Déclaration de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, sur la réforme du dispositif français de coopération, et sur les domaines et les zones de compétence de l'Agence française du développement, Paris le 10 février 1998.

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Circonstance : Réunion des chefs de missions de coopération et d'action culturelle lors de la conférence ministérielle sur la francophonie à Paris le 10 février 1998

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
C'est la première occasion qui m'est donnée de vous rencontrer tous ensemble, chefs de mission et directeurs d'agence de l'AFD.
La circonstance est normale puisque votre réunion est annuelle.
Elle est aussi très particulière puisqu'elle intervient au lendemain de la réforme. Celle-ci, annoncée le 4 février, était devenue nécessaire. Elle est à présent engagée. Je crois qu'elle suscite généralement l'adhésion, peut-être teintée ici et là de nostalgie. Parfois encore d'un peu de scepticisme. J'espère que, ce matin, j'arriverai à convaincre ceux qui sont précisément menacés de scepticisme des bonnes raisons que nous avions d'entreprendre cette réforme et, surtout, de la conduire avec détermination.
Pourquoi avons-nous décidé de réformer le dispositif français de Coopération ?
Cette réforme, certains l'attendaient depuis 20 ans. Plus même pour quelques-uns, puisque dès 1966 le général de Gaulle la considérait comme indispensable pour moderniser notre relation à l'Afrique.
Depuis longtemps, des voix s'élèvent pour réclamer une présence de la France à l'extérieur qui soit plus unifiée, plus concertée, pour être plus efficace et plus vigoureuse.
En réalité, ce sont les mutations profondes du contexte international qui dictent ce changement institutionnel.
La mondialisation, même si le concept est employé à tort et à travers, est inscrite dans notre quotidien. Si elle a créé une certaine uniformité du monde par le développement des échanges, des idées, des modes ... elle provoque aussi du développement inégal.
Avec la fin de la bipolarisation, le monde s'organise autour de divers centres d'influence, et des entités régionales fortes émergent et se consolident.
Le débat international s'intensifie, il devient plus complexe. Il commande que la France y assure mieux sa présence et adapte ses instruments de Coopération à la mesure des enjeux et de ces interlocuteurs nouveaux.
L'exemple de l'Afrique offre une bonne illustration de ce changement nécessaire et souhaitable. Même si notre partenariat avec les pays francophones d'Afrique demeure une priorité, il n'aurait plus de sens s'il ne s'élargissait à toute l'Afrique, aux pays anglophones et lusophones avec lesquels les premiers sont en relation nécessaire, non seulement pour leur économie, mais également pour une gestion plus commune et intelligente de leur développement, de leur sécurité, de leur environnement.
Une présence accrue dans les enceintes internationales
Ces évolutions sont d'une grande conséquence pour notre contribution au développement.
Elles nous imposent une présence accrue dans le débat international et singulièrement dans les instances multilatérales où la voix de la France est entendue - encore trop peu - et attendue - beaucoup -, en proportion de ce qu'elle y défend et des moyens qu'elle y consent.
Je songe notamment aux programmes financiers du Fonds monétaire international attachés à la maîtrise des dépenses publiques, mais dans lesquels nous devons rappeler sans relâche la priorité à accorder aux dépenses sociales, d'éducation et de santé en particulier. Je songe aussi aux initiatives de la Banque mondiale, utiles lorsqu'elles visent au renforcement des capacités nationales et à tout ce qui peut fortifier l'Etat, pour qu'il joue le rôle régulateur des grands équilibres économiques et sociaux, avec toutes les conséquences que cela comporte, sur le bien-être collectif mais aussi la paix.
Je pense enfin à l'Europe, à la veille de la redéfinition de sa relation avec les pays ACP. Notre influence peut être décisive dans le sens d'un renforcement de la dimension politique du dialogue.
En définitive, trois choses sont importantes. La première est que l'Afrique sera enfin traitée en partenaire à part entière, dans des relations adultes et responsables. J'ai employé la formule - que les Africains ont comprise : cette réforme, c'est aussi, d'une certaine mesure, le désenclavement de l'Afrique. La deuxième est la vision globale de la relation de Coopération que la France entend désormais avoir. La dernière est la mise au service de cette relation de Coopération des compétences, des savoir faire et de l'engagement des personnels de la Rue Monsieur.
Quelle sera notre future organisation ?
Lionel Jospin a résumé la réforme autour de 3 mots : rénovation, ouverture, partenariat.
Le nouveau dispositif permettra d'organiser une complémentarité plus forte entre aide bilatérale et aide multilatérale, d'une part, entre aide publique et autres acteurs venant en appui au développement, d'autre part. Ces acteurs, faut-il le rappeler, sont nombreux : les villes, les départements, les régions, les 100 organisations de solidarité à vocation internationale, la nébuleuse des associations humanitaires, d'échange ou d'amitié..., mais aussi les syndicats, les fondations, les entreprises, les chambres de commerce.
Les acteurs seront enfin mieux reconnus, dans leur diversité et leur richesse, dans le Haut Conseil de la Coopération.
La réunion et la rationalisation des structures administratives en charge des Affaires étrangères et de la Coopération au sein d'un ensemble diplomatique constituent un volet important de la réforme.
Soyons précis :
Le ministre chargé de la Coopération sera délégué auprès du ministre des Affaires étrangères qui aura autorité sur l'ensemble des services. Le ministre délégué disposera des services en charge de la coopération bilatérale et multilatérale.
Les activités qui relèvent de la Coopération se retrouveront dans 5 fonctions essentielles :
- L'action en faveur du développement - L'action culturelle extérieure
- L'action multilatérale de développement
- L'action humanitaire
- Les affaires francophones
L'organisation précise de ces activités n'est pas décidée. Elle le sera avant l'été prochain.
La mission militaire de Coopération sera elle aussi rattachée au ministère des Affaires étrangères, selon des modalités à définir. Elle suit, en quelque sorte, la Coopération.
Vous l'avez compris, le ministère des Finances est l'autre grand pôle. Il garde ses attributions, mais rien que ses attributions, en matière de relations avec les institutions financières internationales et pour les concours financiers aux Etats.
Cette démarche est novatrice. Elle est aussi réaliste, traduisant la recherche d'un équilibre entre la nécessité de traiter des questions de développement dans l'ensemble de la Coopération internationale et celle d'affirmer la spécificité des actions de lutte contre le sous-développement.
L'intégration progressive des 1150 agents en poste au secrétariat d'Etat à la Coopération et à la Francophonie au sein du ministère des Affaires étrangères et de l'Agence française de développement sera réalisée en concertation avec les agents concernés.
Cette concertation est déjà engagée puisque le 4 février, en sortant du Conseil des ministres, j'ai voulu rencontrer les trois syndicats et les associations professionnelles du ministère. Le lendemain, j'ai expliqué la réforme à tout le personnel parisien. Hubert Védrine en a fait de même de son côté. Il a eu, je voulais le souligner, des mots très chaleureux pour exprimer la considération qu'il porte à ceux qui, dans notre maison, exercent le métier de développeur et qui trouveront toute leur place dans la nouvelle organisation.
La représentation de la Coopération française à l'étranger
Changement à la Centrale, changement aussi dans les postes.
Les 31 missions de Coopération et d'Action culturelle du secrétariat d'Etat seront transformées en services de Coopération au sein des ambassades.
Leurs attributions porteront aussi bien sur le suivi général du programme de Coopération dans leur pays de résidence, que sur la gestion directe des opérations de Coopération administrative et institutionnelle, du Fonds social de développement..., et les actions à vocation culturelle.
La primauté des ambassadeurs n'a jamais été mise en cause. Mais, il faut croire que la situation actuelle n'est pas totalement satisfaisante, en particulier du point de vue du Quai d'Orsay. Je vous invite donc à discuter dès demain, dans vos ateliers, de la future organisation des services, à faire part de votre expérience et à me faire rapport lundi prochain. Vous tiendrez compte, bien sûr, du regroupement Rue Monsieur/Quai d'Orsay - je dois ajouter : boulevard Saint-Germain -, mais aussi des évolutions qui vont affecter la Caisse française de développement.
Dans votre réflexion, je vous invite aussi à évaluer l'hypothèse de la création de "missions régionales", centres d'expertise et d'appui au processus d'intégration et de coopération régionale en cours dans diverses zones en développement.
De la Caisse à l'Agence française de développement (AFD)
En matière de Coopération économique et technique, l'Agence française de développement (AFD) va assurer la mise en oeuvre de l'essentiel de l'aide-projet. Le changement de nom de la CFD en AFD - le quatrième, je crois, depuis sa création il y a 57 ans - n'est pas cosmétique. Il a une signification profonde.
Cette évolution est à l'image de ce qui existe dans la plupart des pays de l'OCDE où le besoin de souplesse et le souci d'adapter leurs instruments à la spécificité des interventions a conduit les gouvernements à déléguer la mise en oeuvre à des opérateurs publics ou parapublics autonomes.
Les domaines et les zones de compétence de l'AFD
L'Agence mènera pour le compte de l'Etat et à la demande de ses autorités de tutelle, des opérations sur dons et sur prêts dans les secteurs économiques, comme c'est le cas aujourd'hui, mais aussi dans le domaine des infrastructures sociales, d'éducation et de santé.
Il y aura donc un transfert progressif de compétences du ministère vers l'Agence, dans la logique déjà engagée en 1990 après La Baule pour des dons projets, poursuivie en 1996 pour ce qui concerne le secteur économique, le développement rural et l'environnement.
L'administration conservera la gestion des opérations relevant des secteurs institutionnels et de souveraineté (justice, Etat de droit, administration économique, défense, police...), ainsi que des actions de développement culturel (dont l'audiovisuel extérieur). Dans les postes, le Fonds social de développement restera sous le double pilotage mission/AFD.
La zone d'intervention de l'Agence coïncidera avec la Zone de solidarité prioritaire, éventuellement élargie au cas par cas par le Comité interministériel de la Coopération internationale et du développement (CICID).
Cette évolution va permettre d'approfondir la répartition des rôles. Pour reprendre des concepts en usage dans le milieu de l'architecture ou de l'équipement, je dirais que le gouvernement est maître d'ouvrage, le ministère maître d'ouvrage délégué, l'AFD maître d'oeuvre. Au CICID, la définition des politiques et des orientations. Au ministre, les orientations géographiques et sectorielles, la coordination des acteurs, la négociation des accords de partenariat, les relations multilatérales, l'évaluation et le contrôle. A l'AFD, la mise en oeuvre des opérations et des projets, dont l'exécution peut être directe ou confiée à des opérateurs, entreprises, bureaux d'études, ONG ou autres.
Le Comité d'orientation et de programmation (COP)
- créé il y a peu, lorsque Pierre Bérégovoy était ministre des Finances et Jacques Pelletier ministre de la Coopération - restera l'instance privilégiée pour préciser nos orientations à moyen terme et adopter les programmes d'intervention.
Les attributions actuelles du Conseil de surveillance de la CFD ne sont pas modifiées et sa composition restera identique dans la future Agence : trois membres au titre des Affaires étrangères, deux au titre de l'Economie et des Finances, un au titre de l'Outre-mer, trois personnalités qualifiées, deux députés, un sénateur et deux représentants du personnel.
Mesdames, Messieurs les chefs de mission et directeurs d'agence, vous appartenez à la même culture, vous partagez la même passion : celle du développement. Je ne doute pas que votre collaboration sera encore plus fructueuse.
La réforme ne se résume pas au changement institutionnel. Comme l'a indiqué Lionel Jospin, nous devons répondre à deux exigences : une solidarité active et un dialogue responsable.
Une exigence de solidarité On ne peut s'accommoder de la marginalisation économique et politique des pays condamnés à l'assistance et à l'aide humanitaire.
Pour affirmer le principe de solidarité, notre attention sera plus délibérément portée aux pays qui traversent les difficultés les plus grandes, mais qui sont engagés dans des politiques exigeantes.
Une exigence de dialogue
J'observe qu'avec de nombreux Etats, le dialogue souffre d'une faiblesse dans l'expression des stratégies nationales de développement. Pourtant, un véritable dialogue sur les stratégies doit permettre de sortir de la mécanique infernale des conditionnalités, jamais vraiment respectées, trop souvent renégociées, et donc détournées de leur sens.
Le renforcement des capacités de management nationales est une orientation fondamentale pour permettre de faire de nos interlocuteurs de véritables partenaires exprimant des besoins justifiés par des évaluations et formulés dans des programmes conçus localement. Ce partenariat doit reposer sur une base contractuelle. Ainsi, au sein des pays de la Zone de solidarité prioritaire, l'évolution de nos concours sera subordonnée à la négociation "d'accords de partenariat et de développement".
Le contenu de ces accords sera variable selon les régions. Seront incluses les préoccupations de démocratie, de développement durable et de bonne gestion publique. Selon le cas pourront être traitées les questions de coopération militaire, de politique de migration ou encore de partenariat économique.
Ces considérations autour des exigences qui doivent inspirer notre action et des méthodes qui doivent la guider vont nous conduire à améliorer notre système de programmation.
En mars prochain, sera envoyée aux postes et aux services une lettre de cadrage stratégique qui précisera les orientations du gouvernement pour notre coopération. Cette lettre fera l'objet d'une présentation préalable au COP. Les orientations à moyen terme que vous allez élaborer, conjointement entre services de la Coopération et services de l'AFD, traduiront mieux les priorités dans des programmes mieux formulés.
Ces améliorations dans le dispositif de programmation vous seront présentées demain matin.
J'attends de vous, d'informer, d'expliquer notre politique, de soigner les nostalgies, de vaincre les inquiétudes, mais surtout de mobiliser les énergies.
Vous devez le faire auprès de vos collaborateurs, auprès des coopérants dont la mission reste évidemment inchangée, et auprès de vos partenaires. Je pense bien sûr aux Africains en particulier.
Mais je voudrais surtout qu'entre nous il n'y ait pas d'ambiguïté : la réforme n'est pas l'abandon de l'Afrique.
En effet, l'Afrique demeure au coeur de la Zone de solidarité prioritaire.
Il serait aberrant de délaisser l'Afrique alors que la croissance est au rendez-vous, grâce pour partie à la dévaluation dans la Zone franc, parce qu'on a tiré les leçons du passé (la chasse aux éléphants blancs commence à produire ses effets...), parce que progressivement l'Afrique se démocratise, qu'elle est plus ouverte et que démocratie et développement ont partie liée.
De nouvelles élites arrivent aux affaires, en politique, dans l'administration, dans les entreprises. Ce facteur humain est essentiel. Il est le gage que les progrès seront durables.
Y aura-t-il des transferts de crédits au profit d'autres régions du monde ?
Probablement. Pourquoi ne pas le dire ? La France n'est pas assez présente dans certaines régions essentielles du monde. Mais je veux dire trois choses à ce sujet. D'abord, ces transferts de crédits seront progressifs. On ne peut réduire brusquement les aides, même là où elles sont mal employées, sans déstabiliser les pays concernés.
De plus, ces transferts seront limités, parce que la nouvelle approche que je vous présente n'a en aucune manière pour conséquence de céder à la tentation du saupoudrage et de la dilution des moyens.
Enfin, et c'est peut-être le plus important, le gouvernement s'y est engagé : la France maintiendra des flux substantiels d'aide publique et, jouant mieux sur les complémentarités avec l'aide communautaire, nous pourrons en fin de compte faire plus et faire mieux.
Faut-il ajouter, Mesdames et Messieurs, que cette réforme a fait l'objet d'une discussion étroite avec le président de la République et ses collaborateurs, et que, comme vous avez pu l'observer, elle a été acceptée sans difficulté particulière. Le président de la République y a même vu certaines des orientations qu'il avait préconisées lui-même par le passé.
Si nous nous étions posé à l'avance toutes les questions, il en aurait été de cette réforme comme de la décentralisation de la France. On ne l'aurait pas commencé. Au demeurant, je n'oublie pas que celle-ci intervient après plusieurs réformes avortées. Mais là, le point de non-retour est d'ores et déjà dépassé. La ligne est affichée, la volonté politique clairement affirmée.
Cette réforme, il nous reste à la réussir. Nous y avons tous globalement intérêt. Chacun voit bien que ce qui est en question, c'est le sens des missions qui, pour beaucoup d'entre vous, ont justifié votre engagement personnel dans la Coopération. Alors, souhaitons-nous bonne chance et mettons-nous au travail.
Je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2001)