Texte intégral
Merci de votre présence à chacun et chacune d'entre vous. Je vais partir dans quelques instants au Portugal pour la suite de ce déplacement qui s'inscrit dans le cadre de ce dialogue de confiance qui est renouvelé entre la France et la Tunisie. C'est la quatrième visite ministérielle après celles de M. de Villepin, de M. Sarkozy et de Mme Alliot-Marie. La semaine prochaine, le ministre du Tourisme sera présent ici. Il s'agit de rappeler, s'il en était besoin, que la Tunisie est un partenaire essentiel pour la France.
Je vous rappelle que le président de la République, Jacques Chirac, a fait du Maghreb l'une des priorités de notre politique étrangère. La France et la Tunisie ont donc vocation à travailler ensemble, surtout dans le contexte actuel, sur les grands dossiers internationaux - Irak, Proche-Orient -, sur les grands dossiers régionaux - la politique euroméditerranéenne -, et bien entendu, sur nos relations bilatérales qui se nourrissent de ces relations ministérielles.
Pourquoi la Tunisie est-elle un partenaire essentiel pour la France ? Je me permets de vous rappeler quelques chiffres : nous avons 1000 entreprises en partenariat ici en Tunisie. Cela représente le tiers des entreprises étrangères et cela représente, en termes d'emploi, 60.000 personnes. Nous sommes le premier investisseur, le premier partenaire économique, le premier partenaire commercial, le premier partenaire financier et nous sommes le premier pays, en nombre de touristes, avec plus d'un million de personnes qui viennent ici.
Si je pars au Portugal tout à l'heure, c'est pour préparer la réunion ministérielle du 5+5 qui aura lieu la semaine prochaine à Sainte-Maxime : cinq pays du Sud de l'Europe et cinq pays du Sud du Bassin méditerranéen. Cette réunion préparera un certain nombre de propositions qui seront soumises au Conseil européen et qui permettront de pousser, de dynamiser la politique euroméditerranéenne nécessaire, aujourd'hui, aux différents peuples qui vivent autour du Bassin méditerranéen.
Nous avons, sur l'ensemble des dossiers, sur l'Irak, sur le Proche-Orient, sur la politique euroméditerranéenne où nous estimons que l'Europe se doit d'avoir une vraie politique euroméditerranéenne pour se développer - une convergence de vues très forte avec la Tunisie.
Donc, nous nous projetons dans l'avenir et cette projection dans l'avenir, à court terme, c'est naturellement la visite du président Chirac d'ici la fin de l'année et le Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du 5+5, en fin d'année, ici, en Tunisie. A moyen terme, c'est la nécessaire organisation multilatérale de la paix dans le monde.
Q - Est-ce que la date de la visite du président Chirac a été fixée et la date du Sommet que la Tunisie se propose d'abriter, a-t-elle été évoquée ?
R - La visite de M. Chirac a été évoquée. En ce qui concerne le calendrier, à quelques jours près, nous savons quand cela se passera ainsi que le Sommet. Mais je laisse aux autorités tunisiennes le plaisir de l'annoncer.
Q - J'ai lu récemment un sondage indiquant que l'opinion publique française est contre la guerre à 80 %. Elle rejoint en cela la position du président Chirac. Or, on a l'impression que rien n'est fait pour arrêter la guerre. En d'autres circonstances, il y aurait eu un tollé, des initiatives au niveau du Conseil de sécurité, d'autant que la France est l'un des pays agissant à ce niveau. Mais maintenant, on a l'impression qu'il y a un attentisme et qu'il y a même des considérations d'ordre commercial qui entrent en ligne de compte.
R - Non, je crois que c'est une interprétation qui ne correspond pas à la réalité. La réalité, c'est que le Conseil de sécurité des Nations unies a voté à l'unanimité la résolution 1441 qui avait pour objectif de désarmer l'Irak de ses armes de destruction massive par la voie des inspections. Nous avons pu voir, au fil des semaines et des mois, que la communauté internationale s'est positionnée de façon très claire, et la France tout particulièrement.
Les Etats-Unis, avec les Britanniques et une forme de coalition, ont décidé d'intervenir dans le cadre d'un conflit. Aujourd'hui, nous sommes en discussions politiques et diplomatiques au sein du Conseil de sécurité.
Il a été voté une résolution à l'unanimité des Nations unies, d'où son importance, sur l'aide humanitaire dans le cadre et sous l'autorité des Nations unies qui reprend ce qui avait été voté en son temps, c'est-à-dire le système "Pétrole contre nourriture". C'est une première démarche qui concerne la légitimité de l'action humanitaire sur le sol irakien. Je me permets de vous rappeler que cette résolution votée à l'unanimité a confirmé la souveraineté du peuple irakien sur l'intégrité de son territoire et sur ses ressources.
Q - Est-ce que vous avez une idée de ce que proposera Colin Powell, demain à Bruxelles ? Est-ce qu'il aura à traiter avec plusieurs positions européennes ou une seule, concernant l'Irak ?
R - Vous savez que nous avons eu des positions différentes qui se sont exprimées au sein du Conseil de sécurité mais qui ne se sont jamais manifestées par un vote. En conséquence, nous sommes tous très actifs pour que cette guerre s'arrête vite, le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions. Nous voulons être des artisans de paix et cette paix, nous la construirons tous ensemble. Nous uvrons tous ensemble, de manière diplomatique, à trouver une solution politique à ce conflit.
Q - Mais la vision française de la paix n'est pas la vision américaine ou britannique.
R - La paix est la même pour tous et la paix se construira tous ensemble.
Q - Est-ce que vous comptez passer dans d'autres capitales maghrébines pour préparer la réunion du 5+5 ?
R - Nous avons des contacts à différents niveaux, au niveau de nos ambassadeurs, au niveau du Quai d'Orsay. Vous savez que le président Chirac a fait une visite d'Etat en Algérie qui a eu un retentissement important. C'est une des priorités de la politique étrangère de la France. Nous démultiplions notre action diplomatique à travers cette partie du continent à laquelle, pour ma part, je suis attaché, étant un élu de Marseille. Vous savez que Marseille est une ville qui a 2 600 ans d'histoire et qui est tout à fait attachée aux échanges de biens et de personnes et à la considération des peuples différents.
Q - Mais pas de visite en vue, de visite du ministre
R - Non. Cela, on verra avec les ministres la semaine prochaine. Il y aura de toute façon des échanges qui auront lieu la semaine prochaine à Sainte-Maxime et, d'ici la fin de l'année, dans la perspective du sommet qui aura lieu ici à Tunis.
Q - En ce qui concerne le dossier irakien, est-ce que vous avez des suggestions particulières dont vous auriez parlé avec le Premier ministre, avec les responsables tunisiens ? Est-ce qu'il y a une demande particulière du côté tunisien ?
R - Je crois que sur l'ensemble des dossiers internationaux, et pas simplement l'Irak, sur l'ensemble des dossiers concernant les relations euroméditerranéennes et régionales, comme dans le cas de nos relations bilatérales, nous avons une convergence de vues qui est très claire. Nous souhaitons passer par la voie diplomatique et multilatérale qui est la plus efficace pour donner une légitimité à l'action et une légalité à l'intervention, notamment en ce qui concerne aujourd'hui le problème de l'action humanitaire qui ne peut se faire que dans le cadre des Nations unies.
Q - Que signifie l'action diplomatique actuellement, au moment où la bataille de Bagdad se prépare ? Vous préparez le départ de Saddam Hussein en Mauritanie ?
R - Vous savez, il faut être très prudent sur les initiatives diplomatiques. Avant le début du conflit le 19 mars, entre le mois de janvier et le mois de mars, beaucoup de journalistes nous ont posé des questions : et s'il se passe ceci, et s'il se passe cela Avec beaucoup de prudence, nous ne nous sommes engagés que sur des logiques et des principes de responsabilité. Il s'est avéré que, sur toutes ces questions, il ne s'est pas passé ce qui était prévu.
Donc nous devons aujourd'hui régler le problème du quotidien pour les populations civiles. Il faut bien se rendre compte qu'il y a un conflit et que ce conflit doit se terminer le plus vite possible et le mieux possible pour que l'on puisse réorganiser la paix dans cette partie du monde, dans le cadre d'une négociation multilatérale.
Q - Ne pensez-vous pas, Monsieur le Ministre, que l'ONU est marginalisée et qu'on ne lui laisse que le côté humanitaire ?
R - Je pense que l'ONU sortira à terme renforcée de cette situation qui est difficile : c'est une crise. Elle en sortira renforcée parce que la paix se fait à plusieurs, jamais seul.
Q - Mais le Conseil de sécurité est en déliquescence
R - Les initiatives politiques de M. Powell aujourd'hui en Europe, la résolution votée à l'unanimité la semaine dernière, rappelant les principes de la Convention de Genève, ont montré que les Nations unies sont nécessaires et que le Conseil de sécurité est indispensable.
Q - La France sort pratiquement marginalisée dans ce conflit puisque ce sont les Américains et les Anglais qui ont imposé leur loi en passant outre le Conseil de sécurité. Est-ce qu'il y a une initiative diplomatique française pour essayer d'éviter, par exemple, la bataille de Bagdad ? Comme cela s'est passé à Kaboul, par exemple ?
R - Vous ne pouvez pas comparer le problème de l'Afghanistan au lendemain du 11 septembre, avec la question du terrorisme, et le problème aujourd'hui de la guerre en Irak. Ce sont deux choses très différentes et l'amalgame ne peut être fait.
Des initiatives politiques ont eu lieu à tous les niveaux avant la guerre. Aujourd'hui, la guerre est déclenchée et on travaille à apporter une solution. La solution passera bien entendu par l'humanitaire ; elle passera par la reconstruction de la paix. Et je ne crois pas, compte tenu de la façon dont nous sommes accueillis de par le monde, de la façon dont les jeunes qui étaient tout à l'heure en train de manifester ont applaudi la voiture qui passait avec la cocarde tricolore, que nous soyons marginalisés aujourd'hui. Nous avons posé des principes ; ce sont des principes qui sont importants, qui sont reconnus et qui sont immuables. C'est l'histoire de notre pays.
Q - Sur les relations au niveau du 5+5 et au niveau du processus méditerranéen, étant donné que l'Espagne a préféré faire cavalier seul par rapport aux autres pays européens.
R - J'ai rencontré mon homologue espagnol, j'ai rencontré mon homologue italien. Je suis allé à Rome, en Espagne. Je n'ai pas encore rencontré mon homologue portugais, ce que je ferai demain. Je sais qu'ils sont très attachés au Processus euroméditerranéen parce qu'en tant que peuples du Sud de l'Europe, ils sont parfaitement conscients que l'Europe se doit d'avoir une politique euroméditerranéenne pour pouvoir se développer dans l'harmonie, la paix et la concorde. Il y a donc une convergence de vues là-dessus même s'il n'y a pas une convergence de vues sur le plan irakien.
Q - Monsieur le Ministre, comment voyez-vous l'avenir des relations franco-américaines après les divergences qui sont apparues sur le conflit irakien ?
R - Vous savez, les Américains sont nos amis et nos alliés. Aujourd'hui, nous avons des divergences de vues, non pas sur la démocratie, non pas sur la liberté, non pas sur l'organisation dans nos différents pays ni sur notre amitié mais nous avons des divergences de vues sur les modalités du désarmement de l'Irak. Ils ont pris une option que nous regrettons. Je crois que de tous ceux qui sont dans cette situation, nous sommes les seuls à ne jamais nous être battus contre ou sans les Américains. Donc nous resterons unis.
Mon message est très positif pour la suite. Il suffit de voir les relations bilatérales que nous avons au niveau des ministres des Affaires étrangères pour se rendre compte que les deux hommes se respectent et s'estiment et que si cette crise est importante, grave, puisqu'elle concerne la vie d'un certain nombre d'êtres humains, sur les principes nous sommes en harmonie.
Q - Monsieur Le Secrétaire d'Etat, il y a quand même des milliers de tomahawks qui tombent sur les Irakiens, il y a des milliers de morts et vous, vous parlez de regrets. Les gens sont un peu déçus. C'est un peu un recul de la France après cette levée de boucliers, après être allée "au charbon", après ce débat universel. Maintenant, les gens sont un peu déçus. On a l'impression que ce sont des considérations d'ordre matériel, c'est tout ! Tout le monde se place !
R - Je ne sais pas si tout le monde se place. Le volume des échanges franco-irakiens pour le commerce extérieur français représente 0,3 %. Nous n'avons donc rien à perdre et rien à gagner. Nous, nous nous battons sur le plan des principes, sur le plan de la légalité, sur le plan de la légitimité, sur le plan du droit international et nous sommes pour un monde multipolaire. Nous regrettons ce qui se passe là-bas et nous souhaitons que cela s'arrête le plus tôt possible, dans les meilleures conditions. D'un autre côté, il faut bien se rendre compte que nous n'avons jamais eu aucune complaisance pour le régime de M. Saddam Hussein qui a pu avoir des comportements vis-à-vis de son peuple qui ne sont pas dignes d'un pays démocratique. Donc, les moyens d'accéder à la démocratie passent à nos yeux, nous Français, par le multipolaire, par le multilatéral, par la souveraineté de ce pays sur ses ressources, sur ses richesses et sur son intégrité territoriale.
Q - Les Anglais et les Américains ont annoncé - d'ailleurs, il y a deux jours sur la chaîne France 2, l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris a indiqué que l'Angleterre soutenait la thèse américaine - qu'il y aurait un gouvernement militaire de transition pendant dix-huit mois. Est-ce que vous soutenez cette démarche ?
R - J'ai cru comprendre que l'entretien qui a eu lieu entre M. Bush et M. Blair, pour ce que j'en ai lu, montrait qu'il n'y avait pas de convergence entre les points de vue pour la suite. Je vois bien que M. Blair travaille avec le président de la République - puisqu'ils se sont téléphoné - pour aboutir dans le cadre d'une solution onusienne.
Q - Nous avons entendu parler, depuis plusieurs années, d'une politique européenne de sécurité et de défense qui permette à l'Union européenne d'avoir une position commune vis-à-vis des problèmes de sécurité et de défense en Europe. Or, les derniers événements relatifs à la crise irakienne ont prouvé qu'il y avait plus que des fissures dans cette politique commune de sécurité et de défense qui cherche progressivement à se désolidariser de la position militaire et politique des Etats-Unis vis-à-vis de l'OTAN et de l'Europe. Que peut faire la politique étrangère française, aussi performante soit-elle, pour cimenter ces fissures ?
R - L'Europe vient de traverser une crise, c'est très clair. Mais l'Europe s'est construite à travers les crises. Aujourd'hui, cette crise doit nous permettre de nous poser des questions sur l'avenir de l'Europe. Nous étions dans une Europe géographique, dans une Europe de libre circulation des biens et des personnes, dans une Europe qui fabriquait de l'économie et dans une Europe qui permettait au bloc de l'Est d'accéder à un marché, à une démocratie, à un mode de fonctionnement qui lui apportait la liberté.
On se rend bien compte qu'aujourd'hui il faut reposer les problèmes fondamentaux soulevés par les pays fondateurs de l'Europe qui sont l'Espagne, l'Italie, la France, l'Angleterre, l'Allemagne. Comment on a créé cette Europe, pourquoi on l'a faite ? Ces questions-là doivent être posées et trouver une réponse sur le plan de la diplomatie internationale, sur le plan militaire, parce qu'on se rend bien compte que là où cela n'a pas été cimenté, nous avons des crises et nous perdons notre crédibilité européenne.
Q - Est-ce que cette crise est de nature à faire émerger une force politique et militaire sérieuse et un monde bipolaire plutôt qu'unipolaire ?
R - Nous n'échapperons pas à des questions importantes sur les objectifs et des missions de l'Europe, qu'elles soient euroméditerranéennes, qu'elles concernent la politique étrangère, la politique de la défense ou la Convention. Cela engagera des frais, des choix, des options. Est-ce qu'il y aura un seul ministre des Affaires étrangères ? Nous n'avons pas la réponse. Il y a un certain nombre de réponses potentielles mais cela nécessite une discussion au sein d'une Europe qui est grande et qui va être élargie.
Q - Est-ce que vous ne voyez pas dans les manifestations de foule, partout dans le monde et en Europe un dysfonctionnement de la démocratie occidentale ?
R - Pour moi, la démocratie est l'expression du peuple dans les urnes. A partir du moment où le peuple manifeste, c'est la liberté. Il manifeste un sentiment bien particulier mais ce sentiment doit se manifester sans susciter la haine. J'appelle à la responsabilité parce qu'au moment de fabriquer la paix, quand on reproche aux autres des actes d'agression, il ne faut pas soi-même en commettre. La réalité, c'est que la démocratie fait qu'à un moment ou à un autre vous vous retrouvez face à vous-même dans l'isoloir et le peuple s'exprime dans sa totalité. Il sort des urnes une majorité et une volonté populaire qui est exprimée par le peuple, pour une durée fixée par nos constitutions. A partir de là, les dirigeants doivent tenir compte du contexte international, de leurs opinions publiques, de leurs difficultés économiques pour diriger leur propre pays.
Il est bien évident que pour nous, aujourd'hui, compte tenu de la position de Jacques Chirac, le gouvernement français a plus de facilité à exprimer sa position que M. Blair ou M. Aznar. Mais pour autant, ce sont eux qui sont en responsabilité.
Q - S'il s'agissait seulement de préparer la réunion du 5+5, pourquoi n'avez-vous pas visité les autres pays du Maghreb ?
R - Vous savez, je passe les deux tiers de mon temps en dehors de France et de ma ville de Marseille. La semaine dernière, j'étais à Genève, à Bruxelles. J'ai vu les ONG et mis en place un dispositif à New York pour faire en sorte que l'on revienne dans le cadre de la légitimité internationale. Je ne suis pas seul à travailler pour la France puisque nous avons le deuxième réseau diplomatique au monde, un réseau qui démultiplie la politique, l'action et la voix de la France à travers le monde
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 2003)
Je vous rappelle que le président de la République, Jacques Chirac, a fait du Maghreb l'une des priorités de notre politique étrangère. La France et la Tunisie ont donc vocation à travailler ensemble, surtout dans le contexte actuel, sur les grands dossiers internationaux - Irak, Proche-Orient -, sur les grands dossiers régionaux - la politique euroméditerranéenne -, et bien entendu, sur nos relations bilatérales qui se nourrissent de ces relations ministérielles.
Pourquoi la Tunisie est-elle un partenaire essentiel pour la France ? Je me permets de vous rappeler quelques chiffres : nous avons 1000 entreprises en partenariat ici en Tunisie. Cela représente le tiers des entreprises étrangères et cela représente, en termes d'emploi, 60.000 personnes. Nous sommes le premier investisseur, le premier partenaire économique, le premier partenaire commercial, le premier partenaire financier et nous sommes le premier pays, en nombre de touristes, avec plus d'un million de personnes qui viennent ici.
Si je pars au Portugal tout à l'heure, c'est pour préparer la réunion ministérielle du 5+5 qui aura lieu la semaine prochaine à Sainte-Maxime : cinq pays du Sud de l'Europe et cinq pays du Sud du Bassin méditerranéen. Cette réunion préparera un certain nombre de propositions qui seront soumises au Conseil européen et qui permettront de pousser, de dynamiser la politique euroméditerranéenne nécessaire, aujourd'hui, aux différents peuples qui vivent autour du Bassin méditerranéen.
Nous avons, sur l'ensemble des dossiers, sur l'Irak, sur le Proche-Orient, sur la politique euroméditerranéenne où nous estimons que l'Europe se doit d'avoir une vraie politique euroméditerranéenne pour se développer - une convergence de vues très forte avec la Tunisie.
Donc, nous nous projetons dans l'avenir et cette projection dans l'avenir, à court terme, c'est naturellement la visite du président Chirac d'ici la fin de l'année et le Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement du 5+5, en fin d'année, ici, en Tunisie. A moyen terme, c'est la nécessaire organisation multilatérale de la paix dans le monde.
Q - Est-ce que la date de la visite du président Chirac a été fixée et la date du Sommet que la Tunisie se propose d'abriter, a-t-elle été évoquée ?
R - La visite de M. Chirac a été évoquée. En ce qui concerne le calendrier, à quelques jours près, nous savons quand cela se passera ainsi que le Sommet. Mais je laisse aux autorités tunisiennes le plaisir de l'annoncer.
Q - J'ai lu récemment un sondage indiquant que l'opinion publique française est contre la guerre à 80 %. Elle rejoint en cela la position du président Chirac. Or, on a l'impression que rien n'est fait pour arrêter la guerre. En d'autres circonstances, il y aurait eu un tollé, des initiatives au niveau du Conseil de sécurité, d'autant que la France est l'un des pays agissant à ce niveau. Mais maintenant, on a l'impression qu'il y a un attentisme et qu'il y a même des considérations d'ordre commercial qui entrent en ligne de compte.
R - Non, je crois que c'est une interprétation qui ne correspond pas à la réalité. La réalité, c'est que le Conseil de sécurité des Nations unies a voté à l'unanimité la résolution 1441 qui avait pour objectif de désarmer l'Irak de ses armes de destruction massive par la voie des inspections. Nous avons pu voir, au fil des semaines et des mois, que la communauté internationale s'est positionnée de façon très claire, et la France tout particulièrement.
Les Etats-Unis, avec les Britanniques et une forme de coalition, ont décidé d'intervenir dans le cadre d'un conflit. Aujourd'hui, nous sommes en discussions politiques et diplomatiques au sein du Conseil de sécurité.
Il a été voté une résolution à l'unanimité des Nations unies, d'où son importance, sur l'aide humanitaire dans le cadre et sous l'autorité des Nations unies qui reprend ce qui avait été voté en son temps, c'est-à-dire le système "Pétrole contre nourriture". C'est une première démarche qui concerne la légitimité de l'action humanitaire sur le sol irakien. Je me permets de vous rappeler que cette résolution votée à l'unanimité a confirmé la souveraineté du peuple irakien sur l'intégrité de son territoire et sur ses ressources.
Q - Est-ce que vous avez une idée de ce que proposera Colin Powell, demain à Bruxelles ? Est-ce qu'il aura à traiter avec plusieurs positions européennes ou une seule, concernant l'Irak ?
R - Vous savez que nous avons eu des positions différentes qui se sont exprimées au sein du Conseil de sécurité mais qui ne se sont jamais manifestées par un vote. En conséquence, nous sommes tous très actifs pour que cette guerre s'arrête vite, le plus rapidement possible et dans les meilleures conditions. Nous voulons être des artisans de paix et cette paix, nous la construirons tous ensemble. Nous uvrons tous ensemble, de manière diplomatique, à trouver une solution politique à ce conflit.
Q - Mais la vision française de la paix n'est pas la vision américaine ou britannique.
R - La paix est la même pour tous et la paix se construira tous ensemble.
Q - Est-ce que vous comptez passer dans d'autres capitales maghrébines pour préparer la réunion du 5+5 ?
R - Nous avons des contacts à différents niveaux, au niveau de nos ambassadeurs, au niveau du Quai d'Orsay. Vous savez que le président Chirac a fait une visite d'Etat en Algérie qui a eu un retentissement important. C'est une des priorités de la politique étrangère de la France. Nous démultiplions notre action diplomatique à travers cette partie du continent à laquelle, pour ma part, je suis attaché, étant un élu de Marseille. Vous savez que Marseille est une ville qui a 2 600 ans d'histoire et qui est tout à fait attachée aux échanges de biens et de personnes et à la considération des peuples différents.
Q - Mais pas de visite en vue, de visite du ministre
R - Non. Cela, on verra avec les ministres la semaine prochaine. Il y aura de toute façon des échanges qui auront lieu la semaine prochaine à Sainte-Maxime et, d'ici la fin de l'année, dans la perspective du sommet qui aura lieu ici à Tunis.
Q - En ce qui concerne le dossier irakien, est-ce que vous avez des suggestions particulières dont vous auriez parlé avec le Premier ministre, avec les responsables tunisiens ? Est-ce qu'il y a une demande particulière du côté tunisien ?
R - Je crois que sur l'ensemble des dossiers internationaux, et pas simplement l'Irak, sur l'ensemble des dossiers concernant les relations euroméditerranéennes et régionales, comme dans le cas de nos relations bilatérales, nous avons une convergence de vues qui est très claire. Nous souhaitons passer par la voie diplomatique et multilatérale qui est la plus efficace pour donner une légitimité à l'action et une légalité à l'intervention, notamment en ce qui concerne aujourd'hui le problème de l'action humanitaire qui ne peut se faire que dans le cadre des Nations unies.
Q - Que signifie l'action diplomatique actuellement, au moment où la bataille de Bagdad se prépare ? Vous préparez le départ de Saddam Hussein en Mauritanie ?
R - Vous savez, il faut être très prudent sur les initiatives diplomatiques. Avant le début du conflit le 19 mars, entre le mois de janvier et le mois de mars, beaucoup de journalistes nous ont posé des questions : et s'il se passe ceci, et s'il se passe cela Avec beaucoup de prudence, nous ne nous sommes engagés que sur des logiques et des principes de responsabilité. Il s'est avéré que, sur toutes ces questions, il ne s'est pas passé ce qui était prévu.
Donc nous devons aujourd'hui régler le problème du quotidien pour les populations civiles. Il faut bien se rendre compte qu'il y a un conflit et que ce conflit doit se terminer le plus vite possible et le mieux possible pour que l'on puisse réorganiser la paix dans cette partie du monde, dans le cadre d'une négociation multilatérale.
Q - Ne pensez-vous pas, Monsieur le Ministre, que l'ONU est marginalisée et qu'on ne lui laisse que le côté humanitaire ?
R - Je pense que l'ONU sortira à terme renforcée de cette situation qui est difficile : c'est une crise. Elle en sortira renforcée parce que la paix se fait à plusieurs, jamais seul.
Q - Mais le Conseil de sécurité est en déliquescence
R - Les initiatives politiques de M. Powell aujourd'hui en Europe, la résolution votée à l'unanimité la semaine dernière, rappelant les principes de la Convention de Genève, ont montré que les Nations unies sont nécessaires et que le Conseil de sécurité est indispensable.
Q - La France sort pratiquement marginalisée dans ce conflit puisque ce sont les Américains et les Anglais qui ont imposé leur loi en passant outre le Conseil de sécurité. Est-ce qu'il y a une initiative diplomatique française pour essayer d'éviter, par exemple, la bataille de Bagdad ? Comme cela s'est passé à Kaboul, par exemple ?
R - Vous ne pouvez pas comparer le problème de l'Afghanistan au lendemain du 11 septembre, avec la question du terrorisme, et le problème aujourd'hui de la guerre en Irak. Ce sont deux choses très différentes et l'amalgame ne peut être fait.
Des initiatives politiques ont eu lieu à tous les niveaux avant la guerre. Aujourd'hui, la guerre est déclenchée et on travaille à apporter une solution. La solution passera bien entendu par l'humanitaire ; elle passera par la reconstruction de la paix. Et je ne crois pas, compte tenu de la façon dont nous sommes accueillis de par le monde, de la façon dont les jeunes qui étaient tout à l'heure en train de manifester ont applaudi la voiture qui passait avec la cocarde tricolore, que nous soyons marginalisés aujourd'hui. Nous avons posé des principes ; ce sont des principes qui sont importants, qui sont reconnus et qui sont immuables. C'est l'histoire de notre pays.
Q - Sur les relations au niveau du 5+5 et au niveau du processus méditerranéen, étant donné que l'Espagne a préféré faire cavalier seul par rapport aux autres pays européens.
R - J'ai rencontré mon homologue espagnol, j'ai rencontré mon homologue italien. Je suis allé à Rome, en Espagne. Je n'ai pas encore rencontré mon homologue portugais, ce que je ferai demain. Je sais qu'ils sont très attachés au Processus euroméditerranéen parce qu'en tant que peuples du Sud de l'Europe, ils sont parfaitement conscients que l'Europe se doit d'avoir une politique euroméditerranéenne pour pouvoir se développer dans l'harmonie, la paix et la concorde. Il y a donc une convergence de vues là-dessus même s'il n'y a pas une convergence de vues sur le plan irakien.
Q - Monsieur le Ministre, comment voyez-vous l'avenir des relations franco-américaines après les divergences qui sont apparues sur le conflit irakien ?
R - Vous savez, les Américains sont nos amis et nos alliés. Aujourd'hui, nous avons des divergences de vues, non pas sur la démocratie, non pas sur la liberté, non pas sur l'organisation dans nos différents pays ni sur notre amitié mais nous avons des divergences de vues sur les modalités du désarmement de l'Irak. Ils ont pris une option que nous regrettons. Je crois que de tous ceux qui sont dans cette situation, nous sommes les seuls à ne jamais nous être battus contre ou sans les Américains. Donc nous resterons unis.
Mon message est très positif pour la suite. Il suffit de voir les relations bilatérales que nous avons au niveau des ministres des Affaires étrangères pour se rendre compte que les deux hommes se respectent et s'estiment et que si cette crise est importante, grave, puisqu'elle concerne la vie d'un certain nombre d'êtres humains, sur les principes nous sommes en harmonie.
Q - Monsieur Le Secrétaire d'Etat, il y a quand même des milliers de tomahawks qui tombent sur les Irakiens, il y a des milliers de morts et vous, vous parlez de regrets. Les gens sont un peu déçus. C'est un peu un recul de la France après cette levée de boucliers, après être allée "au charbon", après ce débat universel. Maintenant, les gens sont un peu déçus. On a l'impression que ce sont des considérations d'ordre matériel, c'est tout ! Tout le monde se place !
R - Je ne sais pas si tout le monde se place. Le volume des échanges franco-irakiens pour le commerce extérieur français représente 0,3 %. Nous n'avons donc rien à perdre et rien à gagner. Nous, nous nous battons sur le plan des principes, sur le plan de la légalité, sur le plan de la légitimité, sur le plan du droit international et nous sommes pour un monde multipolaire. Nous regrettons ce qui se passe là-bas et nous souhaitons que cela s'arrête le plus tôt possible, dans les meilleures conditions. D'un autre côté, il faut bien se rendre compte que nous n'avons jamais eu aucune complaisance pour le régime de M. Saddam Hussein qui a pu avoir des comportements vis-à-vis de son peuple qui ne sont pas dignes d'un pays démocratique. Donc, les moyens d'accéder à la démocratie passent à nos yeux, nous Français, par le multipolaire, par le multilatéral, par la souveraineté de ce pays sur ses ressources, sur ses richesses et sur son intégrité territoriale.
Q - Les Anglais et les Américains ont annoncé - d'ailleurs, il y a deux jours sur la chaîne France 2, l'ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris a indiqué que l'Angleterre soutenait la thèse américaine - qu'il y aurait un gouvernement militaire de transition pendant dix-huit mois. Est-ce que vous soutenez cette démarche ?
R - J'ai cru comprendre que l'entretien qui a eu lieu entre M. Bush et M. Blair, pour ce que j'en ai lu, montrait qu'il n'y avait pas de convergence entre les points de vue pour la suite. Je vois bien que M. Blair travaille avec le président de la République - puisqu'ils se sont téléphoné - pour aboutir dans le cadre d'une solution onusienne.
Q - Nous avons entendu parler, depuis plusieurs années, d'une politique européenne de sécurité et de défense qui permette à l'Union européenne d'avoir une position commune vis-à-vis des problèmes de sécurité et de défense en Europe. Or, les derniers événements relatifs à la crise irakienne ont prouvé qu'il y avait plus que des fissures dans cette politique commune de sécurité et de défense qui cherche progressivement à se désolidariser de la position militaire et politique des Etats-Unis vis-à-vis de l'OTAN et de l'Europe. Que peut faire la politique étrangère française, aussi performante soit-elle, pour cimenter ces fissures ?
R - L'Europe vient de traverser une crise, c'est très clair. Mais l'Europe s'est construite à travers les crises. Aujourd'hui, cette crise doit nous permettre de nous poser des questions sur l'avenir de l'Europe. Nous étions dans une Europe géographique, dans une Europe de libre circulation des biens et des personnes, dans une Europe qui fabriquait de l'économie et dans une Europe qui permettait au bloc de l'Est d'accéder à un marché, à une démocratie, à un mode de fonctionnement qui lui apportait la liberté.
On se rend bien compte qu'aujourd'hui il faut reposer les problèmes fondamentaux soulevés par les pays fondateurs de l'Europe qui sont l'Espagne, l'Italie, la France, l'Angleterre, l'Allemagne. Comment on a créé cette Europe, pourquoi on l'a faite ? Ces questions-là doivent être posées et trouver une réponse sur le plan de la diplomatie internationale, sur le plan militaire, parce qu'on se rend bien compte que là où cela n'a pas été cimenté, nous avons des crises et nous perdons notre crédibilité européenne.
Q - Est-ce que cette crise est de nature à faire émerger une force politique et militaire sérieuse et un monde bipolaire plutôt qu'unipolaire ?
R - Nous n'échapperons pas à des questions importantes sur les objectifs et des missions de l'Europe, qu'elles soient euroméditerranéennes, qu'elles concernent la politique étrangère, la politique de la défense ou la Convention. Cela engagera des frais, des choix, des options. Est-ce qu'il y aura un seul ministre des Affaires étrangères ? Nous n'avons pas la réponse. Il y a un certain nombre de réponses potentielles mais cela nécessite une discussion au sein d'une Europe qui est grande et qui va être élargie.
Q - Est-ce que vous ne voyez pas dans les manifestations de foule, partout dans le monde et en Europe un dysfonctionnement de la démocratie occidentale ?
R - Pour moi, la démocratie est l'expression du peuple dans les urnes. A partir du moment où le peuple manifeste, c'est la liberté. Il manifeste un sentiment bien particulier mais ce sentiment doit se manifester sans susciter la haine. J'appelle à la responsabilité parce qu'au moment de fabriquer la paix, quand on reproche aux autres des actes d'agression, il ne faut pas soi-même en commettre. La réalité, c'est que la démocratie fait qu'à un moment ou à un autre vous vous retrouvez face à vous-même dans l'isoloir et le peuple s'exprime dans sa totalité. Il sort des urnes une majorité et une volonté populaire qui est exprimée par le peuple, pour une durée fixée par nos constitutions. A partir de là, les dirigeants doivent tenir compte du contexte international, de leurs opinions publiques, de leurs difficultés économiques pour diriger leur propre pays.
Il est bien évident que pour nous, aujourd'hui, compte tenu de la position de Jacques Chirac, le gouvernement français a plus de facilité à exprimer sa position que M. Blair ou M. Aznar. Mais pour autant, ce sont eux qui sont en responsabilité.
Q - S'il s'agissait seulement de préparer la réunion du 5+5, pourquoi n'avez-vous pas visité les autres pays du Maghreb ?
R - Vous savez, je passe les deux tiers de mon temps en dehors de France et de ma ville de Marseille. La semaine dernière, j'étais à Genève, à Bruxelles. J'ai vu les ONG et mis en place un dispositif à New York pour faire en sorte que l'on revienne dans le cadre de la légitimité internationale. Je ne suis pas seul à travailler pour la France puisque nous avons le deuxième réseau diplomatique au monde, un réseau qui démultiplie la politique, l'action et la voix de la France à travers le monde
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 2003)