Déclarations de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur les relations entre la France et la Grande-Bretagne, la construction européenne, l'Europe sociale et la politique étrangère commune, Londres le 23 juillet 1998 et Trimdon le 24 juillet 1998.

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Circonstance : Voyage de M. Lionel Jospin en Grande-Bretagne du 23 au 24 juillet 1998

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Comme français, comme socialiste, comme chef d'un gouvernement ami, c'est pour moi un grand honneur et un réel plaisir que de répondre à l'invitation du secrétaire d'Etat, Robin Cook, et d'inaugurer, à vos côtés, le Centre de politique étrangère du Labour party. J'y vois une marque d'amitié à laquelle je suis très sensible. C'est pour moi l'occasion de vous livrer quelques réflexions sur la relation franco-britannique, sur la politique conduite par mon gouvernement et sur notre façon d'aborder l'Europe.
Neuf siècles durant, la Grande-Bretagne et la France ont consacré une énergie considérable à bâtir un bien étrange paradoxe : celui d'une relation fondée sur la rivalité la plus ancienne, mais aussi sur l'admiration réciproque la plus vive -même si celle-ci fut souvent dissimulée...
De Hastings à Fachoda, nos peuples se sont en effet beaucoup affrontés. On dit d'ailleurs - et c'est sans doute un honneur un peu particulier pour mon pays - que vos faits d'armes les plus fameux sont ceux remportés contre la France... Il est vrai qu'avec Guillaume le Conquérant, nous fûmes les seuls - certes après Jules César -, à rompre votre insularité. Nous avons été longtemps votre ennemi le plus cher : cela compte, dans l'histoire de deux nations.
A ces habitudes belliqueuses s'est ajouté le contraste de nos évolutions politiques respectives. Vos institutions sont le fruit d'une évolution progressive, mesurée et patiente. Les nôtres sont nées d'une succession de secousses, de ruptures, de soulèvements passionnés. Dès 1790, Edmund Burke, dans ses Reflections on the Revolution in France, s'est fait l'adversaire farouche du bouleversement politique en cours. Mais c'est vers les rivages de la monarchie et du libéralisme politique britanniques que nos plus grands républicains, de Victor Hugo à Emile Zola en passant par Louis Blanc, se sont naturellement tournés lorsque, pourchassés, ils durent prendre le chemin de l'exil.
Avec le XXème siècle, qui pose en des termes nouveaux les rapports des grandes puissances, s'ouvre une ère nouvelle, celle de l'amitié franco-britannique. Cette Entente Cordiale ne s'est jamais démentie. Aux mésententes ont succédé les fraternités d'armes. Le sang britannique et le sang français se sont mêlés dans les terres de la Marne, dans les sables de Tobrouk, dans les rues de nos villes libérées.
Il n'existe pas deux nations qui aient su, avec autant de talent et de persévérance, se considérer avec une aussi exigeante rigueur. L'une affecte de détester chez l'autre le défaut qu'elle cultive elle-même avec application. Nous sommes orgueilleux ? Vous l'êtes aussi. Vous êtes assurés de votre haute valeur ? Nous le sommes également. Nous sommes convaincus de notre " génie national " ? Vous n'êtes pas en reste.
Et il est vrai que l'Angleterre et la France sont deux vieilles et grandes nations. Du XVIIème au XIXème siècle, nos pays ont surplombé l'Europe et le monde, forts de grands empires coloniaux. Chacune à sa manière, en invoquant des motifs différents, nos deux nations se sont projetées en tout point du globe. Privées de leur tentation dominatrice, la Grande-Bretagne et la France conservent en cette fin de siècle une responsabilité particulière sur la scène internationale.
Ce qui me frappe, dans l'histoire de nos deux pays, c'est leur capacité à surmonter l'adversité. Nos deux nations ont su montrer un sens étonnant du défi, du redressement, de l'ambition collective - illustrant ainsi la thèse de votre grand historien, Arnold Toynbee. C'est ce génie que Winston Churchill et Charles de Gaulle, en juin 1940, souhaitaient faire vivre lorsqu'ils projetaient la fusion de la Grande-Bretagne et de la France pour faire face à l'ennemi.
A l'aube du troisième millénaire, dans la perspective européenne qui est la nôtre, vos victoires ne sont plus nos défaites et il arrive même que nos victoires, y compris la plus récente, soient aussi un peu les vôtres... Je veux citer quelques noms des artisans de celle-ci : Emmanuel Petit, Franck Leboeuf, Patrick Vieira, Bernard Lama. En apportant à la France sa première Coupe du Monde de football, ces joueurs de votre Premier League sont devenus des héros nationaux chez nous et, j'espère, des motifs de fierté pour vous.
La Grande-Bretagne et la France élaborent aujourd'hui un modèle unique de relation - un échange constant, passionnant, toujours renouvelé, que dominent les points de convergence. Le tunnel sous la Manche en est un nouveau symbole. Des dizaines de milliers de Français vivent et travaillent au Royaume-Uni. Les Britanniques ne sont pas en reste. Pour vos vacances, vous plébiscitez nos terroirs, y compris d'ailleurs, à Saint-Martin d'Oyde, près de ma circonscription.
Nos deux peuples n'ont jamais cessé de s'emprunter idées, institutions, techniques, oeuvres d'art, tout en restant eux-mêmes, à tel point que chacun représente pour l'autre la figure la plus familière de l'étranger.
Depuis une année, un élément significatif rapproche encore nos deux pays. La Grande-Bretagne et la France connaissent un temps nouveau, celui de la réforme, portée par deux gouvernements de gauche.
Le 24 mars dernier, Tony Blair est venu présenter à Paris les grandes lignes de sa politique. Je voudrais à mon tour vous exposer le sens de l'action conduite par mon gouvernement depuis le mois de juin 1997.
Nous voulons faire entrer la France dans la modernité, mais une modernité maîtrisée, construite sur la recherche d'un équilibre entre efficacité économique et justice sociale.
Fidèle à mes convictions, m'inscrivant dans la trajectoire du socialisme français, je poursuis, dans un monde différent de celui d'hier, son idéal de transformation sociale, son objectif de justice, la même ambition de maîtrise collective de notre destinée. Nous avons accepté l'économie de marché, mais nous n'avons pas oublié que l'économie perd sa raison d'être lorsqu'elle cesse de servir l'homme pour ne profiter qu'à quelques-uns. Nous disons : oui à l'économie de marché, non à la société de marché.
Les moyens de progresser vers cet avenir sont différents de ceux d'hier. Ils sont ceux de la société, de l'économie, du monde d'aujourd'hui. Le monde a changé, il nous a changé, mais nous n'avons pas perdu l'ambition de le changer.
Pour transformer la société, notre ambition doit s'inscrire dans la réalité. La mondialisation de l'activité économique et la révolution des technologies de l'information créent de nouvelles sources de richesse, plus nombreuses encore que celles qu'elles tarissent. Une société n'a d'avenir que si son économie sait capter ces nouvelles sources, si elle comprend et maîtrise les mécanismes qui les font surgir. Voilà un objectif exigeant qui requiert des infrastructures toujours meilleures, des qualifications toujours plus fines, un environnement social plus souple, une disposition intellectuelle plus curieuse, plus réactive. En un mot : une intelligence de l'adaptation.
Pour conduire cette transformation, mon gouvernement s'appuie sur trois principes : volontarisme, réformisme, réalisme.
La France s'est bâtie et s'est maintenue aux premiers rangs mondiaux grâce à un concours de volontés - au premier chef celle de la puissance publique, mais pas seulement. Tony Blair le disait avec raison : " Ce qui compte, c'est ce qui marche ". Le volontarisme, en France, ça marche. Je suis même convaincu que les Etats-nations sont aujourd'hui tenus à plus de volontarisme. Je ne pense pas que la mondialisation porte en elle, comme une fatalité, la dissolution des Etats, l'anéantissement du politique, même si elle en nourrit le risque.
Se contenter de suivre le cours des choses, subir des lois prétendument naturelles, se résigner à l'uniformisation : c'est ce que refuse mon pays. Nous voulons maîtriser les forces qui structurent l'économie d'aujourd'hui afin de les mettre au service du projet que nous nous sommes donnés. C'est pourquoi mon gouvernement encourage la recherche et l'utilisation des nouvelles technologies, accentue l'effort de la nation en matière d'éducation, poursuit l'équipement du territoire français, veille à ce que les entreprises y jouissent de l'environnement le plus favorable à la création de richesses.
Le réformisme est la traduction naturelle de ce volontarisme. Mon gouvernement conduit un changement réfléchi, mesuré, mais profond et continu. Ce changement embrasse tous les champs - l'économique, le social, le politique. Aujourd'hui, la croissance est de retour en France. Mais on ne peut attendre de la croissance économique qu'elle engendre mécaniquement des progrès sociaux. On ne saurait non plus veiller au bien-être de la population, notamment à celui de ses franges les plus démunies, sans favoriser l'activité économique qui, seule, leur apportera des moyens de vivre conformes à leurs aspirations. C'est pourquoi je refuse une société d'assistance. C'est pourquoi je veux une société du travail.
J'agis sans parti pris idéologique, mais en portant des valeurs. Avec pragmatisme, mais sans tiédeur. Avec détermination, mais avec souplesse. Nous devons préserver les repères, les références dont les Français ont besoin, en protégeant les fruits des combats passés auxquels ils sont légitimement attachés, mais sans éluder les réformes nécessaires.
Ce réformisme est servi par une nouvelle façon de gouverner qui recueille, je crois, l'adhésion de mes compatriotes. Notre tradition politique et notre mode de scrutin font que le paysage politique français compte un grand nombre de formations. Votre gouvernement s'appuie sur un parti, le vôtre, majoritaire à lui seul, tandis que le mien repose sur une majorité plurielle qui en réunit cinq. Cette situation nourrit un certain style de gouvernement : plus collectif, plus collégial, plus pédagogique que ce n'était l'habitude en France. L'écoute, la concertation puis la décision, conformément aux engagements pris et à l'intérêt général, forment désormais un triptyque familier pour mes concitoyens.
Cette démarche volontariste et réformiste n'a de sens que si elle reste réaliste. Entendons-nous bien. Etre réaliste, c'est définir la voie la mieux adaptée à son pays - c'est-à-dire une voie qui tienne compte de sa réalité économique mais aussi de sa situation sociale, de sa tradition politique, de ses traits culturels. Etre réaliste, ce n'est pas se contenter de l'air du temps, ni se référer à un modèle unique emprunté à la vieille idéologie libérale. Ce qui existe, ce qui modèle le réel depuis deux siècles, ce n'est pas le libéralisme, que l'on ne rencontre que dans les manuels d'économie, mais le capitalisme. Moteur des marchés, souple, innovant, le capitalisme crée, dans le même temps, des richesses et des inégalités sans précédent. Telle est la réalité. Parce que je veux maîtriser cette réalité, la transformer, la rendre plus juste, je reste socialiste.
Volontarisme, réformisme, réalisme : voilà ce qui guide l'action de mon gouvernement. Voilà ce qui inspire aussi mon ambition pour l'Europe.
Conçue pour assurer au continent européen la paix, la stabilité politique et la prospérité économique, la formation d'un espace uni a permis aux économies de nos pays de se moderniser et d'améliorer leur position dans la concurrence mondiale. Mais ce qui pousse les Européens à s'unir, ce n'est pas la seule nécessité d'être plus forts au plan économique.
Ce qui guide aussi leur volonté, c'est le sentiment d'appartenir à une communauté de destin. Cette communauté repose sur des valeurs : la démocratie représentative, la solidarité sociale, l'esprit d'entreprise. Elle tire sa force et son originalité d'une identité forgée par l'Histoire. L'Europe est cet espace où, siècle après siècle, se sont sédimentés les efforts des hommes dans leur recherche des richesses, du savoir, de la beauté, de la grandeur. Il y eut l'Europe des marchands, qui s'élancèrent à travers le monde depuis Gênes, Venise ou Anvers. Il y eut aussi l'Europe de l'esprit, qui s'est nourrie à Oxford ou Salamanque, Heidelberg ou Montpellier. Nos villes sont les écrins de palais et de cathédrales, de musées et de bibliothèques - où reposent les oeuvres de Cervantès, Dante, Shakespeare, Goethe, Rabelais ou Erasme, qui sont notre patrimoine commun. Il y eut encore l'Europe du travail et du progrès, nourrie de tant de luttes collectives, qui ont forgé notre tradition socialiste.
D'autres points du globe ont connu ou connaissent aujourd'hui cette effervescence, mais l'Europe conserve son génie de la découverte, son goût de l'échange, sa passion de bâtir. L'Europe est une civilisation. Aujourd'hui, notre ambition est de conforter l'Europe à la fois comme puissance et comme civilisation.
Cette civilisation, nous ne voulons pas seulement la protéger de l'uniformisation. Nous voulons la cultiver, l'enrichir, l'ouvrir. Et nous voulons, dans le même temps, bâtir une puissance économique, sociale et politique. Pour ce faire, il nous faudra nous appuyer sur la réalité - celle de nations vivantes, différentes, riches de leur propre histoire et de leur culture particulière - et transcender cette diversité en un projet commun : une union qui rassemble les forces de tous, tout en préservant l'identité de chacun.
Dans cet esprit, loin de signifier un renoncement à agir ensemble, ce qu'on appelle la subsidiarité doit, à mes yeux, permettre un approfondissement de la construction européenne.
Conduire des actions communes tout en respectant la capacité de décision nationale : cette démarche trouve un terrain d'application privilégié en matière de politique étrangère et de sécurité. Les traditions de nos deux pays nous confèrent là une responsabilité particulière. Je suis persuadé que les travaux de votre Centre de politique étrangère contribueront à enrichir notre réflexion commune sur ce sujet essentiel.
C'est en prenant la mesure de nos intérêts respectifs et en confrontant nos visions que nous approfondirons la communauté qui nous lie. La mise en place prochaine d'une cellule d'analyse des situations internationales, commune aux Etats de l'Union européenne et prévue par le Traité d'Amsterdam, constitue, à cet égard, une perspective utile.
L'enjeu dépasse la seule définition d'actions diplomatiques ou militaires. Il s'agit aussi de s'adresser aux citoyens de l'Europe. Trop souvent, ils ne voient dans le miroir tendu par la diplomatie que l'image la moins attrayante de notre Union. Et pourtant, pour prendre un exemple récent, les initiatives concernant la crise albanaise ont été le fait de plusieurs pays européens qui ont choisi de mener des opérations conjointes. De même, les travaux de médiation du groupe de contact sur le Kosovo -auxquels nos deux pays ont pris une part déterminante- résultent d'un engagement des européens, en relation avec les Etats-Unis mais aussi la Russie. L'organisation d'une coopération européenne en matière d'armement et les restructurations industrielles en cours doivent être une autre illustration d'une volonté des partenaires européens de progresser vers une politique de sécurité commune. Mon gouvernement souhaite fermement que la Grande-Bretagne et la France prennent, notamment à travers leurs entreprises, toute leur part dans la construction d'une grande industrie européenne de l'aéronautique et de l'espace.
Enfin, nous avons récemment défini à quinze des principes visant à réguler et à moraliser nos exportations d'armements par l'adoption d'un Code de conduite européen en matière de ventes d'armes. C'est le Gouvernement britannique qui a pris cette initiative majeure, et je lui rends à nouveau hommage pour son action, à laquelle j'ai souhaité que la France s'associe dès l'origine.
Il nous faudra poursuivre dans cette voie et construire une politique commune, mais souple, et qui préserve l'autonomie de chaque partenaire. Nous ne serons pas d'accord sur tout. Il nous faudra savoir dépasser nos divergences pour aller à l'essentiel.
Ensemble, il nous faudra aussi rééquilibrer la construction européenne. L'Europe ne se résume pas à la libre circulation des biens et des capitaux, ni même à celle des hommes. Pour être fidèle à ce qui est sa vocation -et sa force-, l'Europe doit être sociale.
Ensemble, il nous faut lutter contre ces fléaux que sont le chômage et l'exclusion. C'est ce que nous avons entrepris il y a un an avec le Conseil européen extraordinaire sur l'emploi à Luxembourg qu'avait proposé mon gouvernement. C'est ce que nous avons poursuivi avec la mise au point de plans nationaux pour l'emploi fondés sur des orientations communes. La même volonté est à l'oeuvre lorsque l'accent est mis, au niveau européen, sur la formation, l'éducation, l'égalité des chances et les échanges entre étudiants ou universitaires.
Là encore, il ne saurait être question de remettre en cause la légitimité des Etats à conduire des politiques sociales autonomes. Il s'agit de donner à celles-ci une dimension européenne en les orientant, par le partage de nos expériences respectives, vers la définition d'objectifs communs.
Il nous faudra enfin rendre l'Europe plus démocratique. Le renforcement du rôle des Parlements nationaux et européen, l'amélioration de la participation des organisations associatives et syndicales, l'approfondissement de la concertation avec les acteurs économiques sont autant de champs à explorer pour que l'Europe ne soit plus considérée comme la propriété de spécialistes, mais comme l'expression d'une communauté de citoyens.
Le 24 mars dernier, Tony Blair a affirmé que l'avenir de la Grande Bretagne était d'être " un partenaire à part entière de l'Europe ". Plusieurs décisions ont déjà traduit cet engagement. L'adhésion au chapitre social du traité d'Amsterdam en est une, forte de sens. La détermination avec laquelle les autorités britanniques ont conduit leur présidence de l'Union européenne a été une autre illustration de cette volonté.
Je me réjouis de ces orientations nouvelles. Je suis convaincu qu'elles seront poursuivies dans les années à venir, notamment dans la perspective de la participation de votre pays à la monnaie unique. Je souhaite, pour ce qui me concerne, que la Grande-Bretagne occupe toute sa place dans l'Europe.
Mesdames et Messieurs,
Dans la relation que nous avons forgée et que nous faisons vivre intensément aujourd'hui, chacun de nos deux pays conserve avec soin ses caractéristiques nationales. Cette attitude est juste. De ces différences naît l'intérêt que nous nous portons mutuellement.
Respectons cette diversité, elle est notre richesse. Cultivons notre amitié, elle fait notre force.

(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 8 juin 2001)
Q - Y a-t-il un axe socialiste en Europe, notamment avec la probable élection de M. Schröder en Allemagne?

R - Nous ne savons pas quel sera le résultat de l'élection allemande. C'est le peuple allemand qui va décider et nous n'avons pas à cet égard à faire de pronostic, nous avons à attendre. Nous aurons le même respect pour l'un ou l'autre chancelier allemand. Nous connaissons bien Helmut Kohl, nous le respectons, nous avons des liens d'amitié. J'ai des liens d'amitié avec Gehrard Shröder, même si je commence seulement à le connaître. Et nous aurons de toute façon de très bonnes relations avec l'Allemagne quel que soit le chancelier. Ce qui est vrai, c'est que si vous regardez la situation politique au cours des dernières années en Europe, particulièrement après la victoire de Tony Blair le 1er mai 1997, la victoire de la gauche en France le 1er juin, si vous regardez le fait qu'il existe en Suède, au Danemark, en Finlande, au Portugal, aux Pays-Bas et dans d'autres pays, des dirigeants socio-démocrates ou du "Labour", il est vrai que l'Europe a montré au cours de ces dernières années, en rupture avec les années de l'ultra-libéralisme, les années Reagan-Thatcher, que c'était cette approche de la modernité, cette recherche de l'équilibre entre l'efficacité économique et la justice sociale que les peuples préféraient en cette période. Il est possible que ce mouvement qui est parti de l'ouest, qui a traversé la Manche, traverse le Rhin. Mais, je le répète, ce seront les Allemands qui le décideront librement.

Q - On a souvent opposé vos deux styles. Tony Blair incarnerait la modernité, et vous, plus la tradition. Que pensez-vous de cette opposition supposée ou réelle ?

R - Qui peut imaginer qu'un leader travailliste, britannique et qu'un leader socialiste français soient exactement les mêmes, soient identiques. Si vous regardez l'histoire de ces deux grands pays, de ces deux grandes nations, si vous regardez la situation économique un petit peu différente, si vous regardez les conditions dans lesquelles Tony Blair a été élu avec la nécessité de rénover puissamment le Labour Party, avec un parti qui a la majorité à lui tout seul, si vous regardez les conditions dans lesquelles j'anime une majorité et un gouvernement en France, on comprend que nous soyons non pas identiques mais différents, en même temps que nous partageons les mêmes valeurs et les mêmes objectifs. Donc, je crois que nous sommes en train de trouver chacun notre propre synthèse. Nous marchons de concert et je crois que nous nous rapprochons. Comme il y a, en plus, entre nous une amitié personnelle, je crois que cela facilite le dialogue entre la France et la Grande-Bretagne.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juin 2001)