Texte intégral
A. Hausser -. Cette nuit, G. Bush a annoncé qu'il mettrait la deuxième résolution sur l'Irak aux voix, c'est-à-dire qu'il la soumettra à l'ONU. Est-ce que vous vous attendez à un veto français ?
- "Je ne sais pas s'il y aura un veto de la part de la France ou d'autres pays. Je crois que, de toute façon, cela ne changera rien, et tout le monde le sait, à la détermination de G. Bush et du gouvernement américain de mener la guerre contre l'Irak. D'ailleurs, je crois qu'il y a une certaine hypocrisie de la part des puissances comme la France ou comme d'autres, qui prétendent s'opposer à la guerre mais qui, en réalité, sont d'accord sur les buts de la guerre que veut mener G. Bush."
Qu'est-ce qui vous fait dire cela ? Parce qu'il y a quand même des positions très tranchées en ce moment.
- "On entend très bien, y compris J. Chirac, dire, par exemple, que la pression militaire sur l'Irak c'est cela qui fait que, S. Hussein obtempère et désarme. Mais il y a une énorme hypocrisie depuis le début dans cette affaire. On nous a d'abord dit : il faut absolument détruire les armes de destruction massive que possède l'Irak ; les inspecteurs n'ont pas trouvé ces armes ou finalement très très peu ; après on a dit : oui, mais il faut quand même qu'ils désarment les quelques armes qui restent, sans doute, qui avaient été données, d'ailleurs, par la France, les USA et l'Angleterre lors de la guerre contre l'Iran... Et puis maintenant, le but avoué c'est le renversement de S. Hussein. C'est-à-dire qu'à chaque fois, on met un autre objectif et finalement, je n'entends pas J. Chirac protester contre les bombardements qui ont lieu sur l'Irak depuis la guerre du Golfe ; protester contre l'embargo qui fait que la population irakienne..."
C'est quand même la France qui est intervenue pour que cet embargo soit adouci par l'ONU.
-"Oui, adouci, mais lever l'embargo, faire cesser les bombardements qui existent, on n'entend pas cela. Je crois que, fondamentalement, le Gouvernement français est d'accord avec les buts de guerre de G. Bush. Et qu'il y a là tout un jeu diplomatique, peut-être pour se faire bien voir d'un certain nombre de pays arabes, de gouvernements de pays arabes, en espérant des retombées économiques pour l'avenir. Mais je ne crois pas du tout à la sincérité. Et je pense que, de toute façon, on le verra quand la guerre sera déclenchée."
Vous dites qu'il faut s'opposer à l'agression impérialiste contre l'Irak, mais pas derrière Chirac, c'est ce que voulez dire ?
- "Tout à fait. Je crois que cette guerre est une ignominie, qu'il faut la combattre et que l'opinion publique devra se manifester. Je crois que, dès le premier jour des bombardements, il faudra que les travailleurs, les jeunes, dans toutes les villes, partout, descendent dans la rue pour dire qu'au moins, cette guerre ne se fait pas en notre nom."
A ce niveau-là, vous n'êtes pas déçue, il y a déjà eu de grandes manifestations contre la guerre.
- "Oui, mais je crois qu'en France, le fait que, justement, il y ait une espèce d'ambiguïté du jeu diplomatique français, fait que les manifestations sont beaucoup moins suivies que dans d'autres capitales - comme à Londres - où le gouvernement se prononce pour la guerre."
C'est peut-être parce que les Français ne partagent pas le même point de vue que vous...
- "Sans doute, mais je suis là aussi pour dire ce que je pense. Et je pense qu'ils seront éclairés lorsque la guerre aura démarré."
Vous pensez qu'à ce moment-là, l'attitude du Gouvernement français va changer ?
- "Je pense qu'il y a des chances, oui. Et je ne crois pas qu'il se désolidarisera de la guerre qui sera menée ensuite."
Vous voulez dire qu'à terme, on pourra intervenir ?
- "Je ne sais pas, je ne connais pas les intentions. Mais je remarque simplement dans les déclarations, aujourd'hui, que finalement, tout en disant qu'il faut gagner du temps, il n'y a pas une remise en cause fondamentale des buts de guerre que G. Bush met en avant."
Si les Américains mettaient la main sur Ben Laden, quelle serait votre réaction ? Hier, une rumeur a couru en disant qu'il serait peut-être aux mains des Américains et cela a été démenti dans la journée. Cela veut dire qu'ils le cernent peut-être...
- "S'ils avaient le vrai responsable, en tout cas, présumé, des attentats du 11 septembre, peut-être que cela calmerait leurs ardeurs guerrières contre l'Irak. Mais au point où l'on en est, je ne crois pas."
Vous êtes également "partie en guerre" - entre guillemets - contre les plans sociaux, vous tenez une série de meetings en France, vous manifestez beaucoup. Que peut-on faire contre un patron qui décide de fermer son usine ?
- "On peut lui interdire de le faire. On a beaucoup parlé, et le Gouvernement en particulier, des "patrons voyous", par exemple, les patrons de Metaleurop, qui recourent à des paradis fiscaux, qui ont une comptabilité pas très claire. Mais, par exemple, je n'ai pas entendu de mise en cause pour Matra, du groupe Lagardère, qui est un grand groupe français, à qui l'on pourrait imposer, peut-être, de ne pas fermer cette usine de Romorantin. Parce que quand même, pendant des années, les travailleurs de cette usine ont rapporté des profits et à Matra et à Renault, avec l'Espace. Ce n'est pas parce que l'Avantime n'a pas marché que ces travailleurs n'ont pas rapporté des profits pendant des années. Je suis très très choquée qu'on laisse faire et qu'on laisse fermer cette usine."
Mais on ne peut pas fabriquer des véhicules qui ne se vendent pas.
- "Certes, mais il y en a qui se vendent et l'on peut répartir le travail, on peut diminuer le temps de travail, on peut faire beaucoup de choses pour que les travailleurs puissent conserver leur emploi."
Le fait que L. Schweitzer propose aux salariés de Romorantin de rentrer chez Renault, cela ne vous paraît pas être une bonne solution ?
- "On verra, parce que ce n'est pas si simple pour des gens qui habitent une région, qui ont acheté une maison, qui doivent complètement changer leur vie, au mépris, d'ailleurs, de leur conjoint qui ne pourra pas forcément suivre, etc. On l'a vu, à chaque fois que l'on fait des promesses... Les travailleurs de Cellatex, cela fait bientôt plus de deux ans maintenant que l'usine a fermé, je crois que 60 % d'entre eux n'ont pas retrouvé de travail. Les travailleurs sont échaudés par toutes ces promesses qu'on leur fait lors de la fermeture des entreprises."
Vous vous êtes élevée contre les nouveaux charters. Hier soir, le ministre de l'Intérieur, N. Sarkozy, a proposé qu'on mette des médecins dans les zones de transit pour éviter les brutalités. Est-ce que cela vous paraît une bonne solution ?
- "Oui, à condition qu'il tienne compte de ce que disent les médecins. Parce que là, il y a eu deux rapports qui ont été publiés faisant état de certificats médicaux montrant que des immigrés ont reçu des coups, avaient des blessures, etc. Et j'ai entendu N. Sarkozy dire que ce n'était pas vrai. Les rapports de ces deux ONG, il ne veut pas en tenir compte. Je trouve cela scandaleux ! Et je vais vous dire : si monsieur Sarkozy régularisait les sans-papiers, j'ai, dans la Seine-Saint-Denis, sept immigrés algériens qui sont depuis 9 et 12 ans, entre 9 et 12 ans en France, qui n'ont toujours pas leurs papiers, qui en sont réduits à faire aujourd'hui la grève de la faim ! Alors que l'on commence par régulariser ceux qui sont ici."
La Journée de la femme pour vous, c'est une journée alibi ou c'est une vraie journée de lutte ?
- "Je pense que ce n'est plus la journée de lutte qu'on a connue au début du XXème siècle. Mais ce n'est pas seulement des bouquets de fleurs ou une rose que l'on va offrir aux femmes. Je crois qu'il faut manifester. Les femmes qui, dans les banlieues, ont lancé la Marche des femmes pour l'égalité, doivent être plus soutenues qu'elles l'on été par la population pendant toute cette marche qu'elles ont menée. J'espère qu'il y aura beaucoup de monde, samedi, à 14 heures, place de la République. Parce qu'il y a ce problème, mais globalement, on peut dire que l'inégalité entre les hommes et les femmes existe toujours. C'est vrai que la guerre d'Irak nous mobilise aujourd'hui, mais il y a une guerre sociale qui est menée dans le monde entier contre les femmes. En France, au moins, on peut manifester contre et se défendre, y compris manifester pour les femmes d'autres pays qui n'ont pas la possibilité de le faire. C'est donc important qu'il y ait du monde à cette manifestation."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 mars 2003)