Conférence de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la renégociation des accords de Lomé notamment la coopération conditionnée au principe de "bonne gouvernance", la question de la restitution des biens culturels, la coopération économique, commerciale et financière, Bruxelles le 7 décembre 1999.

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Texte intégral

A l'heure où nous nous rencontrons, nous avons encore des incertitudes sur un certain nombre de points. Mais, conformément aux habitudes que nous avons prises, j'ai souhaité vous rencontrer avant de repartir.
J'ai une observation préalable à faire. Dès lors que ces négociations intervenaient après Seattle et compte tenu de ce qui c'était passé à Seattle, elles prenaient nécessairement une signification particulière. C'est le test de la capacité qu'ont les pays du Nord à dialoguer de manière féconde avec les pays du Sud. Et la question est de savoir si l'Europe va faire la preuve, au terme de cette longue discussion, qu'elle est capable d'exprimer sa solidarité aux pays ACP et de les aider dans leur développement et dans l'approfondissement de leur démocratie.
L'espoir de la France est que Bruxelles soit le contrepoids de Seattle.
Nous voulons croire aussi que les pays en développement ont la même ambition. S'ils ont reproché à la procédure OMC de ne pas les avoir impliqués suffisamment, ce qui portait sans doute, par avance, les causes de l'échec, il est clair que la "procédure Lomé ", pour l'appeler ainsi, fait la place à la concertation. Ces deux journées en témoignent comme en témoigneront probablement les dernières réunions qu'il faudra sans doute tenir pour boucler cette négociation.
Je vous disais que nous étions encore dans l'incertitude, mais il m'étonnerait beaucoup que, ce soir, tout soit bouclé. Néanmoins, il y a eu des progrès sensibles et la France s'en réjouit. Je voudrais cibler, en particulier, quelques éléments du dossier qui me paraissent significatifs.
Sur le dialogue politique, on peut espérer un accord sur deux points qui nous paraissaient essentiels, qui tournaient autour de la bonne gouvernance et de la corruption. Nous avons fait un effort pour répondre aux réserves exprimées par les pays ACP quant à la définition de la bonne gouvernance, un exercice, il faut en convenir, assez difficile. Nous avons accepté que la bonne gouvernance soit un élément fondamental et non pas un élément essentiel. Vous êtes trop spécialistes de ces questions pour que j'aie besoin d'y insister. Rappelons simplement que le manquement aux éléments essentiels, c'est la suspension quasi automatique de la coopération et qu'il n'en va pas de même pour l'élément dit fondamental. Mais, l'accord vers lequel nous allons cible très clairement la corruption grave comme pouvant être une cause de suspension de la coopération. Et puisqu'aussi bien, à Dakar en particulier, j'ai ciblé la lutte contre la corruption, tout en rappelant qu'il y a les corrompus et les corrupteurs, il faut s'en préoccuper aussi et je me félicite de ce que je considère comme une avancée. De plus, quand nous parlons de corruption, ce n'est pas seulement dans l'exercice des actions de coopération entre l'Europe et les ACP. C'est de la corruption considérée au sens large, général du terme qu'il s'agit.
S'agissant des adhésions, l'idée qui prédomine est le maintien de la cohésion des ACP et il ne faut pas s'attendre à beaucoup de changements en ce qui concerne la liste des pays ACP. Ceci rejoint assez étroitement le point de vue qui était celui de la France.
Sur l'immigration, les progrès sont plus lents. Il est vrai que les sujets sont difficiles. Il faudra sans doute poursuivre la discussion pour arriver à un accord que, bien entendu, nous souhaitons. Cette question est rendue probablement plus délicate à cause du problème des réfugiés, des réfugiés nombreux, notamment sur le continent africain.
Il y a le volet politique, mais il y a aussi le volet institutionnel. Si la France est favorable à une certaine souplesse en ce qui concerne la durée de la Convention (M. Moore, à Genève, est prêt de son côté), elle considère néanmoins que la période de 30 ans proposée par les ACP est excessive. J'espère, et j'ai la conviction que nous y arriverons, une solution médiane et raisonnable en ce qui concerne la durée de la convention.
Sur le volet " stratégies de développement ", c'est le groupe que j'avais l'honneur de co-présider avec mon collègue camerounais, nous avons conclu sur un accord sans trop de difficultés. Il y a eu une petite difficulté en ce qui concerne l'implication des organisations non gouvernementales ou non étatiques. Un problème de sémantique. Fallait-il parler des acteurs de la coopération ou des acteurs du partenariat. Acteurs de la coopération signifiait que l'on en faisait seulement des acteurs dans la mise en oeuvre, acteurs du partenariat, cela veut dire qu'on les implique un peu plus en amont. C'est cette dernière appellation qui a été retenue et j'en suis très content. C'est un point d'accord très positif.
Pour le reste, nous allons demander aux rédacteurs, mais il n'y a aucune difficulté politique, de donner peut-être un peu plus de cohérence à la rédaction, de faire mieux apparaître l'objectif de lutte contre la pauvreté et de mettre en évidence l'équilibre entre le social et l'économique, ce qui est à nos yeux un point très important.
Il y avait la question de la restitution des biens culturels. Nous sommes forcés de reconnaître que nous n'avons pas su trouver un accord, mais nous avons progressé, car il y aura très probablement une déclaration conjointe qui ne fera pas référence à la restitution, pas même au retour qui est une expression qui n'a pas la même connotation et qui n'a pas été retenue, mais nous avons fait le choix d'une déclaration commune dans laquelle nous disons notre volonté de promouvoir la préservation et la mise en valeur du patrimoine culturel et le besoin de formation des personnels dont les pays ACP ont besoin pour identifier, préserver, exposer ces biens culturels. Nous avons aussi dit le besoin de laisser libre accès aux chercheurs des pays ACP dans nos archives pour, là aussi, identifier ces liens culturels et nous avons préconisé la mobilité des artistes, mais aussi l'échange des objets culturels afin d'atteindre une meilleure compréhension mutuelle de nos cultures. Je suis heureux qu'on ait pu, au travers de cette déclaration, donner aux dimensions culturelles du partenariat une place plus importante. Il restera cette question non réglée de la restitution, mais on sait les difficultés qu'elle pose à un certain nombre de pays. La France était prête à faire un effort en ce qui concerne le dialogue autour des moyens de ce type de facilité de retour, mais, je le répète, il n'y a pas eu accord. Il y aura cette déclaration commune et il n'est pas impossible que les pays ACP se réservent la possibilité, comme ils l'ont fait la dernière fois, d'une déclaration unilatérale sur la seule question de la restitution.
S'agissant de la coopération économique et commerciale, là encore, la journée aura été positive. La participation des ACP aux affaires a été confirmée et, sur la base d'une consultation aux différentes étapes de l'intégration, c'était ce que nous souhaitions. La question de l'amélioration de l'accès au marché entre 2000 et 2008 reste encore, actuellement, en discussion. Nous verrons les progrès qui pourront être réalisés dans ce domaine.
En ce qui concerne Stabex et Sysmin, la négociation est en cours. J'ai cru comprendre que les ACP appréciaient la manière dont la Commission avait présenté le dossier.
Sur le protocole "produits", là encore la négociation est en cours. Sur la stratégie commerciale, sur la réaffirmation très forte de la primauté de l'intégration économique régionale, sur la décision d'une consultation et de conversations entre ACP et Union européenne aux différentes étapes de l'intégration, nous sommes satisfaits des résultats obtenus.
Enfin, la coopération financière : le FED était évidemment au coeur de la discussion. Vous savez l'importance que la France y accorde et la France a accepté de continuer à faire l'effort exceptionnel en maintenant sa clé de répartition. C'est un signe fort que la France adresse au lendemain de Seattle car nous étions assez désireux de voir cette clé de répartition équilibrée. Mais nous ne voulons pas en faire un élément de blocage. En revanche, nous souhaitons que la réflexion soit engagée sur les avantages et inconvénients de la budgétisation. Et si les propositions que la France a faites aujourd'hui ont été appréciées par nos collègues dans leur ensemble, et non des moindres, tous n'ont pas encore donné leur accord à cette question de la référence à la budgétisation.
Nous sommes également désireux d'introduire une date butoir dans l'utilisation des crédits non consommés du Fonds. C'est une condition que nous posons à notre accord sur notre participation.
Je rappelle enfin que nous considérons comme essentiel d'indiquer aux ACP le montant, le volume du FED et, à cet égard, les 13,8 milliards d'euros affichés nous paraissent satisfaisants. L'accord devrait intervenir sans trop de difficultés sur ce point.
Q - Après Seattle on s'attend peut-être à des changements dans la position sur le commerce ou dans d'autres domaines ?
R - Ce qui modifie la perspective c'est que nous avons une plus grande obligation de résultats. Et je crois que c'est un sentiment partagé.
Q - A-t-on des éléments pour demander une dérogation à l'OMC pour le maintien pendant 8 ans des préférences commerciales ?
R - Attendons d'avoir bouclé. L'OMC, malgré l'échec de Seattle, continue d'exister comme une institution au sein de laquelle il va falloir dialoguer pour mettre en oeuvre ce nouvel accord qui constitue bien une dérogation aux règles du commerce international. C'est désormais pour la prochaine année.
Q - Sur la restitution des oeuvres d'art, est-ce que la France est prête à faire un effort en guise d'exemple ?
R - Les discussions sont en cours avec quelques pays. Ce n'est pas sur le thème de la restitution, mais sur celui de l'échange ou du prêt qu'il faudrait poser le problème. Vous n'êtes pas sans savoir que le musée des Arts premiers, cher au président de la République, est en cours de création et une préfiguration de ce qu'il sera perceptible au mois d'avril au Musée du Louvre par une sélection d'objets très significatifs des cultures premières.
Q - On a bien restitué des oeuvres..
R - Oui il y a eu des oeuvres restituées, d'autres qui ne l'ont pas été alors qu'on l'espérait, mais je ne rentrerai pas dans le détail. Nous étions prêts à poursuivre le dialogue dans ce domaine. J'ai le regret de constater que cela n'a pas été possible. Cela n'empêche pas qu'en bilatéral la France, continue le dialogue sur ces questions avec certains pays.
Q - Et si vous n'arrivez pas à boucler les négociations ce soir, pourra-t-on dire que les négociations auront échoué ?
R - Non. Il y a quelques mois, nous pensions qu'elles étaient en train d'échouer. Depuis, les choses ont beaucoup progressé. Si Seattle a donné une coloration particulière à la négociation, incontestablement on peut considérer qu'entre hier et aujourd'hui nous nous sommes rapprochés très sensiblement d'un accord global, qui devrait intervenir dans quelques semaines.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 1999)