Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à "Eleftherotypia" du 4 octobre 2002, sur la question du remplacement des forces de l'OTAN par celle de l'Union européenne en Macédoine, la future présidence de l'Union par la Grèce, l'hypothèse d'une intervention militaire unilatérale contre l'Irak et l'action de la France pour la construction de l'Europe de la défense.

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Média : Eleftherotypia - Presse étrangère

Texte intégral

Q - La Grèce exerce actuellement la présidence pour les questions de défense et de sécurité en Europe. Qu'est-ce que vous attendez de la présidence européenne dans ce secteur ?
R - La Grèce assurera la présidence européenne en matière de défense jusqu'au mois de juin prochain. Cette perspective offre au gouvernement grec une période et un champ d'initiatives très importants. Je suis certaine qu'elles seront propices à l'édification de l'Europe de la défense. Nous attendons donc de la part de notre homologue une grande capacité d'initiatives afin de nous aider à surmonter les difficultés actuelles et nous l'aiderons en ce sens.
Q - Qu'en est-il à l'heure actuelle des relations bilatérales entre la France et la Grèce ? Y a-t-il des domaines spécifiques de coopération, tel l'achat d'armements, une coopération militaire, des échanges sur le plan des équipements technologiques ?
R - Les secteurs que vous venez d'évoquer sont en effet ceux dans lesquels la coopération bilatérale pourrait se développer. J'ajouterai un autre chapitre, celui de notre action commune dans les Balkans. Les élections qui ont eu lieu en Macédoine et celles qui se tiendront prochainement au Kosovo devraient nous aider à rapprocher un petit peu plus les Balkans de l'Europe. Le programme d'action arrêté par l'Union européenne vise cet objectif substantiel pour tous, la consolidation de la démocratie dans la région des Balkans. Nous sommes convaincus que grâce à la démocratie, les libertés, la croissance économique et d'une manière plus générale la paix, pourront progresser.
Q - Quel est votre point de vue concernant la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne ainsi que le problème actuellement posé - entre la Grèce et la Turquie - au sujet du remplacement des forces de l'OTAN en ARYM ?
R - Cette question est l'une des plus urgentes que nous devons résoudre. Il faut réfléchir aux moyens grâce auxquels ce différend entre la Grèce et la Turquie pourra être surmonté afin de pouvoir procéder à l'édification de l'Europe de la défense, qui nous tient tous à cur. Je note par ailleurs, que les textes définissant les relations entre l'Union européenne et l'OTAN ont déjà été approuvés par les organes compétents de l'Union européenne. Il faudra maintenant qu'ils soient également approuvés par l'OTAN. En Macédoine, cette difficulté pèse sur la réalisation des décisions prises par les Quinze, à savoir la proposition qu'une force de l'Union européenne succède à la mission de l'OTAN "Amber fox", mission qui a beaucoup contribué à garantir les conditions de sécurité qui ont permis le déroulement des récentes élections. Ce qui est paradoxal est le fait que l'ossature de la force de l'OTAN a été mise en place depuis sa création, en août 2001, grâce aux contributions de pays européens, ce qui montre que nous sommes parfaitement en mesure de garantir la continuation de la mission, si nous le souhaitons.
Q - La Grèce exercera la présidence de l'Union européenne le premier semestre de 2003. Qu'attendez-vous de cette présidence ? Quelles devraient être ses priorités ?
R - Je vous ai indiqué que nous avons devant nous un travail énorme à accomplir afin d'accorder à l'Europe de la défense la crédibilité dont elle a besoin et afin d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Je suis certaine que la présidence grecque pourra nous aider à progresser dans ce sens. Nous constatons donc tous la nécessité accrue de sécurité tant pour nos citoyens que pour les nations. Nous serions coupables si nous ne réunissions pas toutes les forces existantes afin de progresser dans ces secteurs sur le plan européen. La crédibilité de l'édification européenne, qui accueillera très vite de nouveaux membres, nous impose d'enregistrer des progrès déterminants dans les secteurs de la sécurité et de la défense. L'année 2003 devra être un nouveau pas dans ce sens.
Q - Quelle est la position de la France, en cas d'intervention américaine en Iraq ? La France participerait-elle à une opération sans résolution de l'ONU ? D'une manière plus générale, que pensez-vous de l'attitude américaine, qui tend à imposer les points de vue américains en cas de crise ?
R - Toute action contre l'Iraq doit puiser sa légitimité dans les résolutions des Nations Unies. Une intervention unilatérale remettrait en cause la crédibilité même de cet organisme et si elle était décidée, elle devrait nous amener à réfléchir aux débordements éventuels du concept des frappes préventives. Nous sommes déterminés à tout faire pour que les inspecteurs des Nations unies puissent reprendre les contrôles interrompus, on doit le rappeler, de manière unilatérale par l'Iraq en 1998, et ce en violation des décisions de la communauté internationale. Pour notre part, nous ne négligeons aucune éventualité, mais une fois de plus, notre priorité est le retour rapide des inspecteurs. Nous devons prendre l'Iraq au mot !
Q - A la suite d'une décision récente du gouvernement, la France augmentera ses dépenses militaires. Quelles en sont les raisons, au moment où d'autres pays réduisent leur armement ?
R - Nous augmentons nos dépenses militaires car il est nécessaire de garantir la sécurité de notre peuple et nos intérêts face aux nouvelles menaces, c'est une nécessité afin de rendre l'Europe de la défense crédible. Nous avons accusé un retard dans des secteurs importants, l'Europe doit combler ses lacunes. Notre effort pour une défense renforcée répond par conséquent tant à nos besoins propres en matière de défense qu'à ceux de l'Europe. Nous pensons par ailleurs qu'il faudra déployer des efforts accrus pour atteindre nos objectifs dans le domaine de la défense, à moins de suspendre nos projets, y compris les projets européens.
Q - Comment perçoit la France son rôle stratégique au sein de l'Union européenne, par rapport à l'Allemagne et à l'Union européenne ?
R - La France souhaite contribuer par tous les moyens dont elle dispose au renforcement de l'Europe de la défense, et au développement du rôle des Européens dans le cadre de l'Alliance. Tout cela ne peut se faire que dans le cadre d'une relation de défense que nous approfondirons avec tous les partenaires, notamment avec l'Allemagne, car il est vrai que dans de nombreux secteurs, l'Europe a pu progresser lorsque la France et l'Allemagne entretenaient une relation harmonieuse. Mais ceci vaut également pour nos partenaires britanniques, italiens et espagnols. Aujourd'hui, l'Europe de la défense est une affaire de l'ensemble de l'Union européenne et non seulement de certains Etats. La dynamique profonde de l'Europe doit s'appuyer aujourd'hui sur une vision commune, celle du rôle que l'Europe sera appelée à jouer sur la scène internationale afin de protéger ses intérêts et de contribuer grâce à ses capacités militaires au maintien et, si nécessaire, au rétablissement de la paix. Rien ne nous permet de penser que ces objectifs ne sont plus essentiels. Afin que l'Europe soit un continent de paix, l'Histoire nous enseigne que nous devons le vouloir. Ceci ne se fera pas sans nos efforts propres
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2002)