Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO à France 2 le 6 mars 2003, sur l'actualité sociale, notamment le chômage, les plans sociaux et la phase de réflexion et de constitution de groupes de travail sur le dossier de la réforme des retraites.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard - [Nous sommes] Avec vous ce matin pour parler de l'actualité sociale particulièrement chargée, avec le chômage, les plans sociaux et bien sûr les retraites. Commençons justement par les retraites : le Gouvernement a décidé de faire du mois de mars le temps de la réflexion avec la constitution de groupes de travail. Est-ce que vous avez l'impression que le travail dans ces petits comités progresse, est-ce que les choses avancent, est-ce que c'est la bonne méthode ?
- "Progresse, je n'en sais rien puisque ça va commencer lundi. Mais en fait, je m'étonne un petit peu - je m'en suis ouvert d'ailleurs au ministre des Affaires sociales : on va discuter de quoi, dans la mesure où le tout monde connaît les positions des uns et des autres. J'ai l'impression que du côté..."
Vous réclamiez la discussion et la négociation...
- "Oui, mais justement : personne ne répond à ça, c'est très curieux. On fait de la concertation, on va discuter, on va dire les uns pensent ceci, les autres pensent cela, mais qui va conclure ? Est-ce qu'il va y avoir une négociation ? On ne m'a toujours pas dit s'il allait y avoir négociation ; je crois d'ailleurs qu'il n'y aura pas négociation. Et puis, j'ai entendu dire ou j'ai lu tout simplement qu'on allait faire une grande campagne médiatique, qu'on allait sensibiliser les gens. Il me semble même qu'il y a un parti politique, parti politique majoritaire, va faire une consultation, quasiment un référendum organisé par l'organisation politique. Cela veut dire que, je ne comprends plus en définitive. Qu'est-ce qu'on fait ? On discute de la retraite des salariés ou on prend l'opinion publique à témoin pour dire qu'il faut que les salariés fassent des sacrifices ? J'ai un peu peur que ce soit la deuxième hypothèse. C'est la raison pour laquelle la commission exécutive de mon organisation, hier, a décidé que dès début avril, on allait taper un coup et qu'on allait reprendre les manifestations qu'on avait faites le 1er février et au-delà. Tout simplement pour expliquer qu'on veut se faire entendre et qu'on ne veut surtout pas qu'on détruise les retraites, et peut-être lever quelques ambiguïtés."
Je vous interromps une seconde : vous dites que vous voulez vous faire entendre, et on dit qu'à l'inverse, le Gouvernement vous aurait demandé une sorte de réserve pendant les négociations ?
- "Vous savez tout ! Dans le document qu'on nous a proposé pour mettre debout ce qu'on appelle ce groupe de travail confédéral et les groupes techniques, le Gouvernement nous demandait en fait le secret de l'instruction. C'était quand même quelque chose de curieux. Ce qui allait se dire, on n'allait pas [l']expliquer. Alors, pardon !..."
S'il vous demande de vous taire, c'est qu'il vous connaît mal entre nous...
- "Ça, c'est autre chose. Ce n'est pas parce que je parle beaucoup que cela veut dire que je dis obligatoirement des choses indiscrètes ; c'est autre chose. Ceci étant, on nous disait, "surtout, secret des délibérations". Sur un problème comme les retraites, à partir du moment où le Gouvernement prend à témoin l'opinion publique, à partir du moment où les partis politiques vont consulter les uns et les autres, je ne vois pas pourquoi les syndicats seraient bouche cousue. Nous sommes dans l'obligation de dire aux gens très exactement ce que nous défendons et pourquoi nous défendons. Et permettez-moi de dire tout simplement que nous défendons, nous, les 37,5 ans et j'insiste sur ce point. Je sais qu'on me montre du doigt et qu'on dit, "il est démago le Blondel", etc. Non ! Nous sommes en train de mettre les retraites pour 2020, et en 2020 il y aura beaucoup, beaucoup de gens qui n'auront pas les 37,5 ans. Il suffit de regarder comment ça se passe à l'heure actuelle avec les licenciements économiques, avec les situations des gens quand ils ont perdu leur emploi. Il y a de plus en plus de contrats à durée déterminée, tous les jeunes le savent - on travaille maintenant trois mois, on ne travaille plus [pendant] un mois, on retravaille trois mois, etc. Ce qui veut dire qu'il y a une modification radicale du comportement des entreprises dans le domaine de l'emploi, et qu'il y a de plus en plus de contrats à durée déterminée, même dans la fonction publique, même dans le secteur public."
Mais cela peut changer si la conjoncture se retourne, si la croissance revient ?
- "Non, je crois que c'est plus profond que cela. Ce n'est pas du tout simplement un problème de conjoncture, ce n'est pas le nombre de créations d'emplois, ce n'est pas le nombre de chômeurs, c'est aussi maintenant une façon des relations dans les entreprises (sic). Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas des agents d'EDF mais qui travaillent pour EDF, c'est-à-dire qu'ils sont dans une entreprise qui est sous-traitante d'EDF et ils ont un contrat qui est un contrat de mission. D'ailleurs, rappelez-vous, il y a quelques années, il n'y a pas tellement longtemps, les patrons voulaient absolument mettre debout les contrats de missions de trois ou cinq ans, etc. - nous avons combattu cela. Mais il n'empêche que maintenant, dans les entreprises, là où avant c'était une période d'essai, maintenant on vous prend pendant trois mois en contrat à durée déterminée, et on verra après ce que l'on fait. Et bien souvent, il y a des césures. Ce qui me permet de dire qu'on travaillera peut-être 40, 42 ans, je n'en sais rien, mais en durée du travail effectif, il n'y aura pas 37,5 ans. Donc, il ne faut pas discuter - et c'est là le problème le plus important - d'une retraite théorique sur 40 ou 42 ans, qui y aurait même 100 % par rapport au salaire d'activité. Encore que le salaire d'activité, ça dépend si c'est le dernier ou si c'est les 25 dernières années, comme a fait M. Balladur en 1993. Donc il ne servira à rien d'avoir 100 % du salaire si c'était au bout de 42 ans et que personne ne fasse 42 ans."
Vous parlez de manifestations pour le mois d'avril ; si ça bloque est-ce que vous êtes prêt à aller plus loin ? Est-ce que vous êtes prêt notamment à déclencher des grandes grèves comme on avait pu en connaître en 1995 ?
- "Quand je dis manifestations en avril, je n'exclus pas la grève. Nous avons manifesté, rappelez-vous, le samedi 1er février, il y avait beaucoup de monde..."
Mais une grève très importante ?
- "J'ai le sentiment que, justement, nos interlocuteurs gouvernementaux pour l'instant ne mettent pas d'échéance. Ils sont en train de nous enrober un petit peu en quelque sorte. On ne sait pas à quel moment on va dire "les textes vont être présentés au Parlement" - car il y a un moment où il va falloir présenter les textes au Parlement. Alors, on essaye de nous dire pour cette période là... Attention ! Je fais remarquer que M. Balladur avait fait ça au mois de juillet, nous n'avions pas pu réagir ! Le Gouvernement me dit qu'on aura terminé au mois de juillet. Donc, à la limite, nous pourrons réagir si nous ne sommes pas content. Mais tout cela n'est pas clair car je pense qu'à l'heure actuelle, on pourrait d'ores et déjà... Pour l'instant, il n'y a eu que M. Fillon qui a pris quelques risques et qui, ensuite, a fait un peu marche arrière en disant, que c'est ce que pense M. Fillon individuellement, "j'ai le droit d'avoir mon sentiment comme l'ont les syndicats". C'est son droit le plus absolu. Sauf que, est-ce que c'est la position du Gouvernement ? Je voudrais bien entendre M. Raffarin dire, "oui, ce qu'a dit M. Fillon, c'est la position du Gouvernement". Et là, on répond à cette position."
Parlons de l'emploi : les plans sociaux se multiplient et vous dites que c'est bien sûr la crise économique mais c'est aussi les choix économiques du Gouvernement.
- "Je crois qu'il y a beaucoup de raisons. Les plans sociaux, sur les dernières statistiques, cela fait 16 500 personnes sur les 360 000 qui ont été acceptées à l'ANPE, ce qui est relativement modeste. C'est maintenant qu'ils vont venir les plans sociaux. Les plans sociaux, par exemple de Metaleurop, fin février, ça y est, ils sont chômeurs à partir de début mars. C'est maintenant que les chiffres vont venir et vous allez voir que ça va se dégrader."
Et vous pensez que le Gouvernement a sa responsabilité dans cette affaire ?
- "Oui, je pense que le Gouvernement n'est pas assez clairvoyant ou en tout cas, ne manifeste pas suffisamment d'intérêt sur la désindustrialisation de la France, voire d'une certaine façon la désindustrialisation de l'Europe."
Mais qu'est-ce qu'il peut faire, c'est la mondialisation ?!
- "Alors c'est fini, on baisse les bras, on laisse tomber, il n'y a plus de gouvernement, il ne sert plus à rien."
Si, si...
- "Non, il ne sert plus à rien s'ils ne sont pas capables d'être le contrepoids aux règles du marché. Quand on est patron d'une entreprise et qu'on représente les intérêts des actionnaires, on essaye de rationaliser en permanence pour essayer, effectivement, de gagner plus d'argent, c'est quand même ça l'élément dynamique."
Et vous trouvez qu'il manque de mesures d'accompagnement, il n'y a pas de mesures d'accompagnement ?
- "Ce n'est pas simplement des mesures d'accompagnement. Je pense qu'il n'y a pas de politique industrielle. Je pense que dans ce pays, il devrait y avoir une politique industrielle. Il n'est possible - maintenant ce n'est plus l'empire la France - de dire que nous allons exister partout, mais il est possible de faire des choix, des créneaux dans lesquels nous allons dire, la France va rester industriellement compétente et forte dans ce secteur d'activité. Et je crois qu'il faut se mettre d'accord au niveau européen pour que la France fasse ceci, l'Italie ceci, l'Allemagne ceci, etc., etc. C'est comme ça que l'Europe signifiera quelque chose. Si l'Europe est une Europe de concurrence, les uns par rapport aux autres, alors c'est tout simple, on va essayer de faire du dumping social pour essayer de récupérer le boulot à la place du voisin. Ce n'est pas ça le rôle. Le rôle c'est au contraire essayer de coordonner et savoir prendre des distances avec les Etats-Unis, c'est le contrepoids nécessaire. Nous allons être réunis le 18 mars et en principe, on va discuter de ce genre de problèmes, et on va voir comment le Gouvernement va pouvoir"
Vous reviendrez.
- "Je reviendrai ?"
Vous reviendrez.
- "Avec l'autorisation de M. Leymergie ?"
Bien entendu...
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 mars 2003)