liberté, la réforme des retraites et la négociation avec les partenaires sociaux sur ce dossier.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach -. L'arrêt d'Air Lib provoque une émotion réelle. En cas de pareil échec annoncé, il y a toujours un pincement au coeur. Est-ce que l'Etat doit sauver, avec l'argent public, des entreprises privées mal gérées ?
- "Le problème est que vous dites "mal gérées". Le problème est de savoir si l'Etat doit s'intéresser ou ne pas s'intéresser à l'évolution, ou si on doit laisser le marché le faire tout seul. J'isole pendant trente secondes Air Lib, pour vous dire que moi, je m'inquiète que l'Etat ne s'intéresse pas suffisamment à la désindustrialisation de la France. Je crois qu'on ne peut pas laisser le marché dicter la conduite et l'évolution, et que l'Etat doit intervenir. Les formes, c'est autre chose. Par contre, est-ce qu'on doit maintenir une entreprise en permanence, en quelque sorte, en force respiratoire ?"
Exactement. Pourquoi tant de gens sont-ils acharnés à vouloir guérir des entreprises, encore une fois mal gérées, incurables et qu'on sait condamnées ?
- "Le problème est de savoir si oui ou non il fallait Air Lib ou pas, si on doit se contenter d'une seule entreprise aérienne."
Quel est votre avis ?
- "Moi, je crois qu'il n'y a pas la place pour beaucoup d'entreprises. Même la sainte notion, paraît-il, de concurrence ne suffit pas. Je pense qu'en définitive, Air France peut très bien faire face aux nécessités qui sont les nôtres."
Il y a 44 000 slots, c'est-à-dire des créneaux horaires que les concurrents d'Air Lib sont en train de se disputer, comme on se dispute des dépouilles ?
- "Absolument. On se rend bien compte qu'en définitive... quel est le patrimoine exact d'une entreprise d'aviation civile ? Justement, c'est plus les slots que les avions eux-mêmes. Les avions qui sont sur piste ne servent à rien."
Pour vous, il faudrait les donner à Air France en priorité ?
- "Il va y avoir des discussions et, vraisemblablement, des problèmes d'argent, là aussi."
Vous qui êtes soucieux de ne pas dilapider les fonds de l'Etat, est-ce que vous acceptez quand même, au fond, que chacun des 3 200 emplois ait tenu si longtemps avec des subventions sur des ressources publiques ? Parce qu'on essaye de dire la vérité aussi ce matin.
- "Moi, je considère, parce que je suis militant syndicaliste, que mon rôle est de défendre l'emploi. Je sais très bien d'ailleurs, et il ne faut pas confondre, qu'un chômeur, c'est quelqu'un qui coûte à la solidarité, il ne faut pas croire. Ce qu'on ne fait pas d'un côté, on le fait de l'autre."
Donc, il vaut mieux le former, mieux le reclasser, mieux...
- "C'est le véritable problème. Le véritable problème est de savoir très exactement quand former les gens, à quel niveau les former, pour quoi faire. Mais cela [nécessite de] définir d'abord les demandes : quels sont les besoins des employeurs ? Est-ce qu'ils vont nous le dire, et est-ce qu'ils vont être d'accord pour mettre ensemble... Vous vous rendez compte qu'on discute, encore une nouvelle fois, de la formation professionnelle ?"
Mais restons un instant sur Air Lib, qui est exemplaire, et parce que la solution va être probablement définitive, aujourd'hui. Est-ce que pour M. Blondel, et donc pour F.O., la solution devant des échecs économiques, c'est une solution qui doit être sociale ?
- "Oui, par définition, sinon je ne remplis pas mon rôle de militant syndicaliste. Mon rôle à moi, c'est d'essayer de faire que les salariés soient dans la meilleure des conditions et qu'ils aient du travail. Je ne dis pas que le malade qu'on reconduit, qu'on reconduit et qu'on reconduit, sur le plan économique ce soit une bonne formule. Je dis que sur le plan social, c'est mon rôle à moi d'essayer de garantir l'emploi des gens, et le plus longtemps possible."
C'est aider peut-être à un meilleur développement économique et social, mais économique aussi : aider les entreprises à produire de nouvelles richesses ?
- "Vous êtes en train de faire le lien entre l'économie et le social. C'est un lien qu'on discute et le problème est de savoir si on met en priorité le social ou si on met en priorité l'économique. Alors, ne cherchez pas. Les patrons mettent en priorité l'économique, moi je mets en priorité le social. C'est bien pour cela que nous sommes indispensables, l'un et l'autre, pour essayer de trouver le contrepoids."
Quand vous avez entendu le mirage ou l'illusionniste patron hollandais d'Imca, E. de Vlieger ...
- "C'est un profiteur. Il est venu en France faire son marché. D'abord, se faire mousser et, de surcroît, s'il pouvait obtenir des conditions d'achat d'Airbus moins cher, etc., il n'aurait pas hésité un seul instant. Je me pose même la question de savoir s'il était sincère et s'il voulait reprendre."
Mais beaucoup l'ont cru. Il a dupé à la fois les gouvernants et les syndicats.
- "Vous seriez, demain, dans une entreprise dont on dit qu'on va fermer les portes, le moindre air frais, vous vous dites que peut-être on va s'en tirer. Et il faut tenter, sinon, après, on dit que c'est une catastrophe."
Il les a menés dans son vaisseau fantôme...
- "Il les a balladés !"
Est-ce que vous pensez que l'Etat a bien fait de ne pas accepter toutes ses exigences, toutes ses quêtes d'avantages, sans garanties en retour ?
- "Bien entendu. L'Etat a jugé opportun de ne pas donner suite, dans la limite où, je suppose que les études ont été faites, et qu'on s'est rendu compte que c'était, pour une bonne part, du bluff."
Quelle solution pour Air Lib ?
- "La solution, pour l'instant, à mon avis, celle que je vais pour ma part appuyer, c'est d'essayer de faire en sorte qu'Air France se substitue et essaye de récupérer le maximum des agents."
Au moins la moitié, ou les deux tiers ?
- "Je n'en sais rien, le maximum. Je ne vais pas m'enfermer maintenant, si je peux avoir tout le monde."
Vous avez passé plus de deux heures chez F. Fillon, hier, qui vous a beaucoup écouté. Et vous, est-ce que vous l'avez entendu ?
- "Pour l'entendre, il eut fallu qu'il y ait une ligne directrice très claire. Or - je ne veux dire que Monsieur Fillon a bafouillé, ce n'est pas du tout cela, mais en définitive - il a hérité du dossier de Monsieur Raffarin, le dossier des retraites dont tout le monde parle. Et puis, justement - ça a été l'une de mes préoccupations -, je lui ai dit : "Qu'est-ce que c'est que cette histoire de communication, cette histoire d'information ?". Vous avez vu qu'on recherche des agences pour faire la communication sur le dossier des retraites, etc. ?"
Ben oui, il faut faire la pédagogie pour tous les Français !
- "Cela veut dire qu'on veut essayer de conditionner les Français, on veut essayer de las faire analyser le problème des retraites par comparaison des uns par rapport aux autres, on veut remettre en cause... [Une chose que] je n'ai jamais compris : généralement, on essaye toujours d'aligner les gens sur le plus haut. Les gens qui ont manifesté le 1er février, ils n'ont pas manifesté pour payer des cotisations plus longtemps, ils n'ont pas manifesté pour qu'il y ait un allongement des cotisations, c'est très clair. Ils ont manifesté pour le contraire. Ils ont manifesté parce qu'ils tenaient à leur retraite, et à un niveau de retraite acceptable."
On va essayer de cerner le problème assez vite. Est-ce que cela vous choque qu'on demande à tous les Français de participer à un débat qui les concerne, et que cela finisse par une loi au Parlement ?
- "Je ne vois pas ce qu'on va modifier au Parlement. Monsieur le président de la République a dit que la retraite à 60 ans, durée légale, ne serait pas remise en cause, c'est cela la disposition législative ! Le reste, ce sont des dispositions corollaires qui rentrent dans le code du travail après coup."
Pour vous, il faut laisser la négociation entre vous : les syndicats, le Gouvernement, avec le patronat ?
- "La négociation avec le Gouvernement et avec le patronat, pour l'instant, n'est pas établie. On est en train de discuter et on discute autant d'ailleurs, pardonnez-moi - il semble que ce soit une condamnation - par radio et par télévision que directement."
C'est bien le débat national ?
- "Je ne suis pas sûr. Parce que moi je n'ai pas Monsieur Fillon, je n'ai pas Monsieur Seillière, là."
Mais vous leur parlez là ?
- "Oui, bien sûr, ça c'est pour faire travailler Europe 1, je vous comprends."
C'est l'information, dans un pays démocratique et pluraliste.
- "Ne me faites pas ce procès. J'utilise suffisamment l'expression pour la respecter. Il n'y a pas de problème de cette nature."
Alors, ne vous en plaignez pas.
- "Le problème est relativement simple : pourquoi voulez-vous que mes impôts - je vais commencer à parler comme les Poujadistes - servent à l'Etat pour conditionner les gens, pour faire avaler une orientation qui est contestable en soi ?"
A les in-for-mer !
- "Donnez-moi les moyens d'informer aussi ! Dites : je viens tout à l'heure discuter avec Europe 1, et je dis : combien de minutes vous me donnez ? Gouvernement, donnez-moi des sous pour que je puisse parler sur Europe 1 tranquille, sans être provoqué, tranquille et expliquer. Expliquer par exemple que si on discute des retraites qui dépasseront les 37,5 ans, c'est clair, net et précis, ce sont des retraites illusoires, parce que la durée moyenne du travail, à l'heure actuelle, qu'on soit du privé ou du public, c'est 37,5 ans. Et si, demain, on discute sur 40, 42 ans ou 45 ans, même à 100 %, vous m'entendez, ce sera illusoire ! D'autant plus qu'il y a de plus en plus de contrats à durée déterminée, et que maintenant, on n'a plus une activité linéaire pendant quarante ans."
37,5 ans, cela veut dire 57 ans, 58 ans [l'âge de] la retraite pour beaucoup ? Quelle est la statistique ?
- "Non. 25 ans plus 37,5 ans cela fait 62,5 ans. Parce que maintenant, on rentre dans le travail à 25 ans. Ce n'est plus comme avant, et tant mieux d'ailleurs. C'était à 15 ans. Maintenant, c'est à 25."
Est-ce que je peux vous demander, en espérant que vous nous surprendrez...
- "Sur la brièveté de ma réponse ?"
Non. Qu'est-ce que vous acceptez dans la réforme des retraites ?
- "Mais qu'est-ce que vous savez, vous, qu'il faut que j'accepte ? C'est-à-dire quelles sont les questions qu'on me pose ? On venait tout simplement de décider hier qu'on renvoyait encore à un groupe de travail, ce groupe de travail dans lequel il y aura les organisations syndicales et le patronat. Et ce groupe de travail va essayer d'énoncer les points sur lesquels il faut aller. Vous savez bien que c'est l'allongement, c'est la durée des cotisations, c'est le niveau des cotisations et c'est l'âge de la retraite. Voilà les trois facteurs."
Qu'est-ce que vous accepterez en échange? Un succès pour M. Blondel, c'est quoi ? Bloquer la réforme ou, au contraire, qu'elle ait lieu, comme elle est attendue par beaucoup de Français ?
- "Non, mais c'est fait, cela. Je crois que vous me faites un procès d'intention. Je n'ai jamais dit que j'étais contre la réforme."
Ah ?!
- "Je n'ai jamais dit cela ! Ce sont des organisations concurrentes qui se sont amusées à véhiculer cela. Je n'ai jamais dit cela ! Seulement, ce que je dis, c'est que je ne veux pas détricoter l'existant, je ne veux pas remettre en cause ce qui existe. Regardons les choses et arrêtons. On a avancé - et à mon avis, justement dans le débat public on pourra peut-être l'expliquer - toute une série de choses. Ce qui apparaît logique, c'est de dire - c'est clair : il faut allonger la durée des cotisations. Ce n'est pas aussi logique que cela, quand on y regarde de plus près."
Si vous n'êtes pas entendu, vous avez encore dit en sortant hier chez F. Fillon qu'il va y avoir encore des 1er février, des manifestations...
- "J'ai voulu expliquer, je confirme, que le 1er février, les gens n'ont pas manifesté pour aligner la retraite et la durée des cotisations sur le plus long possible. Ils ont manifesté pour le contraire. Et je dis qu'à chaque fois que nous allons rentrer dans le détail, nous approcher de propositions plus ou moins réalistes et concrètes, eh bien, on risque effectivement d'avoir des réactions de secteurs professionnels qui n'accepteront pas."
Mais elles ne seront pas spontanées. C'est vous qui les organiserez ?
- "Non, vous vous méprenez, c'est l'inverse : ce sont les gens qui sont mécontents. Moi, je peux lancer n'importe quel mouvement, si les gens ne sont pas d'accord avec moi, ils ne suivent pas, c'est clair."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 février 2003)